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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130502

Dossier : IMM-6541-12

Référence : 2013 CF 459

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JOZIKEE NDJIZERA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) sera accueillie. La décision sera annulée en raison d’un manquement à l’équité procédurale et, deuxièmement, de conclusions de faits déraisonnables.

 

[2]               La demanderesse est une femme originaire de la Namibie qui demandait l’asile au motif qu’elle avait été agressée physiquement et sexuellement par son époux.

 

[3]               La Commission a manqué à l’équité procédurale en rejetant une demande formulée par le conseil de la demanderesse en vue de faire inverser l’ordre normalisé des interrogatoires. La Commission a rejeté la demande pour que la demanderesse soit tout d’abord interrogée par son conseil, qui déclarait avoir une vaste expérience dans l’instruction d’affaires délicates et qu’il n’exigerait pas à la demanderesse d’asile d’aller dans les détails au sujet des incidents, ce qui pourrait occasionner la réémergence de symptômes graves chez elle.

 

[4]               Règle générale, le demandeur d’asile est tout d’abord interrogé par le commissaire qui préside l’audience. Dans certaines circonstances, cependant, l’équité peut commander que le demandeur d’asile soit interrogé en premier lieu par son procureur : Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 51. Les Directives du président concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés prévoient que la Commission peut changer l’ordre des interrogatoires pour accommoder une personne vulnérable. Bien qu’une telle chose ne soit pas nécessaire dans tous les cas, la demanderesse a fourni en l’espèce un rapport du psychologue qui faisait état de troubles de stress post‑traumatique ainsi que d’un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue.

 

[5]               L’inversion de l’ordre des interrogatoires ne vise pas qu’à pallier une lacune de la Commission en ce qui a trait à son expérience ou à son expertise. Toutefois, comme le mentionnent les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, les femmes qui ont fait l’objet de violence familiale peuvent être hésitantes à témoigner et avoir des problèmes spéciaux lorsqu’elles exposent leur preuve aux autorités. On peut s’attendre à ce que le processus d’audition de la demande lui‑même déclenche les symptômes de troubles de stress post‑traumatique, et ce, peu importe les questions qui sont posées. Il faut se rappeler que la demanderesse a témoigné qu’elle souffrait de désorganisation du fonctionnement mental et de [traduction] « troubles profonds », problèmes qu’elle [traduction] « tente vaillamment de dissimuler ».

 

[6]               En l’espèce, l’ordre des interrogatoires a été préjudiciable à la demanderesse. Elle a fourni davantage de détails lorsqu’elle répondait aux questions de son conseil. La Commission a formulé des observations défavorables à la demanderesse dans les motifs de la décision, lui reprochant de ne pas avoir fourni cette preuve lorsqu’elle répondait aux questions de son interrogatoire initial, et elle a tiré des inférences déraisonnables relativement à sa crédibilité.

 

[7]               Deuxièmement, l’appréciation de la preuve faite par la Commission démontre qu’elle s’est fondée sur des stéréotypes en ce qui concerne la persécution fondée sur le sexe. Au sujet de la crédibilité, la Commission a mentionné que, « [c]ontrairement à de nombreuses personnes qui demandent l’asile au motif d’avoir subi des mauvais traitements en raison de leur sexe », la demanderesse parle anglais, qu’elle avait obtenu son diplôme d’études secondaires et qu’elle avait pris ses propres décisions concernant sa venue au Canada. La Commission a commis une erreur en considérant que ces facteurs étaient pertinents quant à l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse, en mentionnant à tort que seules les femmes moins scolarisées et dociles peuvent être victimes de violence conjugale.

 

[8]               Il y avait aussi des erreurs dans les conclusions de la Commission en matière de vraisemblance. La Commission reprochait à la demanderesse de ne pas avoir tenté de consulter un médecin en Namibie, en mentionnant qu’elle aurait pu faire une telle chose sans pour autant nommer son agresseur. La demanderesse a relaté au cours de son témoignage que son conjoint la suivait et qu’il avait exercé des représailles à son endroit lorsqu’elle avait sollicité l’aide des aînés dans leur collectivité. La Commission n’a pas tenu compte de cette preuve.

 

[9]               Il était également déraisonnable de la part de la Commission de s’attendre à une corroboration indépendante du témoignage de la demanderesse, selon lequel son époux était un homme d’affaires prospère. Rien dans la preuve ne permettait de croire qu’il avait, par exemple, une société cotée en bourse ou un certain degré de renommée. Il est difficile de comprendre à quel type de corroboration indépendante la Commission s’attendait; la demanderesse ne pouvait certainement pas obtenir les dossiers financiers de son agresseur. La Commission ne peut pas tirer une inférence défavorable de l’absence de preuve corroborante, à moins qu’elle puisse raisonnablement s’attendre à la production d’une telle preuve documentaire : Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 849, au paragraphe 6.

 

[10]           La Commission reprochait aussi à la demanderesse d’avoir omis de corroborer son témoignage selon lequel son nom figurait sur une liste d’attente pour une thérapie au Canada. La demanderesse a fourni un rapport d’un psychologue pour corroborer son état. La Commission a écarté à tort ce rapport, au motif que celui‑ci avait été préparé à la demande du conseil de la demanderesse et qu’il s’agissait donc d’une preuve intéressée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour réexamen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6541-12

 

INTITULÉ :                                      JOZIKEE NDJIZERA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 2 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Raoul Boulakia

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mme Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat
Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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