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Date : 20130501

Dossier : IMM‑6263‑12

Référence : 2013 CF 454

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

MANGA SINGH SOHANPAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle J. Gaumont (l’agent), agent principal d’immigration à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), a refusé la demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) présentée par M. Manga Singh Sohanpal (le demandeur) conformément à l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou la Loi).

 

[2]               En plus de solliciter le réexamen de sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant : que les victimes de torture bénéficient d’une présomption favorable dans le cadre de l’ERAR et que leurs demandes sont acceptées en l’absence de facteurs défavorables, car la torture est, en droit international, un crime grave qui inspire l’aversion; que la situation actuelle en Inde et au Pendjab expose les personnes ayant déjà été ciblées par la police à un important risque de torture, notamment les activistes politiques et les militants des droits de la personne; que le renvoi de ces catégories de personnes contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

 

[3]               Il ne sera pas nécessaire d’examiner la demande de jugement déclaratoire présentée par le demandeur. En vertu des articles 18, 18.1 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, la Cour est autorisée à rendre un jugement déclaratoire dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire; toutefois, la portée d’un tel jugement déclaratoire relativement au contrôle judiciaire n’est pas illimitée. Conformément à l’alinéa 18(1)a), la Cour peut rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral, mais elle ne peut, suivant les dispositions à l’alinéa 18.1(3)b), que déclarer nul ou illégal toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral. Le jugement déclaratoire sollicité ci‑haut par le demandeur outrepasse clairement les pouvoirs déclaratoires de la Cour relativement au contrôle judiciaire. Par conséquent, je ne traiterai que la demande d’annulation et de réexamen de la décision de l’agent présentée par le demandeur.

 

[4]               Pour les motifs énoncés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

Les faits

[5]               Le demandeur, un citoyen de l’Inde né le 29 décembre 1970, est arrivé au Canada le 15 septembre 2002, et la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR ou la Commission) lui a refusé l’asile le 7 octobre 2004. Le demandeur a une épouse et trois enfants qui vivent en Inde. Une demande d’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la décision rendue relativement à sa première demande d’asile a été refusée le 27 janvier 2005. La demande d’ERAR du demandeur a été présentée le 19 janvier 2012 et rejetée le 26 avril 2012.

 

[6]               La SPR a rejeté les demandes du demandeur, considérant qu’il manquait de crédibilité de manière générale. La SPR a également conclu que des possibilités de refuge intérieur (PRI) s’offraient au demandeur dans l’ensemble de l’Inde, car il n’était pas crédible que la police le poursuive où qu’il aille au pays, comme il l’avait allégué. La SPR a conclu objectivement que les hommes sikhs au Pendjab ne sont pas considérés comme un groupe à risque en soi, et elle n’a accordé aucune crédibilité aux divers rapports médicaux présentés par le demandeur ni aux allégations relatives à ses opinions politiques présumées. La SPR a examiné la preuve documentaire portant sur le traitement réservé aux demandeurs d’asile qui sont renvoyés en Inde après avoir quitté leur pays illégalement, et elle a conclu que toute crainte qu’entretient le demandeur à cet égard est une crainte de faire l’objet d’une poursuite et non de persécution, car rien n’indique que les personnes qui retournent en Inde subissent systématiquement de mauvais traitements ou de la torture. Enfin, la SPR a conclu que le demandeur n’était personnellement exposé à aucun des risques décrits à l’article 97.

 

[7]               Le demandeur est un adepte du sikhisme qui affirme avoir été victime de harcèlement et de mauvais traitements de la part de la police indienne en raison de son engagement présumé auprès des militants sikhs et de ses liens présumés avec ce groupe. 

 

[8]               Les ennuis du demandeur avec la police indienne ont débuté en janvier 2002. À l’époque, son cousin et l’un de ses employés prenaient part à des activités militantes, ce qui a amené la police à soupçonner que le demandeur avait été impliqué dans l’attentat de décembre 2001 contre le Parlement. Le demandeur a été détenu arbitrairement, malgré le fait qu’il ignorait tout de l’activité militante de ses associés et que la police n’avait aucun élément de preuve attestant qu’il avait agi de façon répréhensible.

 

[9]               Le demandeur allègue que la police l’a battu et a menacé de le tuer pour tenter d’obtenir de l’information. Il a été relâché seulement après que la police a pris sa photo et ses empreintes digitales et après qu’il a versé un pot‑de‑vin, à la suite de l’intervention de personnes haut placées.

 

[10]           Le demandeur s’est fait dire de se rapporter au poste de police en mars, en avril et en juin 2002, et il a été arrêté de nouveau en juillet 2002 parce qu’il aurait eu des contacts avec les militants. Le demandeur allègue qu’il a été battu, puis relâché après avoir versé un pot‑de‑vin et accepté de travailler pour la police.

 

[11]           Dans ses observations formulées devant la Cour, le demandeur a affirmé que la police a fait une descente dans sa maison en août 2002, a battu son épouse et détenu son père. Partout ailleurs, le demandeur affirme que sa famille et lui ont déménagé dans une autre ville pour échapper à la surveillance, mais que la police aurait apparemment réussi à retrouver sa trace et qu’il aurait été contraint de fuir au Canada. Il soutient que la police continue d’interroger sa famille au sujet de ses allées et venues et que ses parents sont tous deux décédés des suites de la dépression et du stress causés par le harcèlement et les agressions continuelles de la police.

 

[12]           Le demandeur affirme avoir quitté l’Inde sous un faux nom et au moyen de faux documents de voyage, une pratique illégale en Inde, ce qui lui fait craindre d’être condamné à une peine d’emprisonnement à son retour. En outre, le représentant du demandeur affirme que, pour obtenir un document de voyage, le demandeur a dû remplir un formulaire adressé au haut‑commissariat de l’Inde à Ottawa, dans lequel il lui fallait préciser s’il avait déposé une demande d’asile au Canada, et si oui, pour quels motifs.

 

Décision contrôlée

[13]           L’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur, ayant conclu qu’il ne risquerait pas d’être persécuté, torturé, tué ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités s’il retournait en Inde.

 

[14]           L’agent a pris acte de la version des faits du demandeur et résumé les pièces présentées par celui‑ci à l’appui de sa demande d’ERAR. Le demandeur avait présenté quatre affidavits provenant de son épouse et de connaissances en Inde, mais l’agent a conclu que les affidavits contenaient essentiellement les mêmes allégations qui avaient été faites à la SPR et il a constaté que le demandeur était incapable d’expliquer pourquoi il n’avait pu présenter ces éléments de preuve à l’audience devant la SPR en 2004. L’agent n’a accordé aucune valeur probante aux affidavits, ayant conclu que les ceux‑ci n’apportaient aucun éclaircissement sur des faits que la SPR avait déjà jugés non crédibles. L’agent a constaté que l’épouse ne faisait que réaffirmer des faits jugés non crédibles par la SPR, et que les autres déposants disaient [traduction] « connaître » les faits allégués sans toutefois déclarer avoir été les témoins directs d’aucun des incidents signalés.

 

[15]           L’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau lui incombant de prouver qu’il ne courait aucun des risques prévus aux articles 96 et 97 de la Loi. La SPR avait précédemment rejeté son allégation selon laquelle les autorités indiennes étaient toujours à sa poursuite, et l’ERAR ne constitue pas un processus d’appel ni une occasion de contrôler une décision de la SPR étant donné qu’il est plutôt axé sur de « nouveaux renseignements ».

 

[16]           Quant au formulaire requis par le haut‑commissariat de l’Inde à Ottawa, l’agent a constaté qu’une copie en avait été produite en preuve, mais qu’elle ne pouvait pas établir de façon probante que les autorités indiennes savaient que le demandeur a demandé l’asile, car le formulaire n’avait pas été rempli. L’agent a conclu que même si le gouvernement indien était au fait du statut du demandeur, la preuve documentaire montrait que les demandeurs d’asile déboutés et déportés ne courent généralement pas de risque à leur retour en Inde. D’après l’agent, le demandeur pourrait être interrogé à son retour en Inde, mais il n’existe aucune preuve montrant que les demandeurs d’asile déboutés et déportés munis de documents de voyage valides risquaient la persécution à leur retour.

 

[17]           L’agent a ensuite examiné les allégations du demandeur selon lesquelles il serait arrêté et emprisonné pendant deux ans pour avoir quitté l’Inde au moyen d’un faux passeport. L’agent a confirmé que les sanctions alléguées existent et qu’elles peuvent être assorties d’une amende ou remplacées par une amende. Toutefois, le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve au sujet de l’exécution de telles sanctions, et l’agent était incapable de trouver quoi que ce soit à cet égard dans la preuve documentaire; ainsi, l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau lui incombant de prouver qu’il était exposé à un risque prévu aux articles 96 et 97 de la Loi.

 

[18]           Enfin, l’agent a examiné les observations du demandeur au sujet du traitement réservé aux sikhs en Inde, particulièrement en ce qui concerne la corruption et l’impunité des autorités. Ayant constaté que le demandeur n’avait pas établi qu’il est un militant actif susceptible d’attirer l’attention des autorités, et que des mesures de protection sont en place à l’intention des membres des minorités religieuses, dont les sikhs, l’agent a cité des éléments de preuve de 2007 et de 2010 qui permettent de penser que la situation au Pendjab est relativement calme depuis plusieurs années et que le climat politique s’est stabilisé. L’agent a reconnu que la situation n’est pas parfaite en Inde, mais a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un des risques prévus aux articles 96 et 97 de la Loi compte tenu de son profil et de la situation globale dans le pays en cause.

 

[19]           L’agent a conclu qu’il existait tout au plus une simple possibilité que le demandeur soit persécuté pour un motif prévu par la Convention et qu’il n’existe aucune raison grave de croire qu’il ferait l’objet de torture ou serait exposé à un risque prévu à l’article 97 de la Loi.

 

Questions en litige

[20]           La seule question à trancher aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable.

 

Analyse

[21]           Le demandeur s’oppose à l’évaluation que l’agent a faite des affidavits, des rapports médicaux, des rapports sur les droits humains et des [traduction] « autres preuves corroborantes solides » qu’il allègue avoir produites. Il soutient que la Commission a rejeté les éléments de preuve uniquement au motif que ses allégations n’étaient pas crédibles. Il avance que l’agent d’ERAR ne peut rejeter la preuve au seul motif qu’elle est une preuve intéressée ou une preuve par ouï‑dire, car cela irait à l’encontre des instructions relatives à l’admissibilité devant la Commission, et la compétence de l’agent d’ERAR ne peut être plus limitée que celle de la Commission.

 

[22]           Le demandeur affirme en outre qu’il était arbitraire et injustifié de la part de l’agent de rejeter les éléments de preuve additionnels présentés au sujet de la persécution commise par la police, que ces éléments corroborent son récit et démontrent qu’il se heurterait toujours à la menace imminente de torture s’il était déporté en Inde. Le demandeur s’élève contre l’affirmation de l’agent selon laquelle aucune des trois personnes haut placées de son village qui ont présenté des affidavits n’a affirmé avoir été témoin des actes de violence et de torture attestés. Il affirme que l’obligation pesant sur lui de produire des témoignages provenant de témoins oculaires uniquement est impossible à respecter, car seuls les contrevenants étaient présents lors des événements allégués. Il soutient que les déposants l’avaient vu fuir dans une autre région de l’Inde en raison de la violence qu’il avait subie, et de plusieurs autres incidents et que le fait que l’agent n’a accordé aucun poids aux affidavits témoigne d’une absence de bonne foi.

 

[23]           Les observations du demandeur dénotent une certaine confusion relativement aux exigences imposées au titre de l’alinéa 113a) de la Loi et au contenu du dossier dont disposait l’agent d’ERAR. De plus, le jugement déclaratoire sollicité par le conseil du demandeur et ses observations laissent penser qu’il n’a pas compris le lien qui doit être fait entre la situation personnelle du demandeur et la situation générale en Inde. Malgré les observations catégoriques du demandeur sur la qualité et la suffisance des éléments de preuve présentés, il n’a pas réussi à établir que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle, comme il est exigé au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, et il se fonde principalement sur des observations additionnelles au sujet de la situation au Pendjab et en Inde en général.

 

[24]           Il est bien établi qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la CISR : Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12. La juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour, a énoncé ce qui suit (au paragraphe 13) au sujet des questions qu’il convient de poser pour déterminer si des « preuves nouvelles » doivent être examinées par un agent d’ERAR :

1.  Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.  Pertinence : Les preuves nouvelles sont‑elles pertinentes à la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.  Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)  à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4.  Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.  Conditions législatives explicites :

a)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

 

[25]           Au sujet de sa décision de n’accorder aucune valeur probante aux quatre affidavits présentés en l’espèce, l’agent a expliqué que les affidavits [traduction] « ne jettent aucun éclairage nouveau sur les faits déjà jugés non crédibles par la SPR » (décision, page 6). Il a fait remarquer à la page 5 de sa décision que le demandeur ne pouvait pas expliquer pourquoi il n’avait pas pu présenter ces éléments de preuve à l’audience devant la SPR en 2004, et que la SPR avait rejeté la demande d’asile du demandeur en raison même des faits présentés dans les affidavits, estimant que le demandeur n’était pas crédible.

 

[26]           Certes, on pourrait contester la conclusion de l’agent en application de la partie 3c) du paragraphe 13 de la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Raza, précité, en avançant que les affidavits pourraient être considérés comme de nouvelles preuves dans la mesure où ils « [réfutent] une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité) », mais les autres facteurs s’opposent à la prise en considération desdits affidavits et semblent même indiquer qu’ils ne devraient pas être admissibles d’après l’alinéa 113a) de la Loi. Même si l’agent ne s’est pas prononcé directement sur la crédibilité des affidavits, il fait remarquer qu’aucune des trois personnes haut placées n’avait été témoin des incidents rapportés. Je ne suis pas d’avis qu’il faille déduire que cette remarque impose au demandeur le fardeau de fournir des témoignages de témoins oculaires des incidents de torture allégués; j’y vois plutôt un commentaire indirect sur leur pertinence. L’agent a conclu que les affidavits ne font que commenter des faits déjà examinés par la SPR et, par conséquent, ne sont pas substantiels. Enfin, le demandeur n’a pas établi que les conditions légales explicites, énoncées par la Cour d’appel dans Raza, ont été remplies.

 

[27]           L’agent a tenu compte du contenu de chacun des affidavits, mais il aurait pu aussi raisonnablement constater que trois des quatre affidavits sont essentiellement des copies du même affidavit et que celui de l’épouse ne présente que de légères variations qui reflètent sa propre expérience alléguée de persécution. Les conclusions qui précèdent ne signifient pas qu’il n’était pas loisible à l’agent d’examiner de nouveaux éléments de preuve si ceux‑ci respectaient les exigences énoncées à l’alinéa 113a) de la Loi, mais le demandeur n’a pas établi que c’est le cas en l’espèce.

 

[28]           Bien que le demandeur souligne à plusieurs reprises dans ses observations l’importance de certains rapports médicaux aux fins de la décision d’ERAR, dont les copies figurent aux pages 26 à 28 de son dossier, un examen minutieux du dossier certifié du tribunal révèle que cette information n’a pas été présentée à l’agent d’ERAR. Elle ne figure pas non plus dans la section intitulée [traduction] « Observations pour l’ERAR » qui débute à la page 30 du dossier du demandeur. Comme le défendeur l’affirme, il est évident que, lors d’un contrôle judiciaire, un demandeur ne peut pas invoquer des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au tribunal administratif, et le fait qu’un agent n’a pas mentionné d’éléments de preuve dont il ne disposait pas ne peut constituer une erreur. En outre, le certificat médical et les prescriptions en question datent de 2002 et de 2003, et le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas pu présenter ces éléments de preuve à la SPR ni pourquoi il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés à l’audience devant la SPR. Il en va de même pour les photos montrant les agressions commises contre sa famille, auxquelles il fait référence au paragraphe 26 de sa réplique.

 

[29]           Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que le demandeur n’a pas établi que l’examen par l’agent des éléments de preuve additionnels lui ayant été présentés était déraisonnable. Le demandeur n’a pas été jugé crédible par la SPR; en effet, la SPR a fait remarquer qu’il n’était même pas clair s’il se trouvait au Pendjab au moment des événements allégués. Les « preuves nouvelles » présentées par le demandeur, sous forme d’affidavits et d’éléments de preuve documentaires, n’infirment pas substantiellement les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR et elles auraient dû être déposées avant l’examen de sa demande d’asile. Dans un tel contexte, il était nettement insuffisant pour le demandeur de renvoyer à des documents portant sur la situation générale dans son pays d’origine et montrant que la situation n’y est pas parfaite. Un demandeur doit établir qu’il existe un lien entre ses épreuves personnelles et la situation générale qui a cours dans son pays d’origine. Aucun lien semblable n’a été établi en l’espèce.

 

[30]           Dans ses observations écrites, le demandeur a fait valoir que l’agent avait commis une erreur en concluant que les demandeurs d’asile déboutés ne couraient aucun risque à leur retour au pays. Or, le conseil n’a pas réitéré cet argument de vive voix. Quoi qu’il en soit, le demandeur ne m’a pas convaincu que l’agent avait fait un examen déraisonnable des risques qu’il courait en tant que demandeur d’asile débouté, même s’il avait quitté l’Inde au moyen de faux documents de voyage.

 

[31]           Le demandeur allègue qu’il a dû remplir un formulaire adressé au haut‑commissariat de l’Inde à Ottawa, dans lequel il devait préciser s’il avait présenté une demande d’asile au Canada. L’agent a refusé de tenir compte du formulaire, que le demandeur avait présenté avec ses observations dans le cadre de sa demande d’ERAR, parce qu’il n’était pas rempli et qu’il ne permettait donc pas d’établir que les autorités indiennes étaient au fait de sa demande d’asile.

 

[32]           Si les faits allégués étaient véridiques, la pratique consistant à exiger d’un demandeur d’asile débouté qu’il déclare son statut à un gouvernement potentiellement oppressif pour obtenir des documents de voyage pourrait poser de graves problèmes. Dans un tel cas, je ne partagerais pas nécessairement l’avis de l’agent selon lequel un formulaire vierge ne pourrait constituer une preuve probante d’un risque s’il était appuyé de façon crédible par le témoignage par affidavit du demandeur et la preuve objective d’un risque. Cette question ne permet toutefois pas de déterminer le caractère raisonnable de la décision de l’agent en l’espèce, puisque, même s’il l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni la preuve probante que les autorités indiennes étaient au fait de sa demande d’asile, il a continué d’examiner les demandes comme si elles l’étaient.

 

[33]           L’agent a reconnu que le fait de quitter le pays avec un faux passeport constitue une infraction punissable d’emprisonnement ou d’une amende, mais il n’a pas été démontré devant la Cour que le demandeur sera renvoyé en Inde sans documents de voyage. L’agent aurait aussi pu examiner les conditions de détention en vigueur dans l’éventualité où le demandeur aurait risqué d’être emprisonné, mais son omission à ce chapitre ne peut constituer une erreur déterminante en l’espèce, car l’agent n’était pas convaincu que le risque d’emprisonnement était élevé. De plus, le demandeur n’a invoqué aucun élément de preuve précis qui rendrait les conclusions de l’agent déraisonnables.

 

[34]           Enfin, le demandeur s’est grandement appuyé, dans ses observations écrites, sur certaines dispositions de la Convention contre la torture et de la Charte. Toutefois, dans les observations présentées au soutien de la demande d’ERAR, le conseil du demandeur ne renvoie pas aux mêmes dispositions des instruments qu’il invoque dans ses arguments devant la Cour. Il cite plutôt divers articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et mentionne au passage les normes internationales comprises dans la Convention contre la torture des Nations Unies et les articles 2, 7, 9 et 12 de la Charte.

 

[35]           Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de l’agent contrevient à l’un des principes ou dispositions nationaux ou internationaux cités, pas plus qu’il n’a convaincu l’agent d’ERAR qu’il était exposé à un risque de torture ou à l’un des risques prévus aux articles 96 et 97 de la Loi. J’accepte les observations du défendeur selon lesquelles l’enquête d’ERAR et le processus décisionnel sont axés sur les risques propres au demandeur et que celui‑ci n’a pas fourni d’éléments de preuve objectifs montrant qu’il est personnellement menacé en Inde. Même si la preuve sur laquelle le demandeur s’est fondé traite des risques généralisés en Inde ou des risques qui visent un certain groupe de personnes, le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il est lui‑même personnellement exposé à de tels risques au sens des articles 96 et 97 de la Loi, ni que la conclusion de l’agent à cet égard était déraisonnable.

 

[36]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.  Aucune question n’a été proposée pour certification et aucune ne le sera.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6263‑12

 

INTITULÉ :                                                  MANGA SINGH SOHANPAL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Baum

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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