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Date : 20130424

Dossier : T-1769-12

Référence : 2013 CF 423

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2013

En présence de Madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

OLA DISPLAY CORPORATION

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Conseil national de recherches du Canada [le CNRC], rendue le 24 août 2012, par laquelle le CNRC a rejeté la demande de financement dans le cadre du Programme d’aide à la recherche industrielle [le PARI] de la demanderesse.

 

LE PARI

[2]               Le PARI fournit du soutien financier aux petites et moyennes entreprises au Canada afin de les aider à entreprendre des projets d’innovation dans le domaine technologique. Pour présenter une demande de financement, les « clients » éventuels doivent communiquer avec un conseiller en technologie industrielle du PARI [CTI]. Le CTI déterminera si l’entreprise a droit au soutien financier du PARI.

 

[3]               Dans la région du Québec, le PARI a des consignes précises pour l’évaluation de l’admissibilité d’une entreprise dans le cas de demandes de financement qui dépassent 100 000 $. Premièrement, le CTI rencontre un représentant de l’entreprise afin d’en apprendre plus sur l’entreprise et sur son projet. Si le CTI décide que le projet est intéressant, il remplit un formulaire d’admissibilité d’entreprise qui donne un aperçu des forces et des faiblesses de cette dernière. Si le CTI détermine que l’entreprise possède les ressources nécessaires et que le projet pour lequel elle souhaite obtenir du financement auprès du pari est suffisamment bien défini pour présenter une demande officielle, le CTI remplit un formulaire d’admissibilité de projet. Ce formulaire donne un aperçu du projet que l’entreprise souhaite développer. Le directeur du CNRC-PARI de la région du Québec examinera les renseignements sur les deux formulaires ainsi que la recommandation du CTI sur l’admissibilité de l’entreprise, en discutera avec le CTI et décidera si l’entreprise et le projet sont admissibles. Si le directeur conclut que l’entreprise n’est pas admissible, le processus se termine là et le CTI avise l’entreprise de la décision. Le directeur exécutif de la région du Québec du CNRC participe aussi à la prise de décision au sujet de l’admissibilité d’une entreprise si celle-ci demande un financement de plus de 350 000 $.

 

LE CONTEXTE

[4]               M. Raja Tuli est président de l’entreprise demanderesse. Il est aussi président de Technologies Novimage [Novimage] et de Datawind Research Inc. [Datawind], et ces deux entreprises ont reçu des contributions du programme de Partenariat technologique Canada [PTC]. Les ententes convenues dans le cadre de ce programme sont maintenant gérées par le CNRC-pari.

 

[5]               Le 28 mai 2012, M. Tuli a rencontré un CTI du CNRC pour la région du Québec. Le CTI affirme qu’au cours de cette rencontre, il a mentionné que le CNRC ne participerait pas à de nouveaux projets des entreprises de M. Tuli s’il n’était pas prêt à résoudre certains problèmes survenus dans ses projets précédents, y compris le remboursement complet des contributions remboursables, obligation à laquelle les deux entreprises avaient fait défaut.

 

[6]               M. Tuli et le CTI ont discuté de nouveaux projets lors de cette rencontre et le CTI a demandé des renseignements supplémentaires au sujet du projet d’écran tactile capacitatif que M. Tuli proposait pour la demanderesse.

 

[7]               Le 1er juin 2012, M. Tuli a envoyé au CTI ce qui, à son avis, était la demande de financement de la demanderesse auprès du PARI. M. Tuli a été invité à rencontrer les représentants du CNRC pour expliquer le projet de la demanderesse.

 

[8]               Le CNRC a envoyé à M. Tuli des courriels en date du 6 juillet 2012, du 14 août 2012 et du 21 août 2012, au sujet du fait qu’il devait s’acquitter de certaines obligations de présentation de rapports financiers pour Novimage. Rien dans le dossier ne donne à penser que les documents requis ont été fournis.

 

[9]               Le 26 juillet 2012, le CTI a rempli le formulaire d’admissibilité d’entreprise pour la demanderesse et il l’a ensuite modifié le 14 août 2012. Il a rempli le formulaire d’admissibilité de projet le 14 août 2012 et l’a ensuite modifié le 24 août 2012.

 

[10]           En août 2012, M. Richard O’Shaughnessey, le directeur du CNRC pour la région du Québec [le directeur] a fait une recherche sur Internet pour trouver des renseignements au sujet de Datawind UK, une autre entreprise à laquelle Raja Tuli était lié et qui, au départ, serait la seule cliente pour le nouvel écran capacitatif de la demanderesse. Le directeur a conclu que le succès passé et à venir de cette entreprise était incertain.

 

[11]           Quelques jours avant le 24 août 2012, Marie Szaszkiewicz, la coordonnatrice régionale du PTC, a rencontré Claude Attendu, le directeur exécutif de la région du Québec du CNRC [le directeur exécutif], afin de discuter de ses dossiers au sujet des contributions remboursables que le PTC avait accordées à Novimage et Datawind. Elle a expliqué qu’il avait été difficile d’obtenir la collaboration de ces entreprises en ce qui a trait à leurs obligations de faire rapport et de rembourser les contributions, obligations qui étaient établies dans l’entente de contribution avec le CNRC.

 

[12]           Le 17 août 2012, M. Tuli a téléphoné au CTI. Le CTI lui a répondu qu’il n’avait pas encore reçu de réponse des gestionnaires du CNRC-pari au sujet du projet de la demanderesse, qu’il n’y avait aucune garantie que ceux-ci accepteraient de financer le projet et que des négociations auraient lieu afin de résoudre les problèmes survenus dans les projets précédents.

 

[13]           Le CTI a donné à M. Tuli un accès au portail client du PARI afin qu’il puisse remplir la proposition de projet avant qu’une décision soit rendue sur l’admissibilité de l’entreprise et du projet. Le CTI affirme qu’il a donné à M. Tuli cet accès parce que le projet comportait d’importants mérites techniques et que les représentants du programme électronique imprimable du CNRC qui étaient présents à la rencontre du 5 juillet 2012 avaient fait des commentaires positifs à ce sujet.

 

[14]           Le défendeur reconnaît qu’il est allé à l’encontre de la procédure établie dans les instructions supplémentaires pour la région du Québec du CNRC lorsqu’il a permi au demandeur de remplir la proposition de projet sur le portail du client du PARI avant qu’une décision sur l’admissibilité de l’entreprise ait été rendue.

 

[15]           Le 23 août 2012, le CTI a rencontré M. Tuli. Le CTI affirme qu’ils ont discuté des projets précédents que M. Tuli avait présentés au CNRC, y compris le remboursement des contributions remboursables de Datawind, ainsi que du projet proposé de M. Tuli pour la demanderesse. M. Tuli a demandé à être présent lors d’une réunion prévue le lendemain entre le CTI et la gestion du CNRC‑PARI, mais le CTI l’a avisé que sa présence n’était pas requise et qu’il n’était pas habituel pour les clients d’être présents à une telle réunion. Plus tard le même jour, M. Tuli a envoyé un courriel au CTI qui comprenait un document de trois pages au sujet d’ola et de Datawind.

 

[16]           Le 24 août 2012, le CTI a rencontré le directeur et le directeur exécutif afin de discuter du projet. Le CTI a recommandé que la demande de financement de la demanderesse auprès du PARI soit approuvée.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[17]           Le directeur et le directeur exécutif, qui étaient les gestionnaires responsables de la décision pour le CNRC-pari, n’ont pas souscrit à la recommandation du CTI. Par conséquent, le 24 août 2012, le CTI a avisé la demanderesse qu’elle n’était pas admissible au financement du PARI. Le CTI a communiqué la décision à M. Tuli par téléphone et dans deux courriels. Le premier courriel était rédigé ainsi :

[traduction]

Cher Raja,

 

La conclusion de la réunion que j’ai eue aujourd’hui avec ma gestion est la suivante : vous devez régler toute question en suspens auprès du PARI avant que nous puissions appuyer d’autres projets. Quant à Novimage, l’entente prendra fin immédiatement. Marie Szaszkiewicz, qui reçoit une copie conforme du présent courriel, enverra une facture pour le montant restant.

 

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

 

Pierre Lamarre

 

[18]           M. Tuli a répondu en posant des questions et le CTI lui a fourni les renseignements supplémentaires suivants par courriel :

[traduction]

Cher Raja,

 

En réponse à vos questions précises au sujet de l’intérêt du PARI d’examiner plus en détail vos projets (écran tactile capacitatif à concentrateur solaire...), dans le (proche) avenir, lorsque vos dossiers seront en ordre, la réponse est 100 % négative. J’ai revérifié auprès de mes gestionnaires. Le pari ne poursuivra aucune association supplémentaire avec vos entreprises dans le contexte d’une contribution financière.

 

Cela dit, je vous encourage à poursuivre votre projet innovateur d’écran, avec ou sans l’aide du groupe électronique imprimable du CNRC. Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos entreprises et vos dépôts de brevet.

 

Je m’exprime en mon nom seul lorsque je vous dis qu’un succès commercial concluant pour votre nouvelle tablette Ubislate en Asie dans les mois à venir (après de longues années d’efforts, y compris la difficile première introduction de produit) pourrait convaincre les gestionnaires du pari de croire en vous de nouveau.

 

Salutations amicales,

 

Pierre Lamarre

PARI-CNRC

 

 

 

[19]           Dans leurs affidavits, le directeur et le directeur exécutif affirment que lorsqu’ils ont rejeté la recommandation du CTI, ils ont tenu compte des antécédents problématiques entre le CNRC et les autres entreprises de M. Tuli, principalement Novimage et Datawind, et qu’ils étaient aussi préoccupés par le fait que le nouveau projet d’écran tactile capacitatif de la demanderesse dépendait entièrement du succès du lancement de la nouvelle tablette par Datawind UK en Inde, qui serait le seul client de la demanderesse au début du projet.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1. Y a-t-il eu atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

2. La décision de refuser le financement à la demanderesse était-elle raisonnable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[21]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 19).

 

[22]           Il n’existe aucun précédent quant à la norme de contrôle applicable à une décision de rejeter une demande de financement dans le cadre du PARI. La Cour doit donc entreprendre l’analyse proposée aux paragraphes 52 à 62 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], afin d’établir la norme de contrôle applicable en l’espèce.

 

[23]           Dans le contexte de l’examen du fond d’une décision de rejeter une demande de financement dans le cadre du PARI, l’expertise du CNRC et de ses décideurs mérite la retenue. De plus, la question de savoir si la décision était fondée est une question mixte de fait et de droit qui requiert une bonne compréhension des faits au dossier, ce qui donne à penser que la norme de la décision raisonnable s’applique.

 

[24]           En ce qui a trait à l’intention du Parlement, bien qu’il n’y ait pas de clause privative, l’alinéa 5(1)e) de la Loi sur le Conseil national de recherches, LRC 1985, c N-15 [la Loi], confère au CNRC un large pouvoir discrétionnaire dans l’exécution de sa mission :

5. (1) Dans l’exécution de sa mission, le Conseil peut notamment :

 

[...]

e) utiliser, dans le cadre de la présente loi, les crédits qui lui sont affectés par le Parlement et les recettes tirées de ses activités

 

 

[...]

5. (1) Without limiting the general powers conferred on or vested in the Council by this Act, the Council may

[...]

(e) expend, for the purposes of this Act, any money appropriated by Parliament for the work of the Council or received by the Council through the conduct of its operations;

[...]

 

 

 

[25]           Dans l’ensemble, je suis d’avis que ces facteurs appuient l’utilisation de la norme de la décision raisonnable en l’espèce. Par conséquent, la Cour examinera « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » et « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

ANALYSE

1.         Y a-t-il eu atteint au droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

Les arguments de la demanderesse

[26]           La demanderesse soutient que le CNRC n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents lorsqu’il a examiné les attentes en matière de succès commercial de la demanderesse, notamment la nouvelle observation de la demanderesse concernant ses projets commerciaux, présentée le 23 août 2012. Le CTI a déclaré que le directeur et le directeur exécutif n’avaient pas lu ce document à la réunion du 24 août 2012. De plus, ce document ne fait pas partie du dossier certifié des documents examinés par les décideurs pour prendre leur décision.

 

[27]           La demanderesse soutient aussi que la viabilité commerciale du projet, un motif invoqué dans les affidavits du directeur et du directeur exécutif, est une tentative d’étoffer après le fait la décision (Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 41 [Stemijon Investments]). Si ce motif joue un rôle dans la décision, la demanderesse soutient qu’elle avait le droit de présenter des observations à ce sujet.

 

Les arguments du défendeur

[28]           Le défendeur soutient qu’en supposant, sans le reconnaître, qu’il existait un devoir d’équité dans les circonstances, suivant les directives de la Cour suprême dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 27 [Baker], les exigences de l’équité procédurale dans le contexte d’une demande de fonds publics auprès du CNRC se limitent à permettre aux entreprises de présenter des renseignements à l’appui de leur demande. En l’espèce, la demanderesse a eu droit à des échanges et à des rencontres en personne qui dépassaient de loin les exigences de l’équité procédurale pour ce type de décision.

 

[29]           De plus, les perspectives commerciales de la demanderesse n’étaient pas du tout concluantes pour les décideurs et le dossier et la décision reflètent clairement le fait que la décision était fondée sur le comportement antérieur du président de la demanderesse.

 

Analyse

[30]           Le fait qu’une décision soit de nature administrative et qu’elle touche les droits, les privilèges ou les biens d’une personne suffit à entraîner l’application de l’obligation d’équité (Baker, précité, au paragraphe 20, citant Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653; Dunsmuir, précité, au paragraphe 79; Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 38; voir aussi Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, au paragraphe 24 [Knight]).

 

[31]           Dans les circonstances en l’espèce, il est clair que le CNRC est un organisme public qui prend une décision administrative qui affecte l’intérêt des entreprises dans la réception de financement du PARI. Par conséquent, le CNRC à une obligation générale d’équité envers les demandeurs dans le cadre du PARI.

 

[32]           Cependant, le concept de l’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Knight, précité, au paragraphe 46; Baker, précité, au paragraphe 21). Les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données sont établis dans l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 21 à 28. Ces cinq facteurs sont les suivants :

a) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

b) la nature du régime législatif;

c) l’importance de la décision pour la personne visée;

d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

e) les choix de procédure faits par l’organisme lui-même.

 

a) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir

[33]           La décision d’accorder du financement dans le cadre du PARI diffère fortement d’un processus décisionnel judiciaire. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire et purement administratif, pour lequel l’obligation en matière d’équité est minime.

 

b) la nature du régime législatif

[34]           La Loi confère un large pouvoir discrétionnaire au CNRC dans l’exécution de sa mission et le CNRC-PARI établit sa propre procédure afin de traiter une demande de financement. Bien que la Loi ne prévoit aucune procédure d’appel pour le rejet d’une demande de financement dans le cadre du PARI, la Loi n’empêche pas un demandeur de présenter une nouvelle demande de financement après le rejet de sa première demande. Par conséquent, en général, ce facteur milite en faveur d’une faible obligation en matière d’équité.

 

c) l’importance de la décision pour la personne visée

[35]           Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a reconnu que plus les répercussions de la décision sont grandes pour la personne visée, plus les protections procédurales seront rigoureuses (Baker, au paragraphe 25). Par exemple, une procédure qui pourrait entraîner le renvoi d’une personne du Canada ou une procédure qui pourrait causer pour une personne la perte de sa capacité à pratiquer sa profession attireront toutes deux des protections procédurales plus rigoureuses qu’en l’espèce. Bien qu’une demande de financement dans le cadre du PARI prenne du temps à préparer et peut viser un important montant d’argent, on ne peut pas dire qu’une décision en matière de financement dans le cadre du PARI a de grandes répercussions pour la personne qui fait la demande.

 

d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision

[36]           Comme le défendeur le souligne, la demanderesse n’avait aucun droit acquis à une contribution financière du PARI et n’avait aucune attente légitime en ce qui a trait à la décision ou à la procédure précise qui serait adoptée.

 

[25]      L’attente légitime de la demanderesse se situe donc vers l’extrémité inférieure du registre en ce qui a trait à l’équité procédurale.

 

e) les choix de procédure faits par l’organisme

[37]           La Loi laisse au décideur la possibilité de choisir sa propre procédure. En particulier, le défendeur note qui n’est pas habituel pour le CNRC de permettre à des entreprises d’être présentes et de présenter des observations lors d’une réunion entre le CTI et les décideurs. Ce choix doit être respecté (Baker, au paragraphe 27).

 

[38]           Par conséquent, la Cour est d’avis que les exigences en matière d’équité procédurale dans les circonstances se situent vers l’extrémité inférieure du registre.

 

[39]           Dans Knight, précité, au paragraphe 47, la Cour suprême a conclu que le droit minime d’un employé à l’équité procédurale lui donne le droit de connaître les motifs justifiant le renvoi et d’obtenir l’occasion de présenter des observations.

 

[40]           Dans un même ordre d’idées, en ce qui a trait à l’obligation minime en matière d’équité procédurale dans les circonstances, je suis persuadée que la demanderesse avait droit à l’occasion de présenter des preuves à l’appui de son projet. Comme les exigences en matière d’équité procédurale sont minimes dans les circonstances, à mon avis, une personne qui présente une demande dans le cadre du PARI n’a pas droit à une audience ni à des motifs officiels. Cependant, un demandeur devrait savoir pourquoi la décision a été prise de cette façon. De plus, la cour de révision devrait être en mesure de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[41]           La demanderesse en l’espèce soutient que la viabilité commerciale du projet est un motif que le défendeur a invoqué après le fait dans les affidavits du directeur et du directeur exécutif et que, par conséquent, je ne devrais accorder aucun poids à ce motif.

 

[42]           La demanderesse cite l’arrêt Stemijon Investments, précité, dans lequel la Cour d’appel était saisie d’un affidavit d’un décideur qui tentait d’apporter des précisions sur sa décision. La Cour d’appel a conclu au paragraphe 41 que cet élément de preuve n’était pas admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire :

[41] La Cour fédérale semble n’avoir accordé aucun poids à cet élément de preuve. Je n’y accorde pas de poids non plus. Ce genre de preuve n’est pas admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Keeprite Workers’ Independent Workers Union et al. and Keeprite Products Ltd. reflex, (1980), 114 D.L.R. (3d) 162 (C.A. Ont.)). Le décideur avait pris sa décision et il était functus officio (Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 848). Une fois la décision prise, il n’avait pas le droit de déposer un affidavit qui complète les motifs de sa décision, énoncés dans la lettre de décision, qui plus est après le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision en question. Par son affidavit, il tente d’étoffer après le fait sa décision, ce qui n’est pas permis (United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America c. Bransen Construction Ltd., 2002 NBCA 27 (CanLII), 2002 NBCA 27, au paragraphe 33). Logiquement, tout nouveau motif offert par un décideur après la contestation de sa décision doit être considéré avec beaucoup de méfiance (R. c. Teskey, 2007 CSC 25 (CanLII), 2007 CSC 25, [2007] 2 R.C.S. 267.

 

[42] En l’espèce, le ministre était tenu de divulguer toutes les raisons véritables ayant motivé sa décision au moment où il l’a rendue. Pour les connaître, il faut examiner la lettre de décision, de concert avec le dossier pertinent. Or, en l’espèce, le dossier pertinent ne jette aucune lumière sur les fondements de la décision du ministre et, par conséquent, les motifs énoncés dans la lettre de décision du ministre doivent parler d’eux‑mêmes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[43]           Conformément à l’arrêt Stemijon Investments, précité, la Cour n’accordera aucun poids au motif supplémentaire mentionné dans les affidavits du directeur et du directeur exécutif au sujet de la viabilité commerciale du projet proposé de la demanderesse, parce que ce motif n’a pas été mentionné dans l’appel téléphonique ni dans les deux courriels qui ont été envoyés à la demanderesse après la décision. Le motif qui a été communiqué à la demanderesse portait sur les antécédents problématiques des autres entreprises de M. Tuli par rapport à leurs obligations découlant des ententes de contribution.

 

[44]           Le défendeur soutient que la déclaration suivante tirée du deuxième courriel du CTI démontre que des préoccupations au sujet de la viabilité commerciale du projet faisaient partie de la décision :

Je m’exprime en mon nom seul lorsque je vous dis qu’un succès commercial concluant pour votre nouvelle tablette Ubislate en Asie dans les mois à venir (après de longues années d’efforts, y compris la difficile première introduction de produit) pourrait convaincre les gestionnaires du pari de croire en vous de nouveau.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[45]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur à ce sujet. Comme le CTI a clairement amorcé sa déclaration en mentionnant qu’il s’agissait de son opinion personnelle et non de l’opinion des décideurs, je ne vois pas comment cette déclaration montre que des préoccupations au sujet de la viabilité commerciale du projet faisaient partie de la décision.

 

[46]           Par conséquent, comme je n’ai aucune preuve admissible au sujet du fait que la question de la viabilité commerciale du projet était pertinente quant à la décision, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale de la part des décideurs lorsqu’ils ont omis d’examiner les observations de la demanderesse sur la question, observations que M. Tuli a envoyées au CTI le 23 août 2012.

 

[47]           Selon la Cour, la procédure que le CNRC-Pari a suivie pour prendre sa décision dépassait l’obligation d’équité envers la demanderesse dans les circonstances. Comme le défendeur l’a souligné, le dossier montre qu’en plus d’accorder à la demanderesse l’occasion de présenter aux décideurs des renseignements au sujet du projet, dont les décideurs ont tenu compte, le CNRC a avisé la demanderesse qu’il était préoccupé par les ententes de contribution signées par Novimage et Datawind. La demanderesse a aussi eu deux rencontres en personne avec le CTI afin de discuter du projet et le CTI a présenté le contenu des observations du 23 août 2012 de la demanderesse aux décideurs lors de la réunion qu’ils ont eue le 24 août 2012. Je ne peux pas conclure que la demanderesse avait droit à des protections procédurales en plus de celles auxquelles elle avait déjà eu droit.

 

2. La décision de refuser le financement à la demanderesse était-elle raisonnable?

[48]           D’un côté, la demanderesse soutient qu’il n’était pas pertinent pour les décideurs de tenir compte du rendement antérieur des autres entreprises de M. Tuli. Ce dernier affirme que rien dans les pratiques et les procédures du CNRC, ni dans les critères dont il se sert, ne lui permet de rejeter une demande en raison de ses problèmes avec une autre entreprise. Dans les formulaires d’admissibilité de l’entreprise et d’admissibilité de projet au sujet du projet proposé de la demanderesse, il n’y a aucune justification pour le rejet de la demande de financement et, dans le deuxième formulaire, le CTI avait recommandé de procéder rapidement pour le projet, en particulier en raison des engagements que la demanderesse était prête à prendre.

 

[49]           La demanderesse soutient aussi que la décision n’a jamais été étayée par des motifs raisonnés. Les seuls motifs de la décision qui ne sont pas ex post facto se trouvent dans les communications par courriel de la part du CTI, qui mentionne seulement les antécédents de respect des obligations des autres entreprises envers un programme différent.

 

[50]           D’un autre côté, le défendeur soutient qu’il était habituel, correct et pertinent pour le CNRC, lorsqu’il a pris sa décision, de tenir compte des antécédents de M. Tuli quant au manquement à ses ententes de contribution précédentes et qu’il était peu probable qu’une relation de confiance puisse être établie dans le contexte d’une nouvelle entente de contribution. Le défendeur soutient que l’importance d’une relation de confiance entre une entreprise qui demande du financement et le CNRC-PARI est un facteur important lors de l’évaluation d’une demande de financement et que l’existence d’une relation de confiance doit être examinée en tenant compte de la relation avec les personnes associées à la demanderesse, en particulier avec les gestionnaires de celle-ci. Le fait que l’entreprise demanderesse est dirigée par une personne qui a prouvé qu’elle accorde peu d’importance aux obligations de l’entreprise envers le CNRC est un point pertinent et le CNRC ne pouvait pas omettre d’en tenir compte.

 

[51]           Le défendeur soutient que l’importance d’une relation de confiance est clairement établie dans les politiques et les procédures du CNRC. La section 2.0 du Manuel de service du CNRC‑PARI [le manuel], qui a été publié en 2009 pour aider les employés du CNRC-Pari à administrer le programme de façon constante dans tout le Canada, établit les étapes suivantes pour permettre au CTI de déterminer l’admissibilité d’une entreprise au soutien financier :

[traduction]

[...]

 

b) S’assurer qu’une relation de confiance existe ou peut être bâtie entre l’entreprise et le CNRD-PARI;

[...]

 

 

 

[52]           La section 2.2 du manuel établit aussi les exigences envers une entreprise afin de garantir une relation de confiance avec le CNRC-Pari, y compris la volonté de fournir au CNRC-Pari des renseignements justes, fiables et opportuns au sujet de l’entreprise.

 

[53]           Le défendeur note que M. Tuli est le principal représentant de Datawind et de Novimage dans les interactions de ces entreprises avec le CNRC au sujet des ententes de contribution et qu’il est la personne responsable de l’obligation de faire rapport et de l’obligation de remboursement découlant des ententes de contribution entre ces entreprises et le CNRC. Malgré le fait qu’il a été avisé rapidement du fait que les questions des ententes de contribution précédente entre le CNRC et Datawind et Novimage auraient des répercussions négatives sur sa demande de financement pour la demanderesse, M. Tuli n’a pas remédié aux problèmes ciblés.

 

[54]           Je souscris à l’argument du défendeur. À mon avis, il était tout à fait pertinent pour les décideurs de tenir compte du défaut de Novimage et de Datawind de se conformer aux exigences en matière de rapports et de remboursement qui se trouvaient dans leurs ententes de contribution avec le CNRC. L’importance de l’établissement d’une relation de confiance entre une entreprise qui demande du financement et le CNRC-PARI est clairement établie dans le manuel. M. Tuli ne contredit pas l’affirmation du défendeur selon laquelle les ententes de Novimage et Datawind étaient toujours en vigueur et qu’il était responsable de s’assurer que les entreprises satisfaisaient à leurs obligations prévues dans les ententes.

 

[55]           M. Tuli a aussi eu de nombreuses occasions de répondre aux préoccupations du CNRC au sujet des ententes de ses autres entreprises avant que la décision ne soit rendue. Le CTI affirme que, lors de la réunion du 28 mai 2012 qu’il a eue avec M. Tuli, il a mentionné le fait que M. Tuli devait résoudre les problèmes de ses projets précédents, y compris rembourser la totalité des contributions remboursables, ce qu’aucune entreprise n’avait fait. De plus, le CNRC a envoyé trois courriels à M. Tuli en juillet et en août 2012 au sujet du fait qu’il devait satisfaire à certaines obligations en matière de rapports financiers pour Novimage. Le courriel daté du 14 août 2012 l’avertissait même qu’on s’attendait à ce que le signataire autorisé du nouveau projet proposé de M. Tuli pose des questions au sujet de l’état et des antécédents de projets qui avaient déjà été appuyés par le CNRC et que cette question devait être réglée le plus rapidement possible. Ce courriel a été envoyé par la coordinatrice régionale du PTC au CTI, et le dossier montre que le courriel a été transféré à la demanderesse, qui l’a reçu, puisque M. Tuli y a répondu le 16 août 2012. Le courriel était ainsi rédigé :

[traduction]

Raja a-t-il fourni les documents financiers les plus récents pour Novimage? Je n’ai rien reçu.

 

Je m’attends à ce que le signataire autorisé pour [le] nouveau projet proposé pose des questions au sujet de l’état et des antécédents de projets que le CNRC a déjà appuyés. Nous devons résoudre la question le plus rapidement possible.

 

 

 

[56]           Par conséquent, malgré les observations habiles de l’avocat, je ne peux pas conclure, comme le demande la demanderesse, que les motifs fournis sont inadéquats, puisqu’ils permettent à la Cour de comprendre pourquoi les décideurs ont rendu leur décision et de déterminer si leurs conclusions appartiennent aux issues acceptables, satisfaisant ainsi aux critères établis par la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 14.

 

[57]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1769-12

 

INTITULÉ :                                      Ola Display Corporation c Conseil national de recherches du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aaron Rodgers

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sara Gauthier

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Garfinkle Nelson-Wiseman Bilmes Rodgers LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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