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Date : 20130404

Dossier : T-802-12

Référence : 2013 CF 340

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2013

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

BUROU JEANTY DUFOUR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un résident permanent visé par une mesure de renvoi légalement exécutoire. Il demande aujourd’hui à la Cour de réviser une décision rendue le 16 mars 2012 par un agent de citoyenneté en vertu de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [Loi], rejetant sa demande de citoyenneté à titre de personne adoptée par un citoyen canadien [demande de citoyenneté].

 

TOILE DE FOND

[2]               Le demandeur, M. Burou Jeanty Dufour, est né en Haïti le 5 juin 1987. Son père naturel est décédé alors qu’il avait cinq ans, tandis que sa mère est décédée quelques années après que le demandeur ait été adopté en Haïti par M. Joseph Dufour en 2001. Le père adoptif du demandeur est un citoyen canadien, divorcé, professeur de métier, aujourd’hui retraité. Entre 1999 et 2002, il travaille comme missionnaire en Haïti; c’est là où il fait la connaissance des familles Jeanty et Eliadam.

 

[3]               La mère du demandeur a un commerce qui lui demande tout son temps; elle a peu de moyens financiers et désire un meilleur avenir pour le demandeur qui s’occupe également de son frère et de sa sœur. La famille Eliadam est dysfonctionnelle; elle compte Jonathan qui a un an de plus que Burou. La mère du demandeur et le père de Jonathan désirent que M. Dufour adopte les deux adolescents; ces derniers expriment le même désir.

 

[4]               Le demandeur a quatorze ans lorsque, le 17 septembre 2001, le jugement d’adoption est prononcé en Haïti par le Tribunal de première instance de la ville des Cayes [tribunal étranger]. Une fois l’adoption complétée, le père adoptif demeure un an en Haïti. Le 18 juin 2002, les deux adolescents accompagnent leur père adoptif au Canada avec des visas de visiteur.

 

[5]               La petite famille s’installe dans la région de Chicoutimi où le demandeur poursuit ses études secondaires. Parrainé par son père adoptif, le demandeur obtient le 4 février 2004 le statut de résident permanent. Entretemps, le 7 octobre 2002, la Cour du Québec [tribunal domestique] reconnaît le jugement d’adoption rendu en Haïti.

 

[6]               Le 11 septembre 2007, Jonathan obtient la citoyenneté canadienne puisqu’il rencontre les exigences de résidence et autres conditions du paragraphe 5(1) de la Loi. Néanmoins, le demandeur ne fait pas diligence pour déposer une nouvelle demande de citoyenneté – sa première demande avait été refusée parce qu’elle avait été déposée prématurément.

 

[7]               Le demandeur déménage à Québec en 2007 avec le projet de poursuivre des études en restauration. La même année, sa mère décède, il ne termine pas ses études et commence à avoir des mauvaises fréquentations. Entre 2007 et 2008, le demandeur est déclaré coupable de diverses infractions au Code criminel, LRC 1985, c C-46.

 

[8]               Le 5 mars 2009, une mesure de renvoi est émise contre le demandeur. Le 7 avril 2010, la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Commission] ordonne le sursis de la mesure de renvoi pour une période de cinq ans.

 

[9]               Le 27 novembre 2009, le demandeur présente une demande de citoyenneté à titre de personne adoptée après 1947 par un citoyen canadien, et ce, en vertu du nouvel article 5.1 de la Loi. Il indique au formulaire qu’il « a la citoyenneté canadienne », l’ayant obtenue « [p]ar la naissance au Canada : mon père adopté est né au Canada, y a toujours demeuré et y demeure actuellement ».

 

[10]           Le 16 décembre 2010, le demandeur est déclaré coupable d’une autre série d’infractions criminelles. Le 26 janvier 2011, la Section d’appel de l’immigration de la Commission constate que le sursis est révoqué de plein droit et que l’appel est classé. Le 17 mai 2012, la Cour fédérale refuse de casser cette dernière décision : Jeanty Dufour c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2012 CF 580.

 

[11]           Entretemps, le 21 juillet 2010, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] avise le demandeur qu’une « décision positive » sur sa demande de citoyenneté en vertu de l’article 5.1 de la Loi a été rendue, mais surprise, un an plus tard, le 28 juillet 2011, CIC avise le demandeur que sa demande de citoyenneté est toujours « en traitement ». Ceci contredit non seulement la lettre du 21 juillet 2010, mais également les informations apparaissant sur le site web de CIC concernant l’ « État de la demande du client » et à l’effet que CIC a « envoyé un certificat de citoyenneté le 4 mars 2011 au 119, Price Rue E, Chicoutimi, Québec, Canada, G7H 2E3 ». Il semblerait qu’une « erreur administrative » se soit produite et que le certificat de citoyenneté a plutôt été transmis au bureau de CIC à Montréal.

 

[12]           Le 16 mars 2012, la demande de citoyenneté est rejetée par Mme Nicole Campbell, Analyste [l’agent de citoyenneté] au motif que le demandeur n’a pu établir qu’il répond aux exigences de la Loi, et en particulier, que les conditions mentionnées aux alinéas 5.1(3)a) et b) de la Loi sont remplies.

 

LA PRÉSENTE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[13]           La décision contestée a été rendue sous l’autorité de l’article 5.1 de la Loi, qui permet au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre] d’attribuer la citoyenneté à une personne adoptée par un citoyen canadien après le 1er janvier 1947.

 

[14]           Les motifs de l’agent de citoyenneté pour rejeter la demande se résument ainsi :

a)      L’adoption du demandeur ne rencontre pas les règles établies du pays d’adoption, ici la République d’Haïti, car c’est que le Bureau des affaires sociales qui a délivré une autorisation d’adoption plutôt que l’Institut du Bien Être social et de Recherches;

 

b)      L’autorité du Québec responsable de l’adoption internationale, ici le Secrétariat à l’adoption internationale, n’a pas déclaré par écrit qu’elle estime l’adoption du demandeur conforme aux exigences du droit québécois régissant l’adoption;

 

c)      L’adoption du demandeur visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou la citoyenneté, car c’est à la demande de l’enfant et de sa mère que le père adoptif a fait la demande d’adoption; et

 

d)     La demande de citoyenneté a été soumise en vertu de l’article 5.1 de la Loi pour circonvenir la mesure de renvoi.

 

[15]           Le demandeur reproche à l’agent de citoyenneté d’avoir erré en droit et en fait ou d’avoir autrement agi de manière déraisonnable en décidant que les conditions mentionnées à l’article 5.1 de la Loi ne sont pas remplies. Le défendeur soumet que la décision contestée est à tous égards raisonnable et conforme à la Loi et au droit applicable en matière d’adoption internationale.

 

[16]           De manière générale, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Jardine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 565 aux para 16-17 [Jardine]. D’un autre côté, l’agent de citoyenneté n’est pas mieux placé que la Cour en révision judiciaire pour interpréter le droit domestique et étranger en matière d’adoption. C’est donc la norme de la décision correcte qui devrait s’appliquer à ce chapitre : Dunsmuir au para 55; (Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 au para 62; Taylor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1053 aux para 34-36; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Taylor, 2007 CAF 349 au para 4.

 

[17]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire m’apparaît bien fondée.

 

CADRE JURIDIQUE

[18]           Il faut savoir qu’à leur naissance, les enfants biologiques nés à l’étranger d’une mère ou d’un père ayant le statut de citoyen canadien deviennent automatiquement citoyens canadiens (article 3 de la Loi). L’article 5.1 de la Loi est en vigueur depuis le 23 décembre 2007. L’objet de la nouvelle disposition (LC 2007, c 24, article 2, tel que modifié par LC 2008, c 14, article 13) est de permettre aux enfants adoptés à l’étranger par des citoyens canadiens depuis le 1er janvier 1947 d’acquérir la citoyenneté canadienne sans avoir à passer par le processus habituel.

 

[19]           Faut-il le rappeler, les enfants adoptés à l’étranger par un citoyen canadien étaient auparavant soumis au même régime que les étrangers. D’une part, ils ne pouvaient devenir des résidents permanents s’ils continuaient de vivre à l’étranger. D’autre part, une fois qu’ils avaient quitté leur pays après avoir obtenu un visa de résident permanent, ils devaient avoir au moins dix-huit ans et avoir vécu au moins trois ans au Canada avant de pouvoir demander la citoyenneté en vertu de l’article 5 de la Loi. 

 

[20]           Dans son analyse article par article du projet de loi C-18, CIC précisait à l’époque :

La loi proposée fait disparaître bon nombre des distinctions établies par la loi actuelle entre les enfants biologiques et les enfants adoptés nés à l’étranger. Par ailleurs, elle protège l’intégrité de la citoyenneté en exigeant que l’adoption crée un véritable lien de filiation entre l’adopté et l’adoptant et que l’adoption n’ait pas été faite dans le but d’échapper à l’application des lois canadiennes en matière d’immigration et de citoyenneté. Enfin, elle requiert que l’adoption soit faite dans l’intérêt supérieur de l’adopté. Ces dispositions permettront au ministère d’adopter des règlements qui lui permettront d’exiger formellement une étude de foyer et un examen médical. Ces outils ne seront toutefois utilisés que pour fournir de l’information aux provinces et aux parents adoptifs et ne pourront être invoqués pour refuser d’attribuer la citoyenneté à l’enfant. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant permettra en outre au Ministère de prendre des mesures pour contrer l’enlèvement et le trafic des enfants.

 

 

[21]           Les paragraphes 5.1(1) et (3) de la Loi sont pertinents en l’espèce et se lisent comme suit :

5.1(1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

...

 

(3) Le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à toute personne faisant l’objet d’une décision rendue à l’étranger prononçant son adoption, le 1er janvier 1947 ou subséquemment, par un citoyen assujetti à la législation québécoise régissant l’adoption, si les conditions suivantes sont remplies :

 

a) l’autorité du Québec responsable de l’adoption internationale déclare par écrit qu’elle estime l’adoption conforme aux exigences du droit québécois régissant l’adoption;

 

b) l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

5.1(1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

 

 

(a) was in the best interests of the child;

 

(b) created a genuine relationship of parent and child;

 

 

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

 

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

 

 

(3) The Minister shall on application grant citizenship to a person in respect of whose adoption — by a citizen who is subject to Quebec law governing adoptions — a decision was made abroad on or after January 1, 1947 if

 

 

 

 

(a) the Quebec authority responsible for international adoptions advises, in writing, that in its opinion the adoption meets the requirements of Quebec law governing adoptions; and

 

(b) the adoption was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

 

                                                                                                [mes soulignés]

 

[22]           En pratique, l’agent de citoyenneté devra tenir compte des facteurs énumérés à l’article 5.1 de la Loi, tel que ceux-ci sont précisés par les articles 5.1 à 5.5 du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246 [Règlement], selon le cas : Guide opérationnel de CIC, CP 14 – Adoptions, section 11 – Facteurs à prendre en considération et section 12 – Adoption concernant le Québec – 5.1(3) de la Loi.

 

[23]           L’article 5.1 de la Loi a un champ d’application très large car il vise toute adoption à l’étranger survenue depuis le 1er janvier 1947. La demande de citoyenneté présentée peut être faite à tout moment, soit par le parent adoptif canadien si l’enfant est encore un mineur, soit par l’enfant adopté lui-même lorsqu’il est devenu majeur. Moins de documents sont exigés lorsque la demande est faite par l’enfant devenu majeur et celui-ci n’a pas besoin d’être un résident permanent pour faire une demande de citoyenneté en vertu de l’article 5.1 de la Loi. Voir en particulier les articles 5.4 et 5.5 du Règlement qui s’appliquent à une demande présentée en vertu du paragraphe 5.1(3) de la Loi.

 

[24]           Puisque les alinéas 5.1(3)a) et b) de la Loi doivent être lus en corrélation avec le paragraphe 5.1(1) de la Loi, le cas échéant, l’agent de citoyenneté doit notamment être satisfait que l’adoption est conforme au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant, incluant le droit en vigueur dans la province de Québec, et que l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

[25]           Au passage, un résident permanent qui est visé par une mesure de renvoi ne peut faire une demande de citoyenneté en vertu de l’article 5 de la Loi, alors que nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre des paragraphes 5(1), (2) ou (4) ou 11(1) de la Loi ni prêter le serment de citoyenneté s’il a été déclaré coupable de certaines infractions criminelles : alinéa 5(1)f) et article 22 de la Loi. On ne retrouve pas ces restrictions à l’article 5.1 de la Loi. Le Ministre n’a donc pas discrétion pour refuser d’accorder la citoyenneté, pour motif de criminalité, à une personne adoptée par un citoyen canadien qui rencontre autrement les conditions de l’article 5.1 de la Loi.

 

[26]           En pratique, lorsqu’un enfant adopté à l’étranger par un citoyen canadien émigre au Canada avant qu’une demande de citoyenneté n’ait été accordée en vertu de l’article 5.1(1) de la Loi, un visa de résident permanent doit avoir été délivré en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le cas échéant, un certificat de sélection du Québec attestant que le requérant répond aux exigences du Québec conformément à la Loi sur l’immigration au Québec, LRQ, c I-0.2, doit avoir été délivré par les autorités québécoises.

 

[27]           Rappelons également que l’immigration est un champ de compétence partagée, tandis que les provinces ont compétence exclusive pour légiférer sur les règles en matière de personnes, de filiation, de domicile et de résidence, de droit international privé et de reconnaissance des jugements étrangers dans la province : Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3 (R‑U), article 92, paragraphes 13 et 16, et article 95.

 

[28]           L’identité d’un individu est inséparable de son nom, alors que celui-ci est intimement lié à la filiation. Or, selon l’article 50 du Code civil du Québec, LQ 1991, c 64 [CCQ], toute personne a un nom qui lui est attribué à la naissance et qui est énoncé dans l’acte de naissance; le nom comprend le nom de famille et les prénoms. D’un autre côté, l’adoption confère à l’adopté une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine, de sorte que l’adopté cesse d’appartenir à sa famille d’origine : article 577 CCQ.

 

[29]           D’une part, au Québec, l’adoption ne peut avoir lieu que dans l’intérêt de l’enfant et aux conditions prévues par la loi : article 543 CCQ. D’ailleurs, l’enfant mineur ne peut être adopté que si ses père et mère ou tuteur ont consenti à l’adoption ou s’il a été déclaré judiciairement admissible à l’adoption : article 544 CCQ.

 

[30]           D’autre part, des conditions particulières s’appliquent à l’adoption d’un enfant domicilié hors du Québec par une personne domiciliée au Québec. Ainsi, l’adoptant doit préalablement faire l’objet d’une évaluation psychosociale : article 563 CCQ. De plus, les démarches en vues de l’adoption sont normalement effectuées par un organisme agréé : article 564 CCQ; Arrêté ministériel concernant l’adoption, sans organisme agréée, d’un enfant domicilié hors du Québec par une personne domiciliée au Québec. Enfin, l’adoption d’un enfant domicilié hors du Québec doit être prononcée soit à l’étranger, soit judiciairement au Québec : article 565 CCQ.

 

[31]           Rappelons qu’en droit international privé québécois, les règles relatives au consentement et à l’admissibilité à l’adoption d’un enfant sont celles que prévoit la loi de son domicile, alors que les effets de l’adoption sont soumis à la loi du domicile de l’adoptant : article 3092 CCQ. De plus, la décision prononcée à l’étranger doit faire l’objet d'une reconnaissance judiciaire au Québec, sauf si l’adoption est certifiée conforme à la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale [Convention] par l’autorité compétente de l’État où elle a eu lieu : article 565 CCQ.

 

[32]           La Convention est entrée en vigueur le 1er mai 1995, alors que la législature du Québec a adopté la Loi assurant la mise en œuvre de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, LRQ, c M-35.1.3, laquelle est entrée en vigueur le 1er février 2006. La Convention a notamment pour objet d’établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international. La Convention s’ajoute aux protections internationales déjà prévues par la Convention relative aux droits de l’enfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, et qui a été ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991 et par Haïti le 8 janvier 1995.

 

[33]           Au Québec, le Secrétariat à l’adoption internationale [Secrétariat] est l’autorité centrale pour l’application de la Convention : Loi sur le ministère de la Santé et des Services Sociaux, LRQ, c M-19.2, article 3; Loi assurant la mise en œuvre de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, LRQ, c M-35.1.3, article 2; Loi sur la protection de la jeunesse, article 71, LRQ, c P-34.1; l’Arrêté ministériel concernant l'adoption, sans organisme agréé, d'un enfant domicilié hors du Québec par une personne domiciliée au Québec, RRQ, c P‑34.1, r 2, articles 3 et 30; Secrétariat à l’adoption internationale, Démarches d’adoption – Déroulement d’un projet d’adoption internationale (Guide du Secrétariat). 

 

[34]           En pratique, le Secrétariat est responsable de la coordination des démarches d’une adoption internationale. Malheureusement, nous n’avons aucune preuve au dossier expliquant le rôle particulier que pouvait exercer le Secrétariat en 2001 dans le cas d’une adoption visant un enfant mineur haïtien adopté par un parent domicilié au Québec. Toutefois, il semble qu’avant le 1er février 2006, le Secrétariat « était moins strict sur les exigences et vérifiait globalement que le projet était dans l’intérêt de l’enfant » : Adoption – 104, 2010 QCCQ 2039 au para 18 [Adoption – 104].

 

[35]           Les documents de CIC et du Secrétariat produits au dossier de la Cour se rapportent plutôt à l’adoption contemporaine d’enfants mineurs par un parent domicilié au Québec depuis que l’article 5.1 de la Loi est en vigueur, c’est-à-dire depuis le 23 décembre 2007. Lorsqu’une lettre de non-opposition à l’adoption et un certificat de conformité avec la loi québécoise est adressée par le Secrétariat aux autorités de l’immigration du Canada et du Québec, l’enfant mineur peut entrer au Québec sans visa; qu’il arrive ou non d’un pays signataire de la Convention.

 

[36]           D’un autre côté, la Cour du Québec (Chambre de la jeunesse) avait compétence exclusive en 2001 et a compétence aujourd’hui pour prononcer l’adoption ou reconnaître le jugement étranger d’adoption : articles 36.1 et 785 du Code de procédure civile, LRQ c C‑25 [CPC]; Adoption - 111, 2011 QCCA 38 aux para 43 à 48. À ce chapitre, la Cour du Québec n’a pas à rechercher nécessairement le respect intégral de toutes les dispositions de la loi québécoise, « il doit cependant s’assurer du respect des règles de droit en vigueur dont l’application s’impose en raison de leur but particulier » : Adoption – 104 au para 51.

 

[37]           Or, l’adoption d’un enfant mineur est un acte très sérieux, qui va bien au-delà du simple échange de consentement des époux, constaté par l’officier public chargé de célébrer et d’enregistrer un mariage dans un acte de l’état civil. Un époux peut bien divorcer, mais un enfant ne peut pas divorcer de son nouveau parent, une fois qu’est survenue à la suite d’une adoption, la rupture du lien de filiation d’origine. Aussi, la Cour du Québec doit s’assurer que les règles concernant le consentement à l’adoption et l’admissibilité à l’adoption de l’enfant ont été respectées et que les consentements ont été donnés en vue d’une adoption qui a pour effet de rompre le lien préexistant de filiation entre l’enfant et sa famille d’origine : article 568 CCQ.

 

[38]           Il est important de souligner ici que la reconnaissance par la Cour du Québec du jugement d’adoption prononcé par le tribunal étranger produit les mêmes effets qu’un jugement d’adoption rendu au Québec, et ce, de manière rétroactive : article 581, alinéa premier, CCQ. Ainsi, un nouvel acte de l’état civil est dressé par le Directeur de l’état civil : articles 132 et 132.1 CCQ. Les inscriptions à l’acte de naissance ainsi modifié sont authentiques, incluant les inscriptions et les modifications de l’acte de naissance étranger, lorsque leur validité a été reconnue par un tribunal du Québec : articles 107, 136 et 137 CCQ.

 

[39]           Comme nous l’avons vu plus haut, l’adoption d’un enfant mineur suppose une enquête approfondie du projet d’adoption et de la motivation de l’adoption par des tiers indépendants, de sorte qu’il y a beaucoup moins de chances à la suite d’une évaluation psychosociale que la Cour du Québec se retrouve devant une « adoption de complaisance », d’autant plus que le Directeur de la protection de la jeunesse est mis en cause et qu’il peut s’opposer à l’adoption.

 

[40]           Il n’empêche, s’agissant d’examiner une demande de citoyenneté faite par un parent adoptif ou par l’enfant adopté une fois qu’il est majeur, si l’agent de citoyenneté conclut qu’une adoption visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté, il doit refuser la demande de citoyenneté au titre de personne adoptée par un citoyen canadien : alinéas 5.1(1) d) et 5.1(3) b) de la Loi; CIC, Guide de citoyenneté, c CP 14, section 12 [Guide].

 

[41]           En pareil cas, l’agent de citoyenneté doit fonder son opinion en fonction de facteurs qui, pris ensemble, pourraient mener une personne raisonnablement prudente à en venir à la conclusion que l’adoption a été faite dans le but de contourner les exigences de la LIPR ou de la Loi. Il ne s’agit pas d’évaluer si la demande de citoyenneté faite par le parent adoptif ou l’enfant adopté à sa majorité vise aujourd’hui l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté, mais plutôt si à l’époque, l’adoption elle-même, visait principalement une telle fin.

 

[42]           Aux fins de déterminer si l’adoption visait ou non principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté, l’agent de citoyenneté doit évaluer toute l’information pertinente au cas par cas, notamment :

         les circonstances entourant l’adoption;

         les allées et venues des parents biologiques de l’enfant adopté et la nature de leur situation personnelle;

         les personnes qui faisaient partie du foyer de l’enfant adopté avant et après l’adoption;

         le fait que le parent adoptif répond ou non aux besoins financiers et émotifs de l’enfant adopté;

         la motivation ou les raisons des parents biologiques et du parent adoptif justifiant l’adoption de l’enfant;

         l’autorité et la persuasion que le parent adoptif exerce à l’égard de l’enfant adopté;

         les dispositions et mesures prises par le parent adoptif pour prendre soin de l’enfant adopté, subvenir à ses besoins et planifier son avenir;

         le fait que l’autorité des parents biologiques de l’enfant est supplantée par celle du parent adoptif, ce qui signifie que le parent adoptif joue le rôle de parent dans tous les aspects de la vie de l’enfant adopté;

         le lien entre l’enfant adopté et ses parents biologiques avant l’adoption;

         le lien entre l’enfant adopté et ses parents biologiques après l’adoption;

         le traitement que subit l’enfant adopté par rapport au traitement que subissent les enfants biologiques du parent adoptif;

         les pratiques sociales et juridiques régissant l’adoption dans le pays d’origine de l’enfant adopté;

         si l’adoption a eu lieu de nombreuses années auparavant, la preuve documentaire démontrant que l’enfant habitait avec le parent adoptif et que ce dernier prenait soin de l’enfant adopté.

 

[43]           Cette liste n’est pas exhaustive. Certains facteurs énumérés plus haut et qui proviennent du Guide peuvent ne pas être applicables dans un cas en particulier, tandis que d’autres, non énumérés dans cette liste, pourraient être pertinents. Par analogie, pour déterminer si la motivation d’une adoption était principalement l’obtention d’un statut au Canada, la Section d’appel de l’immigration la Commission a énoncé des critères similaires à ceux du Guide dans les affaires Guzman v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1995] IADD No 1248, 33 Imm LR (2d) 28 et Hurd c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 FCT 719 au para 5, 2003 CFPI 719.

 

[44]           En définitive, pour respecter les qualités de transparence et de rationalité exigées par la Cour Suprême du Canada dans Dunsmuir, l’agent de citoyenneté doit disposer de preuves, documentaires ou autres, pour appuyer sa décision concernant la demande et, dans le cas d’un refus, il doit inclure, dans la lettre de refus, les raisons justifiant la décision négative.

 

CARACTÈRE DÉRAISONNABLE DE LA DÉCISION CONTESTÉE

[45]           Tel que le souligne la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». En l’espèce, ayant attentivement lu les motifs fournis par l’agent de citoyenneté, force est de conclure que la décision contestée est déraisonnable.

 

[46]           Oublions que le demandeur ait été avisé en juillet 2010 que sa demande de citoyenneté est accordée et qu’un certificat de citoyenneté sera délivré. Acceptons qu’il s’agisse d’une « erreur administrative », comme le prétend le défendeur. Demandons-nous donc pourquoi la demande de citoyenneté a été ultimement rejetée en mars 2012 près de deux ans plus tard.

 

[47]           En l’espèce, le demandeur a fourni tous les documents exigés par le Règlement, à savoir son certificat de naissance, ainsi que la décision d’adoption rendue à l’étranger et la preuve que le père adoptif était un citoyen canadien (article 5.5 du Règlement). Le demandeur a également produit le jugement qui a été rendu au Québec reconnaissant l’effet du jugement étranger d’adoption, ainsi que le certificat de sélection du Québec à titre de personne faisant partie du regroupement familial.

 

[48]           D’une part, l’agent de citoyenneté n’a pas personnellement vérifié la procédure en vigueur en Haïti et au Québec à l’époque de l’adoption du demandeur, incluant le décret de 1983 créant l’institut du Bien Être social et de Recherches qui n’est pas produit au dossier. Or, le Ministère public, en Haïti, et le Directeur de la protection de la jeunesse, au Québec, qui étaient mis en cause dans les procédures d’adoption et de reconnaissance du jugement d’adoption, ne se sont pas opposés à l’adoption du demandeur.

 

[49]           D’autre part, un jugement final d’adoption a été prononcé par le tribunal étranger en septembre 2001. Le caractère authentique du jugement d’adoption et de l’acte de naissance du demandeur en Haïti n’est pas en cause ici. S’agissant d’une adoption internationale, il n’est pas contesté que le jugement d’adoption rendu en Haïti a été légalement reconnu en 2002. Or, ni la compétence de la Cour du Québec, ni la validité de son jugement final ne sont remises en cause par l’agent de citoyenneté ou l’une ou l’autre des parties à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[50]           Normalement, la demande de citoyenneté aurait donc dû être accordée. Or, le dossier du demandeur a fait l’objet d’un traitement spécial par CIC. Son cheminement administratif confirme l’existence d’un malaise des fonctionnaires vis-à-vis la criminalité du demandeur. La preuve au dossier démontre que ceux-ci étaient guidés par un résultat : il s’agissait de trouver une raison légale qui permettrait à l’agent de citoyenneté de refuser la demande présentée en 2009 en vertu de l’article 5.1 de la Loi.

 

[51]           De fait, le 24 février 2011, Madame Simonne Luedey, Agente de soutien au programme, CTD-Sydney, adresse cette note interne à Madame Anne-Marie Beaulieu, Conseillère de programme, AC-Gestion opérationnelle et coordination, à Ottawa :

I have a C14 file that I wanted to ask your opinion. He became a permanent resident Feb 4, 2004 and was adopted in Quebec Oct 7, 2002. There was concern he may have lost his PR status but he was given a 1 year validity PR card that expired 26oct2010. If you check FOSS under CI 51609279, he was under a deportation order and now that his PR card expired I don’t know if he is a PR or not. I requested his original PR card in Sept but he did not reply to my letter. He has not applied for a replacement PR card.

 

Usually, we grant a client citizenship when he is a PR living in Canada but after reading FOSS, (criminality) I’m not comfortable granting him citizenship. Do you think I should grant him citizenship or refer the file to the manager in Montreal? What if he lost his PR status, could we still grant him citizenship? I could have the certificate prepared and if Montreal can confirm he is still a PR, they can grant him citizenship and give him his citizenship card.

 

                                                                        [mes soulignés]

 

[52]           En réponse à cette demande d’avis, dans un courriel interne du 28 février 2011, la conseillère de programme répond à l’agente de soutien : « Normally, whether or not the applicant has a valid status or not and criminality or not, we can still grant citizenship under the adoption provision of the Citizenship Act as long as the applicant meets all the requirements under section 5.1 » [mes soulignés]. Celle-ci juge donc la demande de citoyenneté recevable en vertu de la Loi et propose que celle-ci soit analysée afin de vérifier s’il pourrait s’agir d’une « adoption de complaisance ».

 

[53]           Du même coup, la conseillère de programme suggère que le demandeur soit convoqué à une entrevue. En effet, elle ignore si le processus d’adoption en Haïti a été effectivement analysé lors du traitement de la demande de résidence permanente du demandeur (qui était parrainé par son père adoptif). Il semblerait que la demande ait été apparemment accordée pour des motifs d’ordre humanitaire en 2004.

 

[54]           Toutefois, la conseillère de programme reconnait qu’une analyse du processus d’adoption aurait été effectuée à l’époque si la demande de résidence permanente du demandeur avait plutôt été traitée sous la catégorie de regroupement familial. En l’espèce, le Québec a effectivement traité en 2003 la demande de résidence permanente du demandeur sous la catégorie du regroupement familial, ainsi qu’en fait foi le certificat de sélection du Québec (dossier certifié, page 201).

 

[55]           En concluant que l’adoption du demandeur ne rencontrait pas les règles établies du pays d’adoption au simple motif que c’est l’Institut du Bien Être social et de Recherches plutôt que le Bureau des affaires sociales qui devait donner son accord à l’adoption, il est manifeste que l’agent de citoyenneté a fait une lecture sélective de la preuve et a ignoré l’ensemble des preuves produites au soutien de la demande de citoyenneté.

 

[56]           Il est manifeste que le tribunal étranger a considéré le projet d’adoption internationale à la lumière du droit applicable et de l’ensemble des preuves au dossier, incluant toute autorisation légalement requise selon les lois en vigueur en Haïti. Les principes de la Convention – même si celle-ci n’est pas mentionnée expressément dans le jugement – semblent avoir été considérés par le tribunal étranger « [a]près examen et sur les conclusions conformes du Ministère public ».

 

[57]            En effet, le tribunal étranger note dans son jugement que « vu la précarité de ses ressources », la mère du demandeur « se trouve dans l’impossibilité de pourvoir à l’entretien de son enfant », et qu’elle a donné son plein et libre consentement à l’adoption du demandeur. Le tribunal étranger se déclare en outre satisfait que « cette adoption est sollicitée essentiellement dans l’intérêt de l’enfant qui consent et continue de consentir à son adoption », ce qui est en accord avec la Convention.

 

[58]           D’autre part, selon la loi québécoise et les règles de droit international privé, l’adoptant était domicilié au Québec, tandis que l’adopté était domicilié en Haïti. Or, il n’existe aucune preuve au dossier que l’adoption du demandeur ait été certifiée conforme à la Convention par les autorités haïtiennes, de sorte que le jugement d’adoption étranger devait faire l’objet d’une reconnaissance judicaire au Québec.

 

[59]           C’est bien le cas en l’espèce.

 

[60]           Préalablement à la décision du tribunal québécois, le père adoptif a fait l’objet d’une évaluation psychosociale par un membre de la corporation professionnelle des travailleurs sociaux du Québec, alors que « cette évaluation établit la capacité de l’adoptant à répondre aux besoins physiques, psychiques et sociaux de l’adolescent ».

 

[61]           De plus, le tribunal québécois note dans son jugement qu’ « [a]u soutien de sa demande, le requérant a déposé une copie des dispositions légales qui régissent l’adoption en République d’Haïti et les documents produits permettent de constater que les règles concernant le consentement à l’adoption et son admissibilité à l’adoption ont été suivies » que le père adoptif « a procédé aux démarches relatives à l’adoption [du demandeur] conformément à la loi en vigueur dans le pays d’origine de ce dernier, à savoir la République d’Haïti » [mes soulignés].

 

[62]           En outre, le Directeur de la protection de la jeunesse a été mis en cause et n’a pas contesté la requête en reconnaissance du jugement étranger d’adoption.

 

[63]           Au bout du compte, la Cour du Québec accueille la requête et ordonne que le Directeur de l’état civil « effectue les inscriptions et modifications requises par la loi et notamment qu’il dresse l’acte de naissance de BUROU JEANTY sous le nom de DUFOUR et les prénoms de Burou Jeanty, né à Lopino, République d’Haïti, le 5 juin 1987, fils de Joseph Dufour, résidant et domicilié au 101, rue Lapointe, St-David de Falardeau, G0V 1C0, district de Chicoutimi, province de Québec, Canada ».

 

[64]           Le jugement final du tribunal étranger a acquis la force de la chose jugée (res judicata), d’autant plus que ce dernier jugement a fait l’objet d’une reconnaissance judiciaire au Québec : articles 565, 2848 et 3092 CCQ. Tant du point de vue de la loi haïtienne que de la loi québécoise, le demandeur a été légalement adopté et il est le fils de M. Joseph Dufour, son père adoptif, ce qui est confirmé par le certificat de naissance officiel délivré par le Directeur de l’état civil.

 

[65]           Selon la documentation au dossier, le Secrétariat joue un rôle actif surtout avant qu’une adoption internationale n’ait lieu. Il est déraisonnable d’exiger dans tous les cas d’adoptions antérieures à l’entrée en vigueur de l’article 5.1 de la Loi un certificat du Secrétariat sous prétexte que c’est ce qu’exige l’alinéa 5.1(3) de la Loi. Cette dernière disposition ne fait pas explicitement mention d’un certificat du Secrétariat. Il n’est donc pas surprenant que, plus de dix ans après l’adoption du demandeur, le Secrétariat n’ait pas donné suite à la requête de l’agent de citoyenneté d’obtenir une opinion concernant l’adoption du demandeur, d’autant plus que le jugement étranger a été reconnu en 2002 par la Cour du Québec.

 

[66]           Vu les circonstances particulières du présent dossier, la production d’un certificat de conformité de l’adoption au droit québécois, émanant du Secrétariat, n’était pas nécessaire en l’espèce. L’absence de certificat est seulement un prétexte pour refuser d’accorder la demande de citoyenneté.

 

[67]           L’agent de citoyenneté conclut également que l’adoption du demandeur visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou la citoyenneté, car c’est à la demande de l’enfant et de sa mère que le père adoptif a fait la demande d’adoption. Il s’agit également d’un prétexte. Encore une fois, il est manifeste que l’agent de citoyenneté a omis de considérer l’ensemble de la preuve au dossier à la lumière des facteurs pertinents.

 

[68]           Selon la preuve au dossier, l’adoption a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant et elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté. La suggestion qu’il pourrait s’agir d’une adoption de complaisance est démentie par les nombreuses preuves et le maintien des liens entre le père adoptif et le demandeur au cours des années qui ont suivi leur arrivée au Canada et l’obtention du statut de résident permanent du demandeur en 2004.

 

[69]           Si l’on examine les circonstances entourant l’adoption, on note que le père biologique du demandeur était mort. Le père adoptif du demandeur était lui-même un orphelin, ce qui peut expliquer pourquoi il a accepté d’adopter le demandeur à la demande de sa mère biologique qui était dans le besoin. De plus, les enfants du quartier s’en prenaient beaucoup au demandeur. Le père adoptif avait passé plusieurs mois en Haïti à s’occuper personnellement du demandeur ainsi que son frère lorsque leur mère travaillait. Il donnait des cours de français et servait de tuteur.

 

[70]           Le père adoptif est demeuré un an en Haïti avec le demandeur avant d’entreprendre des démarches pour revenir au Canada. Suite à leur arrivée au Québec, il a continué d’agir comme un véritable père à l’endroit du demandeur qui a été inscrit à l’école et intégré dans la famille du père adoptif. Le demandeur a continué à vivre pendant de nombreuses années avec son père adoptif qui dit avoir tout fait pour lui offrir une vie meilleure et assurer sa sécurité. Aujourd’hui, les liens affectifs entre le demandeur et son père adoptif sont encore très forts. À tous égards, l’autorité des parents biologiques après l’adoption a été transférée au père adoptif.

 

[71]           En l’espèce, la preuve au dossier ne permet pas de conclure que l’adoption du demandeur visait principalement l’obtention d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou la citoyenneté. S’agissant d’acquérir la citoyenneté canadienne, le régime plus favorable instauré par l’article 5.1 de la Loi pour les enfants mineurs adoptés à l’étranger n’existait pas en 2001. Le dossier d’immigration a été détruit, mais on sait que le demandeur a dû attendre jusqu’en 2004 pour acquérir le statut de résident permanent.

 

[72]           La décision contestée est déraisonnable à tous égards. L’agent de citoyenneté n’a pas discrétion pour agir pour un motif détourné ou pour refuser une demande de citoyenneté qui rencontre autrement les conditions de l’article 5.1 de la Loi.

 

[73]           Pour tous ces motifs, la présente demande sera accueillie. La décision de l’agent de citoyenneté sera infirmée. Une nouvelle détermination de la demande de citoyenneté en vertu de l’article 5.1 de la Loi devra être effectuée en tenant compte de la preuve au dossier, du droit applicable et des motifs de jugement de la Cour.

 

[74]           Vu le résultat, le demandeur a droit aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE ET ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
  2. La décision de l’agent de citoyenneté est infirmée;
  3. Une nouvelle détermination de la demande de citoyenneté en vertu de l’article 5.1 de la Loi doit être effectuée en tenant compte de la preuve au dossier, du droit applicable et des motifs de jugement de la Cour; et
  4. Les dépens sont en faveur du demandeur.

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-802-12

 

INTITULÉ :                                      BUROU JEANTY DUFOUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             5 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     4 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Vallières

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Ian Demers

POUR LE DÉFENDEUR

 

Me Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Alain Vallières

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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