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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20130501

Dossier : T-728-12

Référence : 2013 CF 455

Ottawa (Ontario), ce 1er jour de mai 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

DUNG TRAN

 

Demanderesse

 

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici de la seconde demande de contrôle judiciaire entreprise par la demanderesse, Mme Dung Tran. Dans les deux cas, les demandes de contrôle judiciaire le sont relativement à des processus de dotation quant à trois postes pour lesquels la demanderesse a posé sa candidature. Ils sont :

-  Vérificateur principal impôt international, Division de la vérification, Bureau des services fiscaux de l’Est du Québec, site du Québec, 2009-8880-QUE-1206-8880;

-  Vérificateur de dossiers importants, Division de la vérification, Bureau des services fiscaux de l’Est du Québec, site de Québec, 2009-8882-QUE-1206-8882;

-  Vérificateur principal de l’évitement fiscal, Division de la vérification, Bureau des services fiscaux de l’Est du Québec, site de Québec, 2009-8883-QUE-1206-8883.

 

[2]          À la suite de l’audience, j’ai indiqué aux parties que j’entendais disposer de cette seconde demande de contrôle judiciaire en l’accordant. Ceci constitue le jugement et ses motifs.

 

[3]          D’entrée de jeu, il convient de noter la façon toute professionnelle adoptée par les avocats des parties. Ils ont coupé court aux débats inutiles pour identifier les vrais enjeux et les remèdes appropriés si tant est que la Cour devait conclure en faveur de la demanderesse. Les concessions faites de part et d’autre cherchaient à éviter les débats acrimonieux qui ne favorisent généralement pas la suite des choses. C’est dans cet esprit que les concessions ont été faites et ont été reçues.

 

[4]          Étant donné la conclusion à laquelle la Cour en est arrivée, il ne sera pas nécessaire, et il ne serait pas utile, de traiter du fond de l’affaire. Il suffira de rappeler brièvement l’historique, d’adjuger sur le dossier tel qu’il se présente et d’ordonner que le tout soit considéré de novo par un nouveau jury à être composé.

 

[5]          La demande de contrôle judiciaire l’est d’une décision du 6 mars 2012 d’un jury de sélection de l’Agence du revenu du Canada. Ladite décision conclut que la candidature de la demanderesse ne rencontre pas les critères préalables requis par les trois processus de sélection à l’étape de ce qui a été appelé les « préalables ».

 

[6]          Dans une décision du 19 août 2011, mon collègue le juge François Lemieux avait rendu jugement (2011 CF 1010) entre ces mêmes parties en faveur de Mme Tran. Les dossiers étaient retournés à l’Agence du revenu pour que « l’examen de la candidature de la demanderesse soit repris par un jury différemment constitué ». Essentiellement, la Cour constatait que le jury de sélection n’avait pas une idée juste des tâches exécutées par la candidate alors même que l’examen portait sur l’expérience véritable de celle-ci pour évaluer si elle rencontrait au préalable les critères du poste.

 

[7]          Un nouveau jury de sélection a donc été constitué. Il devait conclure, dans un court écrit daté du 6 mars 2012. Cet écrit établit trois choses :

a)   les membres du jury de sélection ont rencontré le superviseur de la demanderesse pour clarifier ses tâches sans que celle-ci soit présente;

b)   l’examen de l’information, y compris celle fournie par le superviseur, leur a permis de déterminer que la demanderesse ne rencontre pas les attentes au stade des préalables. Aucune explication supplémentaire n’est offerte;

c)   le jury de sélection informe la demanderesse que le Programme de dotation de l’Agence ne prévoit aucun recours suite à l’application d’une mesure corrective.

 

[8]          La Cour en est venue à la conclusion que cette façon de faire est déficiente à plus d’un égard.

[9]          Les parties ont convenu que la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte sur les questions touchant à l’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339) et celle de la décision raisonnable quant aux questions mixtes de fait et de droit. Je partage cet avis. De fait la jurisprudence est abondante, la Cour d’appel fédérale ayant conclu encore récemment dans une affaire en droit du travail que « The standard of review applicable to an administrative tribunal’s determination of questions of mixed fact and law is presumed to be reasonableness » (Payne v Bank of Montreal, 2013 FCA 33, para 32).

 

[10]      Il n’est pas nécessaire de reprendre en détails le processus de dotation utilisé à l’Agence du revenu du Canada pour disposer de la demande de contrôle judiciaire. L’Agence a l’obligation d’élaborer un programme de dotation en personnel (article 54, Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, ch 17). Il suffit de noter pour les fins de la présente affaire que le processus de dotation adopté compte trois étapes : l’examen des préalables, l’étape de l’évaluation et le placement. La demanderesse n’a pas dépassé la première étape en deux tentatives.

 

[11]      À l’étape de l’examen des préalables, le Programme de dotation prévoit qu’on examinera les candidatures eu égard à l’avis d’offre d’emploi ou de l’énoncé des exigences en matière de dotation (article 4.3.2.1). Le programme prévoit son propre mécanisme de recours. Il prend la forme de la rétroaction individuelle (article 4.3.2.2). Cette rétroaction est déclarée obligatoire avant que toute autre forme de recours puisse être considérée (article 5.5). Qui plus est, cette rétroaction individuelle sert deux objectifs. Elle permet de prendre des mesures correctives dans le cas où le jury de sélection aurait mal apprécié l’information fournie par le candidat (articles 4.3.2.2. et 4.3.2.3.) et elle a une fin éducative en ce qu’elle permet au candidat « de recevoir un avis sur leurs besoins de perfectionnement » (article 5.6).

 

[12]      La rétroaction individuelle permet donc de fournir les motifs au candidat pour le rejet de sa candidature. Si le jury de sélection est dans l’erreur, il peut se corriger. Le rejet d’une candidature fera l’objet d’un contrôle judiciaire sur la base de la raisonnabilité de la décision, à moins qu’il n’y ait atteinte aux règles d’équité procédurale. La Cour agissant en révision fera preuve d’une grande déférence à l’égard de la décision prise. Mais encore faut-il que la décision ait les apanages de la raisonnabilité :

. . . Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], para 47)

 

 

 

[13]      Les motifs n’ont évidemment pas à être parfaits ou être longuement élaborés. Mais, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14).

 

[14]      En l’espèce, le jury de sélection semble avoir confondu la mesure corrective qui peut être prise dans le cadre de l’examen des préalables et la mesure corrective que constituait la décision du juge Lemieux de retourner l’affaire pour une nouvelle détermination par un jury différemment constitué. C’est ce qui expliquerait la déclaration, dans la décision du 6 mars 2012, qu’aucun recours n’existe d’une mesure corrective. Le jury aura cru qu’il y avait une mesure corrective et que celle-ci était le jugement du juge Lemieux. Or, étant en examen de novo, la demanderesse avait droit à la rétroaction individuelle dont elle n’a pas bénéficié. La décision du juge Lemieux n’était pas la mesure corrective contemplée au Programme de dotation. De fait, le défendeur a élégamment concédé le point à l’audience. Il en résulte que la demanderesse n’a pas reçu les motifs du refus, ce qui aurait pu permettre que des mesures correctives soient prises comme le programme le permet spécifiquement.

 

[15]      De fait, s’il y avait eu rétroaction individuelle, il eût pu être possible de pallier à l’autre difficulté que pose cette affaire. Il semble que le superviseur de la demanderesse ait communiqué avec le jury de sélection, ou certains de ses membres, à des fins de clarification des tâches de la demanderesse (voir lettre de décision du 6 mars 2012).

 

[16]      Cette façon de faire porte atteinte à la règle audi alteram partem. Encore ici, le processus de dotation adopté par l’Agence permet d’éviter ce genre de difficulté grâce à la rétroaction individuelle. Les articles 8.1.5, 8.1.6, 8.1.8, 8.1.9, 8.1.10 et 8.1.14 de la « Directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation » sont particulièrement éloquents. Copie de ces articles se trouve en annexe aux présents motifs. Par erreur, ou autrement, ce jury de sélection a décrété qu’il ne devait pas y avoir telle rétroaction.

 

[17]      C’est donc dire que la décision est révisable, suivant la norme de la décision raisonnable, parce qu’il n’est pas possible d’en déterminer la transparence et l’intelligibilité au sens de Dunsmuir (précité). La décision est aussi révisable sous le critère de la décision correcte parce que la demanderesse a été désavantagée au regard de la justice naturelle (audi alteram partem).

 

[18]      Le défendeur a argumenté qu’il devrait suffire de retourner au jury de sélection la décision pour permettre de recevoir un avis sur les besoins de perfectionnement. C’est mal comprendre les vices qui affectent la décision. Il ne s’agit pas d’accepter les conclusions de ce jury de sélection au sujet de l’examen des préalables. Non seulement l’absence de rétroaction individuelle a-t-elle privé la demanderesse des avis sur ses besoins de perfectionnement. Elle a entaché la décision même.

 

[19]      La décision du juge Lemieux constatait que la rétroaction individuelle était à ce point fautive que l’erreur « est fondamentale et déterminante ». Loin de remédier à cette défaillance, le nouveau jury n’a même pas procédé à la rétroaction individuelle. C’est à une toute nouvelle évaluation qu’il faudra procéder, comme si les deux autres exercices précédents n’avaient même jamais eu lieu.

 

[20]      La demanderesse a renoncé à l’audience à des dépens qui auraient été calculés sur une base procureur/client. De plus, elle se contenterait que le dossier soit retourné à un jury de sélection nouvellement composé pour reprendre l’examen des préalables.

 

[21]      La Cour a pris acte de ces concessions de la part de la demanderesse. La Cour insiste cependant pour noter que le prochain examen des préalables devra être marqué par la plus entière rigueur et bonne foi. Il s’agira d’un exercice de novo où la demanderesse devra bénéficier de toutes ses prérogatives aux termes du programme et de la directive. La qualité de la décision à rendre sera fonction du fait que les mêmes faits auront donné lieu à deux recours en révision judiciaire où le processus de rétroaction individuelle aura été déclaré défaillant. Il ne saurait s’agir de chercher à confirmer les « décisions antérieures ».

 


 

JUGEMENT

 

            La Cour ordonne que dans chacun des processus de sélection ayant fait l’objet de demande de contrôle judiciaire au dossier T-728-12 :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  la décision du 6 mars 2012 relativement aux trois processus de sélection est cassée et annulée;

3.                  lesdits processus de sélection visés par la présente demande de contrôle judiciaire sont retournés à l’Agence du revenu du Canada pour faire l’objet de nouveaux processus de sélection par un jury de sélection constitué de personnes autres que celles ayant siégé sur les autres processus, dont les décisions ont fait l’objet des deux demandes de contrôle judiciaire;

4.                  suite à l’entente intervenue entre les parties concernant les dépens, le défendeur devra verser la somme de cinq milles dollars (5 000,00 $) à la demanderesse.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 

 

ANNEXE

 

 

Programme de dotation

Annexe L

Directive sur les recours en matière

d’évaluation et de dotation

 

 

8.1       La personne autorisée responsable de l’évaluation, du processus de sélection interne ou de la mesure de dotation interne ou son délégué (p. ex. membre du jury de sélection, administrateur du répertoire, conseiller en renouvellement du personnel, consultant en compétences ou évaluateur en compétences techniques) :

 

8.1.5        prendra le temps d’examiner tous les documents, questions ou points de discussion pertinentes avant de faire une rétroaction individuelle;

 

8.1.6        fournira au candidat ou à l’employé des renseignements significatifs concernant sa propre évaluation;

 

8.1.7       

 

8.1.8        examinera la décision pertinente aux préoccupations du candidat ou de l’employé et répondra à toute question du candidat ou de l’employé concernant l’étape du processus de sélection interne, l’évaluation ou la mesure de dotation interne;

 

8.1.9        permettra au candidat ou à l’employé d’avoir accès aux documents relatifs à sa propre évaluation et fournira une copie d’avance sur demande, sauf si des outils d’évaluation standardisés ont été utilisés;

 

8.1.10    fournira des renseignements appropriés pour expliquer les motifs de la décision d’évaluation ou de dotation. Aucun renseignement ne devrait être fourni au candidat ou à l’employé à propos d’autres candidats ou employés, ce qui contreviendrait à la Loi sur la protection des renseignements personnels;

 

8.1.11   

 

8.1.14    prendra les mesures correctives nécessaires, le cas échéant, en plus de permettre au candidat ou à l’employé de maintenir sa candidature pour le processus de sélection interne;

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-728-12

 

INTITULÉ :                                      DUNG TRAN c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Danielle Leon Foun Lin

Me Sean T. McGee                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Claudine Patry                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne                                              POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

William F. Pentney                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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