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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20130429

Dossier : IMM-5428-12

Référence : 2013 CF 442

Ottawa (Ontario), ce 29e jour d’avril 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

MARC DAVID JEAN

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), ch 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision d’un agent des visas (l’agent) à l’Ambassade du Canada à Port-au-Prince (Haïti). L’agent a refusé d’accorder à Monsieur Marc David Jean (le demandeur) un permis d’études avec le statut de résident temporaire suivant les articles 179, 216 et 220 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[2]          Le demandeur est un citoyen haïtien qui a sollicité un permis d’études auprès de l’Ambassade du Canada afin de poursuivre des études en informatique. Ce permis lui a été refusé. Pour les motifs qui suivent, j’en suis venu à la conclusion que le contrôle judiciaire doit être accordé en l’espèce.

 

Les faits

[3]          Le 22 avril 2012, le demandeur cherchait à obtenir un permis d’études auprès de l’Ambassade du Canada à Haïti afin qu’il puisse poursuivre ses études au Canada. Au soutien de sa demande, le demandeur a présenté la preuve de son admission au programme de Baccalauréat en informatique et génie logiciel de l’Université du Québec à Montréal, obtenue le 19 janvier 2012. De plus, une lettre des services financiers de cet établissement confirme le paiement d’une somme de 16 000,00 $ par le demandeur à titre de frais de scolarité. Cette lettre est datée du 9 novembre 2011.

 

[4]          Pour ce qui est des ressources financières dont il disposerait au Canada, le demandeur a présenté une attestation d’hébergement et prise en charge signée par sa tante, citoyenne canadienne résidant à Longueuil, qui s’engage à héberger le demandeur et subvenir à ses besoins pour la durée de ses études universitaires. Sa tante est propriétaire d’un triplex et d’un immeuble à plusieurs logements, tous deux situés à Longueuil. Elle en est aussi la gestionnaire. Elle déclare dans son affidavit s’engager « à héberger, fournir le gîte et la nourriture à Marc David Jean (mon filleul) domicilié et résidant au 43, Ruelle Nord-Alexis, Port-Au-Prince, en Haïti, pour la période de ses études universitaires à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) ».

 

[5]          Enfin, le demandeur est le récipiendaire d’un Certificat d’acceptation du Québec, en date du 23 février 2012.

Analyse

[6]          Étant donné la conclusion à laquelle j’en suis venu, il ne sera pas nécessaire d’examiner chacun des arguments des parties. La décision de l’agent d’immigration tient à peu de choses. De fait, c’est son principal problème. On déclare dans un écrit en date du 10 mai 2012 que la demande de permis d’études est rejetée en mettant un crochet dans des cases qui, en bout de ligne, indiquent deux raisons :

□  En vertu des articles 219 et 220 du RIPR, je ne suis pas satisfait(e) que vous :

    [. . .]

    □  que vous possédiez les ressources financières suffisantes et         disponibles, sans travailler au Canada, pour payer vos frais de         scolarité ou de programme que vous avez l’intention de suivre

 

[. . .]

 

□  Je ne suis pas satisfait que vous quitterez le Canada au terme de la période de séjour autorisée, pour les raisons suivantes :

    [. . .]

    □  vos biens mobiliers et votre situation financière.

 

 

 

[7]          Ces mentions correspondent aux textes pertinents des articles 219 et 220 du Règlement et de l’article 20 de la Loi. Elles participent plus de la conclusion que de motifs. Il ne s’y trouve aucune explication des raisons qui auraient pu justifier l’agent d’en venir à ces conclusions. Le Règlement prévoit le refus du permis si les ressources financières ne suffisent pas : on ne sait pas pourquoi l’agent a ainsi conclu puisqu’on ne reprend que la conclusion. Il en est de même de la conclusion que le demandeur ne quittera pas le pays à la fin de son séjour autre que d’avoir coché la case quant à la situation financière. On ne trouve guère plus dans les notes qui font partie du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI]. On y lit le texte suivant :

Après avoir pris connaissance des notes et des documents, j’en suis venu à la conclusion que cette personne ne rencontre pas les exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés car elle ne semble pas bien établie dans son pays et elle n’a pas démontré de façon satisfaisante qu’elle reviendrait dans son pays une fois admise au Canada comme étudiant. Je refuse donc cette demande sur la bonne foi et sur les moyens financiers non démontrés.

 

 

 

[8]          La jurisprudence de la Cour suprême du Canada ne requiert pas la perfection dans l’exposé des raisons d’une décision. Par ailleurs, il me semble que la Cour demande toujours de satisfaire un certain standard.

 

[9]          Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la Cour reconnaît deux standards quant à la révision judiciaire de tribunaux administratifs : la décision dite raisonnable, et celle qui doit être correcte. Pour ce qui serait d’une décision devant être raisonnable, ce qui serait la norme de contrôle en l’espèce, encore faut-il pouvoir que le tribunal s’en satisfasse. Ainsi, on peut lire au paragraphe 47 de la décision Dunsmuir :

. . . Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[10]      Bien sûr, la déférence à l’endroit du tribunal administratif est de mise. De même, il ne faut pas examiner les motifs d’une décision à la loupe. La Cour a précisé les considérations à être prises en compte pour se satisfaire de la qualité des motifs. Je reproduis le paragraphe 14 de la décision Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, sans les références qui s’y trouvent. Ce paragraphe se lit :

[14]     Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat. Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

 

 

[11]      Avec égards, en l’espèce, la Cour se trouve incapable de se satisfaire que la décision prise fait partie des issues possibles. Ce que nous avons, ce sont des conclusions sans appui sur la preuve, ou son absence, qui pourrait justifier la décision du rejet. Je ne prétends pas que la décision rendue aurait dû être autre. La Cour se trouve plutôt dans la situation où il n’est pas possible de savoir pourquoi cette décision a été rendue, ce qui rend impossible le contrôle de sa légalité. C’est le standard auquel la Cour est tenue : « En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, ci-dessus, au paragraphe 16).

 

[12]      Je suis évidemment conscient que la décision rendue, à cause du sujet, doit être située au bas de la gamme quant à la nécessité de l’articuler. Par ailleurs, il doit y avoir un minimum à respecter et de simplement reprendre les exigences de la Loi ne saurait constituer des motifs qui peuvent permettre une révision judiciaire. La décision en l’espèce pourrait fort bien être raisonnable; mais la Cour ne peut en faire l’évaluation comme elle y est tenue en droit, en l’absence de motifs.

[13]      À titre d’illustration supplémentaire, les notes de l’agent, reproduites au paragraphe 7 des présents motifs, nous parlent uniquement d’un refus de la demande fondé « sur la bonne foi et sur les moyens financiers non démontrés ». Partie de l’assertion n’est qu’une répétition de ce qui est déclaré à la formule. L’autre partie parle de « bonne foi ». Il est tout à fait possible que la bonne foi dont il est question porte en fait sur la crédibilité du demandeur. La référence à la bonne foi peut aussi être en fonction de la nécessité pour le demandeur de prouver qu’il quittera à la fin de son séjour au Canada, qu’il est pour ainsi dire un visiteur de bonne foi. Or, la jurisprudence de notre Cour tend à reconnaître que cela peut constituer une atteinte à la justice naturelle que de ne pas permettre au demandeur de s’expliquer davantage lorsque la crédibilité de la preuve est mise en doute (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501; Obeta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1542). On ne parle pas ici de la suffisance de l’information à être soumise, mais bien de la crédibilité que l’on attacherait à celle-ci. Qui plus est, le paragraphe 5.15 de OP 12, qui est un chapitre qui traite de la manière de traiter les demandes de permis d’études, pourrait référer aux deux notions. Quelle est l’option utilisée par l’agent en l’espèce? Le paragraphe 5.15 du « Guide des politiques et des programmes », Citoyenneté et Immigration Canada, soumis en preuve par le demandeur à la cote A-5 de l’affidavit au soutien de la demande se lit ainsi :

La bonne foi de tous les étudiants doit être évaluée cas par cas; les décisions défavorables rendues à l’endroit des étudiants non authentiques ne peuvent être contestées devant les tribunaux que si la décision en question repose sur les renseignements à la disposition de l’agent. Par conséquent, même si le contexte culturel ou les habitudes de migration historiques relatifs à un groupe de clients peuvent jouer un rôle dans le processus décisionnel, ils ne constituent pas, en tant que tel et sur le plan juridique, des raisons valides justifiant un refus sur la base de la bonne foi. Si un agent veut tenir compte d’informations complémentaires, plus particulièrement de celles qui soulèvent des doutes ou des inquiétudes quant à la bonne foi du demandeur, il doit en informer ce dernier et lui offrir l’occasion de régler la question. Ces renseignements doivent être consciencieusement notés dans le STIDI/SSOBL. Il incombe, comme toujours, au demandeur de prouver à l’agent qu’il n’a pas l’intention d’immigrer et qu’il est un visiteur de bonne foi qui quittera le Canada à la fin de ses études, aux termes de l’article R216(1)b).

 

 

 

[14]      Il est impossible à la cour de révision de déterminer ce que l’agent avait à l’esprit en déclarant que la bonne foi était déficiente. À cause de l’absence de motifs suffisants, on ne peut établir si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (Dunsmuir, précité).

 

[15]      En conséquence, ce dossier sera retourné devant un autre décideur pour qu’il soit examiné à nouveau.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision rendue le 10 mai 2012 par un agent des visas à l’Ambassade du Canada à Port-au-Prince (Haïti) est annulée et l’affaire est retournée pour être reconsidérée par un nouvel agent des visas.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5428-12

 

INTITULÉ :                                      MARC DAVID JEAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sabine Venturelli                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Sherry Rafai Far                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sabine Venturelli                                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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