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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 


Date : 20120614

Dossier : T-1318-11

Référence : 2012 CF 755

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

PHU QUOC HUY (fils adoptif mineur)

REPRÉSENTÉ PAR

PHU THO QUANG (père adoptif)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision datée du 16 juin 2011, par laquelle la gestionnaire des opérations (la gestionnaire) du haut-commissariat du Canada à Singapour a rejeté la demande de citoyenneté présentée par Phu Quoc Huy (le demandeur), fils adoptif du citoyen canadien Phu Tho Quang (M. Phu), lequel a présenté des arguments pour le compte du demandeur à l’audience. La gestionnaire n’était pas convaincue que l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté, en contravention de l’alinéa 5.1(3)b) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi).

I.          Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Viet Nam né le 27 novembre 1992. À l’âge de 15 ans et à la suite du divorce de ses parents, son oncle, M. Phu, qui est citoyen canadien et qui vit dans la province de Québec, l’a adopté le 12 décembre 2007.

[3]               Le demandeur avait tout d’abord demandé la citoyenneté en mars 2008. L’agent chargé d’examiner sa demande a relevé plusieurs préoccupations et il a recommandé la production d’une preuve démontrant l’existence d’un véritable lien affectif parent-enfant (notes consignées au Système informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), page 4 du dossier du tribunal (DT)). Après avoir reçu des observations supplémentaires du demandeur, l’argent chargé de l’examen de la demande était préoccupé du fait que seulement deux photos montrant le demandeur avec M. Phu avaient été fournies, et ce, même si la preuve démontrait que ce dernier était allé cinq fois au Viet Nam entre 2005 et 2007. Ces deux photos montraient le demandeur accompagné de son père et de M. Phu dans le cortège funèbre de sa grand‑mère. L’agent n’a pas conclu à l’existence de preuve d’un lien affectif parent-enfant et il avait aussi des doutes quant à savoir si les parents du demandeur étaient effectivement divorcés et qu’ils vivaient séparément, en raison des adresses fournies dans les certificats de résidence et les documents de divorce (notes consignées au STIDI, page 6 du DT).

[4]               Une entrevue, qui s’était déroulée en présence d’un interprète, a eu lieu avec le demandeur et son père. Après l’entrevue, on a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la condition prévue à l’alinéa 5.1(3)b) de la Loi, selon laquelle « adoption […] ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté ». Au cours de l’entrevue, le demandeur avait déclaré que son père allait le voir tous les 10 à 30 jours lorsqu’il vivait chez sa tante et que sa sœur l’amenait rendre visite à sa mère, visites au sujet desquelles on a conclu qu’elles démontraient l’existence d’un lien important parent-enfant avec ses parents biologiques et qu’il s’agissait, par conséquent, d’une adoption [traduction] « de complaisance qui visait l’acquisition de la citoyenneté canadienne » (notes consignées au STIDI, page 10 du DT). On a aussi conclu que le dossier ne contenait pas de renseignements substantiels démontrant l’existence d’un véritable lien entre le demandeur et M. Phu.

[5]               Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision; la demande a été accueillie sur consentement et l’affaire a été renvoyée pour réexamen. À cette étape, la gestionnaire, après avoir examiné l’ensemble du dossier, a décelé plusieurs points qui continuaient d’être préoccupants au sujet de l’adoption du demandeur, du lieu où il résidait à ce moment‑là, ainsi que des questions de savoir si son frère cadet vivait avec lui et si lui aussi serait adopté. Elle a relevé que le certificat de résidence versé au dossier démontrait que la famille du demandeur, y compris son père, sa mère, sa sœur aînée et son frère cadet, vivait ensemble. Par conséquent, la gestionnaire a conclu qu’il était nécessaire de faire passer une autre entrevue au demandeur.

[6]               Le 3 mars 2010, l’agent antifraude Jack Avery (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) s’est rendu, accompagné d’un traducteur, à la résidence du demandeur. Le demandeur était alors absent, mais l’agent a parlé avec sa sœur aînée et avec sa tante. Au cours de l’entrevue de la sœur du demandeur, sa tante a communiqué avec M. Phu, qui était en vacances au Viet Nam à ce moment‑là. M. Phu a demandé de parler à l’agent, mais ce dernier l’a informé qu’il devait terminer l’entrevue avec la sœur du demandeur avant qu’elle ne retourne au travail et qu’il pouvait l’appeler lorsqu’il serait de retour à Hô Chi Minh-Ville. Environ 15 minutes plus tard, la tante du demandeur a demandé à sa nièce de prendre le téléphone. L’agent présumait que l’interlocuteur était probablement M. Phu et il croyait que ce dernier pourrait la conseiller au sujet des réponses qu’elle devait donner. L’agent s’est dirigé vers la sœur du demandeur, qui lui a confirmé qu’elle parlait à son oncle. L’agent a demandé à M. Phu de ne pas appeler, parce que cela grugeait du temps précieux de l’entrevue, et lui a réitéré sa déclaration selon laquelle il pouvait l’appeler lorsqu’il serait de retour à Hô Chi Minh-Ville (notes consignées au STIDI, pages 16-17 du DT).

[7]               Après la visite, l’agent a résumé la situation de la manière suivante (notes consignées au STIDI, page 19 du DT) :

[traduction]

Les circonstances de cette adoption donnent à penser qu’elle vise à ce que le garçon obtienne le statut de résident permanent au Canada. L’adoption comme telle a lieu alors que le garçon est âgé de 15 ans ou plus, ce qui fait en sorte qu’elle est illégale au Viet Nam. Son père et sa mère vivent tout près d’où il réside. Nous croyons que son père vit toujours avec lui à cette adresse‑là. C’est ce que révèle un appel fait par [l’interprète] à un voisin.  

[8]               L’agent, qui n’avait pu parler au demandeur ou à ses parents au cours de la première visite, est retourné à la résidence avec l’interprète le 4 août 2010, en espérant établir si le père du demandeur habitait effectivement à cette adresse. Ils ont tout d’abord parlé à un marchand ambulant qui était directement en face de la résidence et qui louait l’espace en question de la famille. Le marchand a confirmé que le père du demandeur vivait dans la résidence. L’agent et l’interprète sont ensuite allés à la résidence, où ils y ont trouvé un jeune garçon qui regardait la télévision. Ils ont confirmé, après lui avoir parlé, que le jeune garçon était le frère cadet du demandeur, qu’il vivait à cet endroit depuis des années avec sa mère, que sa mère était occupée à vendre des marchandises à l’extérieur de la résidence et que le demandeur la remplacerait à midi pendant son repas (notes consignées au STIDI, page 20 du DT).

[9]               Le demandeur est ensuite entré dans la maison. Il a demandé à son frère de sortir et il a mentionné que son frère était [traduction] « simplement en visite ». L’agent et l’interprète se sont présentés et ils ont expliqué la raison de leur présence. Ils ont fait passer une entrevue au demandeur en vietnamien. Le demandeur a tout d’abord déclaré que, bien que ses parents eussent divorcé en 2006, la situation s’était améliorée depuis ce temps et que la famille était à nouveau réunie. Leur situation financière était toutefois précaire, et son oncle leur envoyait régulièrement de l’argent. Le demandeur a admis, après d’autres questions, que sa famille n’avait jamais vraiment été séparée (notes consignées au STIDI, pages 21 et 22 du DT) :

[traduction]

Q. Avez-vous toujours vécu ici?

R. Oui, bien sûr.

Q. Votre frère a-t-il toujours vécu ici?

R. Il vivait avec ma mère avant, et il vient juste de revenir.

Q. À quel moment votre mère et votre frère sont-ils revenus?

R. Cela fait longtemps.

Q. Après 2006?

R. (Il s’arrête et ne répond pas; il ne semble pas savoir quoi dire)

Q. Avez-vous déjà réellement habité à des endroits séparés?

R. Non.

[10]           L’agent a résumé ainsi ses conclusions (notes consignées au STIDI, page 22 du DT) :

[traduction]

Au cours de l’entrevue, le [demandeur] a donné une réponse élaborée concernant un problème familial qui s’était produit en 2006. Il semble qu’il y ait eu une sorte de crise majeure dans la famille. Sa sœur nous a dit pendant la première entrevue que son père avait eu une maîtresse. Aujourd’hui, le [demandeur] a parlé de la mort de la mère de son père en 2006 et il a mentionné que tout le monde détestait son père à ce moment‑là. Cela semble avoir créé des dissensions, et il avait été décidé que le [demandeur] devait partir vivre chez son oncle, au Canada. Selon sa sœur, son père a fait faillite pendant que sa mère du demandeur était enceinte de son frère cadet. Elle dit que son père imputait sa malchance au [demandeur].

Les parents semblent avoir réglé leur problème au fil du temps, mais ils poursuivent toujours leur mascarade au sujet de leur divorce, dans le seul but que leur fils se rende au Canada. Tous les membres de la famille participent à ce stratagème, à l’exception du fils cadet, à qui on ne semble pas en avoir parlé. Il a dit la vérité aujourd’hui, car c’est tout ce qu’il sait. Lorsqu’il a été confronté à cela, le demandeur n’a pas eu d’autre choix que d’admettre la vérité. La mère, le père et les deux enfants ont toujours vécu ensemble en famille, malgré certains écueils et certaines difficultés. L’adoption est une imposture.

[11]           M. Phu, dans une lettre datée du 5 août 2010 qu’il a adressée au haut‑commissariat du Canada et à laquelle il avait joint des photos de lui avec le demandeur ainsi que les reçus des transferts d’argent, a écrit ce qui suit (page 28-29 du DT) :

[traduction]

Selon mon fils adoptif, le 4 août 2010, un agent d’immigration que je ne connais pas et un interprète que je ne connais pas du consulat général du Canada au Viet Nam de Hô Chi Minh-Ville se sont présentés à la résidence de ma sœur […] sans aucune confirmation que ce soit.

Il n’y avait personne à la maison, à l’exception de mon fils adoptif et d’un garçon de huit ans. L’agent d’immigration que je ne connais pas et l’interprète que je ne connais pas ont tout d’abord parlé au garçon de huit ans, sans qu’un adulte de la famille soit présent. Ils ont ensuite parlé à mon fils adoptif pendant une heure et demie au sujet de l’état de la famille et de son avenir. L’agent d’immigration que je ne connais pas et l’interprète que je ne connais pas ont convaincu mon fils adoptif qu’il aurait une meilleure vie au Viet Nam qu’au Canada et qu’il n’avait aucune chance d’être réuni avec sa famille adoptive au Canada.  

Je suis désolé des commentaires négatifs que cet agent d’immigration que je ne connais pas a transmis à mon fils adoptif, alors que son père adoptif travaille extrêmement fort à l’autre bout du monde en vue de préparer la réunion de la famille.
L’agent d’immigration Jack Every était auparavant allé à la résidence de ma sœur, et cet agent d’immigration que je ne connais pas y était lui aussi allé, probablement pour la même raison, soit, obtenir des renseignements au sujet de l’état familial des parents biologiques de mon fils adoptif.
Je souhaite rappeler que l’adoption a eu lieu en 2006, au cours de mon voyage au Viet Nam. Cela fait plus de trois ans que j’ai présenté ma demande en vue de parrainer mon fils adoptif. Veuillez accepter le fait que les gens changent de temps à autre, mais que l’engagement que j’ai pris il y a de cela quatre ans quant à l’adoption demeure solide.

Ma sœur aînée Phu Thi Thu Nga a refusé de s’occuper de mon fils adoptif, car était d’avis qu’elle ne voulait pas s’imposer le stress supplémentaire qui découle de cette histoire. Par conséquent, j’ai décidé de déménager mon fils adoptif chez ma belle‑famille, qui vit dans une autre province.

[Souligné dans l’original.]

[12]           La gestionnaire, après avoir examiné la demande en entier et avoir tenu compte de la preuve produite par l’agent, a conclu que le demandeur ne répondait pas aux conditions la Loi. Par lettre datée du 16 juin 2011, elle a informé le demandeur du rejet de sa demande, rejet fondé sur l’enquête menée par l’agent anti‑fraude de l’ASFC, laquelle a fourni des éléments de preuve portant que l’adoption n’avait pas crée un véritable lien affectif parent‑enfant chez M. Phu et qu’elle visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté, ce qui contrevenait à l’alinéa 5.1(3)b) de la Loi. Elle a mentionné ce qui suit : [traduction] « Les résultats de son enquête ont fourni une preuve concrète que, contrairement aux renseignements que vous aviez donnés dans la demande et au cours des entrevues, vous vivez réellement avec vos parents biologiques, votre frère cadet et votre tante. Bien que vous et votre père affirmiez le contraire, vous avez bel et bien un lien affectif parent-enfant continu avec vos parents biologiques ». (page 26 du DT).

II.        Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13]           Bien que le demandeur ait formulé plusieurs questions en litige (lesquelles seront abordées dans les présents motifs), la question déterminante est de savoir si la gestionnaire a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. L’enquête visant à établir les faits ainsi que l’appréciation de la preuve exigées par l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté appellent l’application de la norme de la raisonnabilité (Satnarine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 91, [2012] ACF no 97, au paragraphe 9, et Jardine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 565, [2011] ACF no 782, aux paragraphes 16 et 17). Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables ou si elle déroge aux principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

III.       Analyse

[14]           Comme il a été souligné précédemment, l’agent s’était rendu à deux reprises au domicile du demandeur et son enquête l’avait mené à conclure que l’adoption était une imposture. Contrairement à la version des faits qu’avait relatée le demandeur, son père, sa tante, sa sœur et M. Phu, le demandeur n’avait jamais cessé de vivre avec ses parents, et l’adoption semblait viser principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration, ce qui contrevenait à l’alinéa 5.1(3)b) de la Loi :

Loi sur la citoyenneté,

LRC (1985), c C-29

 

Cas de personnes adoptées — mineurs

 

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur […]

 

 

Adoptants du Québec

 

(3) Le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à toute personne faisant l’objet d’une décision rendue à l’étranger prononçant son adoption, le 1er janvier 1947 ou subséquemment, par un citoyen assujetti à la législation québécoise régissant l’adoption, si les conditions suivantes sont remplies

 

[…]

 

b) l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

Citizenship Act, RSC 1985,

c C-29

 

Adoptees — minors

 

 

5.1 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child […]

 

 

 

Quebec adoptions

 

(3) The Minister shall on application grant citizenship to a person in respect of whose adoption — by a citizen who is subject to Quebec law governing adoptions — a decision was made abroad on or after January 1, 1947 if

 

 

 

 

[…]

 

(b) the adoption was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

[15]           La section 10.9 du guide opérationnel (CP 14) relativement aux politiques de citoyenneté en matière d’adoption prévoit que si l’agent conclut que « l’adoption visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté (p. ex. adoption de complaisance), il doit rejeter la demande » [Souligné dans l’original]. La section 10.10 indique comment repérer une adoption de complaisance et elle mentionne que l’agent « doit fonder son opinion en fonctions de facteurs qui, pris ensemble, pourraient mener une personne raisonnablement prudente à en venir à la conclusion que l’adoption a été faite dans le but de contourner les exigences de la LIPR ou de la Loi sur la Citoyenneté ». Il y est mentionné qu’aucun critère officiel n’a été établi pour conclure que l’adoption en question est une adoption de bonne foi, mais que l’agent doit plutôt examiner toute l’information pertinente. On y retrouve aussi une liste non exhaustive d’éléments qui pourraient être pris en considération. Les éléments qui figurent dans cette liste et qui sont pertinents en l’espèce comprennent :

  les circonstances de l’adoption;

  les allées et venues des parents biologiques de l’enfant adopté et la nature de leur situation personnelle;

  les personnes qui faisaient partie du foyer de l’enfant adopté avant et après l’adoption (p. ex. est-ce que l’enfant continuait d’habiter dans la même maison que ses parents biologiques après l’adoption?);

  le fait que l’autorité des parents biologiques de l’enfant est supplantée par celle du parent adoptif;

  le lien entre l’enfant adopté et ses parents biologiques après l’adoption.

[16]           L’enquête de l’agent révélait que le demandeur et sa famille avaient trompé les autorités canadiennes en ce qui a trait aux circonstances dans lesquelles l’adoption avait eu lieu et à la relation continue entre le demandeur et ses parents. La lettre de M. Phu datée du 5 août 2010 et les éléments de preuve supplémentaires n’ont manifestement pas réussi à dissiper les préoccupations soulevées par ce subterfuge. À la lumière des éléments pertinents exposés dans le guide opérationnel et des conclusions connexes tirées par l’agent, il était raisonnable pour la gestionnaire de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à la convaincre que son adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté, aux termes de l’alinéa 5.1(3)b) de la Loi. Cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables et respecte les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité qui ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[17]           Dans ses observations, M. Phu allègue que la gestionnaire n’a pas tenu compte de toute la preuve dont elle disposait, mais il ne relève pas d’éléments de preuve précis qu’elle aurait omis et il explique encore moins comment ces éléments de preuve auraient pu avoir une incidence sur l’issue de la demande. Après avoir examiné le dossier, la Cour conclut la preuve produite par le demandeur et par M. Phu était insuffisante pour jeter un doute sur la raisonnabilité de la décision de la gestionnaire.

[18]           M. Phu a aussi remis en question le caractère suffisant des motifs fournis par la gestionnaire, mais la Cour conclut que les motifs répondent à la norme exposée dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62, au paragraphe 16. Plus précisément, les motifs datés du 16 juin 2011 permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision de la gestionnaire et de déterminer si la conclusion appartenait aux issues possibles acceptables, comme il a été établi précédemment.

[19]           M. Phu soutient que l’omission alléguée de la gestionnaire d’examiner s’il y avait lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3), 5(4) ou 9(2) de la Loi, comme le prévoit le paragraphe 15(1) de la Loi, constituait un manquement aux principes de justice naturelle :

Loi sur la citoyenneté,

LRC (1985), c C-29

 

Exercice du pouvoir discrétionnaire

 

15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s’il y a lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

 

 

 

 

 [Non souligné dans l’original.]

Citizenship Act, RSC 1985,

c C-29

 

Recommendation re use of discretion

 

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.

 [Emphasis added.]

[20]           Dans la version anglaise, l’obligation du juge de la citoyenneté d’examiner s’il y a lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3), 5(4) et 9(2) n’entre en jeu uniquement dans le cas où il ne peut approuver une demande aux termes du paragraphe 14(2). Bien que la version française ne fasse pas expressément mention du paragraphe 14(2), elle traite aussi uniquement de l’obligation du juge de la citoyenneté. Dans un cas comme dans l’autre, l’article 14 indique clairement quelles demandes doivent être examinées par le juge de la citoyenneté :

Loi sur la citoyenneté,

LRC (1985), c C-29

 

Examen par un juge de la citoyenneté

 

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

 

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5);

 

b) [Abrogé, 2008, ch. 14, art. 10]

 

c) la répudiation de la citoyenneté, au titre du paragraphe 9(1);

 

d) la réintégration dans la citoyenneté, au titre du paragraphe 11(1).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

Information du ministre

 

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

 

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

Citizenship Act, RSC 1985,

c C-29

 

Consideration by citizenship judge

 

14. (1) An application for

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1) or (5),

 

 

(b) [Repealed, 2008, c. 14, s. 10]

 

(c) a renunciation of citizenship under subsection 9(1), or

 

 

(d) a resumption of citizenship under subsection 11(1)

 

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

 

[…]

 

Advice to Minister

 

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

 

[…]


[Emphasis added.]

 

[21]           Comme le prévoit clairement l’article 14, la demande de citoyenneté d’une personne adoptée par un citoyen canadien, qui est régie par l’article 5.1, n’est pas une demande devant être examinée par un juge de la citoyenneté. Par conséquent, l’obligation prévue au paragraphe 15(1), selon laquelle le juge de la citoyenneté doit examiner s’il y a lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3), 5(4), et 9(2), ne s’applique pas au demandeur en l’espèce.

[22]           M. Phu allègue aussi que la gestionnaire a omis de choisir et d’appliquer clairement le critère adéquat pour établir si le demandeur satisfaisait aux conditions prévues à l’alinéa 5.1(3)b) de la Loi. Cet argument semble se rapporter aux divers critères dont les juges de la citoyenneté tiennent compte lorsqu’ils examinent les demandes de citoyenneté présentées en vertu de l’article 5 de la Loi. Comme je l’ai expliqué auparavant, une personne adoptée par un citoyen canadien présente sa demande de citoyenneté en vertu de l’article 5.1, une disposition qui prévoit des conditions différentes et qui ne nécessite pas l’application des critères établis au titre de l’article 5.  

[23]           En dernier lieu, M. Phu insinue que la gestionnaire a sciemment attendu un changement de statut au sein de la famille biologique du demandeur, afin qu’elle puisse remettre en question les renseignements fournis dans la demande. Le dossier ne renferme aucun élément de preuve à l’appui d’un tel retard intentionnel. De plus, la version des faits selon laquelle les parents du demandeur avaient divorcé et avaient déménagé en laissant le demandeur entre les mains de sa tante s’est révélée fausse. Le demandeur a confirmé que ses parents avaient toujours continué de vivre avec lui. La demande a été traitée de manière normale, les préoccupations soulevées au vu de la preuve ont fait l’objet d’une enquête qui a permis de découvrir l’existence d’une supercherie jetant un doute quant à la question de savoir si l’adoption visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté. Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la Cour conclut que la décision de la gestionnaire est raisonnable, qu’elle appartient aux issues possibles acceptables et qu’elle respecte les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[24]           On a donné à M. Phu toutes les occasions voulues d’expliquer la situation et de présenter ses arguments lors de l’audience. C’est ce qu’il a fait, en apportant beaucoup de détails, et la Cour a tenu compte des observations qu’il a formulées de vive voix.

[25]           L’avocat du défendeur réclame les dépens. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je les limiterai à 250 $.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 16 juin 2011 est rejetée. Un montant de 250 $ est accordé au défendeur à titre de dépens.

 

                                                                                                                  « Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       T-1318-11

 

INTITULÉ :                                     PHU QUOC HUY (fils adoptif mineur)

                                                           REPRÉSENTÉ PAR PHU THO QUANG

                                                           (père adoptif)

                                                           c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Phu Tho Quang

(père adoptif)

 

POUR LE DEMANDEUR

(pour le compte de son fils

adoptif mineur, PHU QUOC HUY)

 

Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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