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Date : 20130429

Dossier : T‑1565‑12

Référence : 2013 CF 443

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2013

En présence monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MAKSIM DHAMO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite l’annulation d’une décision par laquelle un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a décidé de conserver des espèces saisies conformément à l’alinéa 29(1)c) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 (la Loi). Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

 

Les faits

 

[2]               Le 3 juin 2010, le demandeur devait prendre un avion à l’Aéroport international Pearson, à Toronto, pour aller en Albanie. Il affirme qu’il retournait en Albanie pour travailler après avoir rendu visite à sa famille au Canada.

 

[3]               Un agent des services frontaliers du Canada (l’agent) a arrêté le demandeur et lui a demandé s’il était au courant de l’obligation de déclarer toute somme en espèces supérieure à 10 000 $. Le demandeur a répondu qu’il était au courant de l’obligation, mais il a nié avoir plus de 10 000 $ en sa possession. Une fouille a révélé qu’il portait sur lui cinq enveloppes contenant des dollars canadiens, des dollars américains et des euros et valant au total 11 818,28 $ en dollars canadiens.

 

[4]               L’agent a interrogé le demandeur au sujet de la provenance des fonds. Le demandeur a répondu que les fonds appartenaient à d’autres personnes qui envoyaient de l’argent en Albanie. Il a ajouté qu’il possédait une entreprise d’import‑export de marchandises, notamment du vin et des produits alimentaires. Il a mentionné qu’il tirait 5 000 $ par année de cette entreprise et qu’il travaillait également à temps partiel en Albanie, lequel travail lui permettait de gagner une autre somme de 5 000 $ chaque année. Cependant, il n’a pu fournir de détails au sujet de l’une ou l’autre de ces sources de revenu, lorsque la question lui a été posée.

 

[5]               L’agent a saisi les espèces conformément au paragraphe 18(1) de la Loi, qui lui permet de le faire s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu omission de les déclarer. L’agent a détenu les fonds saisis sans prévoir de conditions de mainlevée, conformément au paragraphe 18(2) de la Loi, parce qu’il soupçonnait qu’il s’agissait de produits de la criminalité.

 

[6]               Le demandeur a décidé de ne pas prendre l’avion et est plutôt resté à l’aéroport. L’agent lui a remis un rapport de saisie et a ensuite rédigé un rapport circonstancié qu’il lui a également remis plus tard.

 

[7]               Dans le rapport circonstancié, l’agent a exposé les motifs pour lesquels il soupçonnait que les espèces saisies étaient des produits de la criminalité :

a.       Le demandeur a affirmé qu’il était au courant de l’obligation de déclarer les espèces, mais il ne l’a pas fait et a plutôt formulé de fausses déclarations.

b.      Il voyageait vers un pays reconnu pour être une source de drogues.

c.       Il voyageait alors qu’il était en possession d’une somme qui dépassait son revenu annuel déclaré.

d.      Il a déclaré que l’argent appartenait à des tiers, dont M. Ciraku, ressortissant de l’Albanie. Cependant, il n’a pu expliquer le lien qu’il avait avec M. Ciraku, la source de revenu de celui‑ci, la raison pour laquelle il avait laissé l’argent au Canada et la raison pour laquelle il n’apportait pas l’argent lui‑même.

e.       Il a eu du mal à expliquer l’emploi qu’il exerçait en Albanie et la nature de son entreprise d’import‑export.

f.       Il avait fait 14 voyages depuis 2004, ce qui était considéré comme un nombre excessif, eu égard au revenu qu’il avait déclaré.

[8]               Le demandeur a sollicité une révision ministérielle de la décision de l’agent et a présenté des observations écrites et des éléments de preuve au moyen de quelques lettres.

 

[9]               Le demandeur a affirmé que les espèces saisies appartenaient à trois personnes, soit M. et Mme Zaka, qui envoyaient apparemment une somme de 3 000 $ CAN à la soeur de Mme Zaka, en Albanie, et Mme Sulejmani, qui envoyait 1 000 euros à sa mère. M. Ciraku avait apparemment fermé son compte bancaire canadien et demandé au demandeur de lui apporter l’argent qui s’y trouvait (soit 2 360 $ CAN et 4 987 $ US).

 

[10]           Le demandeur a expliqué qu’il ne croyait pas être tenu de déclarer les espèces, parce qu’il avait sur lui seulement « un peu plus » de 10 000 $.

 

[11]           Le délégué du ministre a décidé qu’il y avait eu contravention à la Loi et que les espèces seraient confisquées parce que le demandeur n’avait pas établi que la totalité de la somme provenait d’une source légitime.

 

Le cadre législatif

 

[12]           Le paragraphe 12(1) de la Loi énonce l’obligation de déclarer à un agent l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire. Selon l’article 2 du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412, le montant réglementaire s’élève à 10 000 $.

 

[13]           Le paragraphe 18(1) de la Loi permet à un agent de saisir à titre de confiscation les espèces ou effets s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

 

[14]           Selon le paragraphe 18(2), l’agent doit restituer les espèces ou effets saisis sur paiement de la pénalité réglementaire, sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

[15]           L’article 25 permet à une personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets de demander au ministre de décider s’il y a eu contravention.

 

[16]           Selon l’article 29, s’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut restituer les espèces ou effets ou confirmer leur confiscation. Fait important à souligner, le ministre ne peut accorder une restitution partielle des espèces confisquées.

 

Analyse

 

            Équité procédurale

[17]           Le demandeur soutient qu’il y a eu trois manquements à l’équité procédurale. À mon avis, ces arguments sont sans fondement.

 

[18]           D’abord, le demandeur affirme que les services d’un interprète auraient dû lui être offerts lors de la saisie. L’argument n’est pas fondé, eu égard à la preuve.

 

[19]           Il appert du rapport circonstancié que le demandeur était en mesure de communiquer en anglais. Il a expliqué pourquoi il n’a pas déclaré les espèces et a donné une explication au sujet de la source. Il n’a pas demandé d’interprète ni n’a montré par ailleurs qu’il avait du mal à s’exprimer.

 

[20]           De plus, le demandeur a eu amplement l’occasion de fournir des éclaircissements dans les observations qu’il a présentées au ministre.

 

[21]           En deuxième lieu, le demandeur reproche au ministre d’avoir commis un manquement à l’équité procédurale en omettant de donner un avis aux tierces parties touchées conformément à l’alinéa 18(3)c) de la Loi. Les tierces parties ont présenté des éléments de preuve au soutien de la demande du demandeur en vue d’obtenir une décision du ministre. En conséquence, l’omission de donner un avis n’a pas donné lieu à un traitement inéquitable à l’endroit du demandeur. Si les tierces parties avaient des droits dans l’instance, le demandeur ne pouvait les faire valoir pour leur compte.

 

[22]           En troisième lieu, le demandeur soutient que le ministre a commis un manquement à l’équité procédurale en ne rendant pas sa décision dans le délai prévu à l’article 27 de la Loi. Il est vrai que la présente affaire a été ponctuée de retards importants. Cependant, ainsi que la Cour fédérale en a décidé dans Ha c Canada, 2006 CF 594, le délai prévu dans la Loi a « seulement un caractère directif » et le ministre ne perd pas sa compétence en raison d’un retard. Dans la présente affaire, étant donné que le demandeur n’a établi l’existence d’aucun préjudice découlant du délai, il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale.

 

Caractère raisonnable de la décision

 

[23]           Le demandeur soutient qu’il a établi l’existence d’une source légitime des espèces saisies et que le ministre lui a imposé un fardeau dont il ne pouvait s’acquitter.

 

[24]           Le fardeau qui incombe au demandeur en l’espèce est important. Le demandeur devait convaincre le ministre que les espèces ne constituaient pas des produits de la criminalité. Le ministre peut demander une preuve de l’existence d’une source légitime des fonds et, si aucune preuve n’est présentée à ce sujet, il peut refuser d’accorder au demandeur une mainlevée de la saisie. Tout au long de la procédure, le demandeur a le fardeau de la preuve et le ministre n’est pas tenu d’enquêter : Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, aux paragraphes 50 et 51. Ce fardeau a été expliqué au demandeur dans une lettre de la Direction des recours.

 

[25]           La Loi ne précise pas les motifs que le ministre peut invoquer pour accorder au demandeur une mainlevée de la saisie. En conséquence, différents motifs raisonnables peuvent être invoqués, pour autant que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en respectant le cadre de la Loi : Sellathurai, paragraphes 38 et 53. Dans la présente affaire, il était raisonnable de la part du ministre de confirmer la confiscation de l’argent saisi.

 

[26]           Le ministre a convenu que la somme de 1 000 euros reçue de Mme Sulejmani provenait d’une source légitime, soit le revenu d’emploi de cette personne. Cependant, le ministre n’était pas convaincu de l’existence d’une source légitime dans le cas du reste des fonds.

 

[27]           Le demandeur a déclaré que M. Ciraku avait gagné le revenu en Albanie avant 1999 à même l’exploitation de ses biens locatifs et d’une société d’électricité. M. Ciraku serait apparemment venu au Canada en 1999 et aurait déposé l’argent dans un compte bancaire canadien. Il est ensuite retourné en Albanie et a laissé le compte bancaire canadien inactif. Puis, en 2010, conformément à une procuration que M. Ciraku avait signée en sa faveur, le demandeur a transféré l’argent dans son compte bancaire et retiré l’argent en espèces. Le demandeur a affirmé qu’il apportait l’argent à M. Ciraku en Albanie.

 

[28]           La documentation renferme des renseignements établissant les activités commerciales que M. Ciraku poursuivait en Albanie, le transfert d’argent du compte de M. Ciraku à celui du demandeur et le retrait d’espèces. Cependant, la trace documentaire ne débute que lors du transfert des fonds entre les comptes bancaires; il n’y a aucun élément de preuve documentaire établissant que l’argent qui se trouvait dans le compte de M. Ciraku provenait d’activités commerciales légitimes poursuivies en Albanie. La banque de M. Ciraku n’a pu fournir de relevés remontant à plus de dix ans. Le demandeur soutient qu’il est donc impossible pour lui de démontrer le dépôt initial de l’argent. Il faut se rappeler que le fardeau de la preuve appartient au demandeur. S’il existe des obstacles liés à l’obtention de documents, le demandeur doit en supporter les conséquences.

 

[29]           Le demandeur a également fait valoir qu’une somme de 3 000 $ appartenait à M. et Mme Zaka et représentait les pourboires au comptant que ceux‑ci avaient reçus des locateurs de l’immeuble dont ils étaient les concierges. Le demandeur a expliqué que M. et Mme Zaka avaient échangé leurs billets de différentes coupures avec un propriétaire de restaurant afin de détenir uniquement des billets de 100 $.

 

[30]           Étant donné que l’argent avait apparemment été reçu au comptant, aucun document n’établissait l’existence d’une source légitime s’y rapportant. Encore là, il incombait au demandeur de prouver la provenance des fonds. Dans le cas des opérations faites uniquement au comptant, il s’agit d’une tâche très difficile et un montant aussi élevé suscite à première vue des doutes raisonnables, surtout lorsqu’il s’agit apparemment de pourboires.

 

[31]           Le demandeur reproche au ministre d’avoir demandé et examiné sans raison valable des éléments de preuve concernant ses propres sources de revenu. De l’avis du demandeur, ces renseignements ne sont pas pertinents, parce qu’il n’a pas soutenu que les espèces en question lui appartenaient. À mon avis, la source de revenu du demandeur est un élément pertinent à prendre en compte pour décider s’il existe des motifs raisonnables de le soupçonner de participer à une activité criminelle.

 

[32]           Le demandeur affirme également que le ministre n’aurait pas dû tenir compte du rapport circonstancié supplémentaire dans lequel l’agent a exposé en détail ses préoccupations au sujet de l’origine des espèces. À mon sens, le rapport supplémentaire comportait des réflexions légitimes, y compris des questions au sujet du revenu et des frais de subsistance du demandeur. Il n’était pas déraisonnable de la part du ministre d’examiner la position de l’agent. Aucun préjudice n’a été causé au demandeur et aucun intérêt public ou motif juridique n’a été invoqué pour restreindre la quantité de renseignements que le ministre peut recevoir pour prendre une décision éclairée. Il convient de souligner que cet argument favorise tout autant le demandeur que le ministre.

 

[33]           Enfin, le demandeur fait valoir que le ministre a entravé son pouvoir discrétionnaire en affirmant qu’il n’était « pas possible » de restituer les espèces parce que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une source légitime pour la totalité de la somme saisie. La Loi ne permet pas la confiscation partielle. Soit la somme saisie est confisquée en totalité, soit elle ne l’est pas du tout.

 

[34]           Je suis donc arrivé à la conclusion que la décision était raisonnable. En conséquence, la demande est rejetée.

 

 


JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1565‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  MAKSIM DHAMO c
MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ont.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 13 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gavin Magrath
Meaghan Richardson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon McGovern

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Magrath O’Connor
Avocats exerçant en association

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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