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Date : 20130410

Dossier : IMM-7160-12

Référence : 2013 CF 361

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 avril 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

NKEM IKECHI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’évaluation des risques avant renvoi (ÉRAR) portant que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque ou danger de torture, à un risque de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Nigeria. La demanderesse allègue qu’elle court un risque du fait qu’elle est veuve (groupe social à risque au Nigeria) et que la famille de son défunt mari menace de la tuer parce qu’elle est chrétienne. Elle conteste plus particulièrement la décision de l’agent d’ÉRAR relative à la possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

II. Nature de l’instance

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] et visant la décision de l’agent d’ÉRAR en date du 26 avril  2012.

 

III. Contexte

[3]               La demanderesse, Mme Nkem Ikechi, est citoyenne du Nigeria; c’est une Ibo chrétienne qui est née en 1974.

 

[4]               Le mari de la demanderesse est décédé le 31 juillet 2008. La famille du mari l’a accusée de l’avoir tué. Elle l’a menacée de mort et l’a forcée à se plier au rituel consistant à dormir à côté du cadavre et à danser en public uniquement vêtue d’un pagne et de feuilles de palmier, le corps couvert de charbon de bois pour symboliser le mal (la preuve de ce rituel nigérian lié au veuvage figure à la p. 146 du dossier certifié du tribunal [DCT] et provient de l’Organisation mondiale de la santé, 1948).

 

[5]               Après l’enterrement, une vielle femme a averti la demanderesse que la famille de son défunt mari l’obligerait à boire de l’eau empoisonnée ayant servi à laver le corps. Elle a fui, mais sa belle‑sœur l’a retrouvée à Lagos et a menacé de la tuer. Informée de la situation, la police a déclaré que c’était une affaire à régler en famille.

 

[6]               Le 14 septembre 2008, la demanderesse est arrivée avec un agent à Calgary (Alberta).

 

[7]               Le 24 septembre 2010, la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande d’asile de la demanderesse, au motif qu’elle disposait d’une PRI à Abuja et à Benin City.

 

[8]               Depuis que la SPR a rendu sa décision, un incendie a détruit la résidence familiale de la demanderesse et sa sœur a été enlevée et séquestrée pendant deux semaines, jusqu’au versement d’une rançon; la demanderesse soupçonne sa belle‑famille d’être à l’origine des deux incidents.

 

[9]               Il ressort de la preuve concernant le Nigeria postérieure à la décision de la SPR que les persécutions violentes contre les chrétiens s’intensifient dans diverses régions du pays.

 

[10]           La demanderesse a soumis les éléments de preuve suivants à l’appui de sa demande d’ÉRAR : (i) les déclarations figurant dans la demande d’ÉRAR, (ii) des observations préparées par un avocat en date du 15 février 2012 et du 14 juin 2011, (iii) un courriel provenant d’Odo Abukipe, daté du 7 février 2012 [le courriel Abukipe], (iv) un courriel provenant de Chioma Ogbonna, daté du 6 février 2012 [le courriel Ogbonna], (v) quatre photos couleur, (vi) une lettre envoyée par Ernest Uwakwe [la lettre Uwakwe], (vii) une lettre envoyée par Choima Ogbonna [la lettre Ogbonna], (viii) une évaluation psychiatrique en date du 16 février 2010 et (ix) une preuve relative à la situation au Nigeria, concernant la situation des veuves et les attaques terroristes visant des chrétiens.

 

IV. La décision soumise au contrôle

[11]           Selon l’agent, le risque de persécution de la demanderesse au Nigeria n’est qu’une simple possibilité, et il n’y a pas de motif sérieux de croire à un risque de torture ni de motif raisonnable de croire qu’elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités; plus particulièrement, la demanderesse n’a pas fourni de preuve permettant de réfuter la conclusion de la SPR qu’elle disposait d’une PRI à Abuja ou à Benin City.

 

[12]           Conformément à l’alinéa 113a), l’agent d’ÉRAR n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve de la situation au Nigeria portant sur la violence contre les chrétiens et le mauvais traitement des veuves, parce qu’ils étaient antérieurs à la décision de la SPR et que la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi ils ne lui étaient pas normalement accessibles ou pourquoi il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle les présente à la SPR. L’agent n’a pas non plus jugé important un rapport sur Benin City et un autre rapport émanant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il a accordé peu d’importance à l’évaluation psychiatrique, car elle ne comportait pas de recommandation de traitement.

 

[13]           Il n’a pas retenu l’argument que, parce qu’elle souffrait de stress post‑traumatique et de douleur chronique au genou, la demanderesse était une personne à protéger au sens de l’article 97, jugeant qu’elle n’avait pas présenté de preuve suffisante établissant qu’elle ne recevrait pas de soins psychiatriques ou médicaux au Nigeria.

 

[14]           Il n’était pas convaincu que la sœur cadette de la demanderesse avait été enlevée ni que la maison familiale avait été incendiée. Il a retenu les déclarations relatives à l’enlèvement figurant dans les lettres Ogbonna et Uwakwe mais, comme l’enlèvement s’était produit sur une route entre la ville d’Umuahia et le marché Orie Akpu, il a jugé que les lettres ne réfutaient pas la conclusion selon laquelle la demanderesse disposait d’une PRI à Abuja ou Benin City. Il a admis que les photos représentaient la maison familiale rasée par les flammes, mais a considéré qu’elles n’établissaient pas la cause de l’incendie et, qu’en l’absence de preuve corroborante, le courriel Ogbonna imputant la responsabilité de l’incendie à la belle-famille relevait de la conjecture. De plus, les photos ne réfutaient pas la conclusion relative à la PRI puisqu’il en ressortait que la maison se trouvait à Imo.

 

[15]           L’agent a aussi relevé que, bien que la sœur de la demanderesse se rappelât de détails que la police aurait pu utiliser pour identifier les ravisseurs, la famille n’a pas demandé la protection de l’État et, citant Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 124 FTR 160, 143 DLR (4th) 532 (CAF), il a déclaré que les demandeurs doivent démontrer qu’ils se sont prévalus de toutes les mesures de protection offertes par l’État, fardeau directement proportionnel au degré de démocratie dans l’État en question.

 

[16]           L’agent d’ÉRAR n’a pas conclu que la demanderesse, en tant que chrétienne, n’avait pas de PRI au Nigeria. Le courriel Abuikpe (décrivant des problèmes à Sokoto et à Kano et de la violence antichrétienne dans le nord du pays) n’établissait que la demanderesse serait à risque à Abuja ou Benin City. Il a reconnu qu’il y avait des conflits religieux et ethniques au Nigeria, mais il a néanmoins estimé que la preuve relative à la situation dans le pays n’établissait pas l’existence d’un risque à Abuja ou Benin City. Selon lui, il ne ressortait pas d’un rapport de 2010 du Département d’État américain que la violence religieuse sévissant dans le centre du pays était présente à Abuja, la capitale, et la preuve que des extrémistes musulmans avaient fait exploser un édifice des Nations Unies à Abuja n’était pas applicable à la situation personnelle de la demanderesse parce qu’elle n’avait pas établi qu’elle avait des activités analogues à celles qui suscitaient la violence extrémiste.

 

[17]           L’agent d’ÉRAR a aussi examiné des éléments de preuve récents sur la situation générale au Nigeria et conclu que, depuis la décision de la SPR, il n’y avait pas eu de changement important susceptible d’exposer personnellement la demanderesse à un risque au sens de l’article 96 ou de l’alinéa 97(1) de la LIPR.

 

V. Les questions en litige

[18]           (1) La décision est-elle déraisonnable du fait que l’agent d’ÉRAR s’est fondé sur les conclusions de la SPR relatives à la PRI?

(2) La conclusion de l’agent d’ÉRAR relative à la PRI est‑elle raisonnable?

(3) L’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], exigaient‑ils la tenue d’une audience?

 

VI. Dispositions législatives applicables

[19]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

[...]

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

[...]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

 

VII. Position des parties

[20]           La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent d’ÉRAR de l’obliger à réfuter la conclusion de la SPR concernant la PRI. Elle fait valoir qu’un raisonnement fondé sur la décision de la SPR est incompatible avec les restrictions en matière de preuve établies à l’alinéa 113a) de la LIPR. Citant Yousef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, 396 FTR 182, et Kaybaki c Canada (Soliciteur général), 2004 CF 32, elle affirme que l’agent d’ÉRAR ne pouvait examiner que les éléments de preuve postérieurs au rejet de la demande d’asile par la SPR ou ceux qui n’avaient pu être présentés à la SPR parce qu’ils n’étaient pas normalement accessibles.

 

[21]           La demanderesse avance que les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été évalués de façon raisonnable. Selon elle, il ressort de la preuve relative à la situation du Nigeria qu’un risque de violence extrémiste anticrhétienne existait à son égard, et la preuve relative à l’enlèvement de sa sœur et à la destruction de la maison familiale contenue dans le courriel Abukipe est pertinente (même si ces incidents ne se sont pas produits à Benin City ou Abuja), parce qu’elle démontre que sa belle‑famille continue à la poursuivre.

 

[22]           Elle soutient en outre qu’en qualifiant de conjecturale l’imputation qu’a faite sa sœur de son enlèvement et de l’incendie de la maison familiale à sa belle‑famille, l’agent d’ÉRAR a formulé une conclusion défavorable en matière de crédibilité et qu’elle aurait dû avoir la possibilité de dissiper les doutes de l’agent relatifs à sa crédibilité.

 

[23]           Enfin, elle considère déraisonnable la conclusion de l’agent d’ÉRAR selon laquelle elle continuait de disposer d’une PRI à Abuja ou Benin City. La preuve relative à la situation au Nigeria indique, selon elle, que beaucoup de chrétiens, y compris les employés d’organisations non gouvernementales, courent le risque d’être persécutés par des extrémistes musulmans dans tout le nord du pays.

 

[24]           Le défendeur fait valoir, quant à lui, que l’agent d’ÉRAR a conclu avec raison que la preuve ne permettait pas d’établir que la demanderesse ne disposait pas d’une PRI. La preuve relative à la situation dans le pays n’établissait pas que les extrémistes musulmans prendraient personnellement la demanderesse pour cible ni que celle‑ci avait des activités qui la signaleraient à la violence extrémiste musulmane.

 

[25]           Le défendeur soutient également que l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement ne donnaient pas droit à une audience à la demanderesse. La crédibilité de cette dernière n’étant pas en cause, les facteurs énumérés à l’article 167 n’exigeaient pas la tenue d’une audience.

 

VIII. Analyse

Norme de contrôle

[26]           À moins que ne se pose une question d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ÉRAR est celle de la décision raisonnable (Shaikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1318, au para 16). C’est également cette norme qui s’applique à la question de la nécessité de tenir une audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR (Mosavat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 647. Selon quelques décisions de la Cour, il conviendrait d’appliquer la norme de la décision correcte parce que l’alinéa 113b) fait intervenir un élément d’équité procédurale (Sen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1435). Il faut toutefois privilégier le raisonnement tenu dans Mosavat, parce que l’agent d’ÉRAR détermine s’il y a lieu de tenir une audience en examinant la demande d’ÉRAR en fonction des exigences énoncées à l’alinéa 113b) et des facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement. En conséquence, l’application de l’alinéa 113b) est essentiellement une question mixte de fait et de droit exigeant la déférence.

 

[27]           Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, les tribunaux ne peuvent intervenir que si les motifs ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour satisfaire à cette norme, la décision doit appartenir aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 47).

 

(1)   La décision est-elle déraisonnable du fait que l’agent d’ÉRAR s’est fondé sur les conclusions de la SPR relatives à la PRI?

 

[28]           On ne saurait retenir l’argument selon lequel la décision est déraisonnable du fait qu’elle est fondée sur la conclusion de la SPR relative à la PRI. La décision Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1294, explique qu’une demande d’ÉRAR ne peut être accueillie, lorsque la SPR a conclu à l’existence d’une PRI, que si un nouvel élément de preuve établit qu’est survenu « un changement de situation important depuis qu’a été rendue la décision antérieure de la SPR » (au para 20).

 

[29]           L’agent d’ÉRAR pouvait raisonnablement exiger que la demanderesse réfute les conclusions de la SPR relatives à la PRI. Soutenir le contraire va à l’encontre de l’objet de l’alinéa 113a), soit éviter le « risque […] de multiplication inutile, voire abusive, des recours » qui peut exister quand une demande d’ÉRAR « nécessite[] l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile » (Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, au para 12). Comme l’a indiqué la Cour d’appel dans Raza, les restrictions qu’impose l’alinéa 113a) à la preuve pouvant être présentée à l’appui d’une demande d’ÉRAR sont fondées « sur l’idée que l’agent d’ÉRAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (au para 13). 

 

[30]           L’agent d’ÉRAR devait respecter la conclusion de la SPR en matière de PRI, sauf si de nouveaux éléments de preuve indiquaient que la situation avait changé de façon importante depuis la décision de la SPR.

 

(2) La conclusion de l’agent d’ÉRAR relative à la PRI est‑elle raisonnable?

[31]           La conclusion de l’agent d’ÉRAR selon laquelle la demanderesse n’a pas réfuté la conclusion de la SPR en matière de PRI est déraisonnable. La demanderesse avait présenté de nouveaux éléments de preuve établissant un changement important de situation et ébranlant la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une PRI.

 

[32]           Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), énonce le critère applicable à la question de savoir s’il existe une PRI. Les décideurs doivent être convaincus selon la prépondérance des probabilités : (i) que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit de la PRI envisagée et (ii) que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la situation personnelle du demandeur, les conditions à l’endroit de la PRI envisagée sont telles qu’il ne serait pas raisonnable pour le demandeur de s’y réfugier (au para 13).

 

[33]           L’agent d’ÉRAR a estimé, en substance, que les nouveaux éléments de preuve ne réfutaient pas la conclusion de la SPR relative à l’existence d’une PRI viable à Abuja et à Benin City. Les motifs suivants ont amené l’agent à cette conclusion : (i) l’enlèvement de la sœur de la demanderesse ne s’est pas produit à Benin City ou Abuja mais sur la route entre Umuahia et Orie Akpu, (ii) il n’y avait pas de lien entre l’incendie de la maison familiale et Benin City ou Abuja, (iii) les photos de la maison incendiée n’établissaient pas que la belle‑famille de la demanderesse y avait mis le feu, (iv) imputer l’incendie à la belle‑famille relevait de la conjecture; (v) la famille de la demanderesse n’avait pas cherché à se prévaloir de la protection de l’État après l’enlèvement et l’incendie prétendument criminel de la maison et (vi) la preuve relative à la situation dans le pays ne démontrait pas que les chrétiens étaient généralement à risque à Abuja et Benin City.

 

[34]           Il était déraisonnable pour l’agent d’ÉRAR de conclure que, l’enlèvement ne s’étant pas produit à Benin City ou Abuja, il ne réfutait pas la conclusion de la SPR relative à la PRI. Étant donné que l’enlèvement indique que la belle‑famille de la demanderesse est capable de la retrouver dans d’autres régions du Nigeria et qu’elle incline le faire, il pourrait démontrer l’existence d’une possibilité sérieuse que la demanderesse coure un risque à l’endroit de la PRI envisagée. Si l’on accepte que cet incident établit que la belle‑famille peut la retrouver ailleurs au Nigeria et qu’elle la retrouvera, la conclusion de l’agent d’ÉRAR selon laquelle l’enlèvement, parce qu’il n’est pas survenu à Abuja ou Benin Ciry, ne réfute pas la décision relative à la PRI ne fait pas partie des issues possibles acceptables.

 

[35]           Il fallait examiner davantage la question de l’enlèvement pour justifier la conclusion qu’il ne réfutait pas la décision relative à la PRI. Par exemple, il pourrait être raisonnable, par exemple, d’inférer de l’endroit où il a eu lieu (sur la route entre Umuahia et Orie Akpu) qu’Abuja et Benin City demeuraient des PRI viables. Si l’enlèvement s’est produit loin de ces villes ou à un endroit que la belle‑famille associe à la demanderesse, il peut être raisonnable de penser qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’un risque soit présent à Benin City ou Abuja. Toutefois, le dossier ne renferme pas de renseignements permettant à la Cour de vérifier s’ils pourraient étayer la conclusion de l’agent d’ÉRAR sur ce point (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au para 15).

 

[36]           Il était déraisonnable de conclure que [traduction] « personne, dans [sa] famille, n’a signalé l’enlèvement à la police et que la demanderesse ne s’est jamais adressée à la police nigériane au sujet des crimes commis contre elle » pour deux raisons (DCT, p 6). Premièrement, il s’agit d’une conclusion de fait erronée tirée sans égard à la preuve soumise à l’agent d’ÉRAR. La demanderesse avait, au contraire, déclaré dans son formulaire de demande d’ÉRAR qu’elle [traduction] « n’[avait] pu obtenir la protection de la police au Nigeria même si [elle avait] porté plainte » (DCT, p 223). L’agent d’ÉRAR ne pouvait non plus inférer raisonnablement du fait que sa famille n’avait pas demandé la protection de l’État que la demanderesse elle‑même disposait de cette protection à l’encontre de sa belle‑famille. La question pertinente était de savoir si la demanderesse jouissait de la protection de l’État. Il ressort du dossier qu’elle a porté plainte à la police, mais s’est fait dire que son problème avec sa belle‑famille était [traduction] « une affaire de famille » à régler avec sa belle‑famille (DCT, p 290). Selon Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, l’État n’offre pas de protection s’il ne peut ou ne veut protéger un demandeur (para 59).

 

[37]           Étant donné l’analyse que la Cour a faite de l’enlèvement, il n’est pas nécessaire d’examiner si la conclusion relative à la PRI est raisonnable compte tenu des autres éléments de preuve présentés par la demanderesse concernant l’incendie de sa maison et la violence antichrétienne au Nigeria. La Cour ajoute, toutefois, que la conclusion de l’agent d’ÉRAR selon laquelle la violence générale contre les chrétiens n’avait pas atteint Abuja est peut‑être incompatible avec la preuve relative à la situation du pays indiquant qu’une bombe a explosé dans une église catholique le jour de Noël, près d’Abuja (DCT, p 168).

 

(3) L’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement exigaient‑ils la tenue d’une audience?

 

[38]           Compte tenu de l’analyse de la Cour au sujet de l’enlèvement, il n’est pas nécessaire d’examiner si l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement exigeaient la tenue d’une audience.

 

IX. Conclusion

[39]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour réexamen (de novo). Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification.

 

                                                                                                            « Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7160-12

 

INTITULÉ :                                      NKEM IKECHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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