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Date : 20130502

Dossier : IMM‑4847‑12

Référence : 2013 CF 456

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

KEERAN THARMAKULASINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 26 avril 2012, dans laquelle le commissaire Stephen J. Gallagher (le commissaire), de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR ou la Commission), a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur allègue que la décision du commissaire est déraisonnable et qu’il a commis plusieurs erreurs. De plus, le demandeur a soutenu dans son mémoire que la décision attaquée soulève une crainte raisonnable de partialité en raison des publications antérieures du commissaire sur un sujet abordé dans ses motifs. Cependant, à l’audience, l’avocate du demandeur a abandonné ce motif étant donné que mon collègue le juge Noël a rejeté, dans une décision récente, un argument semblable relativement au même commissaire : voir Francis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1141 [Francis].

 

[3]               Après avoir examiné avec soin le dossier et les observations des deux parties, je conclus que la décision du commissaire est raisonnable, malgré certaines faiblesses de son raisonnement et de ses conclusions. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée pour les motifs exposés ci‑après.

 

Faits

[4]               Le demandeur, né le 22 décembre 1988, est citoyen du Sri Lanka. Il a demandé l’asile à son arrivée au Canada le 13 juin 2012. Sa demande d’asile a été refusée dans une décision rendue le 26 avril 2012. Le demandeur a été élevé dans la région de Jaffna, dans le Nord du Sri Lanka. Son père vend des voitures d’occasion, exploite une épicerie et possède une petite ferme. Sa demande est fondée principalement sur trois événements qui se sont déroulés entre décembre 2009 et juin 2011.

 

[5]               Le demandeur allègue qu’il a été repéré, à la fin de 2009, par des membres du groupe de Pillaiyan qui, l’ayant vu conduire un certain nombre de véhicules dans le cadre des activités commerciales de son père, ont pensé qu’il était riche. Les hommes ont enlevé le demandeur et, 15 jours plus tard, son père a versé une rançon de 8 lakhs pour obtenir sa libération.

 

[6]               En avril 2010, le demandeur a été intercepté par trois hommes masqués vêtus d’uniformes militaires qu’il soupçonne d’être aussi membres du groupe de Pillaiyan. Lorsqu’ils ont exigé qu’il leur remette la minifourgonnette qu’il conduisait, il leur a demandé leurs pièces d’identité. Ils l’ont battu et ont volé la minifourgonnette, qui a été retrouvée quatre jours plus tard dans un champ, incendiée. Le demandeur précise dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que les hommes ont continué à communiquer avec lui et à le harceler pour obtenir de l’argent et des véhicules.

 

[7]               Enfin, en juin 2010, le demandeur a participé à une réunion du Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE) dans une bibliothèque. Il n’a pas eu peur de prendre la parole lors de cette réunion et, trois jours plus tard, il a été accosté par des hommes armés circulant dans une minifourgonnette qui ont tenté de le capturer. Il a réussi à s’enfuir, mais ces derniers l’ont suivi jusqu’à son domicile, où ils ont menacé de le tuer à moins qu’on leur remette de l’argent, ce que le père du demandeur a fait. Au cours de l’audition de sa demande d’asile, le demandeur a déclaré pour la première fois que la personne qu’il avait insultée à la réunion du PDPE était Douglas Devananda, le chef du PDPE.

 

[8]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka en juillet 2010, mais il a été arrêté en Thaïlande; il prétend avoir été renvoyé au Sri Lanka en janvier 2011. Avec l’aide d’un agent, il a quitté le pays une autre fois le 9 février 2011 et a parcouru un certain nombre de pays avant d’être arrêté aux États‑Unis, où il est entré par la frontière mexicaine vers le 16 avril 2011. Il a été détenu du 27 avril 2011 au 23 mai 2011, date à laquelle il a été relâché moyennant un cautionnement de 15 000 $ fourni par une de ses sœurs qui vit au Canada. Il est arrivé au Canada le 13 juin 2011 et a été accepté malgré l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) en raison du fait que sa sœur vivait au Canada.

 

[9]               Dans une déclaration solennelle, le père du demandeur allègue que des hommes armés ont continué à pourchasser son fils, que son épicerie a été brûlée par des incendiaires et qu’il a été menacé à bon nombre de reprises depuis le départ de son fils. Il ajoute qu’il a finalement été obligé de déménager à Jaffna avec sa femme et deux de ses filles.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Après avoir exposé une longue série de motifs, le commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles. À l’appui de cette conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, le commissaire a énuméré un certain nombre de problèmes concernant les observations et le témoignage du demandeur, notamment :

i)                    Le demandeur a déjà trompé des fonctionnaires sur les conseils de son agent et de [traduction] « membres de la communauté tamoule vivant à Buffalo » en niant s’être déjà rendu en Thaïlande.

ii)                  La preuve révèle que le groupe de Pillaiyan, désigné par le demandeur comme un agent de persécution, joue un rôle actif uniquement dans l’Est du Sri Lanka (et non dans le Nord du pays, comme l’a soutenu le demandeur) et le demandeur allègue avoir été ciblé à cause de ses opinions politiques, mais « il ne savait pas que “Pillaiyan” (Sivanesathurai Chandrakanthan) est le ministre en chef de la province de l’Est ».

iii)                Le demandeur s’y connaît peu en politique. Le commissaire n’est pas d’accord avec les allégations du demandeur relatives aux élections récentes et a conclu que ce dernier soit ne se trouvait pas dans la région de Jaffna à l’époque en cause, soit n’était pas actif ou informé politiquement.

iv)                Le commissaire ne croit pas que M. Devananda était présent à la réunion du PDPE dans une bibliothèque, car le demandeur aurait sûrement mentionné ce fait avant l’audience.

v)                  Le commissaire ne croit pas les allégations du demandeur au sujet du vol de la minifourgonnette en raison des contradictions que renferme le témoignage même du demandeur et de celles entre ce témoignage et le contenu de la lettre fournie par le père du demandeur.

 

[11]           Le commissaire souligne que, même s’il ajoutait foi aux allégations du demandeur, il conclurait quand même qu’il n’existait qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à la persécution au Sri Lanka en tant que « jeune Tamoul du Nord », étant donné qu’il n’a jamais été associé aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), que le gouvernement a relâché des milliers de vrais cadres des TLET depuis la fin de la guerre et qu’il est difficile d’imaginer que le demandeur présenterait un intérêt quelconque pour les autorités. Le commissaire cite les lignes directrices diffusées en 2010 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), selon lesquelles une protection plus large fondée sur le risque de dommages infligés indistinctement n’est plus nécessaire. Il reconnaît que, selon certains éléments de preuve, la situation a pu se détériorer, mais il estime qu’il n’y a pas de raison de conclure que les lignes directrices du HCNUR ne sont plus valides.

 

[12]           En ce qui concerne le séjour du demandeur aux États‑Unis, le commissaire a conclu que l’omission d’y présenter une demande d’asile révèle l’absence de crainte subjective, particulièrement compte tenu de données selon lesquelles les taux d’acceptation des demandes d’asile étaient plus élevés aux États‑Unis en 2010 qu’ici. Le commissaire conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur, qui a été détenu pendant une longue période et qui a eu accès aux services d’un avocat, savait qu’il était en sécurité aux États‑Unis, mais il a choisi de venir au Canada « afin d’être réuni avec les membres de sa famille et de se voir accorder l’accès aux meilleures conditions d’accueil qu’offre le système canadien de protection des réfugiés comparativement au système américain », et, ce faisant, « le demandeur d’asile a sciemment accru la possibilité qu’il soit renvoyé au Sri Lanka » et « il a objectivement laissé tomber une sûreté assurée pour la possibilité d’être renvoyé au Sri Lanka » (paragraphes 20 et 22 de la décision).

 

[13]           Le commissaire conclut que le risque d’extorsion de la part de membres du groupe de Pillaiyan et du PDPE qu’a fait valoir le demandeur ne constitue pas de la persécution étant donné que ces groupes se sont transformés en organisations criminelles et ne sont plus « des organes d’exécution des autorités sri‑lankaises dans leurs efforts de sécurité dans le Nord » (paragraphe 23 de la décision). Il poursuit cependant en présentant des éléments de preuve qui appuient la prétention du demandeur en soulignant que « de nombreux cas de liens étroits sur le terrain entre des forces de sécurité du gouvernement et les paramilitaires ont été signalés », mais que les paramilitaires ont « des caractéristiques de plus en plus criminelles » (rapport de 2010 du Département d’État des États‑Unis, paragraphe 25 de la décision).

 

[14]           Même si le commissaire acceptait la véracité des allégations du demandeur, à l’exception de la prétendue confrontation avec M. Devananda, il considérerait tout risque visant le demandeur comme un risque généralisé non susceptible d’engager la responsabilité du Canada en matière de protection.

 

[15]           Même s’il avait ajouté foi à toutes les allégations du demandeur, le commissaire aurait quand même conclu qu’il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Colombo, en raison du fait que le demandeur y est déjà allé, de son niveau de scolarité et de l’importante population tamoule de cette ville. Le commissaire a rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’information le concernant serait transmise au PDPE à Jaffna s’il s’enregistrait à Colombo, puisque le fait que les fonctionnaires ont accepté un pot‑de‑vin en échange de sa libération donne à penser qu’ils considéreraient que cela n’en vaut pas la peine et que le demandeur n’a pas établi que « la police, la SLA ou tout groupe paramilitaire étaient à sa recherche, dans le sens où il y aurait un mandat d’arrêt contre lui » (paragraphe 30 de la décision).

 

[16]           Enfin, le commissaire ajoute, sans autre forme d’explication que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’est pas exposé à un risque au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

Questions en litige

[17]           Comme je l’ai déjà mentionné, l’avocate du demandeur n’a pas repris son argument relatif à la partialité étant donné que la Cour a rejeté le même argument dans la décision Francis, précitée. Par conséquent, la Cour est appelée à trancher les trois questions suivantes :

a)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles?

b)                  La décision du commissaire était‑elle déraisonnable vu son évaluation de la situation actuelle du pays ou incorrecte eu égard au défaut d’évaluer le risque que courrait une personne rapatriée?

c)                  Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en évaluant la PRI à Colombo?

 

Analyse

[18]           La norme de contrôle applicable aux conclusions du commissaire en matière de crédibilité est celle de la décision raisonnable. Il est maintenant bien établi que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

 

[19]           La même norme est applicable à l’évaluation du risque effectuée par le commissaire en fonction de la situation actuelle au Sri Lanka parce qu’elle comprend des conclusions sur des questions de fait : Selvalingam c Canada (MCI), 2012 CF 251, au paragraphe 20 [Selvalingam]. Le demandeur soutient que le défaut du commissaire d’évaluer ses observations relatives au risque qu’il court au Sri Lanka en tant que personne rapatriée est une question de justice naturelle, qui compromet son droit à une audience. Je ne suis pas d’accord. La conclusion du commissaire sur le risque auquel serait exposé le demandeur s’il était renvoyé au Sri Lanka doit être appréciée globalement; si le défaut d’aborder un argument affaiblit la conclusion du commissaire au point où elle devient déraisonnable, la décision doit être annulée pour ce motif.

 

[20]           Enfin, l’existence d’une PRI est une question de fait et, par conséquent, elle est aussi soumise à la norme de la décision raisonnable : décision Selvalingam, précitée, au paragraphe 20.

 

a)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles?

[21]           Comme il a été résumé précédemment, le commissaire fonde ses conclusions défavorables en matière de crédibilité sur les éléments suivants :

i)          Le demandeur a déjà trompé des agents d’immigration.

ii)         Le demandeur possède peu de connaissances en politique, même s’il a fondé sa demande sur ses opinions politiques.

iii)        Le commissaire a conclu que les allégations du demandeur sont incompatibles avec le calendrier des élections récentes au Sri Lanka.

iv)        L’allégation du demandeur selon laquelle il a rencontré le chef du PDPE n’est pas crédible.

v)         Des contradictions dans les allégations du demandeur relatives aux incidents qui ont entouré le vol de sa minifourgonnette affaiblissent la crédibilité de sa version de cet événement.

 

[22]           Il incombe au demandeur de démontrer les faits sur lesquels s’appuie sa demande d’asile et, comme l’a fait valoir le défendeur, le commissaire peut rejeter la preuve non contredite du demandeur lorsqu’elle n’est pas plausible eu égard à l’ensemble de l’affaire ou lorsque l’existence de contradictions est constatée au sein de la preuve : Gharkhani c Canada (MCI), 2004 CF 965, au paragraphe 12. Le doute qu’entretenait le commissaire quant à l’existence d’une rencontre entre le demandeur et le chef du PDPE n’était pas déraisonnable, compte tenu particulièrement du fait que cette allégation n’a pas été mentionnée avant l’audience et que le demandeur avait reconnu avoir déjà trompé des fonctionnaires. De la même façon, l’allégation du demandeur selon laquelle le groupe de Pillaiyan a volé sa minifourgonnette en avril 2010 a été contredite par la lettre de son père soumise en preuve selon laquelle des officiers de l’armée l’avaient volée. Il convient de souligner que le demandeur n’a contesté aucune des conclusions susmentionnées du commissaire dans ses observations écrites ou orales.

 

[23]           Par contre, certaines conclusions du commissaire, même si elles n’appartiennent pas aux issues possibles et acceptables, sont plus ambigües et contestables, compte tenu particulièrement du fait que le commissaire n’a pas fourni suffisamment de motifs pour permettre à la Cour d’examiner le fondement de ses conclusions. Par exemple, le commissaire remet en question les allégations du demandeur au sujet de l’existence d’une réunion du PDPE et ses connaissances en politique en raison d’une perception de « problèmes chronologiques » et de sa supposition qu’un parti politique n’organiserait pas une réunion pour obtenir le soutien des électeurs un an avant les élections; par contre, il se fie complètement à deux saisies d’écran du ministère des élections du Sri Lanka pour étayer sa propre interprétation des événements. Même si le commissaire a indiqué que les élections locales se sont déroulées en juillet 2011, fait qui n’a pas été contredit par la preuve limitée versée au dossier, il a souligné dans le dossier un lien avec les « résultats des dernières élections des autorités locales », mentionnant la date du 17 mars 2011, ce qui soulève quant à son interprétation du calendrier des questions qui n’ont pas trouvé réponse dans ses motifs.

 

[24]           Le commissaire ne fournit pas de preuve à l’appui de sa conclusion selon laquelle la région dont est originaire le demandeur est représentée par l’Alliance nationale tamoule et non le PDPE (comme l’a allégué le demandeur) depuis les élections de 2010, mais il s’appuie sur cette déclaration pour remettre en question le degré de politisation du demandeur. Aucun élément de preuve n’est fourni pour dissiper sa préoccupation, reposant sur une hypothèse, que le candidat du PDPE ait pu l’emporter dans la circonscription électorale du demandeur sans pour autant dominer à l’échelle régionale ou nationale.

 

[25]           L’argument du commissaire selon lequel le demandeur ne savait pas que « Pillaiyan » (Sivanesathurai Chandrakanthan) était ministre en chef du Conseil dans la province de l’Est pose aussi problème. Même si le demandeur n’a pas fourni de lui‑même ce renseignement lorsqu’il en a eu l’occasion, la question posée au demandeur concernait uniquement le poste du chef du PDPE et ne visait pas le groupe de Pillaiyan.

 

[26]           Enfin, la conclusion du commissaire selon laquelle « le demandeur d’asile a sciemment accru la possibilité qu’il soit renvoyé au Sri Lanka, et ce, afin d’être réuni avec les membres de sa famille et de se voir accorder l’accès aux meilleures conditions d’accueil qu’offre le système canadien de protection des réfugiés comparativement au système américain » soulève aussi des interrogations. Le demandeur a raison de soutenir que le commissaire ne disposait d’aucun élément de preuve quant aux motivations du demandeur et qu’il était déraisonnable de supposer, même s’il était représenté par un avocat aux États‑Unis, que le demandeur ou son avocat serait au courant des taux d’acceptation des demandes d’asile d’un pays par rapport à l’autre. De plus, il n’était pas raisonnable que le commissaire s’appuie sur des statistiques relatives à des demandes faites en 2010 qui, comme l’a souligné l’avocate du demandeur, peuvent faire l’objet d’interprétations variées, pour les considérer comme la preuve que le demandeur renonçait à « une sûreté assurée » par rapport à une demande d’asile présentée en 2011. Cette conclusion était particulièrement déraisonnable vu la situation en évolution constante au Sri Lanka qui pouvait changer considérablement d’une année à l’autre et le principe fondamental voulant que chaque affaire soit tranchée en fonction des faits qui lui sont propres.

 

[27]           Même si ces conclusions ont un caractère très conjectural et sont pour l’essentiel non fondées, je ne pense pas qu’elles atteignent le degré requis pour justifier une allégation de partialité. Comme l’a souligné le juge Noël au paragraphe 37 de ses motifs dans la décision Francis, précitée :

Ce n’est pas parce qu’une personne a exprimé des opinions antérieures sur un sujet particulier, dans le cadre de travaux universitaires, qu’il y a lieu de l’exclure à titre de décideur. Au contraire, l’acquisition d’une telle expérience peut être un atout précieux et contribuer à faire de ces personnes de meilleurs décideurs […]

 

Je reconnais qu’on puisse faire un rapprochement entre les textes rédigés antérieurement par M. Gallagher, qui font ressortir la disparité entre les conditions d’accueil du Canada et les services qu’il offre comparativement à ceux d’autres pays développés, de même que sa critique de l’ETPS conclue avec les États‑Unis, et les commentaires qu’il a formulés en l’espèce. Cependant, cela ne suffit pas pour mettre en doute son impartialité et, de toute façon, l’avocate du demandeur a retiré cet argument.

 

[28]           Tout bien considéré, et après avoir examiné attentivement le dossier et les arguments des parties, j’estime que la conclusion du commissaire relativement à la crédibilité du demandeur appartient malgré tout aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Même si certaines des conclusions du commissaire ne sont que des hypothèses et ne sont pas étayées par des motifs intelligibles ou rédigés avec soin, elles ne suffisent pas à entacher son évaluation globale de la crédibilité du demandeur.

 

b)         La décision du commissaire était‑elle déraisonnable vu son évaluation de la situation actuelle du pays ou incorrecte eu égard au défaut d’évaluer le risque que courrait une personne rapatriée?

[29]           Peu importe le caractère raisonnable des conclusions du commissaire relativement à la crédibilité du demandeur qui visent les événements précis allégués par le demandeur, le commissaire était tenu de se prononcer sur la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque au sens de l’article 96 de la Loi en tant que jeune Tamoul du Nord ou au sens de l’article 97 à cause du risque d’extorsion de la part de membres du groupe de Pillaiyan ou du PDPE.

 

[30]           Selon le demandeur, le commissaire a commis une erreur dans son évaluation de la situation actuelle au Sri Lanka; en effet, la preuve montre que la situation s’était aggravée récemment. Il soutient qu’en mettant l’accent sur les activités des paramilitaires, le commissaire a omis de tenir compte du fait que ce sont les Tamouls qui sont visés et non les Cinghalais.

 

[31]           Le demandeur n’a pas soutenu devant le Tribunal qu’il courrait le risque d’être persécuté par les autorités à cause d’une quelconque perception d’association avec les TLET. Il a toutefois produit une preuve considérable de la persécution subie par de jeunes Tamouls dans le Nord du Sri Lanka, dont deux documents plus récents qui n’avaient pas été présentés au commissaire, produits comme preuve supplémentaire, selon lesquels même si la persécution est généralement commise sous prétexte de sympathie à l’égard des TLET ou de connivence avec ces derniers, les jeunes hommes courent réellement des risques à cause de leur origine ethnique tamoule ou du fait qu’ils sont originaires du Nord du Sri Lanka.

 

[32]           Cette affirmation est contredite par la conclusion du HCNUR dans le document HCNUR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum‑Seekers from Sri Lanka (5 juillet 2010). Même si le HCNUR précise que la situation au Sri Lanka est encore changeante et qu’[traduction] « une demande d’asile ne doit pas être automatiquement considérée comme non fondée parce qu’elle ne s’inscrit dans aucun profil décrit », le demandeur n’a pas réussi à établir que les conclusions des lignes directrices sont contredites directement par d’autres éléments de preuve plus récents.

 

[33]           L’avocate du demandeur soutient aussi qu’elle a formulé des arguments précis concernant le risque auquel serait exposé le demandeur comme personne rapatriée au Sri Lanka et attire l’attention de la Cour sur un rapport intitulé Freedom from Torture. Elle allègue que le défaut du commissaire de prendre en compte ce risque constitue une erreur susceptible de révision étant donné que le Tribunal est tenu de passer en revue tous les motifs invoqués aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[34]           Selon le document Freedom from Torture invoqué par le demandeur [traduction] « les Tamouls qui sont associés aux TLET, ou que l’on soupçonne de l’être, sont exposés à un risque particulier de détention et de torture au Sri Lanka » (dossier certifié du tribunal [DCT], page 429). En fait, il est aussi précisé dans le rapport (DCT, page 408) que [traduction] « [l]es 35 victimes dont les rapports médico‑légaux ont été étudiés étaient originaires de diverses régions du pays et tous mentionnent que les personnes ont été ciblées à cause de leur association réelle ou présumée avec les TLET, souvent par l’intermédiaire de membres de leur famille ou de leur appartenance à un parti politique d’opposition ». Dans la mesure où le demandeur soutient que ce document doit être pris en compte pour introduire un nouveau motif incompatible avec les conclusions des lignes directrices du HCNUR ou d’autres éléments de preuve documentaires qu’a examinés le commissaire, il exagère. En effet, le demandeur a déclaré qu’il n’a jamais été associé aux TLET; par conséquent, il ne peut invoquer le document Freedom from Torture pour laisser entendre qu’il courrait plus de risques comme personne rapatriée que s’il avait simplement continué à vivre au Sri Lanka, soit la situation sur laquelle reposait l’analyse du commissaire.

 

[35]           Le demandeur n’a pas non plus réussi à établir que le commissaire a commis une erreur en concluant que tout risque d’extorsion constituait un risque généralisé. Selon l’avocate du demandeur, la conclusion du commissaire est déraisonnable étant donné que les Tamouls sont ciblés de façon disproportionnelle par ce genre de crime; cependant, vu les conclusions défavorables du commissaire quant à la crédibilité du demandeur, l’avocate n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur serait personnellement visé ou exposé à un risque personnalisé d’extorsion s’il devait retourner au Sri Lanka. À ce titre, toute allégation d’exposition à un risque du fait de sa nationalité devrait être plaidée au regard de l’article 96 de la Loi.

 

c)         Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en évaluant la PRI à Colombo?

[36]           Le demandeur n’a pas formulé d’observations particulières en ce qui concerne les conclusions du commissaire sur la PRI. Il n’a pas non plus tenté de réfuter l’observation du défendeur selon laquelle la conclusion du commissaire relative à l’existence d’une PRI à Colombo était raisonnable vu les faits de l’espèce et découlait d’une interprétation correcte de la loi.

 

[37]           La Commission a appliqué le critère à deux volets élaboré au paragraphe 6 de l’arrêt Rasaratnam c Canada (MEI), [1992] 1 CF 706 (CA). Premièrement, la Commission a établi qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit exposé à un risque à Colombo. Le demandeur a allégué que s’il s’enregistrait à Colombo, les membres du PDPE à Jaffna en seraient informés et se mettraient à sa poursuite; cependant, la Commission a estimé que cette allégation n’était pas fondée. L’avocate du demandeur n’a pas fait valoir cet argument devant la Cour. De plus, la Commission a estimé que rien n’indiquait que la police, la SLA et/ou les paramilitaires chercheraient à retrouver le demandeur. Enfin, la Commission a tenu compte de la situation particulière du demandeur et a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable de la part du demandeur de chercher refuge à Colombo, étant donné qu’il a un bon niveau d’éducation, qu’il possède des compétences en informatique et qu’il serait tout simplement un des nombreux Tamouls qui vivent dans cette ville. Par conséquent, vu la conclusion du commissaire selon laquelle le demandeur était auparavant passé par Colombo sans éprouver de difficultés, je dois conclure que la conclusion du commissaire quant à la PRI n’est pas déraisonnable.

 

Conclusion

[38]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4847‑12

 

INTITULÉ :                                                  KEERAN THARMAKULASINGAM c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 2 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Catherine Brisebois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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