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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130510

Dossier : IMM-8539-12

Référence : 2013 CF 494

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JANOSNE VARGA

SZILVIA VARGA

DAVID SZILVESZTER VARGA

(alias DAVID SZILVESZT VARGA)

GYORGY VARGA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande, qui vise à faire annuler la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) concluait que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), est accueillie.

 

[2]               La demanderesse adulte (la demanderesse) et ses trois enfants sont hongrois et ils ont demandé l’asile au Canada en raison de leur origine ethnique rom.

 

Le motif de persécution

 

[3]               La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve produite par la demanderesse au sujet de la persécution fondée sur le sexe, soit, la violence domestique qu’elle subissait aux mains de son ex‑époux.

 

[4]               La demanderesse a mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’elle et son époux [traduction] « se querellaient beaucoup ». Elle a apporté une quantité importante de détails à ce sujet au cours de l’audience et elle a décrit les agressions dont ses enfants et elle ont fait l’objet. La demanderesse a relaté dans son témoignage que son ancien conjoint continuait à la menacer sur Internet après sa fuite de la Hongrie. Ce témoignage était corroboré par son certificat de divorce délivré par un tribunal hongrois, dans lequel la violence domestique comptait parmi les motifs de divorce, et par un document qui confirmait qu’elle s’était présentée à un refuge pour femmes. La Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve présentés par la demanderesse quant à cette question.

 

[5]               Les demandes d’asile mettent en jeu les droits fondamentaux de la personne. Par conséquent, il est important que la Commission tienne compte de chaque motif soulevé par la preuve, même si le demandeur d’asile n’en fait pas expressément état : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526, au paragraphe 13. Dans la plupart des circonstances, le fait de ne pas tenir compte d’un élément d’une demande d’asile constitue une erreur grave et possiblement fatale : Mersini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1088, au paragraphe 6.

 

[6]               L’omission de la Commission de tenir compte d’un motif de persécution qui ressort du dossier constitue un manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Il est possible que la raisonnabilité et la déférence n’aient aucun rôle à jouer lorsqu’il n’y a pas d’examen de la preuve.

 

[7]               En tirant cette conclusion, je ne déroge au postulat de base selon lequel il incombe clairement aux demandeurs d’asile d’établir le bien‑fondé de leur demande. La Commission n’est pas obligée de se livrer à un examen « microscopique » afin de déceler tout risque éventuel (pour reprendre les termes employés par le juge Russel Zinn dans la décision Galyana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 254, au paragraphe 9), ni de redéfinir la preuve pour qu’elle corresponde à un motif de persécution reconnu. Je conviens avec mon collègue, le juge Zinn, que la description appropriée des fonctions de la Commission à cet égard a été exposée par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Kerrouche, R (on the application of) c Secretary Of State For Home Department [1997] EWCA Civ 2263, [1997] Imm AR 610 (31 juillet 1997) :

 

[traduction]

L’examen attentif et diligent auquel il convient de soumettre toute question susceptible de compromettre la sécurité d’un réfugié permet d’adopter à l’égard d’éventuels manquements procéduraux une approche moins rigoureuse que si une question moins importante était en jeu. Si, par conséquent, une instance d’appel, qu’il s’agisse d’un arbitre spécialement désigné, ou du tribunal, s’aperçoit, ou devrait s’apercevoir qu’un appelant n’a pas fait état d’un argument susceptible d’améliorer sensiblement ses chances de voir accueillir son appel, l’instance d’appel est tenue soit d’invoquer elle-même l’argument en question, soit à tout le moins d’attirer sur lui l’attention de l’appelant. Les instances d’appel sont naturellement portées à se concentrer avant tout sur les arguments qui leur sont présentés. On ne saurait s’attendre à ce qu’elles fassent elles-mêmes enquête afin de voir s’il n’existerait pas des arguments qui n’ont pas été invoqués par un appelant qui aurait cependant pu s’en prévaloir. Elles ne sont pas tenues de se lancer à la recherche de nouveaux arguments. En présence, cependant, d’un argument aisément percevable, et de nature à favoriser l’appelant, même si celui-ci ne l’a pas invoqué, l’arbitre spécialement désigné ou le tribunal devrait le faire jouer en faveur de l’appelant.

 

 

[8]               En l’espèce, le FRP faisait allusion à un motif de persécution qui a clairement été soulevé dans le témoignage et dans la preuve documentaire.

 

La protection de l’État

 

[9]               Des parties des motifs donnés à l’appui du rejet de la demande d’asile n’ont aucun lien avec la preuve. Par exemple, la Commission a reproché à la demanderesse de ne pas avoir produit de preuve documentaire à l’appui pour corroborer ses tentatives de solliciter la protection de l’État. Un tel reproche est difficile à comprendre, compte tenu du témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’avait pas demandé la protection. La Commission a énoncé qu’une preuve à l’appui était nécessaire, « [c]ompte tenu de la conclusion tirée, à savoir que de nombreux aspects de la demande d’asile de la demandeure d’asile n’étaient pas crédibles ». Cependant, la Commission n’a pas mentionné qu’elle ne croyait pas quelque aspect du témoignage de la demanderesse.

 

[10]           La Commission a aussi mentionné, au sujet de l’absence de rapport de police, que la demanderesse avait « eu suffisamment de temps pour obtenir les documents requis à l’appui de sa demande d’asile ». La demanderesse ne s’était pas adressée à la police et ne pouvait évidemment pas obtenir des rapports de police qui n’existaient pas.

 

L’audience

 

[11]           En dernier lieu, bien que la Commission doive vérifier la crédibilité d’un demandeur d’asile, et qu’elle le fasse parfois de manière énergique, elle doit toutefois faire preuve de sensibilité, de professionnalisme et d’ouverture d’esprit. En l’espèce, la manière dont le Commissaire a procédé à l’interrogatoire était loin de répondre à cette norme.

 

[12]           La Commissaire a d’abord interrogé les enfants de la demanderesse en vue de déterminer leur identité. Le Commissaire a mentionné ce qui suit au fils de la demanderesse : [traduction] « D’accord fiston, voyons voir comment tu vas t’en tirer ». Par la suite, le Commissaire lui a posé les questions suivantes : [traduction] « Quel est ta date de naissance? Je ne peux pas répondre à ta place. Quelle est ta date d’anniversaire? Ce n’est pas si facile maintenant. [...] Quel est ton nom principal? Je ne veux pas te décourager, mais je dois te dire que cela a été très difficile pour ta sœur de s’asseoir ici. C’est moins drôle maintenant, non? Je ne pense pas ». De plus, le Commissaire a posé les questions suivantes au garçon : [traduction] « Comment le sais‑tu que c’est ta mère? [...] Es‑tu nu sur la chaise? Comment es‑tu habillé? »

 

[13]           Je considère qu’il s’agit d’un langage fortement inapproprié, surtout compte tenu du fait que les témoins étaient des enfants. Un commissaire ne peut pas [traduction] « provoquer un témoin », ni parsemer son interrogatoire de remarques sarcastiques.

 

[14]           Le Commissaire a interrogé la demanderesse quant à la question de savoir si elle était d’origine ethnique rom. Il a déclaré : [traduction] « J’ai vu des gens à la peau pâle, aux cheveux blonds et aux yeux bleus se présenter devant moi et ensuite affirmer ensuite qu’ils sont Tziganes. Alors, comment puis‑je savoir? Et, regarde‑moi, ai‑je l’air d’un Tzigane? »

 

[15]           La demanderesse a déclaré que la différence était [traduction] « la manière avec laquelle nous parlons, et qu’il y a beaucoup de... » Le Commissaire l’a interrompue et il a répété une fois de plus : [traduction] « J’ai posé la question pour moi. Pourquoi n’ai‑je pas l’air d’un Tzigane? J’ai la peau foncée. J’ai les cheveux foncés. J’ai les yeux bruns... » La demanderesse a tenté de donner des explications : [traduction] « Je peux voir qui est gitan [...] Selon les vêtements qu’ils portent, les gestes... » Le Commissaire a insisté une fois de plus : [traduction] « Bon, je parle de moi. Je ne parle pas de qui que ce soit d’autre. Je parle de moi. Tu ne peux pas éviter la question. Tu t’es engagée dans cette voie, et j’y suis. Donc j’attends ta réponse. Si tu ne veux pas donner de réponse, pas de problèmes. » La demanderesse a expliqué qu’un « gitan » en Hongrie ne pouvait pas être nommé à siéger à un tribunal comme la Commission, ce à quoi le Commissaire a répondu : [traduction] « D’accord. Une fois de plus, tu as évité la question. Je comprends que tu ne veux pas répondre à la question. Est‑ce exact? »

 

[16]           Après lui avoir posé d’autres questions à ce sujet, le Commissaire a dit : [traduction] « Donc, pour s’amuser, serais‑tu capable de dire de quel pays je viens? » La demanderesse a essayé de répondre, et le Commissaire a répliqué : [traduction] « Tu n’es même pas proche, donc tu comprends maintenant? Si tu ne peux pas dire d’où je viens, ni quelles sont mes origines, comment puis‑je connaître les tiennes? »

 

[17]           Cette série de questions est inappropriée. Les caractéristiques physiques du Commissaire ne sont pas pertinentes. L’identification du lieu de naissance ou de l’origine ethnique du Commissaire n’apporte rien dans la recherche de la vérité. Il va sans dire que les témoins ne devraient pas être interrogés [traduction] « pour s’amuser ». Il s’agit de questions graves, et les commissaires doivent, sans égard à leur opinion quant à la question de savoir si la demande d’asile est fondée ou non, maintenir un minimum de décorum et de formalisme. Un commissaire pourrait, à titre d’exemple, raisonnablement poser des questions à une demanderesse d’asile au sujet de sa connaissance de la culture rom, mais il est inacceptable pour celui‑ci de concentrer son attention sur la couleur de la peau, des cheveux et des yeux, une chose qui témoigne d’une faible compréhension du concept d’origine ethnique. Il ne s’agissait pas d’une digression mineure ou d’un commentaire isolé : cela s’est poursuivi ainsi pendant trois pages dans la transcription.

 

[18]           Le fait que le commissaire ait effectué cet interrogatoire injuste et non pertinent a créé une atmosphère hostile. La demanderesse a effectivement répondu qu’elle était nerveuse. À cet égard, le commissaire a mentionné ce qui suit : [traduction] « Tu n’as pas à être nerveuse. Tu as relaté certaines choses. Ce n’est pas moi, mais toi, qui t’es engagée dans cette voie. Donc, j’essaie de mettre les choses au clair dans mon esprit et je me sers de moi comme exemple. Mais tu ne veux pas répondre à la question ».

 

[19]           Déterminer l’origine ethnique d’une personne peut s’avérer être une tâche difficile. La commission a une fonction inquisitoire et ses commissaires sont rarement assistés par les conseils. Des questions corsées sont forcément posées, et il ne faut pas hésiter à relever les incohérences et les omissions, simplement parce qu’une telle chose pourrait choquer certaines consciences. Toutefois, les questions posées doivent être pertinentes quant aux faits en cause, et les réponses qu’elles entraînent doivent avoir une certaine valeur probante potentielle. Demander à un témoin de deviner l’origine ethnique d’un commissaire ne répond à aucun de ces critères.

 

[20]           L’origine ethnique d’une personne peut être établie sans avoir à s’en remettre à des stéréotypes et à des suppositions. Des questions peuvent, et doivent, être posées au sujet des antécédents familiaux, de la résidence, de la langue, de la religion, de l’école, des fêtes, des célébrations, des événements spéciaux, des associations culturelles ainsi qu’au sujet d’autres facteurs objectifs de l’appartenance ethnique. Dans la présente affaire, l’interrogatoire était extrêmement loin de répondre à cette norme. Les questions pertinentes visant à déterminer de manière objective l’origine ethnique n’ont pas été posées. Il s’ensuit que cet interrogatoire totalement inapproprié n’a pas entraîné un manquement à l’équité procédurale, parce que l’origine ethnique de la demanderesse a été reconnue. Cependant, cet élément se rapporte à la raisonnabilité de la décision, et non à l’équité globale de l’audience. Puisque j’ai conclu que l’interrogatoire inapproprié a créé une atmosphère hostile et qu’il a influé sur l’appréciation de la preuve, l’instance était inéquitable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8539-12

 

INTITULÉ :                                      JANOSNE VARGA, SZILVIA VARGA, DAVID SZILVESZTER VARGA (alias DAVID SZILVESZT VARGA), GYORGY VARGA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 10 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marjorie L. Hiley

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Flemingdon Community Legal Services
Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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