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Date : 20130416

Dossier : IMM‑6226‑12

Référence : 2013 CF 381

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

MARTIN VUCAJ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] qui a établi, le 28 mai 2012, que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur est citoyen de l’Albanie. En 1988, il a accompagné les membres de sa famille aux États‑Unis.

 

[3]               En juillet 2004, le meilleur ami du demandeur, Markjol, a été agressé à Birmingham, au Michigan, par une personne avec laquelle il avait une altercation. Le demandeur et ses amis sont intervenus pour aider Markjol et une bagarre a éclaté.

 

[4]               Trois jours plus tard, trois personnes qui faisaient partie du groupe qui s’était battu contre le demandeur et ses amis ont attaqué ces derniers. Ils étaient armés et le demandeur a reçu une balle au poignet droit. Son ami Markjol a été atteint mortellement. Le demandeur a porté plainte à la police contre les personnes qui avaient fait feu sur son ami. Le demandeur a appris que les agresseurs faisaient partie d’un gang originaire de l’Albanie. Les familles des personnes en question ont déclenché une vendetta contre le demandeur.

 

[5]               À cause de cette vendetta, la sœur du demandeur a quitté la Californie et la famille du demandeur a vendu sa maison. Le demandeur a par la suite développé une dépendance à la marijuana.

 

[6]               Le demandeur a été arrêté au Michigan le 13 juillet 2006. Il a été accusé de livraison de marijuana, de conspiration pour livrer de la marijuana et de possession de marijuana avec l’intention de la distribuer. Il a plaidé coupable aux accusations qui pesaient contre lui et s’est vu imposer une peine de probation de deux ans.

 

[7]               Les autorités américaines de l’immigration ont expulsé le demandeur en Albanie, où il est arrivé le 25 mars 2009. Dès son arrivée, un ami de son père l’a informé que ses voisins avaient vu des hommes armés faire irruption dans la maison de sa famille, située dans la ville de Shkodër, et que ces personnes l’attendaient pour le tuer. Il a fui au Monténégro puis au Canada, où il est entré le 1er avril 2009.

 

[8]               Il craint de retourner en Albanie parce que les familles des trois Albanais, qui ont fait l’objet de déclarations de culpabilité en grande partie à cause des interventions du demandeur, mènent une vendetta contre sa famille.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               L’élément déterminant dans la décision de la SPR était l’exclusion du demandeur en vertu de l’alinéa 1Fb) de la Convention. La SPR a estimé que le demandeur était un « criminel compulsif ». La preuve documentaire obtenue de la police du Michigan était conforme au témoignage du demandeur parce qu’elle a confirmé ses antécédents criminels aux États‑Unis. De plus, le demandeur a utilisé sa carte de résident permanent des États‑Unis, qui n’était plus valide, pour entrer au Canada.

 

[10]           La SPR a souligné que le demandeur avait été déclaré coupable d’un acte délictueux grave lié au trafic illicite d’une substance contrôlée, d’une conspiration ou d’une tentative d’enfreindre les lois ou les règlements d’un État des États‑Unis et d’avoir tenu un lieu où de la drogue est vendue. Le demandeur a été condamné à une peine de deux ans de probation le 17 janvier 2008; une fois libéré de sa probation en vertu du programme Youth Trainee Status, il a été expulsé en Albanie en raison des déclarations de culpabilité prononcées contre lui.

 

[11]           La SPR a souligné que la Cour d’appel fédérale avait établi qu’un crime grave de droit commun devrait équivaloir à un crime à l’égard duquel une peine maximale d’au moins 10 ans d’emprisonnement aurait été imposée. La SPR a résumé le témoignage du demandeur et la preuve documentaire relative à ses antécédents criminels aux États‑Unis. Elle a estimé qu’en tant qu’adulte arrêté à quatre reprises en possession de marijuana à des fins de trafic, il « s’expose[rait] à une peine cumulative d’emprisonnement de plus de dix ans » si les crimes avaient été commis au Canada. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il avait commis des crimes graves aux États‑Unis avant d’entrer au Canada.

 

[12]           Après examen des facteurs énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, 76 Imm LR (3d) 159 [Jayasekara], la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de gravité des crimes, et ce, pour un certain nombre de motifs.

 

[13]           Le demandeur était un adulte au moment de la perpétration des crimes. En ce qui concerne les éléments des crimes, la SPR a établi que la preuve documentaire démontrait que le demandeur avait commis aux États‑Unis des crimes graves de droit commun et qu’il avait été déclaré coupable dans le cadre d’une procédure judiciaire équitable. Le procès aux États‑Unis a été équitable et conforme aux règles étant donné que, selon le témoignage du demandeur, ce dernier a eu accès aux services d’un avocat avant d’être déclaré coupable et qu’il n’existait aucun élément de preuve documentaire convaincant qui donnait à penser soit qu’il était innocent, soit qu’il avait été poursuivi ou déclaré coupable par erreur. Le demandeur avait été jugé pour un acte délictueux grave plutôt que pour un délit mineur. Rien ne tendait à indiquer qu’il avait été obligé de plaider coupable. En ce qui concerne la peine imposée, la SPR a conclu que l’expulsion du demandeur et la perte de son statut de résident permanent aux États‑Unis révélaient la gravité des infractions commises. La SPR a établi qu’il n’existait pas de circonstances atténuantes ou aggravantes relativement à sa déclaration de culpabilité étant donné l’absence de toute preuve convaincante permettant de penser que la déclaration de culpabilité était d’une façon ou d’une autre injuste.

 

III.       Dispositions législatives pertinentes

[14]           Voici le libellé de l’article 98 de la LIPR :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Exclusion ‑ Refugee Convention

 

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.


[15]           L’alinéa 1Fb) de la Convention est rédigé comme suit :

 

Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés

 

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

[...]

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

[...]

 

(b) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

 

 

IV.       Observations du demandeur

[16]           Premièrement, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en fondant sa conclusion selon laquelle il avait commis des crimes graves aux États‑Unis avant d’entrer au Canada sur le fait qu’il « s’expose[rait] à une peine cumulative d’emprisonnement de plus de dix ans » si les crimes avaient été commis au Canada. En effet, le demandeur souligne que l’alinéa 1Fb) de la Convention cible des personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont « commis un crime grave de droit commun » [non souligné dans l’original] avant d’entrer dans le pays d’accueil et qu’il n’existe aucune disposition dans la loi qui prévoit la prise en compte de l’ensemble des crimes qu’une personne a commis pendant sa vie, en additionnant les peines maximales pour chaque crime, pour établir ensuite que, cumulativement, la peine maximale d’emprisonnement dépasserait 10 ans.

 

[17]           Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la SPR n’a pas appliqué correctement les facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara, précité. En effet, il affirme que la SPR n’a pas tenu compte du mode de poursuite, soit qu’il était traité comme un mineur, et qu’elle a plutôt mis l’accent sur la question de savoir s’il avait été déclaré coupable par erreur. De plus, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de la peine prévue pour les crimes qu’il avait commis, soit seulement une peine de probation de deux ans. La SPR s’est plutôt concentrée sur la question non pertinente de son expulsion et de la perte de son statut de résident permanent aux États‑Unis.

 

[18]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes, qui comprendraient sa dépendance aux antidouleurs après qu’il eut été blessé en se bagarrant avec des membres d’un gang criminel et le fait qu’il aurait été piégé par un agent double qui a demandé à lui acheter de la marijuana pendant que la police organisait un coup monté contre son colocataire. Le demandeur affirme qu’il n’a jamais offert de marijuana à qui que ce soit. De plus, à ses dires, il n’a jamais eu recours à la force ou à des armes pour commettre les crimes qui lui sont reprochés.

 

V.        Observations du défendeur

[19]           Le défendeur soutient que le demandeur ne comprend pas que la norme de preuve qui s’applique à l’alinéa 1Fb) de la Convention consiste à établir si « on aura des raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis un crime grave de droit commun et que des déclarations de culpabilité ou des accusations formelles ne sont pas des préalables à une conclusion d’exclusion. Le défendeur ajoute que la jurisprudence a établi qu’il n’est pas nécessaire que la SPR reproche un crime particulier à un demandeur ou énonce tous les détails ou les éléments du crime commis et se prononce à ce sujet. Par conséquent, le défendeur soutient que la SPR s’est appuyée de façon raisonnable sur les infractions de trafic et de possession de marijuana pour évaluer la gravité des crimes de droit commun commis par le demandeur.

 

[20]           Selon le défendeur, certains de ces facteurs pertinents doivent être évalués au regard de l’alinéa 1Fb) de la Convention. Premièrement, il est raisonnable que la SPR utilise comme étalon de mesure d’un « crime grave » le traitement que le droit canadien fait de l’infraction et vérifie si, dans la plupart des pays, l’acte serait considéré comme un crime grave. Au Canada, le trafic de marijuana est passible de l’emprisonnement à perpétuité si la quantité visée par le trafic dépasse trois kilogrammes. Dans le cas du trafic d’une quantité inférieure à trois kilogrammes de marijuana et de la possession de plus de 30 grammes, la peine maximale est un emprisonnement de cinq ans (Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 [LRCDAS]). La Cour d’appel fédérale a reconnu au paragraphe 48 de l’arrêt Jayasekara, précité, que le trafic de stupéfiants est « considéré comme un crime grave partout dans le monde ». Les rapports de police du Michigan confirment que le demandeur a décidé de vendre, de donner, de transférer et de transporter de la marijuana en plus d’en vendre à un agent double. Cette activité est considérée comme du trafic au sens de l’article 2 de la LRCDAS. De plus, la preuve révèle qu’il était en possession de grandes quantités de marijuana ou qu’il en a vendu en grande quantité à d’autres personnes. S’appuyant sur les infractions de trafic et de possession pour évaluer la gravité des crimes de droit commun du demandeur, la SPR a agi de façon raisonnable et la preuve est suffisante pour satisfaire au fardeau de preuve peu exigeant applicable en l’espèce, soit établir que le demandeur a commis un crime grave de droit commun.

 

[21]           De plus, le défendeur soutient que la SPR a pris en compte de façon raisonnable les facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara. En effet, la SPR a tenu compte de la déclaration de culpabilité, de la peine et de la réadaptation, et aucun de ces éléments ne réduit la gravité des crimes. Elle a aussi tenu compte du fait qu’il était représenté par un avocat au cours de l’instance pénale, qu’il a volontairement plaidé coupable aux accusations et qu’il était adulte au moment de la perpétration des infractions. En ce qui concerne les circonstances atténuantes, le défendeur soutient que, contrairement à l’allégation du demandeur selon laquelle l’agent double l’a convaincu de lui vendre de la marijuana, les rapports de police confirment qu’à de nombreuses reprises le demandeur a choisi de communiquer avec l’agent double pour lui vendre de la marijuana. Le défendeur soutient qu’il était aussi loisible à la SPR de conclure que le demandeur est un criminel compulsif et qu’il avait été expulsé en Albanie par les autorités américaines en raison des déclarations de culpabilité qui le visaient. Selon le défendeur, il s’agit de circonstances aggravantes. Le défendeur souligne aussi que le demandeur est entré illégalement au Canada.

 

[22]           Enfin, selon le défendeur, le respect du critère du caractère adéquat des motifs ne peut fonder à lui seul l’annulation d’une décision.

 

VI.       Question en litige

[23]           La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la gravité des crimes du demandeur?

 

VI.       Norme de contrôle

[24]           Le demandeur soutient que la SPR a interprété incorrectement le droit et que comme la question en litige est uniquement une question de droit, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

 

[25]           De son côté, le défendeur soutient que la question de savoir si le demandeur est une personne visée à l’alinéa 1Fb) de la Convention est une question mixte de fait et de droit et que, à ce titre, elle peut être annulée uniquement si elle est déraisonnable (arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 10).

 

[26]           Étant donné que le présent contrôle judiciaire touche l’interprétation par la SPR de l’alinéa 1Fb) de la Convention, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique parce qu’il faut interpréter de façon uniforme les conventions internationales (voir Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324, aux paragraphes 22 à 25, 223 ACWS (3d) 1012). Pas plus tard qu’en mars dernier, la Cour d’appel a confirmé cette position (voir B010 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 87, au paragraphe 71, 2013 CarswellNat 650).

 

VIII.    Analyse

[27]           La décision de la SPR ne peut être confirmée et doit être annulée. L’interprétation qu’a faite la SPR de la LIPR, qui l’a amenée à conclure que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun, est incorrecte.

 

[28]           Comme l’a souligné la SPR, la Cour d’appel a reconnu que l’alinéa 101(2)b) de la LIPR, qui définit le crime grave de droit commun comme un crime punissable d’un « emprisonnement maximal d’au moins 10 ans » si le crime avait été commis au Canada, révèle nettement que ce genre de crime est considéré comme un crime grave (arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 40) :

 

40 Pour déterminer si une demande d’asile est irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés pour cause de « grande criminalité », l’alinéa 101(2)b) de la LIPR exige que l’intéressé ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. Il faut y voir une forte indication de la part du législateur que le Canada, en tant que pays d’accueil, considère les crimes entraînant ce type de sanction comme des crimes graves. Dans le cas d’un crime commis à l’extérieur du Canada, l’alinéa 101(2)b) ne tient pas compte de la durée de la peine effectivement infligée. [...] [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           Dans cette optique, la SPR a évalué le contexte dans lequel sont inscrites les infractions et a conclu que le demandeur avait été reconnu coupable d’un crime pour lequel un emprisonnement d’au moins 10 ans aurait pu être imposé. Le raisonnement suivi par la SPR montre clairement que cette dernière jugeait nécessaire d’établir que cette peine maximale aurait pu être imposée si le crime avait été commis au Canada afin de définir l’infraction comme un « crime grave de droit commun ». Il est intéressant de souligner que la Cour d’appel, dans l’arrêt Jayasekara, précité, décrivait cette peine d’emprisonnement d’au moins 10 ans comme une forte indication de la nature d’un « crime grave de droit commun » du point de vue du législateur fédéral. Cependant, l’arrêt Jayasekara, précité, ne permet pas d’étayer l’argument selon lequel la SPR ne peut pas établir qu’un crime punissable par une peine maximale d’emprisonnement de moins de 10 ans est un « crime grave de droit commun ». En effet, la SPR doit tenir compte de bon nombre d’autres facteurs pour évaluer la gravité d’un crime.

 

[30]           Pour tirer la conclusion que le demandeur serait soumis à une peine maximale d’au moins 10 ans d’emprisonnement, élément qu’elle jugeait essentiel quant à l’issue de la demande, la SPR a d’abord établi que les quatre infractions commises par le demandeur entre avril et juillet 2006 équivalent à des infractions de possession et de trafic de drogue en droit canadien. Elle a ensuite estimé que chacune de ces infractions est passible d’une peine maximale de cinq ans moins un jour d’emprisonnement étant donné que le demandeur a fait le trafic d’une quantité inférieure à trois kilogrammes de marijuana et qu’il s’était trouvé en possession de plus de 30 grammes de marijuana à chacune de ces occasions (voir la LRCDAS, précitée, par. 4(1), al. 4(4)a), par. 5(1) et al. (3)a.1)). La SPR a donc établi qu’au Canada le demandeur serait passible d’une peine cumulative d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans.

 

[31]           La SPR a mal appliqué aux faits de l’espèce les commentaires formulés dans l’arrêt Jayasekara, précité, relatifs à la peine maximale d’emprisonnement. En effet, la SPR a commis une erreur en fondant sa conclusion sur son calcul que le demandeur se serait exposé à « une peine cumulative d’emprisonnement » d’au moins 10 ans si les crimes qu’il a commis aux États‑Unis l’avaient été au Canada et en faisant de cet élément un facteur déterminant de son analyse relative à l’exclusion. En effet, aucune disposition de la loi ne permet d’établir si un demandeur est exclu de la protection offerte par la Convention en additionnant les peines maximales dont il aurait été passible au Canada pour chacun des crimes qu’il a commis pendant sa vie puis de conclure que, de façon cumulative, la peine maximale d’emprisonnement serait supérieure à 10 ans. En effet, selon l’alinéa 1Fb) de la Convention, un demandeur d’asile sera exclu de l’application des dispositions de la Convention s’il a commis « un » crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admis comme réfugié. La peine imposée pour chaque infraction doit donc être abordée séparément et la SPR a commis une erreur en additionnant les peines maximales qui s’appliquent à chacune des déclarations de culpabilité.

 

[32]           Malgré cela, la volonté évidente du demandeur de continuer à faire le trafic de la marijuana, soulignée par la SPR, est sûrement un facteur important à prendre en compte pour l’évaluation de la question de savoir s’il a commis un « crime grave de droit commun », facteur que la SPR, comme il est expliqué ci‑après, aurait dû intégrer à son analyse. Comme nous l’avons vu précédemment, la peine maximale de 10 ans d’emprisonnement est une « forte indication » de l’existence d’un crime grave, mais d’autres facteurs peuvent être utilisés pour établir si un demandeur a commis un « crime grave de droit commun », comme ses comportements criminels à répétition.

 

[33]           De plus, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel a défini au paragraphe 44 quatre facteurs à intégrer à l’évaluation de la gravité d’un crime aux fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention :

 

1.                  les éléments constitutifs du crime;

2.                  le mode de poursuite;

3.                  la peine prévue;

4.                  les faits et circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

 

[34]           La Cour d’appel fédérale ajoute la précision suivante : « En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité, qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités » : Jayasekara, au paragraphe 44.

 

[35]           Il faut suivre ces étapes pour rendre correctement la décision. En l’espèce, en plus de tirer la conclusion erronée relativement aux peines cumulatives d’emprisonnement décrite précédemment, la SPR n’a pas examiné adéquatement certains des facteurs susmentionnés.

 

[36]           Premièrement, la SPR n’a pas vraiment tenu compte du mode de poursuite. Elle s’est plutôt contentée de mentionner ce mode de poursuite, sans donner plus de détails. Or, la SPR aurait pu notamment vérifier si les infractions alléguées étaient punissables sur acte d’accusation ou sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Si le dernier mode de poursuite avait été retenu, ce facteur aurait joué en faveur du demandeur quant à la gravité de ses crimes.

 

[37]           Deuxièmement, il est important de souligner que la SPR n’a pas tenu compte de la peine imposée, comme l’exige l’arrêt Jayasekara. En effet, la SPR a simplement souligné que « [r]elativement à la peine prévue, le demandeur d’asile [avait] été condamné conformément au Code criminel américain ». La peine imposée pour les quatre déclarations de culpabilité était une probation de deux ans, mais la SPR omet complètement d’examiner les conséquences de cette peine dans son analyse. La peine aurait aussi été un facteur pertinent à intégrer à l’évaluation de la question de savoir si le demandeur avait réussi à réfuter la présomption de gravité de ses crimes.

 

[38]           Enfin, en ce qui concerne l’examen par la SPR des circonstances atténuantes ou aggravantes, il semble qu’elle ait conclu qu’il n’en existait aucune. Cependant, la simple lecture des faits de l’affaire révèle que le demandeur a développé une dépendance aux antidouleurs par suite d’une blessure subie lors d’une bagarre avec les membres d’un gang criminel. Il a collaboré avec les autorités et il a été un témoin essentiel de la poursuite dans le cadre du procès qui a débouché sur la déclaration de culpabilité de certains des membres de ce gang criminel qui avaient participé à la bagarre. Il est aussi intéressant de souligner que le demandeur n’utilisait pas d’armes lorsqu’il se livrait au trafic de drogue et que l’infraction n’avait occasionné aucune blessure grave. L’analyse de la SPR aurait été plus complète si elle avait correctement traité ces facteurs.

 

[39]           L’analyse aurait aussi été plus complète si la SPR avait examiné à fond les comportements criminels répétitifs du demandeur en faisant l’examen des circonstances aggravantes et atténuantes.

 

[40]           Si la SPR avait effectué une analyse appropriée et complète, elle aurait pu tirer la même conclusion. Cependant, la décision en cause est entachée d’erreurs parce qu’il est évident que la SPR a conclu dès le départ que les faits démontraient l’existence d’un « crime grave de droit commun » et qu’elle a ensuite procédé à une analyse erronée et incomplète. Dans son raisonnement, la SPR n’a pas correctement pris en compte le libellé de l’alinéa 1Fb) de la Convention ni les facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara, précité, pour établir si le demandeur avait commis un « crime grave de droit commun ». Ces erreurs sont tellement importantes que, vu la norme de la décision correcte qui s’applique à l’interprétation de l’alinéa 1Fb) de la Convention, la décision de la SPR ne peut être confirmée. Elle sera donc annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il tienne une nouvelle audience.

 

[41]           Les parties ont été invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune question n’a été proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un nouveau tribunal. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6226‑12

 

INTITULÉ :                                                  MARTIN VUCAJ c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 3 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 16 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nur Muhammed‑Ally

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Toronto Immigration Law Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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