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Date : 20130405

Dossier : T‑1405‑12

Référence : 2013 CF 346

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5  avril  2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

KANGARATNAM SATHEESAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, prise par la Division des appels, Direction des recours, Agence des services frontaliers du Canada, en qualité de déléguée du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre), de maintenir la confiscation des espèces saisies en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 (la Loi). La présente demande de contrôle judiciaire est présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

Contexte

[2]               Kangaratnam Satheesan (le demandeur) est né au Sri Lanka et est citoyen de l’Allemagne. Le 12 août 2010, il est arrivé au Canada en avion, en provenance de l’Allemagne, et il a omis de déclarer qu’il était en possession d’espèces d’une valeur supérieure à 10 000 $CAN, dont la déclaration est obligatoire aux termes du paragraphe 12(1) de la Loi et du paragraphe 2(1) du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412. À la suite d’un examen, une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (agente de l’ASFC) a établi que le demandeur importait 15 530 € et 24 $US (équivalant à 21 754,53 $CAN).

 

[3]               Les espèces non déclarées ont été saisies par l’agente de l’ASFC en application du paragraphe 18(1) de la Loi. Elles ont été conservées sans conditions quant à leur restitution conformément au paragraphe 18(2) de la Loi, étant donné que l’agente de l’ASFC était d’avis qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les espèces non déclarées pouvaient constituer des produits de la criminalité.

 

[4]               Le 18 août 2010, le demandeur a demandé, conformément à l’article 25 de la Loi, au ministre de décider s’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi. Cette demande a été faite au moyen d’un avis d’opposition qui ne mentionnait pas mais comportait en annexe deux documents : ce qui semblait être un contrat de vente, daté du 1er février 2010, d’une entreprise du demandeur à un acheteur nommé au prix de 10 000 €, et un bordereau bancaire daté du 11 août 2010 faisant état d’un retrait d’une somme de 2 000 €, tous deux rédigés en allemand. Le demandeur y expliquait notamment que sa connaissance limitée de l’anglais ne lui avait pas permis de comprendre le formulaire de déclaration et les sommes qu’il pouvait importer sans les déclarer.

 

[5]               Le 29 octobre 2010, un arbitre de la Division des appels, Direction des recours, ASFC, a envoyé au demandeur une lettre accusant réception de sa demande d’une décision du ministre sur la question de savoir s’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi et exposant en détail les motifs de la saisie des espèces non déclarées; était annexée à cette lettre une copie du rapport descriptif établi par l’agente de l’ASFC qui avait interrogé le demandeur au point d’entrée par lequel il était arrivé au Canada. Le demandeur a été invité à fournir d’autres éléments de preuve documentaires pour établir un lien entre l’ensemble des fonds saisis et les bénéfices tirés de la pizzéria. Advenant la présentation d’une preuve insuffisante, les soupçons quant à la provenance criminelle des espèces demeureraient.

 

[6]               Le demandeur a rédigé une longue réponse que l’ASFC a reçue le 22 novembre 2010. Il y était indiqué que l’acheteur de la pizzéria du demandeur avait payé le prix d’achat de 10 000 € en billets de 500 €, que le demandeur avait conservés dans son logement. Il avait joint à cette réponse des extraits du contrat d’achat traduits en anglais de même que sa déclaration de revenus pour 2008; il traitait aussi d’autres questions soulevées dans sa correspondance antérieure avec l’ASFC. Il était aussi précisé dans la lettre que le demandeur avait demandé les services d’un interprète à l’agente de l’ASFC qui l’a interrogé au point d’entrée, mais que sa demande avait été refusée. À cause de ce refus, il a mal compris les questions que lui posait l’agente; ses explications n’étaient donc pas claires et l’agente de l’ASFC les avait, à tort, jugées contradictoires. Le demandeur a envoyé une lettre de suivi le 17 janvier 2011.

 

[7]               Dans une lettre datée du 30 mars 2011, l’arbitre a demandé une copie intégrale de la version originale en allemand du contrat d’achat de la pizzéria et a ajouté qu’au moment de l’examen initial des documents qui avaient été soumis par le demandeur, il ne semblait pas exister des traces documentaires complètes permettant d’établir un lien entre les fonds saisis et le produit de la vente de la pizzéria et qu’aucun document n’avait été fourni pour expliquer la source des fonds saisis qui dépassaient le prix d’achat de 10 000 €. L’arbitre l’informait que, pour dissiper les soupçons quant à l’origine criminelle des espèces saisies, [traduction] « des éléments de preuve documentaire suffisants [devaient] être fournis pour rattacher le montant total des fonds saisis à une source légitime ». La lettre précisait aussi que le facteur langue ne semblait pas avoir été à la source de l’omission du demandeur de déclarer les espèces saisies ou de répondre aux questions de l’agente de l’ASFC concernant les espèces en cause. Le demandeur a été invité à fournir des éléments de preuve supplémentaires pour établir un lien entre la somme de 10 000 € des fonds saisis et la vente de la pizzéria et à démontrer que le reste des fonds saisis avait été retiré du compte d’épargne du demandeur et que ce compte était bien la source des fonds.

 

[8]               Le 4 mai 2011, le demandeur a transmis le contrat d’achat de la pizzéria et le bordereau de retrait, en soulignant que les deux documents avaient déjà été remis. Il déclarait que l’information qu’il avait déjà transmise devrait permettre d’établir qu’il avait travaillé dur et qu’il avait économisé l’argent qu’il possédait. En ce qui concerne la partie des fonds saisis qui n’était pas visée par le bordereau de retrait et la vente de la pizzéria, il a déclaré que ces fonds provenaient de petits retraits antérieurs de la banque et de sommes conservées à la pizzéria.

 

[9]               Dans une lettre datée du 10 juin 2011, l’arbitre a reconnu que le demandeur semblait avoir vendu sa pizzéria contre 10 000 € le 1er février 2010, qu’il avait retiré 2 000 € de la banque le 11 août 2010 et que ses documents fiscaux indiquaient son revenu pour 2008, mais il a ajouté qu’il [traduction] « manquait encore des éléments de preuve pour établir un lien entre, d’une part, les fonds saisis et, d’autre part, la vente de l’entreprise et l’épargne du demandeur ». De plus, étant donné qu’il n’avait fourni aucun document relatif à ses frais de subsistance, il était impossible d’établir quelle portion du produit de la vente de l’entreprise et du reste de son épargne demeurait après le calcul de ces frais de subsistance. Le demandeur était encore une fois invité à fournir une piste documentaire complète pour rattacher les fonds saisis à la vente de la pizzéria et à ses revenus.

 

[10]           Le demandeur a répondu dans une lettre datée du 12 juillet 2011, à laquelle était annexée une lettre de l’acheteur de la pizzéria qui confirmait avoir payé 10 000 € au moyen de vingt billets de 500 € chacun.

 

[11]           Dans une lettre datée du 26 juillet 2011, l’arbitre a accusé réception de la lettre du demandeur datée du 12 juillet 2011, mais a déclaré que la preuve n’était toujours pas suffisante pour permettre de rattacher les fonds saisis à la vente de la pizzéria et aux revenus du demandeur.

 

[12]           Plus précisément, les fonds reçus de la vente de la pizzéria étaient inférieurs à la somme saisie et aucun document n’établissait de lien entre les fonds saisis et cette source. De plus, selon les autres documents qui avaient été transmis, le revenu déclaré pour 2008 aurait été reçu deux ans avant la saisie et il n’était pas possible de confirmer si une partie des fonds saisis provenait de ce revenu. Les documents relatifs à l’évaluation des activités pour 2008 et 2009 ne semblaient pas démontrer l’origine des fonds saisis et le bordereau de retrait à la banque indiquait un montant inférieur à la somme saisie et ne contenait pas de renseignements sur la source de ces fonds. De plus, le demandeur n’a pas établi de lien entre ses frais de subsistance et le produit de la vente de la pizzéria et ses revenus.

 

[13]           Le 21 octobre 2011, l’arbitre a établi un [traduction] « Résumé de l’affaire et motifs de la décision ». Dans ce document, il a présenté la preuve et les diverses observations et recommandé que le ministre décide, conformément au paragraphe 27(1) de la Loi, que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi en omettant de déclarer les espèces importées et qu’il confirme la confiscation des espèces en application de l’alinéa 29(1)c).

 

[14]           La directrice, Division des appels, Direction des recours, ASFC, qui agit en qualité de déléguée du ministre (la directrice), a accepté les recommandations. Dans une lettre datée du 7 décembre 2011, elle a informé le demandeur de la décision du ministre (la décision). Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur cherche à obtenir une ordonnance qui annule la décision et renvoie l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[15]           Selon la décision, la directrice, qui agissait en qualité de déléguée du ministre, a décidé conformément à l’article 27 de la Loi qu’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi relativement aux espèces saisies et que ces espèces devaient être confisquées en vertu de l’article 29 de la Loi.

 

[16]           Les motifs de la décision reprennent les raisons pour lesquelles l’agente de l’ASFC, soupçonnant qu’il s’agissait de produits de la criminalité, a saisi les espèces, comme elle l’a indiqué dans le rapport descriptif. Voici les raisons données :

•           Le demandeur et sa sœur ont quitté le Sri Lanka comme réfugiés à l’époque où les Tigres tamouls fuyaient aussi le Sri Lanka.

 

•           Le demandeur a quitté l’Allemagne pour se rendre au Canada après être allé au Sri Lanka un mois plus tôt.

 

•           Il n’a pas pu expliquer comment il avait pu acheter des billets d’avion pour se rendre à la fois au Sri Lanka et au Canada.

 

•           Il a donné des versions contradictoires quant à l’objet de son voyage et il n’avait que peu de détails à fournir au sujet de sa visite.

 

•           Il a fourni des versions contradictoires au sujet de la personne qui l’attendait à l’aéroport.

 

•           Il a répondu de façon évasive et est devenu nerveux lorsqu’il a été interrogé au sujet des Tigres tamouls.

 

•           Les espèces saisies n’étaient pas emballées et les billets n’étaient pas tous placés de la même façon, ce qui indiquait qu’ils n’avaient pas été obtenus d’une banque.

 

•          Les espèces n’avaient pas été déclarées aux douanes allemandes.

 

•           Il y avait des contradictions dans sa version concernant ses déplacements, son emploi et la source des fonds.

 

•           Il avait de la difficulté à expliquer de quelle façon les espèces étaient entrées en sa possession et il n’avait pas de documents qui démontraient leur origine.

 

•           Son habitude de traiter au comptant et d’avoir recours à de nombreuses banques donne à penser qu’il cherchait à se soustraire aux exigences des banques en matière de déclaration.

 

•           Il a fait des déclarations contradictoires quant aux raisons pour lesquelles il allait remettre cet argent à sa sœur.

 

•           Il n’a pas été en mesure de fournir de renseignements sur sa situation financière personnelle.

 

•           Il ne savait pas combien d’argent il avait en sa possession et il n’a pas semblé préoccupé par la saisie des sommes en question.

 

[17]           Les motifs de la décision décrivent ensuite les observations du demandeur visant à justifier la demande d’appel puis répondent à chacune de ces observations. En ce qui concerne l’assertion selon laquelle il ne comprenait pas suffisamment bien l’anglais pour bien saisir les exigences énoncées dans la formule de déclaration, la directrice souligne que l’agente de l’ASFC avait précisément mentionné dans son rapport qu’il n’y avait pas de problème de langue. L’agente de l’ASFC avait demandé au demandeur s’il comprenait bien tout ce qui figurait sur la carte de déclaration du voyageur (CDV) et ce dernier aurait répondu que oui et qu’il savait de quelle façon faire la déclaration. De plus, la directrice a ajouté que si le demandeur n’avait pas compris les questions sur la CDV ou les questions posées par l’agente de l’ASFC, il lui revenait d’attirer l’attention de l’agente de l’ASFC à cet égard, de sorte que l’aide nécessaire puisse lui être accordée. La directrice a conclu que la question de la langue n’expliquait pas le défaut du demandeur de déclarer les espèces qu’il avait en sa possession.

 

[18]           En ce qui concerne les fonds saisis, même si le demandeur a déclaré qu’ils étaient constitués du produit de la vente de sa pizzéria et d’autres bénéfices tirés de son entreprise, la directrice n’était pas convaincue que la preuve soumise par le demandeur établissait l’origine légitime des espèces. En effet, selon le contrat de vente, la pizzéria avait été vendue contre 10 000 € le 1er février 2010. Cependant, ces fonds étaient inférieurs à la somme saisie, même combinés au retrait personnel de 2 000 € du compte, confirmé par un bordereau. Aucune preuve documentaire n’établissait de lien entre le produit de la vente et les fonds saisis.

 

[19]           Selon la déclaration de revenus de l’entreprise du demandeur pour 2008, les activités de cette dernière avaient dégagé des recettes de 200 171 €. La directrice a souligné que ces revenus avaient été reçus deux ans avant la date de la saisie et qu’aucune preuve documentaire ne liait le produit des activités de l’entreprise aux fonds saisis. De la même façon, le bordereau de retrait de 2 000 € ne contenait pas de renseignements sur l’origine de ces fonds. De plus, aucun document n’avait été remis pour faire état des frais de subsistance du demandeur. Par conséquent, la directrice a été incapable d’établir la proportion des fonds saisis provenant de l’origine légitime alléguée après la prise en compte des frais de subsistance du demandeur. Pour cette raison, le ministre a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour restituer les fonds confisqués.

 

Questions en litige

[20]           Le demandeur soutient qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale étant donné qu’il n’a pas eu droit aux services d’un interprète au point d’entrée, même s’il l’avait demandé, et que le ministre n’a pas exercé raisonnablement le pouvoir que lui confère l’article 29 en matière de confiscation.

 

[21]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

a.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.         Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

c.         La déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur en estimant que les fonds devaient être confisqués?

 

Position des parties

Le demandeur

[22]           Le demandeur soutient qu’il parle l’anglais avec difficulté et qu’il a demandé à plusieurs reprises l’aide d’un interprète connaissant l’allemand lorsqu’il était interrogé par l’agente de l’ASFC au point d’entrée. Étant donné qu’il n’a pas eu accès à un interprète au moment où il l’a demandé, que sa maîtrise de l’anglais était insuffisante pour lui permettre de répondre efficacement aux questions qui lui étaient posées par l’agente de l’ASFC et que des inférences négatives ont été tirées des présumées contradictions dans ses réponses, il y a eu un manquement à l’équité procédurale qui a entraîné une erreur susceptible de contrôle.

 

[23]           Le demandeur ajoute que le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre à l’article 29 de la Loi n’a pas été exercé de façon raisonnable. Dans Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2008] ACF no 1267, le ministre disposait uniquement comme éléments de preuve d’affidavits dont il était impossible de vérifier la validité. Par contre, en l’espèce, le demandeur a fourni des documents vérifiables, y compris le contrat de vente de la pizzéria contre 10 000 €, un bordereau bancaire faisant état d’un retrait de 2 000 € et une déclaration de revenus d’entreprise indiquant des recettes de 200 171 €.

 

[24]           Selon le demandeur, le ministre exigeait de lui l’impossible en insistant pour obtenir des éléments de preuve documentaires rattachant le produit de la vente de la pizzéria aux fonds saisis; par conséquent, il se comportait de façon déraisonnable. Étant donné qu’il s’agissait d’une vente au comptant, il n’existe aucune preuve documentaire directe et le demandeur a fourni des documents corroborants suffisants qui étaient raisonnables dans les circonstances.

 

[25]           Le demandeur souligne que seule la provenance d’un montant de 3 530 € n’est pas expliquée après la prise en compte du produit de la vente de la pizzéria et du retrait bancaire, soit simplement 2,5 p. 100 des recettes de l’entreprise du demandeur en 2008. De plus, il est raisonnable de supposer que les 2 000 € provenant du compte personnel et la somme de 3 530 € étaient tirés du produit des activités de son entreprise. Se fondant sur les documents qu’il a soumis, le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnable que le ministre conclue qu’il n’était pas convaincu que les fonds saisis ne constituaient pas des produits de la criminalité.

 

[26]           Le demandeur fait également valoir que les insinuations non étayées sur ses liens avec les Tigres tamouls minent la décision. Les observations et conclusions du ministre qui font état d’un lien entre le demandeur et les Tigres tamouls sont déraisonnables.

 

Le défendeur

[27]           Le défendeur souligne avec insistance qu’il y a eu de toute évidence défaut de déclarer les espèces en cause et, par conséquent, contravention à l’article 12 de la Loi. Toute contestation de cette conclusion doit se faire au moyen d’un appel en vertu de l’article 27 de la Loi. Le présent contrôle judiciaire a simplement pour objet la décision du ministre de confisquer les devises saisies en vertu de l’article 29.

 

[28]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a ni demandé les services d’un interprète ni eu besoin de ces services lorsqu’il était interrogé par l’agente de l’ASFC au point d’entrée. Selon le dossier, le demandeur a déclaré à l’agente de l’ASFC qu’il comprenait la déclaration et qu’il avait signé la CDV lui‑même; de plus, dans ses observations ultérieures, il n’a pas nié avoir effectué lesdites déclarations. Selon les notes de l’agente, le demandeur [traduction] « avait une bonne maîtrise de l’anglais et n’avait pas de difficulté à comprendre les questions ». Cette affirmation est confirmée par le rapport descriptif qui fait état d’une longue conversation avec le demandeur au cours de laquelle ce dernier a été en mesure de s’exprimer de façon claire et détaillée en réponse aux questions qui lui étaient posées.

 

[29]           Selon le défendeur, au cours de ses premières communications avec l’ASFC, datées du 18 août 2010, le demandeur a déclaré avoir une connaissance limitée de l’anglais, mais il n’a pas mentionné un refus à une demande de services d’interprétation. Cette allégation a été formulée uniquement après que le défendeur eut indiqué dans une lettre datée du 29 octobre 2010 que le demandeur comprenait les questions qui lui étaient posées et qu’il aurait dû demander de l’aide s’il en avait eu besoin. Même si les services d’un interprète avaient été fournis, l’issue de l’examen aurait été la même étant donné l’itinéraire, les antécédents sociaux, les fausses déclarations et le comportement du demandeur.

 

[30]           Le défendeur nie qu’on ait présumé l’existence de liens entre le demandeur et les Tigres tamouls. Il soutient que, selon le dossier, le demandeur a nié avoir des liens personnels avec les Tigres tamouls et a été interrogé sur la question de savoir si les membres de sa famille les appuyaient, même s’il ne le faisait pas, lui. Sa réaction aux questions sur ce sujet aurait été la même en présence d’un interprète.

 

[31]           Le défendeur soutient que la décision était raisonnable parce que les trois documents qui avaient été soumis n’établissaient pas la légitimité de la source des fonds saisis. Les fonds provenant de la vente de l’entreprise un an plus tôt ne peuvent être rattachés aux espèces saisies uniquement par le contrat de vente. Aucun document n’établissait de lien entre le revenu gagné en 2008 et les espèces saisies. Le bordereau de retrait visait un montant inférieur à la différence entre la somme saisie et le produit de la vente de la pizzéria et aucun document ne confirmait la légitimité de l’origine des fonds retirés de la banque. Or, il incombe au demandeur de convaincre le ministre que les fonds ne constituent pas des produits de la criminalité (arrêt Sellathurai, précité; Lau c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 788, [2012] ACF no 813). Le demandeur aurait pu le faire en fournissant des documents courants suffisamment crédibles ou convaincants permettant de rattacher les espèces à une source légitime, comme des documents bancaires faisant état du solde d’un compte, des déclarations d’exportation des douanes allemandes ou des papiers de la banque, mais il a décidé de ne pas le faire. Par conséquent, la décision du ministre était raisonnable.

 

Norme de contrôle

[32]           Lorsque la jurisprudence a défini la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour, celle‑ci peut l’adopter (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[33]           Dans l’arrêt Sellathurai, précité, la Cour d’appel a précisé que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions du ministre est celle de la décision raisonnable (au paragraphe 25). Cette approche a été adoptée par la Cour dans la décision Lau, précitée, au paragraphe 29.

 

[34]           Lorsqu’elle contrôle la décision du ministre selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la décision n’est pas transparente, justifiable et intelligible et n’appartient pas aux issues acceptables au vu des éléments de preuve soumis (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Il ne revient pas à une cour de révision de substituer l’issue qui serait à son avis préférable et il ne lui appartient pas non plus d’apprécier à nouveau la preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[35]           Il est bien établi qu’en ce qui concerne l’équité procédurale, aucune déférence n’est de mise à l’égard du tribunal administratif (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 43).

 

Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[36]           Même si aucune déférence n’est de mise à l’égard des tribunaux administratifs quant au contenu de l’obligation d’équité, l’allégation de manquement à l’équité procédurale en l’espèce est une question de fait : le demandeur avait‑il besoin ou non d’un interprète? Le défendeur nie que les services d’un interprète aient été demandés. Il semble admettre que si le demandeur avait réellement demandé les services d’un interprète et que ces derniers lui avaient été refusés, il y aurait alors eu manquement à l’équité procédurale. La Cour n’a donc pas à se prononcer sur le contenu précis de l’obligation d’équité en l’espèce.

 

[37]           Étant donné que le différend porte uniquement sur une question de fait, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur à qui le Parlement a confié cette tâche, en l’espèce la directrice d’un des services de l’ASFC en tant que déléguée du ministre (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 46). Même si une conclusion de fait est pertinente dans le contexte d’un différend relatif à l’équité procédurale, la Cour ne se transforme pas en juge des faits lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision d’un tribunal administratif qui a déjà examiné la question en litige.

 

[38]           En l’espèce, la directrice a conclu que le facteur langue n’a pas joué un rôle dans le défaut de déclarer les espèces, c’est‑à‑dire la contravention au paragraphe 12(1), qui a eu lieu selon ce qu’elle a décidé en application de l’article 27. La directrice a déclaré dans ses motifs que si le demandeur n’avait pas compris les questions figurant sur la CDV ou posées par l’agente de l’ASFC au point d’entrée, il lui incombait de le faire savoir à l’agente de l’ASFC, à ce moment‑là, afin que l’aide requise lui soit apportée. La conclusion de fait de la directrice est donc que le demandeur n’a pas demandé les services d’un interprète.

 

[39]           Pour parvenir à ces conclusions, la directrice s’est appuyée sur le rapport descriptif de l’agente de l’ASFC. Il s’agit d’un rapport détaillé de sept pages établi le jour où le demandeur est entré au Canada. En voici un extrait :

[traduction]

Lorsqu’il s’est présenté à mon comptoir, j’ai demandé à M. SATHEESAN si le sac et les effets qu’il transportait étaient les siens, s’il avait rempli lui‑même le sac et s’il en connaissait le contenu. M. SATHEESAN a répondu par l’affirmative à ces trois questions. J’ai demandé à M. SATHEESAN si le sac contenait des objets pointus ou dangereux et il a répondu par la négative. J’ai demandé à M. SATHEESAN s’il avait quitté l’Allemagne avec son sac, et M. SATHEESAN a répondu par l’affirmative. J’ai demandé à M. SATHEESAN si la carte E311 que j’avais dans la main était sa carte de déclaration, et il a répondu par l’affirmative. Je lui ai demandé s’il avait compris tout ce qui se trouvait sur la carte. M. SATHEESAN a répondu qu’il avait tout compris et qu’il savait de quelle façon faire une déclaration dans les formes. Le processus d’examen a été expliqué à M. SATHEESAN. M. SATHEESAN n’avait pas de questions à poser.

 

M. SATHEESAN avait une bonne maîtrise de la langue anglaise et n’avait pas de difficulté à m’entendre et à comprendre ce qui était dit et à répondre aux questions en anglais.

 

[40]           Dans les six pages suivantes, le rapport descriptif relate l’interrogatoire du demandeur qui a suivi et ses réponses aux nombreuses questions qui lui étaient posées.

 

[41]           Le demandeur soutient qu’il a demandé à la fois de l’eau et les services d’un interprète. Le rapport descriptif confirme que le demandeur a demandé un verre d’eau. L’agente de l’ASFC a indiqué dans son rapport avoir dit au demandeur qu’elle irait lui chercher de l’eau, mais qu’il devait absolument répondre aux questions. Elle a ensuite posé sa question de nouveau. Il n’est pas précisé si elle a fourni le verre d’eau qui était demandé. Il n’est pas question dans le rapport descriptif de la demande des services d’un interprète.

 

[42]           Dans son avis d’opposition daté du 18 août 2010, le demandeur a déclaré qu’il ne connaissait pas suffisamment bien l’anglais pour bien comprendre la formule de déclaration et qu’il n’était pas certain du montant d’argent qu’il était autorisé à importer sans avoir à le déclarer. Dans sa lettre du 22 novembre 2010, le demandeur a affirmé pour la première fois qu’il avait demandé les services d’un interprète, mais que cette demande avait été rejetée par l’agente de l’ASFC au motif qu’il maîtrisait suffisamment bien l’anglais.

 

[43]           La directrice n’a pas accepté l’allégation du demandeur selon laquelle il avait demandé les services d’un interprète et que ces services lui avaient été refusés. Elle lui a préféré le témoignage de l’agente de l’ASFC et, s’appuyant sur ce témoignage, elle a conclu que le facteur langue n’avait pas joué un rôle dans le défaut du demandeur de déclarer l’importation des espèces saisies. Elle a aussi considéré comme établi le fait que le demandeur avait une bonne maîtrise de l’anglais et qu’il n’avait pas de difficulté à entendre l’agente et à comprendre les questions qui lui étaient posées en anglais et à y répondre, comme il a été déclaré dans le rapport descriptif.

 

[44]           Comme il en a été question précédemment, la directrice a droit une grande déférence de la part d’une cour de révision sur les questions de fait (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 46). Je ne vois pas de raison de modifier sa conclusion implicite selon laquelle les services d’un interprète n’avaient pas été demandés étant donné que cette conclusion est transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartient à l’éventail des issues possibles acceptables compte tenu de la preuve au dossier dont elle disposait.

 

[45]           Comme il n’a pas réussi à réfuter cette conclusion de fait, le demandeur n’est pas fondé à soutenir qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale assimilable à une erreur susceptible de révision.

 

La déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur en estimant que les fonds devaient être confisqués?

[46]           Dans l’arrêt Sellathurai, précité, des fonds avaient été saisis et confisqués parce que M. Sellathurai ne les avait pas déclarés à une agente des douanes en vertu de l’article 12 de la Loi. Il a été reconnu qu’au moment de la saisie, il existait des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds étaient des produits de la criminalité ou étaient utilisés pour financer des activités terroristes. Il s’agissait pour la Cour d’appel fédérale d’établir si le ministre avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en refusant de restituer les fonds en question à M. Sellathurai.

 

[47]           La Cour d’appel a ensuite décrit ce qui est en cause dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision du ministre rendue en vertu de l’article 29 :

[49]      Lorsque le ministre réclame de façon répétée une preuve de la légitimité de la provenance des espèces saisies, comme il l’a fait en l’espèce, on est en droit de conclure qu’il s’est fondé sur les éléments de preuve fournis à cet égard par le demandeur pour prendre sa décision. La logique sous‑jacente est inattaquable. Si l’on peut démontrer la légitimité de leur provenance, les espèces ne peuvent être considérées comme des produits de la criminalité.

 

[50]      Si, en revanche, le ministre n’est pas convaincu de la légitimité de la provenance des espèces saisies, il ne s’ensuit pas que les fonds sont des produits de la criminalité, mais simplement que le ministre n’est pas convaincu qu’il ne s’agit pas de produits de la criminalité. La distinction est importante parce qu’elle porte directement sur la nature de la décision que le ministre est appelé à prendre en vertu de l’article 29 qui, comme nous l’avons déjà signalé, vise une demande d’annulation de la confiscation. La question à trancher n’est pas celle de savoir si le ministre peut démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds saisis sont des produits de la criminalité, mais uniquement celle de savoir si le demandeur est en mesure de convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en lui démontrant que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité. Sans exclure la possibilité de convaincre par d’autres moyens le ministre à cet égard, la démarche qui s’impose consiste à démontrer la légitimité de la provenance des fonds. C’est bien ce que le ministre a réclamé en l’espèce et, vu l’incapacité de M. Sellathurai de lui faire cette démonstration, le ministre avait le droit de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation.

 

[48]           La Cour d’appel a aussi indiqué que le contrôle des décisions prises en vertu de l’article 29 ne doit pas être effectué selon une norme autre que celle de la décision raisonnable :

[51]      On en arrive à la question qui a été débattue à fond devant nous. À quelle norme de preuve le demandeur doit‑il satisfaire pour convaincre le ministre que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité? À mon avis, pour y répondre, il faut d’abord répondre à la question de la norme de contrôle. La norme de contrôle qui s’applique à la décision du ministre prévue à l’article 29 est celle de la décision raisonnable. Il s’ensuit que, si la conclusion du ministre au sujet de la légitimité de la provenance des fonds est, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, raisonnable, sa décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Dans le même ordre d’idées, si la conclusion du ministre n’est pas raisonnable, sa décision est susceptible de contrôle et la Cour doit intervenir. Il n’est ni nécessaire ni utile de tenter de définir à l’avance la nature et le type de preuve que le demandeur doit soumettre au ministre.

 

[49]           En l’espèce, le ministre a suivi l’approche décrite dans l’arrêt Sellathurai, précité, en demandant à plusieurs reprises au demandeur de lui fournir une preuve documentaire démontrant la source légitime des fonds saisis. Par conséquent, il s’agit en l’espèce d’établir s’il était raisonnable que le ministre conclue, selon la preuve dont il disposait, qu’il n’était pas convaincu de la légitimité de la source des fonds.

 

[50]           Alors que dans l’arrêt Sellathurai, précité, les seuls éléments de preuve soumis étaient constitués d’affidavits dont la validité ne pouvait être vérifiée, j’estime qu’en l’espèce il était aussi raisonnable que le ministre conclue que les documents présentés par le demandeur ne permettaient pas d’établir la légitimité des fonds. Les seuls fonds à l’égard desquels une source directe et potentiellement légitime a été mentionnée étaient ceux qui provenaient de la vente de la pizzéria. Cependant, rien ne prouve que les vingt billets de 500 € saisis constituaient vraiment le produit de la vente de cette entreprise : rien ne rattache ces espèces à ladite opération de vente. De plus, vu l’absence d’autres documents financiers faisant état des dépenses du demandeur au cours des deux années qui se sont écoulées depuis, il était raisonnable que le ministre refuse de supposer que la totalité de la somme de 10 000 € avait été conservée dans son intégralité, comme l’a soutenu le demandeur.

 

[51]           Le ministre a aussi demandé à plusieurs reprises des documents susceptibles d’établir une source légitime pour la somme de 2 000 € que le demandeur a retirée de son compte de banque. Le retrait bancaire ne révèle pas la source initiale de la somme de 2 000 €, à savoir si cette somme provenait des recettes d’exploitation de la pizzéria en 2008 ou d’une autre source. Les relevés de la même banque auraient probablement permis d’établir cette source et le demandeur aurait pu fournir lesdits relevés. Le demandeur a aussi refusé de produire tout document qui aurait pu démontrer que les bénéfices tirés de son entreprise lui ont permis de subsister depuis 2008 et qu’ils étaient la source légitime de la somme de 2 000 € qu’il a retirée de son compte personnel.

 

[52]           En ce qui concerne les dossiers fiscaux, ils démontrent que l’entreprise réalisait des bénéfices, mais ils ne révélaient pas de quelle façon l’argent saisi a un lien avec ces revenus. En résumé, le demandeur n’a pas réussi à établir l’existence d’un lien entre les fonds saisis et une source légitime de cet argent.

 

[53]           Je suis aussi incapable d’accepter l’argument du demandeur selon lequel le ministre a exigé l’impossible et que, par conséquent, la décision est déraisonnable. Il incombe au demandeur de convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en lui démontrant que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité. Le demandeur a soutenu que le ministre avait exigé l’impossible parce que, dans le cas de la vente au comptant, seul un document montrant les numéros de série consécutifs des billets de 500 € saisis, établi au moment où ils ont été reçus comme paiement de la pizzéria, suffirait à rattacher les espèces à une source légitime. À première vue, cet argument semble avoir un certain poids. Cependant, dans le contexte des documents très sommaires que le demandeur était prêt à fournir en réponse aux demandes répétées du ministre, comparativement aux dossiers qui devraient normalement et, par conséquent, raisonnablement se retrouver dans le contexte d’opérations financières commerciales et personnelles, et compte tenu des objets de la Loi décrits à l’article 3 (voir aussi la décision Lau, précitée, au paragraphe 35), je ne pense pas que la demande du ministre était déraisonnable.

 

[54]           Étant donné que le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisante pour convaincre le ministre que les fonds saisis ne constituaient pas des produits de la criminalité, le ministre a refusé de façon raisonnable d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en vertu de l’article 29. Sa décision ne doit pas faire l’objet d’un contrôle.

 

[55]           Le demandeur soutient aussi que la décision était minée par les « insinuations » qui établissent un lien entre le demandeur et les Tigres tamouls et que les observations et conclusions du ministre à cet égard sont déraisonnables. Certains des commentaires consignés au dossier concernant l’origine ethnique tamoule du demandeur, pris isolément, me font réfléchir. Par exemple, c’est un procédé douteux que de juger suspect le fait que le demandeur a quitté le Sri Lanka en même temps que des membres des Tigres tamouls étant donné que le demandeur était un enfant à l’époque et que la guerre civile qui faisait rage dans ce pays avait poussé de nombreux citoyens à fuir. De la même façon, soupçonner le demandeur d’activités illégales du fait qu’il se rendait dans un quartier de Scarborough [traduction] « connu pour son appui aux Tigres tamouls » peut être assimilé à un stéréotype. Il semble aussi raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne interrogée dans un aéroport relativement au problème du terrorisme réagisse avec nervosité.

 

[56]           En l’espèce, cependant, ces éléments ne sont pas pertinents parce que seule la décision du ministre rendue en vertu de l’article 29 est en cause. Le fait que le demandeur a omis de déclarer l’importation de fonds supérieurs à 10 000 $CAN n’est pas contesté. Cependant, comme les fonds ont alors été confisqués conformément au paragraphe 18(1) et n’ont pas été restitués parce que l’agente de l’ASFC avait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces étaient des produits de la criminalité au sens du paragraphe 18(2), la seule façon pour le demandeur de contester la confiscation en vertu de l’article 18 était de demander au ministre, en vertu de l’article 25, de décider s’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1). Comme le ministre a répondu affirmativement à cette question, il peut, en vertu du paragraphe 29(1), exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation (voir Sidhu c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 911).

 

[57]           Comme il a été établi dans l’arrêt Sellathurai, précité :

[34]      Le ministre n’est appelé à exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 29 que lorsqu’il conclut, à la suite d’une demande présentée en vertu de l’article 25, qu’il y a effectivement eu contravention à l’article 12. En conséquence, le point de départ de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est le fait que les devises confisquées, qui se trouvent alors entre les mains du ministre des Travaux publics conformément à l’article 22, sont, à toutes fins que de droits, la propriété de l’État. Voici à ce propos ce qu’on trouve dans l’arrêt Canada c Central Railway Signal Co., [1933] R.C.S. 555, aux pages 557 et 558 :

 

[...]

 

[...]

 

[36]      Selon moi, il s’ensuit que la conclusion de l’agent des douanes suivant laquelle il a des motifs raisonnables de soupçonner que les devises saisies sont des produits de la criminalité devient caduque dès que le ministre confirme qu’il y a eu contravention à l’article 12. La confiscation est complète et les devises sont la propriété de l’État. La seule question qu’il reste à trancher pour l’application de l’article 29 est celle de savoir si le ministre exercera son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation soit en restituant les espèces confisquées elles‑mêmes soit en remboursant la pénalité prévue par la loi qui a été versée pour obtenir la restitution des espèces saisies.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[58]           Par conséquent, ces facteurs ne sont pas pertinents. Ils n’ont joué aucun rôle dans l’évaluation de la légitimité des fonds en vertu de l’article 29. Dans la décision, la mention des Tigres tamouls ne fait que justifier en partie la saisie initiale. La portion de la décision qui traite de l’article 29 concerne la preuve documentaire fournie par le demandeur dans une tentative d’établir l’origine légitime des espèces saisies, de la façon décrite précédemment. Quoi qu’il en soit, dans ses observations, le défendeur a déclaré qu’il n’y avait eu aucune inférence quant à l’existence d’un lien entre le demandeur et les Tigres tamouls.

 

[59]           Étant donné que le ministre n’a pas été saisi de la question d’un remboursement partiel des fonds, la Cour ne peut examiner pour la première fois cette question dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[60]           La décision du ministre était transparente, intelligible et justifiée et elle appartenait aux issues acceptables. La demande devrait donc être rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE A

 

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17

 

3. La présente loi a pour objet :

 

a) de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de recyclage des produits de la criminalité et aux infractions de financement des activités terroristes, notamment :

 

(i) imposer des obligations de tenue de documents et d’identification des clients aux fournisseurs de services financiers et autres personnes ou entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités susceptibles d’être utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité ou pour le financement des activités terroristes,

 

(ii) établir un régime de déclaration obligatoire des opérations financières douteuses et des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets,

 

(iii) constituer un organisme chargé de l’examen de renseignements, notamment ceux portés à son attention en application du sous‑alinéa (ii);

 

b) de combattre le crime organisé en fournissant aux responsables de l’application de la loi les renseignements leur permettant de priver les criminels du produit de leurs activités illicites, tout en assurant la mise en place des garanties nécessaires à la protection de la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant;

 

c) d’aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational, particulièrement le recyclage des produits de la criminalité, et la lutte contre les activités terroristes.

 

[...]

 

Déclaration

 

 

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l’agent, conformément aux règlements, l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

[...]

 

Déclarant

 

(3) Le déclarant est, selon le cas :

 

 

 

a) la personne ayant en sa possession effective ou parmi ses bagages les espèces ou effets se trouvant à bord du moyen de transport par lequel elle arrive au Canada ou quitte le pays ou la personne qui, dans les circonstances réglementaires, est responsable du moyen de transport;

 

 

 

b) s’agissant d’espèces ou d’effets importés par messager ou par courrier, l’exportateur étranger ou, sur notification aux termes du paragraphe 14(2), l’importateur;

 

 

 

c) l’exportateur des espèces ou effets exportés par messager ou par courrier;

 

 

 

d) le responsable du moyen de transport arrivé au Canada ou qui a quitté le pays et à bord duquel se trouvent des espèces ou effets autres que ceux visés à l’alinéa a) ou importés ou exportés par courrier;

 

 

 

e) dans les autres cas, la personne pour le compte de laquelle les espèces ou effets sont importés ou exportés.

 

[...]

 

Saisie et confiscation

 

18. (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

 

 

Mainlevée

 

 

(2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l’agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

[...]

 

 

 

 

Demande de révision

 

 

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l’article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l’agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

 

 

 

 

Signification du président

 

26. (1) Le président signifie sans délai par écrit à la personne qui a présenté la demande visée à l’article 25 un avis exposant les circonstances de la saisie à l’origine de la demande.

 

 

Moyens de preuve

 

(2) Le demandeur dispose de trente jours à compter de la signification de l’avis pour produire tous moyens de preuve à l’appui de ses prétentions.

 

 

Décision du ministre

 

27. (1) Dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent l’expiration du délai mentionné au paragraphe 26(2), le ministre décide s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

 

[...]

 

Cas de contravention

 

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

 

 

 

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux‑ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

 

 

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

 

 

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

 

3. The object of this Act is

 

 

(a) to implement specific measures to detect and deter money laundering and the financing of terrorist activities and to facilitate the investigation and prosecution of money laundering offences and terrorist activity financing offences, including

 

 

 

 

 

(i) establishing record keeping and client identification requirements for financial services providers and other persons or entities that engage in businesses, professions or activities that are susceptible to being used for money laundering or the financing of terrorist activities,

 

 

 

 

 

(ii) requiring the reporting of suspicious financial transactions and of cross‑border movements of currency and monetary instruments, and

 

(iii) establishing an agency that is responsible for dealing with reported and other information;

 

 

 

 

(b) to respond to the threat posed by organized crime by providing law enforcement officials with the information they need to deprive criminals of the proceeds of their criminal activities, while ensuring that appropriate safeguards are put in place to protect the privacy of persons with respect to personal information about themselves; and

 

 

(c) to assist in fulfilling Canada’s international commitments to participate in the fight against transnational crime, particularly money laundering, and the fight against terrorist activity.

 

[...]

 

 

 

Currency and monetary instruments

 

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

[...]

 

Who must report

 

(3) Currency or monetary instruments shall be reported under subsection (1)

 

(a) in the case of currency or monetary instruments in the actual possession of a person arriving in or departing from Canada, or that form part of their baggage if they and their baggage are being carried on board the same conveyance, by that person or, in prescribed circumstances, by the person in charge of the conveyance;

 

(b) in the case of currency or monetary instruments imported into Canada by courier or as mail, by the exporter of the currency or monetary instruments or, on receiving notice under subsection 14(2), by the importer;

 

(c) in the case of currency or monetary instruments exported from Canada by courier or as mail, by the exporter of the currency or monetary instruments;

 

(d) in the case of currency or monetary instruments, other than those referred to in paragraph (a) or imported or exported as mail, that are on board a conveyance arriving in or departing from Canada, by the person in charge of the conveyance; and

 

(e) in any other case, by the person on whose behalf the currency or monetary instruments are imported or exported.

 

[...]

 

Seizure and forfeiture

 

18. (1) If an officer believes on reasonable grounds that subsection 12(1) has been contravened, the officer may seize as forfeit the currency or monetary instruments.

 

Return of seized currency or monetary instruments

 

(2) The officer shall, on payment of a penalty in the prescribed amount, return the seized currency or monetary instruments to the individual from whom they were seized or to the lawful owner unless the officer has reasonable grounds to suspect that the currency or monetary instruments are proceeds of crime within the meaning of subsection 462.3(1) of the Criminal Code or funds for use in the financing of terrorist activities.

 

[...]

 

Request for ministre’s decision

 

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the ministre as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

Notice of President

 

26. (1) If a decision of the ministre is requested under section 25, the President shall without delay serve on the person who requested it written notice of the circumstances of the seizure in respect of which the decision is requested.

 

Evidence

 

(2) The person on whom a notice is served under subsection (1) may, within 30 days after the notice is served, furnish any evidence in the matter that they desire to furnish.

 

Decision of the ministre

 

27. (1) Within 90 days after the expiry of the period referred to in subsection 26(2), the ministre shall decide whether subsection 12(1) was contravened.

 

[...]

 

 

If there is a contravention

 

29. (1) If the ministre decides that subsection 12(1) was contravened, the ministre may, subject to the terms and conditions that the ministre may determine,

 

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the ministre of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

 

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

 

 

The ministre of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the ministre under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

 

 

Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412

 

2. (1) Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, les espèces ou effets dont l’importation ou l’exportation doit être déclarée doivent avoir une valeur égale ou supérieure à 10 000 $.

 

[...]

2. (1) For the purposes of reporting the importation or exportation of currency or monetary instruments of a certain value under subsection 12(1) of the Act, the prescribed amount is $10,000

 

[...]

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1405‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  SATHEESAN c MSPPCC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 27 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Parke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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