Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130412

Dossier : IMM-6330-12

Référence : 2013 CF 372

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2013

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

NOMONDE GCEBILE MABUYA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne du Swaziland qui a fait une demande d’asile fondée sur sa participation alléguée à une marche de protestation antigouvernementale, sur sa crainte alléguée d’être persécutée par un frère de son ancien conjoint de fait qui, affirme-t-elle, l’aurait violée, et sur la discrimination dont elle ferait l’objet en raison de sa séropositivité au VIH. Dans une décision datée du 23 mai 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission ou la SPR] a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, estimant qu’elle n’était ni une personne à protéger ni une réfugiée au sens de la Convention selon les termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[2]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soutient que la décision de la Commission devrait être annulée au motif que la SPR a commis une erreur en omettant de prendre en compte et d’appliquer comme il se doit les directives no 4 de la CISR : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, date d’entrée en vigueur : 13 novembre 1996 [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe]. De plus, elle allègue que la SPR a commis une autre erreur en n’examinant pas le fondement de sa demande, qui comportait le fait d’être à la fois séropositive au VIH et une femme au Swaziland, et en ne fournissant pas des motifs suffisants lui permettant de conclure qu’elle ne ferait pas l’objet de persécution si elle retournait au Swaziland.

 

[3]               Comme chaque erreur alléguée revient à contester la suffisance des motifs de la Commission, ces derniers doivent être évalués en même temps que les conclusions de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au paragraphe 3 [Construction Labour Relations], et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses]).

 

[4]               Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’ai déterminé que la Commission n’a commis aucune des erreurs alléguées et que sa décision est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte et d’appliquer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

[5]               Nombreuses sont les causes où la Cour a annulé une décision de la SPR qui ne montrait pas de réceptivité suffisante aux principes consacrés dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Souvent, ces causes reposent sur une conclusion où la détermination de la crédibilité du demandeur par la Commission ne tient pas compte des réalités auxquelles est confrontée une femme qui demande asile, par exemple la force des tabous culturels entourant la violence sexuelle. Conséquence de ces tabous, il arrive qu’une personne qui échappe à la violence sexuelle s’abstienne de signaler les agressions ou même d’en parler après coup. Or, ces comportements ne sont pas nécessairement indicatifs d’un manque de crédibilité. En outre, les crimes sexuels se commettent invariablement sans témoins. Il est donc souvent difficile pour la personne qui demande asile et dit avoir subi une agression sexuelle de fournir une preuve corroborant ses allégations. Qui plus est, beaucoup de femmes trouvent difficile de parler d’agression sexuelle à un étranger dans le contexte d’une audience. Des décisions qui ne sont pas suffisamment réceptives à cette sorte de réalité et qui mettent en doute la crédibilité des victimes en raison de l’absence de corroboration ou de la difficulté de relater l’agression ont souvent été annulées au motif qu’elles étaient déraisonnables (voir par exemple les décisions Njeri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 291, au paragraphe 16; Sukhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, aux paragraphes 18 à 21 [Sukhu]; De Araujo Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, au paragraphe 24; et Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 405, aux paragraphes 14 à 18).

 

[6]               Dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que la SPR a commis des erreurs de la sorte en omettant de mentionner qu’elle appliquait les principes énoncés dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et en mettant en doute la crédibilité de la demanderesse, en partie parce que celle-ci avait omis de fournir une preuve corroborant l’agression sexuelle qu’elle disait avoir subie aux mains du frère de son ex-conjoint.

 

[7]               Ni l’un ni l’autre de ces arguments n’est valable. Pour ce qui est du premier argument, comme le fait observer avec raison le défendeur, la jurisprudence établit qu’il n’est pas nécessaire que la SPR mentionne expressément les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans une décision, pourvu qu’elle applique comme il se doit les principes qu’elles consacrent (voir la décision Sukhu, au paragraphe 18; Tsiako c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1253, au paragraphe 25).

En ce qui concerne le deuxième argument, contrairement à ce que la demanderesse prétend, la SPR n’a pas fondé sa décision sur une conclusion selon laquelle le viol n’avait pas eu lieu. Elle a plutôt rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel celle-ci craignait des agressions futures de la part du frère de son ex-conjoint parce qu’elle a estimé que la demanderesse n’avait pas établi que cet homme résidait encore au Swaziland. La demanderesse ne conteste pas cette conclusion.

 

[8]               À l’audience, l’avocat de la demanderesse a admis qu’au vu de la conclusion de la Commission, l’omission alléguée d’appliquer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne justifie pas en soi l’intervention de la Cour puisque la décision de la Commission ne repose pas sur une conclusion qu’il ne lui était pas loisible de tirer quant à la crédibilité. Toutefois, l’avocat a soutenu qu’une conclusion erronée avait néanmoins été tirée et que ce fait devrait être pris en compte en ce qui concerne les deux autres erreurs alléguées, lesquelles sont tout aussi axées sur un manque de réceptivité envers le sort réservé aux femmes séropositives au VIH au Swaziland.

 

[9]               Je ne suis pas d’accord sur le fait qu’en l’espèce, la Commission aurait tiré une conclusion irrégulière quant à la crédibilité. Bien qu’elle mentionne effectivement l’absence de corroboration pour le viol allégué, la Commission n’a pas refusé d’accorder foi à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le viol avait eu lieu. Elle a plutôt fondé ses conclusions quant à la crédibilité sur des omissions dans le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse sur d’autres aspects. Ainsi donc, la première erreur alléguée par la demanderesse ne justifie pas l’intervention de la Cour, que ce soit en elle-même ou à l’appui des autres arguments de la demanderesse.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas le fondement de la demande, axée sur le fait que la demanderesse était à la fois séropositive au VIH et une femme au Swaziland?

 

[10]           Pour ce qui est de la deuxième erreur alléguée, comme le note avec raison la demanderesse, la Cour a statué que le fait pour la SPR de ne pas tenir compte de l’interaction entre plusieurs motifs de persécution invoqués par un demandeur peut donner lieu à une erreur susceptible de contrôle (voir par exemple les décisions Gorzsas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 458, au paragraphe 40; Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1243, au paragraphe 36 [Diaz]; et Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 466, au paragraphe 18). En l’espèce, la Commission n’a pas omis de statuer sur les deux fondements de la demande de la demanderesse. La SPR a plutôt analysé l’essence de la demande, à savoir que la demanderesse était confrontée à un risque du fait d’être à la fois séropositive au VIH et une femme et du fait que cette double identité expose la demanderesse à un risque plus grand de discrimination que si elle était un homme séropositif au VIH ou une femme non séropositive au VIH au Swaziland. Le fait que la Commission a examiné à fond la demande de la demanderesse est évident à la lecture des paragraphes 26 à 31 des motifs de la Commission, où les risques pour les femmes, les personnes séropositives au VIH et les femmes séropositives au VIH au Swaziland sont tous examinés. Par conséquent, la deuxième erreur alléguée ne justifie pas non plus l’intervention de la Cour.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne fournissant pas des motifs valables à l’appui de sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne serait pas persécutée si elle retournait au Swaziland?

 

[11]           La troisième erreur alléguée ne justifie pas non plus l’intervention de la Cour. En ce qui concerne la suffisance des motifs de la Commission, la Cour suprême a indiqué que les motifs doivent être transparents, intelligibles et justifiés. Cela revient à dire que la cour de révision et les parties doivent être en mesure de discerner les motifs à l’appui de la décision. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’une décision traite tous les arguments formulés par une partie non plus que toute la preuve présentée (voir Construction Labour Relations; Newfoundland Nurses; et Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490).

 

[12]           En l’espèce, les motifs de la Commission respectent le critère établi par la Cour suprême. La SPR a jugé que la demanderesse n’avait pas connu plusieurs des pires facettes de la discrimination auxquelles sont exposées les femmes séropositives au Swaziland – nommément ne pas avoir accès à un diagnostic ou à un traitement ou être agressées. La Commission a aussi considéré que la discrimination ou la stigmatisation plus générale dont fait état la documentation objective n’était pas suffisamment grave pour s’apparenter à de la persécution. La Commission a donc conclu qu’il n’existait rien de plus qu’une simple possibilité que la demanderesse s’expose à des conséquences plus graves en raison de sa condition de femme séropositive au VIH si elle retournait au Swaziland. Ces conclusions sont égrenées au fil des paragraphes 26 à 31 de la décision de la Commission. Par conséquent, les motifs, bien que peu nombreux, sont suffisants pour respecter le critère établi.

 

[13]           Dans sa plaidoirie orale, l’avocat de la demanderesse a avancé que la conclusion à laquelle était parvenue la Commission était également déraisonnable au vu des éléments de preuve, puisque la documentation objective sur le pays établit que les femmes s’exposent à de graves discriminations au Swaziland du fait de ne pas pouvoir accéder à la propriété après leur mariage en raison du manque de moyens économiques et d’être ainsi forcées à avoir des relations sexuelles pour obtenir de la nourriture, s’exposant ainsi au risque de devenir séropositives au VIH puisque les normes culturelles militent contre les pratiques sexuelles sécuritaires. L’avocat a aussi fait observer que, comme l’établit la documentation objective, les femmes au Swaziland sont touchées de façon disproportionnée par un diagnostic de séropositivité au VIH, en raison des préjugés de la société contre les femmes et des croyances irrationnelles selon lesquelles elles seraient responsables de la prévalence du VIH/sida dans ce pays.

 

[14]           La Cour, de même que la SPR, ont reconnu que la discrimination fondée sur la séropositivité au VIH peut être considérée comme étant de la persécution dans des circonstances particulières (voir par exemple, UQC (Re), [2009] DSPR, no 4; TNL (Re), [1997] CRDD No 251; et Diaz). Dans la décision Diaz, aux paragraphes 36 et 37, le juge O’Keefe n’exclut pas cette possibilité :

[…] La discrimination occasionnée par la séropositivité du demandeur peut entraîner des conséquences beaucoup plus dévastatrices et beaucoup plus importantes.

 

[…] En l’espèce, les arguments du demandeur selon lesquels il serait persécuté et exposé à des risques en tant que Mexicain séropositif ne disposant d’aucune aide familiale importante, il serait possiblement confronté à des barrières systémiques en matière d’emploi et il serait possiblement victime de discrimination en matière de prestation de soins de santé n’ont pas été suffisamment examinés par la Commission.

 

Cependant, le point central de la conclusion du juge O’Keefe est le fait que la Commission n’avait pas suffisamment tenu compte des circonstances particulières du demandeur.

 

[15]           Par contraste, dans le cas présent, bien qu’il soit vrai que la documentation objective du pays brosse un bien triste tableau du sort des personnes séropositives au VIH ou au sida – et plus spécialement des femmes – au Swaziland, une grande portion de la description générale dans la documentation ne s’applique pas aux circonstances de la demanderesse. Elle n’était ni pauvre ni sans instruction, occupant plutôt un poste d’enseignante. Par ailleurs, elle ne prétend pas avoir contracté le VIH à la suite de relations sexuelles forcées. Elle a plutôt témoigné qu’elle avait contracté son infection auprès de son ancien conjoint de fait, avec qui elle avait une relation consensuelle tout en étant au courant qu’il avait des relations avec d’autres femmes. En outre, et fait important, la demanderesse, contrairement à beaucoup de femmes au Swaziland, pouvait obtenir un diagnostic et un traitement pour son VIH. Enfin, il convient de mentionner qu’elle a admis que l’une des principales raisons de sa venue au Canada était de bénéficier de l’accessibilité à un traitement supérieur à celui qui est généralement offert aux personnes séropositives au VIH au Swaziland.

 

[16]           Compte tenu de ces faits, je ne crois pas que les conclusions de la Commission soient déraisonnables. En résumé, la situation de la demanderesse est bien loin de celle de nombreuses femmes décrites dans la documentation objective déposée devant la Commission et il n’était donc pas déraisonnable pour celle-ci de conclure qu’il n’existait rien de plus qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée et qu’elle ne risquait pas non plus de subir un traitement cruel et inusité si elle retournait au Swaziland.

 

[17]           Pour ces motifs, la présente demande doit être rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée au titre de l’article 74 de la LIPR et aucune n’est soulevée en l’espèce, puisque ma décision est intimement liée aux faits particuliers de l’affaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier au titre de l’article 74 de la LIPR.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

J. Boulanger


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6330-12

 

INTITULÉ :                                      Nomonde Gcebile Mabuya c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 12 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.