Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date: 20130507

Dossier : IMM-7783-12

Référence : 2013 CF 476

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2013

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

HZZM ABRAHAM USCKARYA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 11 juillet 2012, par laquelle la Commission a fait droit à la demande d’annulation du statut de réfugié du demandeur présentée par le ministre au titre de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

 

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Iraq. Il avait obtenu l’asile au Canada le 24 octobre 2008.

 

[3]               Le 18 mai 2011, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a présenté une demande visant à annuler le statut d’asile accordé au demandeur au motif que ce dernier avait fait de fausses déclarations au sujet de ses antécédents criminels aux États‑Unis.

 

[4]               La Commission a conclu que le demandeur avait commis des infractions pour lesquelles il avait été déclaré coupable aux États‑Unis et qu’il avait conclu une transaction en matière pénale. Elle a aussi conclu que le demandeur avait dissimulé des renseignements au sujet des infractions lorsqu’il a présenté sa demande d’asile et qu’il avait alors induit en erreur les agents d’immigration en vue d’obtenir l’asile. Si le demandeur n’avait pas dissimulé ces renseignements au tribunal initial de la Commission, ce dernier aurait eu de sérieuses raisons de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada et il aurait conclu que le demandeur n’avait pas droit à l’asile.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 271 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (le Code criminel)?

 

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son examen de la question de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption relative à la gravité de son crime?

 

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[5]               La première question en litige est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, puisqu’il s’agit strictement d’une question de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339).

 

[6]               La deuxième question en litige porte sur l’application du droit relativement à la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, au paragraphe 10; Jawad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 232, au paragraphe 21).

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 271 du Code criminel?

 

[7]               Le demandeur soutient que la Commission s’est méprise quant au contenu de l’article 271 du Code criminel. La Commission a examiné le texte complet de cette disposition, laquelle est libellée ainsi :

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable

 

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

 

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

 

 

 

 

[8]               Cependant, la Commission a omis de mentionner l’alinéa 271(1)b) lorsqu’elle a reproduit l’article 271 dans la décision. La Commission a exposé la disposition de cette manière  :

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans [...]

 

 

[9]               Le demandeur soutient que l’erreur de la Commission est grave, car le fait que les accusations visées à l’article 271 peuvent être intentées par procédure sommaire au titre de l’alinéa 271(1)b) est pertinent dans l’examen de la question de savoir si la présomption relative à la gravité du crime de son crime a été réfutée.

 

[10]           Le défendeur soutient que la Commission a tout simplement transposé, dans sa décision, la même erreur que celle qui figurait dans la preuve du ministre dont la Commission était saisie et que cette erreur ne constitue pas une erreur de droit (Lu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 159, au paragraphe 29). De plus, si le demandeur était préoccupé du fait que la Commission était induite en erreur par l’erreur qui figurait dans les observations du ministre, il aurait dû soulever cette préoccupation lors de l’audience (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 RCS 61 (Alberta)). Dans tous les cas, le défendeur prétend que la Commission n’a pas mal interprété l’article 271 du Code criminel, puisqu’elle a reconnu que le demandeur prétendait que, étant donné qu’il avait été déclaré coupable d’avoir commis un délit mineur aux États‑Unis, il aurait été condamné par suite de procédure sommaire devant les tribunaux canadiens et qu’il aurait été passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois.

 

[11]           Je souscris à la prétention du défendeur. La reproduction erronée de l’article 271 par la Commission était immédiatement suivie par la reconnaissance suivante :

[28] La conseil de [M. Usckarya] fait valoir que, puisque [M. Usckarya] a été reconnu coupable d’un délit mineur aux États‑Unis, les tribunaux canadiens lui auraient infligé une peine sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et il aurait été passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois.

 

[12]           La Commission a aussi pris connaissance de l’argument du demandeur qui se rapportait à l’alinéa 271(1)b) dans son résumé de l’argument du demandeur concernant les circonstances atténuantes et aggravantes :

[39] […] Elle a ajouté que, en raison de ces circonstances atténuantes, le premier tribunal aurait considéré d’un bon œil la possibilité d’une peine de 18 mois au lieu de dix ans.

 

 

[13]           Étant donné que la Commission a pris connaissance de cet argument et qu’elle n’a nullement mentionné qu’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire au titre de l’article 271 était chose impossible, je suis convaincue que la Commission a bien interprété l’article 271 du Code criminel.

 

[14]           De plus, comme l’a fait observer le défendeur, le demandeur aurait dû faire part de sa préoccupation concernant l’omission dans la preuve du défendeur lors de l’audience s’il était préoccupé du fait que l’omission aurait pu induire la Commission en erreur (voir Alberta, précité).

 

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son examen de la question de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption relative à la gravité de son crime?

 

L’argument du demandeur

[15]           Le demandeur soutient que l’énoncé suivant de la Commission, qui a été formulé dans le contexte de l’appréciation des éléments constitutifs du crime en vue d’établir si la présomption relative à la gravité du crime pouvait être réfutée, n’était pas fondé sur le dossier actuel :

[34] Il s’agit d’un acte violent et horrible; l’événement a dû être traumatisant pour la victime, et cette expérience pourrait l’avoir marquée à jamais. Les circonstances de ce crime ne réfutent pas la présomption de gravité de l’infraction; elles la renforcent.

 

 

[16]           Le demandeur a relaté devant la Commission qu’il ne savait pas que la plaignante n’avait pas donné son consentement aux relations sexuelles avant que la police ne l’arrête. Il avait, suivant les conseils de son avocat, plaidé coupable à des accusations réduites.

 

[17]           Le demandeur soutient que la Commission a laissé entendre que l’incident était beaucoup plus grave que la description qu’il avait donnée au cours de son témoignage, mais que lors de l’audience, la Commission n’a pas allégué que le récit des incidents donné par le demandeur était incomplet ou mensonger et qu’il n’était pas approprié que la Commission mentionne une telle chose dans ses motifs.

 

[18]           Le demandeur affirme de plus que la Commission a commis une erreur en faisant abstraction du fait qu’il avait été poursuivi pour un délit mineur plutôt que pour un acte délictueux grave et qu’elle n’a pas donné d’explication pour expliquer cela. Le choix du pays étranger de déposer des accusations moins graves était important pour qu’une conclusion appropriée puisse être tirée quant à la question de savoir si la présomption relative à la gravité du crime commis par le demandeur a été réfutée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Velasco, 2011 CF 627, aux paragraphes 45 à 48).

 

[19]           En dernier lieu, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son analyse des circonstances atténuantes en faisant abstraction du fait qu’il n’avait aucun antécédent en matière de voies de fait ou d’agression sexuelle avant qu’il commette les infractions en question. De plus, la Commission a commis une erreur concluant que le demandeur n’avait pas communiqué les éléments de preuve tirés des instances américaines, puisque la preuve dont la Commission était saisie démontrait que la conseil du demandeur avait déployé d’importants efforts, mais sans succès, en vue d’obtenir des éléments de preuve pour étayer ses allégations.

 

L’argument du défendeur

[20]           Le défendeur prétend que la Commission a fait un examen raisonnable des facteurs exposés dans la décision Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, précitée, qui peuvent réfuter la présomption selon laquelle l’infraction commise était un crime grave de droit commun.

 

[21]           Le demandeur a plaidé coupable à des crimes graves, et ce, peu importe sa perspective concernant le consentement de la victime. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de reconnaître que les victimes d’agression sexuelle grave sont victimes d’actes horribles et qu’elles peuvent être marquées à jamais par ces crimes.

 

[22]           Le défendeur prétend qu’il n’appartient pas à la Cour de pondérer de nouveau la preuve dont disposait la Commission concernant le mode de poursuite. Dans les circonstances, il était raisonnable pour la Commission de ne pas se livrer à des conjectures en ce qui concerne les circonstances liées à la transaction en matière pénale ainsi qu’aux gestes posés par la poursuite aux États‑Unis.

 

[23]           En dernier lieu, le défendeur prétend qu’il est inapproprié que le demandeur reproche à la Commission d’avoir tiré sa conclusion selon laquelle on ne lui avait pas fourni une preuve suffisante concernant les motifs justifiant la sélection du mode de poursuite, alors que la preuve elle‑même appuyait la conclusion. Sans égard aux efforts déployés par la conseil du demandeur pour communiquer avec la cour du Michigan, il n’en demeurait pas moins que la preuve provenant de cette source n’était pas disponible. La Commission a raisonnablement tenu compte des allégations formulées par le demandeur quant à son absence d’antécédents criminels, mais le commissaire n’était pas convaincu que cette allégation constituait un facteur atténuant.

 

 

Analyse

[24]           Un demandeur peut chercher à réfuter la présomption relative à la gravité de son crime ou de ses crimes en présentant des observations à l’égard des facteurs exposés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt, Jayasekara, précité, aux paragraphes 44 et 45 : les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

 

Les éléments constitutifs du crime

[25]           Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel, étant donné que le demandeur avait été déclaré coupable de voies de fait graves et d’agression sexuelle criminelle au 4e degré, il était raisonnable pour la Commission de reconnaître qu’il s’agissait d’un geste violent et horrible qui a dû être terrible pour la victime et qui pourrait l’avoir marquée, et ce, peu importe le témoignage du demandeur selon lequel il ne savait pas que la victime n’avait pas donné son consentement avant que la police ne l’arrête.

 

Le mode de poursuite et la peine prévue

[26]           Contrairement à ce que le demandeur affirme dans ses observations, la Commission n’a pas fait abstraction du fait que le demandeur a été déclaré coupable d’un délit mineur plutôt que d’actes délictueux graves. La décision démontre que la Commission a tenu compte de cette question et qu’elle l’a examinée de manière adéquate :

[35] [M. Usckarya] a négocié un plaidoyer et il a été reconnu coupable d’une infraction moins grave de délit mineur plutôt que d’acte délictueux grave.

 

[36] Le tribunal ne croit pas que le fait que les autorités américaines ont accepté la transaction pénale prouve qu’elles jugeaient que l’infraction n’était pas des plus graves. Toutefois, même une peine probatoire ne devrait pas être considérée comme une peine légère, car elle est assortie de restrictions qui peuvent limiter la liberté de la personne, en plus d’entraîner des conséquences pénales en cas de violation.

 

[37] La position des autorités américaines quant aux infractions commises par [M. Usckarya] n’est pas suffisante en soi pour déterminer si les infractions constituent des crimes graves aux fins d’analyse relative à l’exclusion.

 

[Renvois omis.]

 

 

 

[27]           Je ne suis pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel la Commission n’a pas appliqué le bon critère lorsqu’elle a mentionné que « même une peine probatoire ne devrait pas être considérée comme une peine légère ». La Commission a manifestement compris, et ce tout au long de sa décision, que la question était de savoir si le demandeur avait commis un crime grave de droit commun. Le contexte dans lequel le commentaire portant que « même une peine probatoire ne devrait pas être considérée comme une peine légère », qui est reproduit dans l’extrait ci‑dessus, démontre que cette observation était raisonnable et qu’elle était liée à l’explication de la Commission quant à savoir pourquoi elle n’avait pas accepté la prétention selon laquelle les autorités américaines considéraient l’infraction comme n’étant pas grave.

 

Les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité

[28]           Bien que le conseil du demandeur ait tenté, sans succès, d’obtenir le dossier de la court du Michigan, on ne peut reprocher à la Commission d’avoir relevé qu’on ne lui avait pas fourni une preuve suffisante concernant les motifs justifiant le choix du mode de poursuite et la sentence.

 

[29]           Par conséquent, à la lumière de la preuve dont elle disposait, il était raisonnable pour la Commission de conclure à l’absence de circonstances atténuantes qui seraient pertinentes relativement à l’analyse des facteurs de Jayasekara.

 

[30]           Les parties n’ont pas proposé de question à des fins de certification.

 

[31]           Pour les motifs ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7783-12

 

INTITULÉ :                                      Hzzm Abraham Usckarya

                                                            c

                                                            Le ministre de la Citoyenneté

                                                            et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 7 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Erin Roth

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyn Espejo Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.