Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130430

Dossier : IMM‑7018‑12

Référence : 2013 CF 452

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

EVELINE NDJAVERA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse cherche à faire annuler une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada (la Commission) selon laquelle la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (LIPR).

 

[2]               La demanderesse est une jeune femme qui allègue avoir été forcée d’épouser son beau‑père en Namibie. Elle a déclaré que sa mère ayant été paralysée par suite d’un grave accident, la coutume exige qu’elle‑même remplisse les « obligations conjugales » de sa mère et veille à ce que la fortune de son beau‑père reste dans la famille. Elle a déclaré que son beau‑père avait payé une dot et qu’il l’a violait à répétition.

 

[3]               Pour les motifs énoncés ci‑après, la décision est déraisonnable et la demande est accueillie.

 

Crédibilité

 

[4]               La Commission a rejeté la demande de la demanderesse au motif de la crédibilité, une décision qui appelle généralement une retenue considérable. En l’espèce toutefois, la Commission a fait erreur dans son évaluation de la crédibilité.

 

[5]               La Commission a souligné l’absence de preuves corroborant l’allégation de la demanderesse selon laquelle son beau‑père est membre de la police de la tribu et que sa mère est paralysée.

 

[6]               Dans ces circonstances, la demanderesse n’était pas tenue de corroborer ses allégations et il serait erroné de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité qui soit uniquement fondée sur l’absence de preuves corroborantes (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 19 à 22).

 

[7]               Si elle a une raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse, la Commission peut alors tirer une conclusion défavorable à l’égard du manquement à présenter des éléments de preuve corroborants auxquels elle pourrait raisonnablement s’attendre. La décision dépend en grande partie du type de preuve requise et de la mesure dans laquelle elle se rapporte à un élément central de la demande. La preuve corroborante est particulièrement utile lorsqu’elle provient d’une source neutre. Il pourrait être déraisonnable de s’attendre d’un demandeur d’asile de produire ou de rassembler des documents qui ne sont pas facilement accessibles avant de s’enfuir. De plus, lorsque c’est l’agresseur allégué qui détient les documents en question, comme en l’espèce, il serait déraisonnable de s’attendre que le demandeur puisse se les procurer. En l’espèce, rien ne permet de croire que la demanderesse avait accès aux dossiers médicaux de sa mère ou à la carte d’identité de policier de son beau‑père.

 

[8]               En l’espèce, le dossier contient une photographe d’une femme en chaise roulante, vraisemblablement la mère de la demanderesse. Il contient également une lettre dans laquelle une amie de la demanderesse en Namibie explique que, après s’être enfuie de la maison de son beau‑père, la demanderesse a vécu avec elle jusqu’à ce que sa famille aille l’y chercher pour la forcée à rentrer chez elle. Cette amie déclare que le beau‑père de la demanderesse est un policier. Dans ses motifs, la Commission est muette au sujet de cet élément de preuve.  

 

[9]               Deux autres éléments affaiblissent le raisonnement de la Commission en ce qui a trait à la corroboration. Tout d’abord, la véracité du témoignage de la demanderesse quant au handicap de sa mère n’a pas été remise en question durant l’audience. Ensuite, le fait que le beau‑père de la demanderesse est un policier de la tribu est un élément accessoire qui n’a aucun rapport avec le fond de la demande d’asile.

 

[10]           Les conclusions défavorables de la Commission quant à la vraisemblance sont également déraisonnables. Il ne devrait être possible de conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, lorsque la déclaration du demandeur déborde le cadre de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre ou si la preuve documentaire montre que les événements allégués n’auraient pas pu se produire.

 

[11]           La Commission doit être prudente dans son appréciation de la vraisemblance (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI CT 776, au paragraphe 7). Les demandeurs d’asile sont de cultures diverses et les événements qu’ils décrivent n’ont souvent rien à voir avec le quotidien des Canadiens. Les faits qui semblent peu plausibles dans une perspective canadienne peuvent être tout ce qu’il y a de plus ordinaires ou habituels dans d’autres pays. De plus, de nombreuses idées reçues entourent la violence familiale et la persécution fondée sur le sexe, et c’est pourquoi les Directives du président sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives sur la persécution fondée sur le sexe) sont un précieux outil d’analyse.

 

[12]           La demanderesse a affirmé que son oncle lui avait enlevé son jeune enfant pour la contraindre à épouser son beau‑père. Elle a déclaré n’avoir pas réussi à obtenir l’aide de la police et des chefs traditionnels pour ravoir la garde de son enfant et empêcher le mariage forcé.

 

[13]           La Commission a estimé qu’il était invraisemblable que la demanderesse n’ait pas fait davantage, comme se plaindre au commissaire de police ou retenir les services d’un avocat pour engager des poursuites judiciaires. La Commission a déclaré que, en supposant que le récit de la demanderesse était véridique, elle n’a pas été « bien servie » par la police et aurait dû se plaindre.

 

[14]           La Commission a fait erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la vraisemblance sans tenir convenablement compte de l’âge de la demanderesse, de sa culture, de son origine et de son vécu (Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118, au paragraphe 4). Comme le précisent les Directives sur la persécution fondée sur le sexe, la démarche faite par une demanderesse pour demander la protection de l’État se mesure en fonction « du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice ».

 

Protection de l’État

 

[15]           La conclusion tirée par la Commission relativement à la protection de l’État est étroitement liée à son évaluation de la crédibilité de la demanderesse.

 

[16]           Selon un principe fondamental du droit des réfugiés, il est présumé que les États sont capables et en mesure de protéger adéquatement leurs citoyens (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. L’asile est octroyé dans des circonstances extraordinaires, lorsqu’un demandeur peut produire une preuve claire et convaincante de l’insuffisance de la protection, selon la prépondérance des probabilités (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94).

 

[17]           La demanderesse a effectivement produit une telle preuve en déclarant que la police a considéré ses plaintes comme [traduction] « une affaire de famille » et que l’autorité tribale l’a renvoyée chez elle en l’exhortant à se plier à la volonté de sa famille.

 

[18]           La Commission a estimé que si le récit de la demanderesse était véridique, elle aurait dû faire appel au commissaire de police ou à un avocat, et ce, même si la demanderesse a déclaré qu’elle ne savait pas à qui d’autre s’en remettre pour obtenir de l’aide. La Commission a fait observer qu’elle avait engagé un avocat pour présenter sa demande d’asile au Canada, sans toutefois prendre en compte sa déclaration selon laquelle cet avocat lui avait été assigné.

 

[19]           La Commission n’a pas fait cas de la déclaration de la demanderesse selon laquelle il était honteux de demander la protection de la police contre le viol. Ici aussi, cela va à l’encontre des Directives sur la persécution fondée sur le sexe, où il est prévu ceci : « Par exemple, si une femme a été victime de persécution fondée sur le sexe parce qu’elle a été violée, elle pouvait ne pas demander la protection de l’État de peur d’être ostracisée dans sa collectivité. »

 

[20]           La Commission a, à raison, tenu compte de la preuve relative à la situation dans le pays qui montre que le viol conjugal est illégal en Namibie et que le mariage forcé est en contravention de la Constitution. Cela est pertinent, mais non déterminant dans l’évaluation de la protection accordée par l’État. La loi écrite n’est pas toujours appliquée, surtout lorsqu’elle entre en conflit avec des traditions profondément ancrées.

 

[21]           La Commission s’est fiée à certains éléments seulement de la preuve relative à la situation dans le pays, choisissant de ne pas tenir compte des attestations selon lesquelles les femmes de la Namibie sont parfois forcées d’épouser un membre de leur famille ou l’époux d’un membre décédé de la famille. La preuve précise que le mariage est une pratique entre familles et non entre individus, et que la polygamie est permise. Tout cela est particulièrement pertinent.

 

Possibilité de refuge intérieur

 

[22]           Enfin, la Commission a considéré que la demanderesse aurait pu se réfugier à Walvis Bay, une ville à six heures de voiture de son village. L’analyse qu’a faite la Commission de cet aspect découle directement de ses précédentes conclusions et ne peut donc pas être retenue.

 

[23]           La Commission a déclaré qu’il y avait lieu de raisonnablement s’attendre de la demanderesse qu’elle reprenne la garde de son enfant avant de s’établir ailleurs, se fiant ainsi à son évaluation erronée de la protection de l’État et de la crédibilité de la demanderesse. La Commission a également rejeté la déclaration de la demanderesse selon laquelle son beau‑père aurait pu la retrouver à Walvis Bay en raison de son statut de policier de la tribu. Comme nous l’avons déjà fait observer, la Commission n’a pas cru que le beau‑père exerçait cette fonction.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour réexamen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie‑Michèle Chidiac, trad. a

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7018‑12

 

INTITULÉ :                                                  EVELINE NDJAVERA c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE :                                                          Le 30 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mercy Dadepo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jeannine Plamondon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mercy Dadepo

Avocate

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.