Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20130227

Dossier : T-2022-89
T-1254-92

 

Référence : 2013 CF 198

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 février 2013

 

En présence du protonotaire Roger R. Lafrenière

 

 

ENTRE :

 

LE CHEF VICTOR BUFFALO, AGISSANT EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA NATION ET DE LA BANDE DES INDIENS SAMSON, ET LA BANDE ET LA NATION DES INDIENS SAMSON

 

 

 

 

demandeurs

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET

LE MINISTRE DES FINANCES

 

 

défendeurs

 


ET ENTRE :

 

 

 

 

LE CHEF JOHN ERMINESKIN,

LAWRENCE WILDCAT, GORDON LEE,

ART LITTLECHILD, MAURICE WOLFE, CURTIS ERMINESKIN, GERRY ERMINESKIN, EARL ERMINESKIN, RICK WOLFE, KEN CUTARM, BRIAN LEE, LESTER FRAYNN, CHEF ET CONSEILLERS ÉLUS DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNE D’ERMINESKIN, POUR LEUR PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES D’ERMINESKIN

 

 

demandeurs

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET

LE MINISTRE DES FINANCES

 

 

 

défendeurs

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les défendeurs, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le ministre des Finances (collectivement appelés la Couronne dans les présents motifs) demandent l’autorisation de modifier les défenses modifiées de la Couronne dans deux actions collectives intentées pour le compte de la Bande et la Nation des Indiens Samson (Samson) dans le dossier de la Cour no T-2022-89 et pour le compte de la Bande et la Nation indiennes d’Ermineskin (Ermineskin) dans le dossier de la Cour no T-1254-92 (collectivement appelés les demanderesses).

 

[2]               La requête de la Couronne est présentée en vertu de l’article 75 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [RCF], qui est ainsi rédigé :

 

 

75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

 

(2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas:

 

a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

 

b) une nouvelle audience est ordonnée;

 

c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

 

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

 

 

 

(2) No amendment shall be allowed under subsection (1) during or after a hearing unless

 

 

(a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

 

 

 

(b) a new hearing is ordered; or

 

(c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.

 

 

[3]               La Couronne demande l’autorisation, d’une part, de citer expressément les paragraphes 39(1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF], et les articles 42, 43 et 44 et l’alinéa 45(1)g) de la Loi sur la prescription des actions de l’Ontario, LRO 1980, c 240 [LPAO] dans ses défenses dans les deux instances, et d’autre part, d’alléguer des faits additionnels sur lesquels se fonde sa défense de prescription. La Couronne soutient que c’est par excès de prudence qu’elle cherche à modifier formellement son acte de procédure à la lumière de la position que les demanderesses ont adoptée dans leur plaidoyer final lors de l’instruction des deux premières phases de l’action, comme je l’expliquerai plus loin.

 

[4]               Les demanderesses s’opposent vigoureusement à la requête.

 

Les actes de procédure

[5]               Les actions sous-jacentes comportent de nombreuses demandes que les demanderesses ont formulées contre la Couronne relativement à sa gestion de ressources pétrolières et gazières, la gestion de redevances et d’autres sommes d’argent en fiducie et la prestation de programmes et de services.

 

[6]               Samson a introduit son action collective en déposant une déclaration le 29 septembre 1989. La Couronne a déposé sa défense le 19 mars 1992. Samson a modifié sa déclaration quatre fois : le 30 septembre 1994, le 18 décembre 1998, le 30 mars 2000 et le 26 avril 2000. La Couronne a modifié sa défense le 19 décembre 1994, le 1er février 1999 et le 31 mars 2000.

 

[7]               Ermineskin a déposé sa déclaration en 1992, et elle a ensuite modifié son acte de procédure le 30 septembre 1994, le 23 octobre 1998 et le 28 mars 2000. La Couronne a déposé sa défense en 1992, et elle a modifié son acte de procédure trois fois entre 1992 et 2000.

 

[8]               Dans les deux instances, la défense et les modifications de la Couronne invoquaient la Limitation of Actions Act de l’Alberta, RSA 1980, c L-15 (LAAA) et la Loi sur la Cour fédérale (maintenant la Loi sur les Cours fédérales); cependant, la Couronne ne précisait pas dans ces actes de procédure quels articles de ces lois elle invoquait. En outre, les actes de procédure de la Couronne ne mentionnaient pas la LPAO.

 

[9]               Dans sa réponse, Samson a traité de l’article 39 de la LCF et, entre autres choses, elle a plaidé ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

 35…

 

c.         L’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale et la Limitation of Actions Act de l’Alberta sont inapplicables aux demanderesses relativement aux demandes, droits et causes d’action des demanderesses énoncés dans la Déclaration modifiée, et ce, pour les motifs suivants :

 

i.        ils ne constituent pas des causes d’action qui peuvent naître dans une province entre particuliers;

 

ii.       ils constituent des causes d’action uniques non visées à l’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale qui est inconnu du droit privé.

 

36.    Subsidiairement, si des délais de prescription s’appliquent, ce qui n’est pas admis mais nié, la Limitation of Actions Act de l’Alberta n’est pas applicable dans la présente instance en ce que le situs des obligations fiduciaires de la Couronne envers les demanderesses et le contrôle et la gestion à tout le moins en ce qui a trait aux réserves, aux droits miniers et aux intérêts pécuniaires des demanderesses ainsi que tout droit ou toute poursuite, demande ou cause d’action en découlant sont au siège du gouvernement de Sa Majesté à Ottawa, et les demanderesses invoquent les lois relatives à la prescription des actions en vigueur dans la province de l’Ontario.

 

[10]           Ermineskin a également traité de l’article 39 de la LCF aux paragraphes 16-16A de sa réponse remodifiée et a plaidé que l’article 39 n’est pas applicable à une action mettant en cause les droits ancestraux ou issus de traités des demanderesses et, s’il est jugé applicable, l’article 39 est inconstitutionnel en ce qu’il est discriminatoire envers Ermineskin en contravention à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ermineskin a plaidé ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

16A.    En outre, ou subsidiairement, en réponse aux paragraphes 44 et 45 de la Troisième défense modifiée, les demanderesses affirment que, même si, en vertu de l’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale, des délais de prescription provinciaux s’appliquent aux causes d’action des demanderesses en l’espèce, ce qui est nié, alors la Loi de l’Alberta ne s’applique pas, et ce, pour les motifs suivants :

 

a)      la loi applicable est celle qui se serait appliquée si l’action avait été intentée devant les tribunaux de la province où les causes d’action ont pris naissance,

 

b)      les causes d’action en l’espèce, ou subsidiairement certaines des causes d’action, n’ont pas pris naissance en Alberta, mais ont plutôt pris naissance en Ontario, et la loi applicable est donc celle de l’Ontario et non celle de l’Alberta,

 

c)      en outre, ou subsidiairement, si une action avait été intentée devant les tribunaux d’une province, soit en Alberta ou en Ontario ou ailleurs, aucun délai de prescription ne se serait appliqué aux causes d’action soulevées dans la présente instance.

 

 

Historique procédural des instances

[11]           Les demandes des demanderesses se rapportent à une longue période de temps, elles visent de nombreux organismes de la Couronne, et elles ont nécessité de longs interrogatoires préalables et la communication préalable de nombreux éléments de preuve. Les parties ont effectué la vaste majorité des interrogatoires et des communications préalables entre 1992 et 2000.

 

[12]           Les parties ont convenu que les questions à trancher au procès seraient divisées en phase comme suit :

 

a.       les questions historiques, notamment la définition de certains des droits des demanderesses en vertu du Traité no 6;

 

b.      les questions concernant la gestion de sommes d’argent, en rapport avec la mauvaise gestion alléguée de sommes d’argent des demanderesses détenues en fiducie par la Couronne;

 

c.       les questions concernant le pétrole et le gaz, en rapport avec la mauvaise gestion que la Couronne aurait faite de ressources pétrolières et gazières sur les terres de réserve des demanderesses;

 

d.      d’autres questions concernant le pétrole et le gaz, notamment des questions concernant des taxes et la fixation de prix réglementés;

 

e.       les questions concernant la distribution per capita;

 

f.       les questions relatives aux programmes et aux services (dans le cas de Samson seulement).

 

[13]           Les parties s’attendait à l’origine à ce que M. le juge Teitelbaum (aujourd’hui retraité) instruise toutes les phases du procès. Cependant, étant donné la longueur et la complexité du procès, il est devenu évident qu’un autre juge devrait en instruire certaines phases. Le 17 septembre 2002, le juge Teitelbaum a ordonné qu’il instruirait seulement les phases concernant les questions historiques et les questions relative à la gestion de sommes d’argent, tandis qu’un autre juge instruirait les autres phases du procès.

 

[14]            Le juge Teitelbaum a terminé l’instruction des deux premières phases du procès en décembre 2004. À l’époque, le premier paragraphe de la partie de la défense de la Couronne concernant sa défense de prescription dans l’action de Samson aussi bien que dans l’action d’Ermineskin était ainsi rédigé :

 

[TRADUCTION]

 

Les défendeurs plaident et invoquent les dispositions de la Limitations  of Actions Act, RSA 1980, c L-15, et de la Loi sur la Cour fédérale, LRC 1985, c F-7.

 

[15]           La Couronne plaidait également ce qui suit :

 

a.       un délai de prescription de six ans s’appliquait;

 

b.      des causes d’action additionnelles étaient fondées sur des événements qui étaient survenus plus de six ans avant le dépôt des versions modifiées des déclarations;

 

c.       les demandes des demanderesses ne visaient pas le recouvrement d’un intérêt foncier;

 

d.      les demanderesses étaient au courant des faits allégués dans leurs déclarations modifiées ou étaient raisonnablement en mesure de s’en informer;

 

e.       les théories du manque de diligence et de l’acquiescement s’appliquaient.

 

[16]           Dans les observations finales qu’elle a présentées par écrit, la Couronne a soutenu que le paragraphe 39(2) de la LCF faisait peut-être obstacle aux demandes des demanderesses. Cette disposition prévoit un délai de prescription lorsque le fait générateur de la cause d’action « n’est pas survenu dans une province ». Ermineskin a soutenu que les parties des actes de procédure de la Couronne qui concernaient sa défense de prescription étaient inadéquates. Suite à cela, la Couronne a demandé par voie de requête au juge Teitelbaum l’autorisation de modifier ses actes de procédure de manière à inclure des renvois exprès à certaines dispositions relatives à la prescription. Ermineskin et Samson se sont toutes deux opposées aux modifications aux motifs, d’une part, que la Couronne n’avait donné aucune explication au délai qu’elle avait laissé s’écouler avant de soulever les défenses de prescription, et d’autre part, que ces moyens de défense préjudicieraient aux demanderesses puisqu’ils n’étaient soulevés non seulement qu’après la fin des interrogatoires et communications préalables, mais à la fin du procès et des plaidoiries.

 

[17]           Le juge Teitelbaum a entendu la requête en autorisation de modification de la Couronne les 20 et 21 janvier 2005. La Couronne n’a produit aucune preuve par affidavit au soutien de sa requête. Au lieu de cela, la Couronne a soutenu que ses actes de procédure étaient [TRADUCTION] « adéquats » pour soulever les mêmes défenses de prescription qu’elle demandait l’autorisation d’inclure dans ses actes de procédure modifiés. La Couronne a soutenu en outre qu’elle agissait [TRADUCTION] « par excès de prudence ».

 

[18]           Je signale, en aparté, qu’il ressort d’un échange entre M. Hunter – avocat de la Couronne – et le juge Teitelbaum, qu’il était entendu que la requête en autorisation de modification concernait uniquement les deux premières phases du procès.

 

[TRADUCTION]

 

M. HUNTER : Différentes considérations, bien sûr, s’appliqueraient, relativement à toute modification qui serait – relativement à ces modifications ou à toute autre modification qui pourrait s’appliquer à des phases subséquentes du procès.

 

Je ne pense pas que vous devez traiter de cela. Je pense qu’il devrait simplement être précisé que cela serait traité par le gestionnaire de l’instance, le cas échéant, ou par un juge en chambre ou par le nouveau juge du procès.

 

Nous ne voudrions tout simplement pas d’un jugement qui dit vous ne pouvez pas apporter cette modification précise et cela se répercute sur tout le reste de l’affaire, même si les circonstances sont complètement différentes.

 

LA COUR : Pour commencer, je vais vous dire maintenant, lorsque vous avez fait votre demande et comme je l’ai dit, j’ai tenu pour acquis et je pense Me O’Reilly disait à juste titre ce qu’il a dit et ce que vous dites également, si je comprends bien. J’ai tenu pour acquis que cela s’appliquait uniquement à la question concernant la gestion de sommes d’argent qui est soulevée.

 

 

[19]           Le juge Teitelbaum a finalement accueilli en partie la requête de la Couronne. Il a autorisé les modifications citant des articles précis de la LAAA, mais il n’a pas autorisé les modifications concernant la LCF et la LPAO, après avoir conclu qu’autoriser les modifications concernant le paragraphe 39(2) de la LCF et la LPAO causerait un [TRADUCTION] « préjudice clair » à Ermineskin ainsi qu’à Samson.

 

[20]           Le 30 novembre 2005, le juge Teitelbaum a rejeté les demandes formulées par les demanderesses dans les deux premières phases des instances. L’appel des demanderesses auprès de la Cour d’appel fédérale a été rejeté le 20 décembre 2006, et leur demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 13 février 2009. Tout au long des procédures d’appel, les demanderesses n’ont pas fait progresser les autres demandes contre la Couronne.

 

[21]           Le 20 octobre 2010, un avocat de la Couronne a fourni des copies des projets de défenses modifiées de la Couronne aux avocats de Samson et d’Ermineskin, en demandant leur consentement aux modifications proposées. Les demanderesses ont fait savoir qu’elles n’y consentiraient pas.

 

[22]           À ce jour, Ermineskin, Samson et la Couronne ont identifié et produit bien au-delà de 100 000 documents. Entre 1992 et 2000, les parties ont pris part à 200 journées d’interrogatoires préalables de divers témoins pour le compte de la Couronne et des demanderesses. Les interrogatoires ont généré plus de 20 000 pages de transcriptions et des milliers de pièces. De plus, les parties ont pris plus de 6 000 engagements en rapport avec la phase relative aux questions concernant le pétrole et le gaz. Des réponses détaillées donnant suite à la majorité de ces engagements ont été fournies et examinées.

 

[23]           En prévision d’une conférence de gestion de l’instance fixée au 18 novembre 2010, les avocats des demanderesses ont laissé entendre qu’un délai raisonnable pour mener à bien d’autres interrogatoires et communications préalables relativement aux questions concernant le pétrole et le gaz serait de deux à trois ans.

 

Requête en autorisation de modification de la Couronne

[24]           Par la présente requête déposée le 23 décembre 2010, la Couronne demande l’autorisation de modifier comme suit sa défense dans l’action l’opposant à Samson :

[TRADUCTION]

 

47.       Les défendeurs plaident et invoquent la Limitation of Actions Act, RSA 1980, c L-15 et la Loi sur la Cour fédérale, LRC 1985, c F-7.

 

47A.    Les dispositions précises de la Limitation of Actions Act, RSA 1980, c L-15 comprennent les alinéas 4(1)e) et 4(1)g) et les articles 40 et 41. La présente modification est apportée conformément à une ordonnance de la Cour datée du 21 janvier 2005.

 

47B.    En outre, puisque les demanderesses demandent notamment une reddition de comptes en rapport avec les différentes allégations formulées contre les défendeurs, et puisque toute cause d’action pouvant en résulter est liée à des questions, des bien-fonds et des ressources situés dans la province de l’Alberta, les défendeurs plaident et invoquent en outre l’alinéa 4(1)c) de la Limitation of Actions Act de l’Alberta, RSA 1980, c L-15, incorporé par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale, LRC 1985, c F-7.

 

47C.    Subsidiairement, relativement à toutes les allégations des demanderesses qui concernent la gestion et l’administration de leurs ressources pétrolières et gazières ou les programmes et services qui leur ont été fournis, y compris les allégations qui cherchent à attaquer ou contester l’applicabilité de toute loi ou tout règlement ou politique fédéral qui s’applique de manière générale à tous les Canadiens ou à tous les Indiens ou toutes les terres indiennes partout au Canada, toute cause d’action pouvant en résulter soit a pris naissance dans plus d’une province ou n’a pas pris naissance dans une province et est prescrite en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

47D.    Subsidiairement encore, dans la mesure où toute allégation des demanderesses qui concerne la gestion et l’administration de leurs ressources pétrolières et gazières ou leurs programmes et services se rapportent à des questions qui résultent en une ou plusieurs causes d’action prenant naissance dans la province de l’Ontario, les défendeurs plaident et invoquent les dispositions de la Loi sur la prescription des actions de l’Ontario, LRO, c 240, notamment les articles 42, 43 et 44 et l’alinéa 45(1)g) de cette loi, incorporés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale, LRC 1985, c F-7.

 

[25]           La Couronne souhaite également ajouter huit nouveaux alinéas au paragraphe 50 qui précisent certains faits relatifs aux allégations contenues dans la déclaration modifiée de Samson.

 

[26]           Dans l’action d’Ermineskin, la Couronne souhaite modifier les paragraphes 44, 44A, 44B, 44C et 44D de sa défense, à la partie V, intitulée [TRADUCTION] « Prescription des actions » de la même manière que dans l’action de Samson. La Couronne souhaite également ajouter les même huit alinéas au paragraphe 47 qui précise certains faits relatifs aux allégations contenues dans la troisième déclaration modifiée.

 

[27]           Au soutien de sa requête, la Couronne a produit l’affidavit de Lynda Sturney. Sur le fondement de cet affidavit, Ermineskin a demandé et obtenu une ordonnance exigeant que la Couronne communique tous les documents, y compris des documents autrement privilégiés, concernant les conseils juridiques que la Couronne avait obtenus au sujet de la suffisance de ses défenses de prescription en 2004 : voir Bande indiennes d’Ermineskin c Canada, 2011 CF 1091.

 

[28]           La Couronne a communiqué trois documents aux demanderesses, dont un mémoire de Mcleod Dixon LLP (avocats de la Couronne) à l’intention du ministère de la Justice daté du 17 décembre 2004, qui avait été rédigé et envoyé après que les plaidoiries finales eurent été présentées au procès relatif à la gestion de sommes d’argent. L’avis juridique avait pour objet, d’une part, d’examiner certains arguments que les demanderesses avaient présentés durant leurs plaidoiries finales selon lesquels les parties des actes de procédure de la Couronne qui concernaient la prescription étaient inadéquates, et d’autre part, de proposer que la Couronne tente de modifier ses actes de procédure à cet égard.

 

[29]           Dans son mémoire, Macleod Dixon examinait l’historique des parties des actes de procédure qui concernent la prescription. Elle notait que certaines modifications législatives avaient été apportées à la LCF et à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif [LRCECA] tout juste avant qu’Ermineskin dépose sa déclaration. Ces modifications ont eu pour effet de transférer les dispositions relatives à la prescription des actions contre la Couronne de la LCF à la LRCECA. Il ressortait notamment du mémoire que ces modifications avaient échappé aussi bien au ministère de la Justice lorsque celui-ci avait déposé initialement sa défense qu’à Macleod Dixon lorsque celle-ci avait déposé des modifications apportées à la défense entre 1992 et 2000.

 

[30]           Le mémoire notait également que, en ce qui a trait à la prescription d’une action lorsque le fait générateur de la cause d’action « n’est pas survenu dans une province », les avocats de la Couronne avaient décidé de faire valoir cet argument de prescription seulement au moment de préparer leurs plaidoiries finales dans le procès relatif à la gestion de sommes d’argent en 2004 :

 

[TRADUCTION]

 

Toutefois, au cours de la préparation de notre plaidoirie écrite finale, nous en sommes venus à penser que nous pouvions raisonnablement soutenir, compte tenu de développements récents en droit, qu’en fait, le délai de prescription applicable est le délai de prescription fédéral autonome prévu au paragraphe 39(2) de la même loi, et non un délai de prescription provincial incorporé en vertu du paragraphe 39(1). Le contre-interrogatoire de Mme Sturney a pris fin le 19 décembre 2011.

 

[31]           Mme Sturney a affirmé qu’il n’y avait aucun autre document à communiquer relativement à la croyance de la Couronne dans la suffisance de ses actes de procédure.

 

Principes juridiques applicables à une requête en autorisation de modification

[32]           La seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la Couronne a le droit de modifier sa défense en vertu de l’article 75 des RCF.

 

[33]           Le critère souvent cité quant à la modification d’actes de procédure est énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF) [Canderel], au paragraphe 9 :

 

En ce qui concerne les modifications, on peut dire […] que même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.

 

Analyse

[34]           Les parties conviennent que la Cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser l’autorisation de modifier un acte de procédure.

 

[35]           La Couronne soutient que, puisqu’il n’est pas contesté que les modifications proposées soulèvent un moyen de défense raisonnable, la Cour n’a qu’à s’interroger quant au préjudice que les demanderesses pourraient subir si l’autorisation de modification est accordée. La Couronne avance qu’en l’absence d’un préjudice grave, l’autorisation de modification doit être accordée. Je ne suis pas d’accord. Lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non l’autorisation de modification, la Cour ne peut pas appliquer tout simplement un critère strict ou relevant de la formule, mais doit plutôt examiner tous les facteurs et circonstances pertinents pour en arriver à un résultat juste.

 

[36]           Dans l’arrêt Merck & Co., Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, aux paragraphes 35 et 36, la Cour d’appel fédérale a statué que la partie qui demande l’autorisation de modification a le fardeau de démontrer que l’ajout de nouveaux moyens de défense sert l’intérêt de la justice. Pour évaluer si une modification proposée sert les intérêts de la justice, une multitude de facteurs doivent être pris en compte, notamment : a) le moment auquel est présentée la requête visant la modification; b) la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l'instruction rapide de l'affaire, c) la mesure dans laquelle une thèse adoptée à l'origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu'il serait difficile, voire impossible, de modifier, d) si les modifications demandées faciliteront l'examen par la Cour du véritable fond du différend.

 

[37]           Les demanderesses soutiennent qu’un examen de ces facteurs indique que la requête en autorisation de modification de la Couronne devrait être rejetée.

 

[38]           Les demanderesses attirent l’attention sur ce qu’elles appellent le [TRADUCTION] « retard inexcusable » de la Couronne à demander l’autorisation de modifier ses actes de procédure. Elles soutiennent que la Couronne cherche à ajouter de nouvelles défenses de prescription de fond et de nouvelles allégations de fait à sa défense près de deux décennies après son dépôt initial en 1992. Elles soutiennent que la Couronne a eu amplement la possibilité de modifier ses actes de procédure, mais qu’elle a seulement constaté les lacunes en 2004. Entre 1992 et 2005, les actes de procédure de la Couronne indiquaient uniquement que celle-ci invoquait des délais de prescription albertains. À aucun moment au cours de la longue période d’interrogatoires et de communication d’éléments de preuve au préalable la Couronne a-t-elle indiqué qu’elle comptait invoquer les dispositions ontariennes relatives à la prescription ou le paragraphe 39(2) de la LCF.

 

[39]           Les demanderesses soutiennent que l’ajout de nouveaux moyens de défense à ce stade tardif de l’instance leur causera un préjudice. Elles disent qu’un temps et des efforts considérables ont été consacrés aux interrogatoires et communications préalables, en fonction de la teneur des actes de procédure de la Couronne, pendant plus de 200 jours d’interrogatoires préalables entre 1994 et 2000. Étant donné la nature et la portée des modifications que la Couronne souhaite apporter, les demanderesses affirment qu’elles seraient obligées de procéder à de longs interrogatoires préalables additionnels, ce qui compliquerait inutilement l’instance et retarderait en fin de compte le règlement du litige.

 

[40]           Les demanderesses concèdent qu’une adjudication de dépens pourrait alléger partiellement le fardeau financier lié aux interrogatoires et communications préalables additionnels que nécessiteraient les modifications proposées; cependant, elles soutiennent que l’inefficacité et le retard qu’occasionneraient les modifications de la Couronne leur sont tout simplement trop préjudiciables. Les demanderesses soutiennent qu’accorder à la Couronne l’autorisation qu’elle demande ne s’accorderait pas avec l’intérêt de la justice à la conduite équitable et efficace du litige.

 

[41]           Les demanderesses soutiennent en outre que les intérêts de la justice soulèvent des considérations d’équité plus générales. Selon les demanderesses, il serait inéquitable de permettre à la Couronne d’ajouter des moyens de défense de fond visant à faire rejeter des parties des demandes des demanderesses au motif que celles-ci auraient trop tardé à faire valoir leurs droits légaux, étant donné le retard extraordinaire que la Couronne a mis à chercher à faire valoir ses droits légaux.

 

[42]           Pour ce qui concerne le moment d’une requête en autorisation de modification, plus celle-ci est présentée près de la fin de l’affaire, plus la Cour doit faire preuve de prudence au moment de décider d’accorder ou non l’autorisation demandée : Canderel, précité, aux paragraphes 12 et 13. Il doit y avoir une attente légitime qu’un litige prenne fin, de sorte qu’il faut empêcher une série apparemment interminable de modifications.

 

[43]           Les parties ont procédé à de longs interrogatoires et communications préalables en fonction des actes de procédure et en prévoyant que le juge Teitelbaum statuerait sur toutes les demandes au procès qui a débuté en 2000. Il peut être reproché à la Couronne d’avoir omis pendant tant d’années de tenir compte de modifications législatives apportées à la LCF et la LRCECA, mais le fait demeure que la Couronne a toujours soutenu que les causes d’action des demanderesses avaient pris naissance en Alberta. Les demanderesses ont nié l’allégation, en soutenant plutôt que, si un délai de prescription quelconque s’appliquait, certaines ou l’ensemble des causes d’action avaient pris naissance en Ontario, et il était donc raisonnable que la Couronne présume que ses actes de procédure étaient suffisants en eux-mêmes pour soulever toutes les questions relatives au situs des causes d’action.

 

[44]           Dans tous les cas, le retard de la Couronne ne peut pas être pris isolément et doit être examiné dans le contexte de l’historique procédural des instances. Je note que les deux actions ont progressé au cours des deux dernières décennies avec une lenteur remarquable. Les parties ont également apporté plusieurs modifications à leurs actes de procédure au fil des ans. 

 

[45]           En outre, l’argument des demanderesses selon lequel le retard leur a été préjudiciable est miné par le fait que, tout au long des procédures d’appel, les demanderesses n’ont pas fait progresser les autres demandes contre la Couronne, notamment les demandes relatives au pétrole et au gaz, les demandes relatives à la taxe à l’exportation de pétrole ou au régime de prix réglementés, les demandes relatives à la distribution per capita et les demandes de Samson relatives aux programmes et services.

 

[46]           Je note que lorsque le juge Teitelbaum a refusé d’autoriser à la Couronne à apporter des modifications concernant le paragraphe 39(2) de la LCF et la LPAO, il se souciait principalement de ce que les demanderesses n’avaient pas eu la possibilité d’interroger la Couronne et éventuellement de lui demander la communication d’éléments de preuve au préalable en rapport avec les allégations précises, et il était tout simplement trop préjudiciable aux demanderesses de permettre les modifications après la clôture de la preuve. Cependant, en l’espèce, aucune des autres phases n’a été instruite. Les parties en sont encore à produire des documents, et les interrogatoires préalables ne sont pas terminés. En fait, Samson et Ermineskin avisaient toutes deux récemment la Cour qu’elles auraient besoin d’au moins deux ou peut-être trois ans pour mener à bien les interrogatoires et les communications préalables. Samson ou Ermineskin pourront obtenir tout élément de preuve dont elles pourraient avoir besoin pour faire valoir leurs propres positions au sujet des défenses de prescription de la Couronne avant le début du prochain procès.

 

[47]           Je conclus que les modifications proposées aux défenses de la Couronne ne causeront aucun préjudice grave aux demanderesses puisque les interrogatoires préalables ne sont pas encore terminés et, si des interrogatoires et communications préalables s’avèrent nécessaires afin d’obtenir des éléments de preuve additionnels précisant le lieu de survenance d’événements pertinents, ces interrogatoires et communications devraient être plutôt limités.

 

[48]           Le facteur qui milite le plus en faveur de la Couronne est que la question des délais de prescription est une question réelle et importante qui devra être tranchée au procès, avec ou sans les modifications proposées. Il ne serait d’aucune utilité de renvoyer la question de la suffisance des actes de procédure au juge du procès.

 

[49]           Tout au long des deux premières phases des actions, les demanderesses savaient que la Couronne invoquait un délai de prescription de six ans et qu’il se posait une question réelle concernant le situs de la cause d’action. Les demanderesses sont parfaitement conscientes, au moins depuis les plaidoiries finales dans les phases du procès concernant la gestion de sommes d’argent en décembre 2004, que la Couronne invoque comme argument subsidiaire le paragraphe 39(2). Il ressortait à l’évidence des actes de procédure des parties pris dans leur ensemble, et en particulier des réponses des demanderesses, que les questions de prescription mettaient en cause l’article 39 de la LCF et les dispositions législatives soit albertaines ou ontariennes en matière de prescription incorporées par l’article 39. En dernière analyse, les modifications proposées n’ont pas pour conséquence un « changement radical de la nature des questions en litige », mais simplement l’ajout d’autres arguments juridiques subsidiaires invoqués sur le fondement de faits au sujet desquels les parties ont déjà lié contestation.

 

[50]           À l’époque de la requête en autorisation de modification de 2005, Samson a soutenu que les modifications que proposait la Couronne lui préjudicieraient – une position qu’Ermineskin a par la suite adoptée elle aussi. Cependant, aucun élément de preuve ni aucune explication ne sont présentés pour éclairer la question de savoir pourquoi Samson a omis de sonder, au cours des interrogatoires et communications préalables, la question de savoir si les manquements allégués de la Couronne étaient survenus uniquement en Ontario, alors que c’est précisément ce que Samson alléguait dans sa réponse. En outre, il n’y a aucune preuve que les demanderesses ont demandé des précisions au sujet de la défense de prescription de la Couronne ou qu’elles se sont jamais fiées à la défense de prescription de la Couronne à leur détriment. Paradoxalement, les demanderesses elles‑mêmes ont déjà soulevé les questions du lieu de survenance d’événements et de la localisation géographique de leurs causes d’action.

 

[51]           Compte tenu de l’ensemble des facteurs, et puisque je souscris en substance aux observations de la Couronne, que j’adopte et fait miennes, je conclus qu’il est dans l’intérêt de la justice que les questions que soulève la Couronne dans les modifications qu’elle souhaite apporter soient pleinement examinées au procès. La requête de la Couronne sera donc accueillie.

 

[52]           En règle générale, la partie qui demande l’autorisation d’apporter des modifications doit assumer les dépens afférents à sa requête, en particulier lorsque les modifications demandées sont attribuables à l’inadvertance. Cependant, les demanderesses se sont opposées sur le fond, et non seulement sur la forme, à la présente requête en autorisation de modification. Je conclus qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés dans la présente requête.


 

      ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Les défendeurs sont autorisés à modifier leurs défenses conformément à ce qu’ils proposent à l’appendice 2 de leur mémoire des faits et du droit.

 

2.                  Il n’y a aucune adjudication de dépens dans la requête des défendeurs.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                  T-2022-89 et T-1254-92

 

INTITULÉ :                                LE CHEF VICTOR BUFFALO et autres c SMLR et autres (T‑2022‑89)

LE CHEF JOHN ERMINESKIN et autres c SMLR et autres (T‑1254-92)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :        Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :       Le 29 février 2012

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :               Le 27 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julia Gaunce

Tibor Osvath

 

Joseph McArthur

Jeff Langlois

POUR LES DEMANDERESSES DANS LE DOSSIER

T-2022-89

 

POUR LES DEMANDERESSES DANS LE DOSSIER

T-1254-92

 

Mary E. Comeau

Raymond Chartier

POUR LES DÉFENDEURS DANS LES DOSSIERS T-2022-89 et T-1254-92

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rae & Company

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Blake Cassels & Graydon LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Norton Rose Canada LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDERESSES DANS LE DOSSIER

T-2022-89

 

 

POUR LES DEMANDERESSES DANS LE DOSSIER

T-1254-92

 

 

POUR LES DÉFENDEURS DANS LES DOSSIERS T-2022-89 et T‑1254‑92

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.