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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20130503

Dossier : IMM-8730-12

Référence : 2013 CF 463

Ottawa (Ontario), ce 3e jour de mai 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

Janos JONAS

 

Demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), ch 27, (la Loi) d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), refusant de reconnaître à Janos Jonas (le demandeur) la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

Les faits

[2]          Le demandeur est un citoyen hongrois d’origine ethnique rom, maintenant âgé de 61 ans. Avant de venir au Canada, le demandeur habitait à Ecseg, un village situé à quelque 70 km de Budapest; le village est composé à 30 pour 100 de Roms. Il dit craindre d’être victime de persécution en raison de son origine ethnique s’il devait être retourné en Hongrie.

 

[3]          Il appert que le demandeur réfère spécifiquement à trois incidents l’impliquant. En août 2010, il a été attaqué par un groupe de skinheads alors qu’il se trouvait à un arrêt d’autobus. Il a été insulté, on lui a craché au visage et il a été frappé. Le demandeur a pu s’enfuir et il a porté plainte aux autorités policières le lendemain. Les policiers lui ont demandé de décrire ses attaquants et, il semble, ont entamé une enquête. Quelques mois plus tard, en octobre 2010, le demandeur a appris que le dossier était clos en raison d’un manque de preuve.

 

[4]          Le second incident se serait produit en septembre 2010. Alors que le demandeur se déplaçait en voiture sur la rue principale d’un village autre que le sien, un groupe de skinheads se serait mis à secouer sa voiture. Le demandeur s’est réfugié dans un café et a alerté une patrouille. Les policiers se sont adressés aux skinheads et ils ont ensuite escorté le demandeur jusqu’à l’extérieur du village.

 

[5]          Enfin, en 2010, des skinheads ont fracassé le pare-brise de la voiture du demandeur avec un bâton de base-ball, cette fois dans une ville autre que son village appelée Csenyi. Le demandeur n’était pas à bord du véhicule lorsque l’attaque a eu lieu mais il en a été témoin. De fait, d’autres voitures de Roms ont aussi été vandalisées. La police est venue sur les lieux et a préparé un rapport. Il ne semble pas qu’il y ait eu quelque arrestation dans ce dossier.

[6]          Sans qu’il ait été la victime d’attaques, d’autres événements ont été relatés à la SPR. Ainsi, au printemps 2010, le demandeur a aperçu des skinheads se déplaçant en véhicule tout terrain dans les bois derrière sa demeure. Il semble que le tout se soit produit à plusieurs reprises. Le maire du village a envoyé une patrouille de volontaires à deux reprises pour examiner les environs. La maison du demandeur, qu’il allègue être particulièrement ciblée à cause de son emplacement, n’a jamais été attaquée. En décembre 2010, le demandeur a rapporté ses observations à la police à quelques reprises; la police n’a jamais donné suite dit-il. Le demandeur a expliqué qu’en décembre 2010 des skinheads avaient établi un campement dans le village voisin du sien, soit Gyöngyöspata, et qu’ils s’y s’auraient adonné à des activités contre des Roms, allant de l’attaque à même faire feu sur ceux-ci. Il faut noter à cet égard que l’événement dont il est question avait eu une certaine notoriété; de fait, la SPR a noté que ces événements se seraient produits en 2011, et non en 2010, et donc après le départ du demandeur. De fait, l’avocate du demandeur admet cette situation.

 

[7]          Le demandeur est arrivé au Canada le 6 décembre 2010 et il a demandé l’asile le 8 décembre de la même année.

 

La décision contestée

[8]          La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur n’a pas réfuté la présomption voulant qu’un ressortissant bénéficie de la protection de l’État et ce dont le demandeur se plaint, c’est de discrimination qui ne rejoint pas le niveau requis pour que le tout constitue de la persécution.

 

[9]          La SPR, s’appuyant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, considère que le demandeur n’a pas présenté la preuve claire et convaincante qui est requise pour renverser la présomption. Le fardeau de preuve est proportionnel au niveau de démocratie atteint par l’État en cause (Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 DLR (4th) 532).

 

[10]      La SPR a noté, dans les faits de cette affaire, que le demandeur avait bénéficié de la protection de l’État pour les incidents qu’il a relatés.

 

[11]      Examinant la preuve documentaire, la SPR reconnaît d’emblée qu’il y a eu des attaques contre les Roms au cours des dernières années, mais explique que le gouvernement hongrois a pris des mesures pour les protéger. De plus, le rapport sur la Hongrie de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance indique que les mesures entreprises par l’État hongrois ont eu un impact positif. La SPR note en particulier qu’il existe maintenant auprès de la plupart des ministères un poste d’officier dédié aux besoins des Roms et qu’il existe divers programmes pour favoriser l’emploi et l’éducation de ceux-ci.

 

[12]      La discrimination dont il peut être dit qu’elle constitue de la persécution est celle qui a des conséquences préjudicielles substantielles sur le droit de gagner un revenu, de pratiquer sa religion, d’accéder à un emploi, d’accéder aux soins de santé ou d’accéder à l’éducation.

 

[13]      En l’espèce, la SPR conclut que le demandeur aura subi une certaine discrimination mais n’a pas fait l’objet de persécution. Pour conclure à persécution, encore faudrait-il que la discrimination dont souffre une personne mène à des restrictions sévères à l’emploi, à la pratique religieuse ou à l’accès aux soins de santé ou à l’éducation. Telle preuve n’existe pas en l’espèce. De fait, il est noté que le demandeur a travaillé auprès de divers employeurs toute sa vie, et même après l’an 2000, alors que la situation s’est aggravée en Hongrie il a continué de pouvoir vivre paisiblement.

 

La position des parties

[14]      À l’audition, le demandeur a insisté sur l’absence de protection de l’État hongrois. Ainsi, son avocate a rappelé que la protection doit être prospective. De fait, elle s’est employée à examiner la décision de la SPR pour démontrer que celle-ci aurait fait une sélection de passages tirés de la preuve documentaire pour démontrer que la décision n’est pas raisonnable.

 

[15]      Lorsque questionnée par la Cour au sujet de la portée de sa plaidoirie, l’avocate du demandeur a insisté qu’elle ne cherchait pas à démontrer que tous les Roms doivent bénéficier des articles 96 et 97 de la Loi en raison de la preuve documentaire qu’elle a analysée devant le tribunal. Elle veut plutôt démontrer que la décision est déraisonnable parce qu’elle n’a pas pris en compte suffisamment l’ensemble de la preuve documentaire.

 

[16]      Le défendeur prétend de son côté que la position du demandeur n’est que l’expression de son désaccord face à la décision rendue. Il faut, dit le défendeur, ramener l’examen au cas particulier qui est devant le tribunal. Or, la preuve est claire que le demandeur a reçu protection de l’État. Rien ne démontre qu’il ne pourrait bénéficier de ladite protection s’il retournait en Hongrie. Le standard à appliquer n’est pas la perfection.

 

Analyse

[17]      Les parties étaient d’accord pour conclure que la norme de contrôle à appliquer est la décision raisonnable. La Cour en convient.

 

[18]      Il en découle cependant des conséquences pour qui attaque le caractère raisonnable de la décision, comme le fait le demandeur en l’espèce. Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la Cour fournit les paramètres à être utilisés dans un cas comme le nôtre. On peut lire au paragraphe 47 :

[47]     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[19]      Cette norme a été articulée davantage dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708. Je note les passages suivants tirés des paragraphes 14 et 16 :

[14]     Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat . . .

 

[. . .]

 

[16]     Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale . . . En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

 

[20]      Tel est donc le test. Puisque le demandeur prétend que tous les Roms ne doivent pas pouvoir bénéficier de la protection des articles 96 et 97 de la Loi, il s’ensuit qu’il est raisonnable que certains n’en bénéficient pas. Cela découle du fait que chaque cas doit être considéré individuellement. En l’espèce, la SPR a conclu que ce demandeur pouvait bénéficier de la protection étatique et, qu’en conséquence, il pouvait être retourné en Hongrie. Il s’agit, comme il se doit, d’une décision personnalisée. Le seul fait que la documentation puisse être utilisée aussi, dans certains cas, pour favoriser un demandeur ne fait pas en sorte que la décision dans notre cas est déraisonnable. Le demandeur aurait peut-être voulu lire plus dans la décision de la SPR que ce qui s’y trouve. Mais pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada, « cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision ».

 

[21]      Dans le cas devant le tribunal, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la SPR a conclu comme elle l’a fait. Le demandeur n’a pas été persécuté et il a reçu la protection de l’État. Il n’est certainement pas inutile de rappeler que la présomption de protection de l’État doit être renversée par une preuve claire et convaincante. Je reproduis le passage suivant tiré des pages 724 et 725 de Ward (ci-dessus) :

     Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger non pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.

 

 

 

[22]      En l’espèce, non seulement cette preuve n’a pas été faite, permettant de renverser la présomption de la capacité de l’État de protéger le demandeur, mais il a plutôt été mis de l’avant que telle protection a été offerte à ce demandeur. Il était raisonnable pour la SPR de conclure comme elle l’a fait. De la même manière, la conclusion que le demandeur n’a pas fait l’objet de persécution était aussi raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce.

 

[23]      Il en découle que la demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie. Aucune question en vertu de l’article 74 de la Loi n’a été certifiée.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 27 juillet 2012 est rejetée.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8730-12

 

INTITULÉ :                                      Janos JONAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois                          POUR LE DEMANDEUR

 

Me Emilie Tremblay                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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