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Dossier : 20130402

Dossier : IMM‑4207‑12

Référence : 2013 CF 327

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

T.K.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et visant l’obtention d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’égard d’une décision datée du 19 avril 2012 (la décision) par laquelle un commissaire (le commissaire) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugé le demandeur interdit de territoire Canada, en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule.

Les antécédents du demandeur

[3]               Le demandeur est originaire du district de Jaffna, dans le nord du Sri Lanka. Les événements pertinents ont eu lieu en 2005 et en 2006. La guerre civile qui sévissait au Sri Lanka connaissait alors une trêve , mais les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) maintenaient une présence forte dans le secteur où résidait le demandeur.

[4]               Après son arrivée au Canada, le demandeur a été, à l’instar des membres de sa famille, interrogé à plusieurs reprises et il a été déféré pour enquête. Le demandeur a témoigné oralement et a de plus fait appel à un témoin expert, Kopalasingham Sritharan.

Témoignage du demandeur

[5]               Le demandeur a expliqué qu’il était membre d’un petit syndicat, pas très bien organisé, qui avait été formé pour les besoins des conducteurs d’automobiles. Le syndicat était dirigé par les conducteurs et n’avait aucun lien avec les TLET. Le président ni aucun autre membre du syndicat ne faisaient partie des TLET.

[6]               En 2005, les TLET ont fait savoir au demandeur et à une quinzaine d’autres membres du syndicat qu’ils devaient assister à une séance de formation de sept jours et que leur présence était obligatoire. De 50 à 60 personnes au total ont été réunies au camp. La formation consistait à visionner des films sur les TLET, à apprendre des chansons des TLET, et à être informé des personnes qui étaient mortes pour la cause des TLET ainsi que des progrès du mouvement. Le demandeur a fait des exercices tels que de la marche et de la course. On lui a montré comment creuser une tranchée en cas de bombardement et comment transporter des blessés. On lui a enseigné l’« auto‑défense », c.‑à‑d. comment construire un bunker, donner les premiers soins et se plaquer au sol en cas de bombardement. Cette formation n’était pas à proprement parler une formation de combat, se voulant plutôt une formation sur la façon de protéger le public si une guerre éclatait.

[7]               À l’occasion de diverses journées de commémoration, les membres des TLET avaient l’habitude d’organiser des réunions. Le demandeur était informé par l’entremise de son chef de syndicat qu’il devait aider à organiser ces réunions et que c’était là une obligation. Des membres du syndicat aidaient à confectionner et à hisser des drapeaux, à installer des chaises et des tentes et à distribuer des boissons et de la nourriture au public. D’autres syndicats, comme le syndicat des coiffeurs et le syndicat ouvrier, étaient aussi mobilisés pour aider à l’organisation des activités. Les réunions étaient l’occasion de discuter des progrès des TLET et des faits d’armes de ceux qui étaient morts. Les membres des TLET n’essayaient pas de faire du recrutement lors de ces réunions et le demandeur ne leur a jamais parlé.

[8]               Le demandeur a aussi aidé quelquefois les TLET en promenant à bord de son taxi un autre membre du syndicat qui annonçait par haut‑parleur les événements à venir des TLET ou faisait jouer des chansons préenregistrées des TLET. Dans son témoignage, le demandeur a indiqué que lui et les autres membres du syndicat faisaient ce que les TLET leur demandaient parce qu’ils avaient peur. Il a ajouté que s’il ne s’était pas promené dans la ville pour faire leurs annonces et faire jouer leurs chansons, il aurait perdu son véhicule et n’aurait eu aucun revenu, et qu’il n’avait donc pas d’autre choix.

[9]               Le demandeur a affirmé qu’il payait des cotisations au syndicat et que celui‑ci les utilisait parfois pour acheter des fournitures servant aux activités que les TLET leur demandaient de tenir. Le demandeur n’a jamais fourni des fonds aux TLET ni directement ni autrement.

[10]           À l’audience, le demandeur a dit qu’il craignait les TLET et qu’il participait à leurs activités parce qu’il y était contraint. Si des personnes refusaient, les TLET leur enlevaient leur véhicule ou les arrêtaient et les détenaient. Le demandeur a affirmé que les TLET menaçaient et battaient les gens qui refusaient de faire ce que le mouvement demandait et que lui‑même connaissait une personne dont le véhicule lui avait été retiré pour avoir refusé de participer, et une autre qui avait été détenue pendant un mois. Il a aussi affirmé qu’il était au courant d’incidents où les TLET avaient assassiné des personnes qui avaient refusé de collaborer. Aux dires du demandeur, les TLET ont demandé à plusieurs syndicats de les aider, et ce, de diverses façons; [traduction] « peu importe le syndicat auquel on adhérait, quand venait une demande, il fallait s’exécuter, c’était obligatoire ».

[11]           Dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il n’avait jamais ni adhéré au mouvement des TLET, ni occupé un rang au sein des TLET ou travaillé pour eux. Il n’a jamais reçu d’ordre directement des TLET et n’a jamais été associé directement à l’un ou l’autre de ses membres. Aucun membre ne lui a jamais confié de renseignements confidentiels. Il a expliqué que, s’il avait voulu adhérer au mouvement, il aurait été obligé de se rapporter à un camp des TLET et de communiquer directement avec eux.

[12]           Le demandeur a expliqué qu’il ne pouvait demander la protection des autorités parce que, d’une part, il y avait le risque que les TLET en soit informés, ce qui l’aurait exposé à de graves conséquences et que, d’autre part, les autorités se méfiaient des membres de la communauté tamoule. S’il avait refusé de se rendre au camp d’entraînement, les TLET seraient partis à sa recherche et l’auraient emmené de force. Le demandeur a déclaré qu’il était d’accord pour qu’il y ait une région autonome tamoule, mais qu’il n’appuyait ni les objectifs des TLET ni l’usage de la force. Il a reconnu que beaucoup de gens qui n’étaient pas membres des TLET s’opposaient au mouvement, mais que certains appuyaient la cause.

Enquête sur le demandeur et témoignage d’expert

[13]           À l’enquête sur son admissibilité, le demandeur a fait appel à M. Sritharan à titre de témoin. M. Sritharan est un expert sur la situation des droits de la personne au Sri Lanka. Il a expliqué qu’en période de suspension des hostilités, les TLET pouvaient s’adonner à des activités politiques et qu’ils utilisaient cette trêve pour contrôler la population et lui faire savoir qu’ils exerçaient une surveillance. Les personnes qui contestaient les TLET étaient battues, et comme les gens ne voulaient pas prendre de risques, ils soutenaient en apparence l’organisation.

[14]           M. Sritharan a indiqué que le but des TLET en obligeant les gens à participer aux réunions était de [traduction] « les forcer à s’afficher ». Une fois qu’ils avaient participé, les TLET les menaçaient en leur disant qu’ils étaient dorénavant reconnus par l’armée comme des membres des TLET. Leur intention était qu’à la reprise des hostilités, les gens se sentent vulnérables et n’aient d’autre choix que d’adhérer au mouvement.

[15]           Ceux qui n’assistaient pas aux réunions étaient placés sous la surveillance des membres du renseignement des TLET et s’exposaient à des problèmes. Les gens étaient « paralysés » par la terreur et l’ambiance était telle qu’ils faisaient ce qu’on leur demandait pour survivre. C’était un [traduction] « climat totalitaire », et les meurtres politiques servaient à montrer que quiconque s’opposait aux TLET risquait la mort.

[16]           Les syndicats de toutes sortes devaient mobiliser les gens de leur village. Ceux qui résistaient étaient ciblés. Les petits commerçants et ceux qui gagnaient un maigre revenu quotidien ne pouvaient résister continuellement, puisqu’ils étaient économiquement vulnérables. Extérieurement, les gens affichaient leur soutien aux TLET, mais ils faisaient des actes de résistance. Par exemple, des parents s’arrangeaient pour envoyer leurs enfants se porter volontaires pour travailler dans la [traduction] « police frontalière », mais c’était pour leur éviter d’être recrutés par l’organisation des TLET.

[17]           L’une des stratégies de contrôle utilisées par les TLET était l’« entraînement de type militaire », comme celui auquel le demandeur a été soumis. Les TLET espéraient ainsi que certaines personnes finiraient par adhérer au mouvement, mais d’autres retournaient simplement à leurs occupations quotidiennes une fois l’entraînement terminé. L’entraînement servait autant à recruter des gens qu’à les cataloguer comme des partisans des TLET. Y participer ne signifiait pas qu’on était membre des TLET. L’entraînement était différent de l’entraînement militaire comme tel, qui était un entraînement sérieux dans la jungle et qui durait de six mois à un an. Quiconque participait à un entraînement militaire était membre des TLET.

[18]           M. Sritharan a expliqué qu’il était très difficile de ne pas participer à l’entraînement de type militaire une fois qu’on avait le moindrement participé aux activités des TLET. Qui plus est, il était très difficile de refuser complètement de participer à leurs activités. Rappelons que tout membre d’un syndicat ouvrier qui persistait à résister s’exposait à des problèmes.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[19]           Le commissaire a conclu que le demandeur était membre des TLET et que les TLET étaient une organisation terroriste. Le demandeur était donc visé par l’alinéa 34(1)f) de la Loi et a de ce fait été interdit de territoire au Canada.

[20]           Le commissaire a estimé que, dans le contexte d’une organisation terroriste, l’appartenance à un groupe devait recevoir une « interprétation large et non restrictive ». Il a indiqué que le demandeur avait affirmé qu’il avait agi sous la contrainte et n’avait pas donc la mens rea nécessaire pour être considéré comme un membre des TLET.

[21]           Le commissaire a cité la décision Jalloh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 317 [Jalloh], aux paragraphes 36 à 38, estimant qu’elle était pertinente pour son analyse :

  1. À mon avis, il est préférable d’examiner la preuve relative à l’appartenance au groupe avec la preuve de coercition lorsque l’on détermine s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était véritablement membre du groupe. On peut considérer, par exemple, que la preuve de contrainte annule la mens rea de l’appartenance au groupe (Thiyagarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 339). La preuve de contrainte doit donc être examinée avec la preuve relative à l’appartenance au groupe pour savoir si la personne était réellement membre du groupe ou si elle a plutôt agi pour se protéger.

 

  1. En résumé, une personne ne peut être considérée comme étant membre d’un groupe si son association avec celui‑ci est fondée sur la contrainte. Un membre est à tout le moins une personne qui commet intentionnellement des actes afin que les buts du groupe soient atteints. Une personne qui commet sous la contrainte des actes compatibles avec ces buts ne peut être considérée comme un véritable membre.

 

  1. Par conséquent, la conclusion selon laquelle une personne est membre d’un groupe devrait reposer sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe et ne concernaient pas sa propre survie. La preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte. Il faut bien sûr se rappeler que la question qui doit être tranchée sous le régime de l’alinéa 34(1)f) consiste à savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était membre du groupe, et non si la preuve établit un tel lien selon la prépondérance des probabilités ou si la contrainte a été démontrée selon une quelconque norme de preuve. Cela également laisse croire que tous les éléments de preuve pertinents doivent être considérés ensemble.

 

 

[22]           Le commissaire a mentionné qu’au moment des événements en question, le demandeur n’était pas un jeune garçon et qu’il connaissait parfaitement la nature de ses actions. Il a ajouté que le demandeur avait posé ces gestes non pas une seule fois mais de façon continue, et qu’il avait fait des contributions financières aux TLET « sous le couvert de cotisations au syndicat des pousse-pousse ». Ce n’est qu’en 2006 que les actions du demandeur ont cessé, c’est-à-dire lorsque les TLET ont quitté sa région.

[23]           Le commissaire a fait observer que le demandeur n’était pas un homme pauvre selon les normes sri‑lankaises. Outre son taxi, celui‑ci avait des intérêts dans d’autres entreprises. Le commissaire s’est dit d’avis qu’à tout moment le demandeur aurait pu abandonner son travail de chauffeur de taxi.

[24]           Le demandeur a déclaré que les TLET lui avaient donné de 10 à 15 jours pour se présenter au camp d’entraînement. Dans l’intervalle, il n’a pas tenté de se détacher de son travail bien qu’il se soit agi de la raison pour laquelle il devait entretenir des liens avec eux. De plus, il n’a fait aucune tentative pour s’enfuir, malgré le fait qu’il était déjà allé à Colombo pour affaires. Le demandeur a dit que s’il avait tenté de s’enfuir, il aurait été arrêté au point de contrôle, mais cela contredisait son témoignage antérieur selon lequel il pouvait mentir au point de contrôle en disant qu’il s’en allait rendre visite à des parents ou qu’il se rendait à un mariage.

[25]           Se fondant sur le témoignage oral du demandeur, le commissaire a estimé que celui‑ci semblait s’inquiéter davantage des conséquences que son refus d’obtempérer aux demandes des TLET aurait sur son entreprise de taxi, et non sur son bien‑être. De plus, le demandeur a déclaré que sa ville comptait de 4 000 à 5 000 habitants, et que de 50 à 100 personnes assistaient aux réunions qu’il organisait. Personne n’était forcé d’y assister et si quelqu’un avait autre chose à faire, il ne s’y présentait tout simplement pas. Le commissaire a estimé que le faible taux de participation du public contredisait l’affirmation du demandeur selon laquelle la ville vivait constamment sous la peur et le contrôle des TLET.

[26]           Le commissaire a conclu que les gestes posés par le demandeur traduisaient son appartenance au mouvement des TLET. Il avait participé en toute connaissance de cause aux activités des TLET, et ce, à maintes reprises et de façon continue. Le commissaire a estimé que la preuve ne permettait pas de conclure que ces gestes ont été faits sous la contrainte ou que le demandeur a été forcé de les commettre. Le demandeur disposait de certains moyens financiers et aurait pu choisir de renoncer à son activité de taxi si elle constituait son seul lien avec les TLET. Il aurait pu aussi fuir la région lorsqu’on lui a demandé d’assister au camp d’entraînement. Le demandeur a donc été considéré comme un membre des TLET, une organisation terroriste, et une ordonnance d’expulsion a été prononcée contre lui.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[27]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Sécurité

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

 

[…]

 

Décision

 

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

 

 

a) reconnaître le droit d’entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

 

b) octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu’il se conforme à la présente loi;

 

 

 

c) autoriser le résident permanent ou l’étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

 

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

Security

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organisation that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

[…]

 

Decision

 

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

 

(a) recognize the right to enter Canada of a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act, a person registered as an Indian under the Indian Act or a permanent resident;

 

(b) grant permanent resident status or temporary resident status to a foreign national if it is satisfied that the foreign national meets the requirements of this Act;

 

(c) authorize a permanent resident or a foreign national, with or without conditions, to enter Canada for further examination; or

 

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[28]           Le demandeur soulève en l’espèce les questions suivantes :

a)                  Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en confondant la contrainte et la coercition?

b)                  Le commissaire a‑t‑il commis une erreur n’appliquant pas le bon critère pour tirer une conclusion d’appartenance à un groupe?

c)                  Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[29]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question que la Cour doit examiner est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle.

[30]           La différence entre les notions de contrainte et de coercition est une question de droit (Jalloh, au paragraphe 36). Les questions de droit doivent être tranchées « de manière uniforme et cohérente » et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, par. 60). La norme de la décision correcte s’applique donc à la première question.

[31]           Comme il est énoncé aux paragraphes 67 et 68 de la décision Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 957 [Toronto Coalition to Stop the War], « l’interprétation du mot “membre” employé à l’alinéa 34(1)f) constitue une question de droit », et cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir aussi Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 [Poshteh], au paragraphe 21. La deuxième question sera examinée en fonction de la norme de la décision correcte.

[32]           L’appréciation de la preuve par le commissaire est l’aspect factuel de son analyse fondée sur le paragraphe 34(1) de la Loi. La norme de contrôle applicable à l’analyse fondée sur paragraphe 34(1) est la norme de la décision raisonnable (Krishnamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342 [Krishnamoorthy], au paragraphe 12). La troisième question est soumise à la norme de la décision raisonnable.

[33]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES ARGUMENTS

Le demandeur

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en confondant la contrainte et la coercition?

 

[34]           Le demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur en confondant le moyen de défense fondé sur la contrainte avec la notion de coercition. Or, il s’agit de deux notions distinctes : la contrainte est un moyen de défense qui n’annule pas la mens rea de l’appartenance à l’organisation, alors que la coercition l’annule, de sorte que la personne n’a pas l’intention d’être membre de l’organisation.

[35]           Lorsque l’on invoque la défense de contrainte, il est déjà établi que la personne avait l’intention de commettre l’acte en question, mais que celui‑ci a été commis sous la contrainte (Oberlander c Canada (Procureur général), 2009 CAF 330, aux paragraphes 25 à 27 [Oberlander]). Trois conditions doivent être remplies pour établir la contrainte : l’existence de menaces de mort imminente ou de sévices corporels graves imminents ou continus proférées contre la personne ou un tiers; la personne concernée accomplit les actes nécessaires et raisonnables pour se soustraire à cette menace; la personne n’a pas l’intention de causer un préjudice plus grave que celui auquel elle essaie de se soustraire (Oberlander, au paragraphe 26). Il est une autre considération importante dont il faut tenir compte, soit celle de savoir si la personne a fui l’organisation à la première occasion (Rutayisire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1168, au paragraphe 19).

[36]           En ce qui concerne la coercition, il ne s’agit pas de savoir si la personne avait l’intention de commettre les actes en question, mais si, en les commettant, elle entendait contribuer aux objectifs de l’organisation pertinente (Toronto Coalition to Stop the War, précitée). L’appartenance à une organisation peut être inférée des actes d’une personne, mais l’intention que celle‑ci avait en participant aux activités de l’organisation doit d’abord être établie.

[37]           La distinction entre les deux notions est reconnue dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Poshteh, précité, la Cour d’appel fédérale a maintenu cette distinction – les termes ne sont pas interchangeables (voir paragraphe 52). Le commissaire s’est appuyé sur la décision Jalloh, qui établit les règles de droit applicables à la contrainte et à la coercition. Dans cette affaire, le demandeur avait prétendu qu’il avait agi sous la contrainte. Au paragraphe 33, la Cour explique en ces termes la distinction entre les deux notions : « Lorsqu’elle a déterminé si M. Jalloh était membre du NPFL, la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à la coercition, les soupesant séparément dans le cadre de son analyse de la défense de la contrainte. » Au paragraphe 38, la Cour poursuit ainsi son raisonnement : « [L]a conclusion selon laquelle une personne est membre d’un groupe devrait reposer sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe et ne concernaient pas sa propre survie. La preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte. »

[38]           Le demandeur n’a pas invoqué la défense de contrainte; il a plutôt soutenu devant le commissaire qu’il n’était pas membre des TLET puisqu’il avait été forcé de poser les gestes qu’il avait posés. Toutefois, dans son examen visant à déterminer si le demandeur était membre des TLET, le commissaire a appliqué le critère applicable à la défense de contrainte. La question clé dans l’enquête sur le demandeur était non pas de savoir s’il avait commis des actes de terrorisme, mais plutôt s’il avait démontré un engagement envers les TLET et si l’on pouvait conclure à son appartenance au groupe. Par conséquent, c’est la notion de coercition, et non pas de contrainte, qui s’appliquait.

[39]           Le demandeur soutient que le commissaire a appliqué le critère juridique permettant de déterminer s’il y avait eu contrainte, alors qu’il aurait dû se demander si le demandeur avait été forcé d’agir au point de neutraliser l’intention requise pour appartenir aux TLET. C’est ce qui ressort des facteurs que le commissaire a choisi d’analyser et du texte de sa décision. Par exemple, le commissaire a insisté particulièrement sur le fait que le demandeur n’avait pas tenté de fuir la région pour se soustraire aux séances d’entraînement; il s’agit d’un facteur important en matière de contrainte, mais non de coercition.

[40]           Le commissaire a examiné aussi la nature de la menace à laquelle le demandeur se serait exposé s’il avait refusé de se livrer aux activités en question. Il a estimé que les actes du demandeur étaient motivés davantage par son entreprise que par son bien‑être. La condition voulant que les actes découlent d’une menace imminente est un élément de la défense de contrainte. Pour établir si une personne appartient à un groupe, la question est de savoir si « les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe » (Jalloh, au paragraphe 38). Ainsi, si les actions de la personne étaient motivées par une préoccupation économique plutôt que par un désir d’appuyer l’organisation, cela suffit à démontrer que les intentions de la personne n’étaient pas en accord avec les objectifs du groupe. Lorsque la coercition entre en jeu, il n’est pas obligatoire que les actions découlent d’une menace à la vie de la personne.

[41]           Il ressort des termes employés par le commissaire dans sa décision que celui‑ci a appliqué le critère de la contrainte. En début d’analyse, il observe que « les affirmations de [T.K.] voulant qu’il ait été contraint viennent compliquer l’évaluation de ses activités en lien avec les TLET ». Puis, que « [l]es éléments de preuve n’indiquent pas que ces actes ont été faits sous la contrainte, que l’intéressé a été forcé de les commettre ». Cette dernière affirmation repose sur sa conclusion que le demandeur aurait pu abandonner son entreprise et fuir la région après qu’on lui ait demandé de se présenter à l’entraînement; c’est là un élément de l’analyse de la contrainte.

[42]           Le demandeur fait observer que le commissaire n’a pas conclu qu’il avait agi avec l’intention d’appuyer les objectifs des TLET. De fait, aucune analyse de l’intention du demandeur n’a été effectuée, ce qui est pourtant essentiel lorsqu’il est question de coercition dans un examen visant à établir l’appartenance à un groupe. Dans les observations qu’il a présentées à l’enquête, le demandeur a fait une distinction entre les notions de contrainte et de coercition. Malgré cela, les motifs du commissaire montrent que celui‑ci a incorrectement interprété les observations du demandeur, estimant qu’il invoquait la défense de contrainte, et qu’il a donc commis une erreur en confondant les notions de coercition et de contrainte.

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère pour tirer une conclusion d’appartenance à un groupe?

[43]           Le demandeur prétend que le commissaire a commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère pour déterminer l’appartenance à un groupe. Il aurait dû tenir compte des facteurs suivants : la nature et la durée des activités de l’intéressé, ainsi que le niveau de son engagement dans l’organisation et dans la poursuite de ses objectifs (Villégas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 105, au paragraphe 44 [Villegas]). Toute manifestation de soutien à une organisation ne fait pas d’une personne un membre du groupe (Tharmavarathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 985, au paragraphe 28), et des activités négligeables ou marginales ne sauraient à elles seules être considérées comme celles d’un membre au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi (Poshteh, au paragraphe 37; Krishnamoorthy, au paragraphe 28). Le demandeur soutient que les activités auxquelles il a pris part relèvent de cette catégorie d’activités négligeables et que, par conséquent, elles ne suffisent pas à faire de lui un membre des TLET.

[44]           Dans la décision Villegas, la Cour a annulé la décision au motif que le commissaire n’avait examiné ni la participation de l’intéressé aux activités du groupe en question ni son appui à l’organisation ou à ses objectifs. Le commissaire avait tiré des conclusions sur les raisons de la participation de l’intéressé, mais ne s’était pas intéressé à la mesure dans laquelle ces raisons avaient joué dans son engagement envers l’organisation. À cette occasion, la Cour a déclaré qu’une conclusion d’interdiction de territoire devait être justifiée « de la manière la plus précise possible » et que cela n’avait pas été fait. Le demandeur soutient que la décision qui nous occupe manque de précision tout comme dans l’affaire Villegas.

[45]           Dans Krishnamoorthy, la décision en cause a été infirmée pour des motifs semblables. Dans cette décision, le commissaire n’a pas tenu compte du critère relatif à l’appartenance établi par la jurisprudence. De la même manière, le commissaire qui a rendu la décision en l’espèce n’a pas tenu compte de ce critère, se bornant à dire qu’il fallait donner à l’appartenance une « interprétation large et libérale ». Essentiellement, il a écarté de son analyse le critère de l’appartenance et s’est plutôt attardé sur la question de savoir si les actes du demandeur avaient été commis sous la contrainte.

[46]           En ne tenant pas compte du critère de l’appartenance, le commissaire a commis une erreur déterminante, puisque la preuve démontrait que les activités auxquelles avait participé le demandeur étaient des activités auxquelles se livrait aussi une partie importante de la population vivant dans la région à cette époque. Le commissaire a reconnu que le demandeur avait fourni la preuve qu’il n’avait d’autre choix que de s’acquitter des tâches qui lui étaient assignées et qu’il l’avait fait d’abord et avant tout pour des raisons économiques. Tout cela tend à indiquer que le demandeur n’avait pas l’intention d’appuyer les objectifs des TLET.

[47]           L’analyse défaillante du commissaire apparaît clairement dans sa conclusion relative aux contributions financières versées par le demandeur aux TLET. Le commissaire a constaté que le demandeur avait fait des contributions financières à sept ou huit reprises à même ses cotisations syndicales. Il a cité les déclarations du demandeur selon lesquelles il avait versé l’argent parce que [traduction] « tout le monde devait payer ». Or, malgré cela, il n’a pas analysé l’intention sous‑jacente à ces contributions. Une contribution financière ne suffit pas pour qu’une personne soit considérée comme membre d’un groupe; la contribution doit être faite dans le but de permettre la réalisation des objectifs de l’organisation (Toronto Coalition to Stop the War, aux paragraphes 110 et 128). Le demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse de l’intention sous‑jacente à ces contributions.

[48]           Le commissaire a conclu que le demandeur avait été impliqué dans les activités des TLET pendant un an et demi, mais il ne s’est pas demandé s’il fallait considérer cette période comme minime ou importante. Le fait de ne pas tenir compte de ce facteur a été considéré comme une erreur dans la décision Villegas.

[49]           Le demandeur soutient que les conclusions de fait relatives à ses activités avec les TLET n’étaient pas suffisantes pour étayer une conclusion d’appartenance. Le commissaire devait appliquer le critère établi par la jurisprudence et procéder à une analyse des différents facteurs. Pour conclure qu’il était membre du groupe, il fallait déterminer si le demandeur s’était livré aux activités en question dans l’intention de contribuer aux objectifs des TLET. L’omission du commissaire de considérer cet important facteur constitue une erreur susceptible de révision.

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents?

[50]           Le demandeur fait observer que « la présomption selon laquelle le décideur a tenu compte de tous les faits est une présomption réfutable et, lorsque la valeur probante des faits en question est significative, la Cour peut considérer défavorablement l’absence de mention des faits en question dans les motifs du décideur » (Kaybaki c Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, au paragraphe 5). Plus la preuve qui n’a pas été mentionnée est importante, plus la Cour sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de cette preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] ACF, no 1425, aux paragraphes 15 et 17). Si des éléments de preuve pertinents contredisent une telle conclusion sur un point fondamental, la présomption est réfutée si le décideur a omis de les mentionner (Provost c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1310).

[51]           Dans la décision Thind c Canada (Secrétaire d’État), [1994] ACF no 106 (1re inst.), aux paragraphes 2 et 3, le juge écrit :

Il est devenu fort évident que la Commission n’a pas tiré de conclusions au sujet de la preuve documentaire que le requérant avait déposée à l’appui et, plus particulièrement qu’elle a décidé d’ignorer presque entièrement la preuve présentée par les témoins [à] l’audience. La seule mention des autres documents ou témoins, dans la décision, était la mention suivante :

 

[traduction] . . . le témoignage de l’intéressé selon lequel il craint les extrémistes qui tuent les chefs de village était corroboré par les autres témoins et par la preuve documentaire.

L’évaluation du témoin par le tribunal était « essentielle » à la cause du requérant. Le tribunal a commis une erreur de droit en omettant d’apprécier la preuve et il a décidé de ne faire aucun cas de preuve présentée à l’appui.

 

Le requérant avait témoigné qu’il avait été détenu et interrogé par la police. Cela a été corroboré, mais le tribunal a décidé de ne pas croire le requérant et n’a pas mentionné la preuve indépendante corroborante.

 

 

[52]           En l’espèce, le demandeur a fait appel à un témoin expert qui a présenté une preuve abondante et pertinente. Le témoignage de M. Sritharan s’est révélé particulièrement pertinent quant à la question de la coercition; il a corroboré le témoignage du demandeur selon lequel il se sentait obligé d’effectuer les tâches que lui demandaient les TLET. Le commissaire n’a pas du tout analysé cet élément de preuve ni fourni d’explications sur les raisons pour lesquelles il a préféré tenir compte d’autres éléments de preuve.

[53]           Le témoignage de M. Sritharan portait essentiellement sur le fait que beaucoup de gens avaient exécuté le même genre de tâches que le demandeur par crainte des TLET. Non seulement le commissaire devait effectuer une analyse suffisante de l’intention du demandeur, mais il devait aussi procéder à une certaine analyse de ce témoignage d’expert.

[54]           M. Sritharan a aussi déclaré que, hormis les conducteurs de véhicule, plusieurs autres professions étaient contrôlées par les TLET, ce qui coïncide parfaitement avec la conclusion du commissaire selon laquelle le demandeur « n’a rien fait pour se détacher de ce travail », et pourtant, la décision passe complètement sous silence cette déclaration.

[55]           Le commissaire n’a pas non plus mentionné la preuve d’expert concernant le caractère généralisé du soutien apparent que la population de Jaffna affichait envers les TLET pour éviter d’être ciblée, ce qui allait directement à l’encontre de sa conclusion selon laquelle la ville ne vivait pas dans la peur. Le témoignage de M. Sritharan corroborait celui du demandeur, qui affirmait que les TLET exerçaient un contrôle serré sur la ville et que les gens participaient aux activités des TLET pour éviter d’attirer sur eux une attention non souhaitée.

[56]           Le commissaire a également ignoré d’autres éléments de preuve documentaires présentés par le demandeur. De nombreux documents témoignaient de l’existence d’une culture de peur à Jaffna, et du fait que beaucoup de gens participaient aux activités des TLET pour cette raison. Ces documents ont été cités abondamment dans les observations écrites du demandeur, mais le commissaire n’y a pas prêté attention.

[57]           Dans l’un des articles soumis en preuve par le demandeur, il est expressément mentionné que la dynamique de terreur à Jaffna [traduction] « est devenue un jeu risqué et mesuré où chacun vaquait à ses occupations tout en jouant la comédie pour ménager chaque camp ». Dans un autre article, il est mentionné que les accords de cessez‑le‑feu ont permis aux TLET de [traduction] « pratiquement s’emparer » de Jaffna, à l’aide de méthodes d’extorsion et de coercition. Et dans un autre, il est écrit que les TLET ont fait [traduction] « de l’obéissance aveugle la seule voie ouverte aux Tamouls ».

[58]           Dans un rapport de Human Rights Watch soumis au commissaire, il est question du recours par les TLET à un programme de réunions pour maintenir leur présence ainsi que de l’utilisation du public pour promouvoir leurs rassemblements. Le rapport précise que les TLET organisaient des rassemblements publics et se servaient de taxis pour en faire la promotion. Un autre rapport de Human Rights Watch traite de la manière dont les TLET s’imposaient par la peur et en privant les gens de leurs libertés fondamentales.

[59]           Le demandeur soutient que la décision Thind, précitée, est tout à fait pertinente à cet égard; le commissaire a omis d’analyser les éléments de corroboration indépendants présentés par le demandeur et le témoignage de l’expert. Ceux‑ci corroborent l’affirmation du demandeur selon laquelle il était obligé de participer aux activités des TLET. Ils étayent également la conclusion voulant que les activités auxquelles le demandeur participait aient été communes à tous et, partant, négligeables, ce qui touche directement à la question de l’appartenance au groupe et contredit les conclusions du commissaire. Ces éléments ont été nommément invoqués par le demandeur dans ses observations, mais le commissaire ne les a ni mentionnés ni analysés. Étant donné leur importance, le demandeur prétend qu’il s’agit là d’une erreur susceptible de révision.

Le défendeur

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en confondant la contrainte et la coercition?

[60]           Le défendeur soutient que la coercition et la contrainte sont des notions interreliées, et que le demandeur tente d’introduire la notion de droit pénal de la mens rea dans une conclusion d’interdiction de territoire fondée sur la Loi. Le recours du demandeur au moyen de défense de la contrainte et à l’obligation de prouver la mens rea est mal fondé; ce sont là des notions de droit pénal qui n’interviennent pas dans le présent contexte.

[61]           Le défendeur fait valoir que le commissaire a tenu compte de l’affirmation du demandeur selon laquelle on l’avait amené à agir par la coercition, mais l’a raisonnablement rejetée. Ni le demandeur ni sa famille n’ont pu faire état d’une menace précise faite par les TLET en lien avec les activités du demandeur. Bien que le demandeur ait dit qu’il craignait les TLET en général, il a ajouté que sa vraie préoccupation avait trait aux conséquences économiques de son refus de participer à leurs activités. Il ressortait de la preuve soumise au commissaire que ni le demandeur ni les membres de sa famille n’étaient physiquement menacés par les TLET.

[62]           Même si le demandeur est en mesure d’établir qu’il a été amené à agir par la coercition, la « ligne de démarcation nette » qu’il tente d’établir entre la contrainte et la coercition n’est pas étayée par la jurisprudence, où ces termes sont employés de façon interchangeable. La Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit à ce sujet au paragraphe 40 de l’arrêt Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CAF) [Ramirez] :

L’appelant n’a pas invoqué les ordres donnés par ses supérieurs comme moyen de défense, et les arguments qu’il a fait valoir à l’égard de la contrainte et du remords ne sont pas suffisants pour l’exonérer. À propos de la contrainte, Hathaway (précité), résumant le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sur lequel la Commission du droit international travaille depuis 1947, écrit (à la page 218) :

 

[traduction]

Deuxièmement, il est possible d’invoquer la coercition, l’état de nécessité ou la force majeure [en défense]. Cette exception reconnaît essentiellement que, lorsqu’une personne agit dans le but d’éviter un péril grave et imminent, il n’y a pas d’intention.

[63]           Le demandeur s’appuie sur la décision Jalloh pour soutenir que la coercition et la contrainte sont des notions distinctes. Or, un examen de cette décision ne permet pas de tirer une telle conclusion. Dans Jalloh, la Cour s’intéressait non pas au fait que la Section de l’immigration avait confondu la coercition et la contrainte, mais au fait que dans son analyse elle avait artificiellement séparé « l’appartenance au groupe » et la « coercition ». L’examen visant à établir si un demandeur appartient véritablement à un groupe devrait notamment porter sur la question de savoir si son appartenance au groupe est le produit de la coercition. La Cour a estimé qu’il serait artificiel de considérer l’intéressé comme membre « volontaire » du groupe et de se demander par la suite si cette appartenance était forcée :

36        À mon avis, il est préférable d’examiner la preuve relative à l’appartenance au groupe avec la preuve de coercition lorsque l’on détermine s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était véritablement membre du groupe. On peut considérer, par exemple, que la preuve de contrainte annule la mens rea de l’appartenance au groupe (Thiyagarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 339). La preuve de contrainte doit donc être examinée avec la preuve relative à l’appartenance au groupe pour savoir si la personne était réellement membre du groupe ou si elle a plutôt agi pour se protéger.

 

[…]

 

38        Par conséquent, la conclusion selon laquelle une personne est membre d’un groupe devrait reposer sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe et ne concernaient pas sa propre survie. La preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte. Il faut bien sûr se rappeler que la question qui doit être tranchée sous le régime de l’alinéa 34(1)f) consiste à savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était membre du groupe, et non si la preuve établit un tel lien selon la prépondérance des probabilités ou si la contrainte a été démontrée selon une quelconque norme de preuve. Cela également laisse croire que tous les éléments de preuve pertinents doivent être considérés ensemble.

 

[64]           Dans Jalloh, la Cour ne fait pas de distinction entre la contrainte et la coercition; elle utilise ces termes de façon interchangeable. Le défendeur affirme que cette décision appuie la proposition selon laquelle la preuve relative à une possible coercition ou contrainte devrait faire partie de l’examen portant sur l’appartenance à un groupe.

[65]           Le défendeur affirme également que le demandeur a eu tort d’invoquer la décision Poshteh. La Cour d’appel fédérale a mentionné expressément au paragraphe 52 de cette décision que le facteur de la contrainte (coercion) n’intervenait pas dans cette affaire et, contrairement à ce que suggère le demandeur, elle n’a fait aucune différence entre la violence (duress) et la contrainte (coercion) dans ses motifs. De fait, tout comme dans la décision Ramirez, la Cour d’appel fédérale a utilisé les termes de façon interchangeable : « Par exemple, la violence ou la contrainte pourraient être des facteurs pertinents. Cependant, ils n’interviennent pas ici. »

[66]           Le défendeur avance que la distinction que le demandeur cherche à établir n’est pas étayée par la jurisprudence et la preuve produite en l’espèce. Comme l’a conclu le commissaire, les actes du demandeur étaient incompatibles avec une participation non volontaire : le demandeur était davantage préoccupé par le préjudice économique que par le risque physique. Aucune menace précise n’avait été proférée contre lui et il aurait pu quitter la région ou changer d’emploi.

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur n’appliquant pas le bon critère pour tirer une conclusion d’appartenance à un groupe?

[67]           Le défendeur soutient que le critère permettant de déterminer si une personne appartient à un groupe est celui des « motifs raisonnables », ce qui est peu exigeant; la norme de preuve qu’il faut utiliser dans l’application du critère minimal va au‑delà du simple soupçon, mais sans aller jusqu’à la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 25). Le défendeur soutient qu’en l’espèce, il a été satisfait à ce critère minimal. Le commissaire s’est dit d’avis que « [l]es faits en l’espèce permettent de conclure que [T.K.] a participé aux activités des TLET en toute connaissance de cause ».

[68]           Comme la Cour l’a dit dans Ugbazghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, au paragraphe 47 : « […] le paragraphe 34(1) [de la Loi] vise à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada ». Dans cette décision, la Cour a considéré les activités de l’intéressé qui contribuaient à atteindre les objectifs de l’organisation, comme la participation à des réunions où il était question de la nécessité d’appuyer l’organisation et la distribution de documents. Sur cette base, la juge Eleanor Dawson a maintenu la conclusion d’appartenance au groupe. Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce le demandeur s’est précisément livré à ce genre d’activités et que la même conclusion devait donc être tirée.

[69]           Le demandeur a assisté aux réunions des TLET, a accroché des drapeaux, des avis et des affiches, a financé indirectement les TLET par l’entremise de son syndicat et a participé à au moins un camp d’entraînement des TLET. Selon une « interprétation large et non restrictive » de l’appartenance à un groupe, le commissaire était fondé à juger ces activités suffisantes. La jurisprudence a établi qu’une participation officieuse ou un appui en faveur des TLET peut suffire à prouver l’appartenance au groupe (Kanapathy c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 459, au paragraphe 34).

[70]           Le commissaire a noté que les activités du demandeur avec les TLET étaient continues, et qu’il avait choisi de ne pas quitter la région bien qu’il ait eu des occasions de le faire. Le demandeur était un adulte lorsqu’il a commencé à participer aux activités des TLET; il y a participé sur une base mensuelle et il a fait des contributions financières à sept ou huit reprises. Son engagement n’a cessé qu’en 2006, « au moment où les TLET ont quitté sa région ».

[71]           Le commissaire a accueilli l’argument du demandeur, qui a justifié sa participation par le fait qu’il se sentait menacé, mais il a fait observer que d’autres solutions s’offraient à ce dernier. Or, comme il le dit dans sa décision, le demandeur « n’a rien fait pour se détacher de son travail [de taxi], bien qu’il se soit agi du principal lien entre lui et les TLET ». Même après qu’on lui eut dit de se présenter à l’entraînement, il disposait de 10 à 15 jours pour quitter la région s’il le désirait.

[72]           Le défendeur fait également observer que, lorsque la sœur du demandeur a été interrogée par l’Agence des services frontaliers du Canada, elle a dit qu’elle se souvenait avoir vu le demandeur partir pour l’entraînement et qu’il s’y rendait de son plein gré plutôt que de force. Elle a aussi indiqué que le demandeur lui avait dit que les TLET l’entraînaient à monter la garde et à manier des armes à feu. Elle a ajouté que personne de la famille n’avait été menacé par les TLET (pages 39 à 45 du dossier du demandeur). Le demandeur a nié avoir jamais reçu un entraînement sur les armes à feu.

[73]           La mère du demandeur a également été interrogée. Elle a dit que le demandeur s’était rendu à un entraînement des TLET une fois, puis [traduction] « deux ou trois fois », pour ensuite préciser qu’en fait, ce n’était qu’une seule fois. Elle a aussi indiqué qu’aucun membre de la famille n’avait été menacé par les TLET, mais que la situation générale qui prévalait au Sri Lanka à l’époque lui faisait peur (pages 256 à 269 du dossier du demandeur).

[74]           En résumé, le défendeur soutient que le commissaire a tout simplement estimé que les agissements du demandeur n’établissaient une véritable réticence à participer aux activités des TLET. Compte tenu des nombreuses possibilités dont le demandeur aurait pu se prévaloir, il était loisible au commissaire de conclure que son comportement n’était pas le produit de la coercition. Dans Thiyagarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 339 [Thiyagarajah], une affaire similaire où la Cour devait déterminer si la coercition exercée par les TLET équivalait à de la contrainte, le juge Donald Rennie a dit ce qui suit, au paragraphe 17 :

Cela étant, la Commission a évalué les pressions et la coercition ressenties par le demandeur par rapport au préjudice causé par son rôle actif au sein des TLET et son soutien constant à leurs objectifs. Il serait raisonnable qu’une telle évaluation donne lieu à diverses interprétations. S’il est possible de tirer de la preuve une conclusion différente, toutefois, cela ne rend pas déraisonnable l’interprétation des faits donnée par la Commission. Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise à cet égard.

 

 

Le défendeur prétend que la même logique s’applique en l’espèce.

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents?

[75]           Le défendeur fait observer que le commissaire n’a pas remis en cause les compétences du témoin expert du demandeur, et qu’il a noté que la preuve documentaire regorgeait d’exemples d’actes commis par les TLET qui relèvent manifestement de la définition du terrorisme. Dans cette mesure, l’opinion du témoin était incontestable. La première section des motifs comporte un examen détaillé des actes de terrorisme commis par les TLET qui sont décrits dans la preuve documentaire. Contrairement à ce que prétend le demandeur, le commissaire a bel et bien tenu compte de l’article de Human Rights Watch et du document intitulé « Parallel Governments : Living between Terror and Counter Terror ».

[76]           Le défendeur avance que l’opinion du témoin démontrait tout au plus que les TLET avaient exercé une coercition sur certaines personnes, mais les motifs indiquent que le commissaire était bien au courant des activités des TLET. Pourtant, le commissaire a jugé que le demandeur lui‑même n’était pas victime de menaces suffisantes pour satisfaire au critère de la coercition.

[77]           Rien n’obligeait le commissaire à mentionner les passages précis de la preuve cités devant lui, notamment le témoignage de l’expert. Dans la décision Thiyagarajah, aux paragraphes 19 et 20, la Cour donne les directives suivantes :

On l’a aussi mentionné ci‑dessus, les motifs de la Commission révèlent que cette dernière était bien au fait des méthodes abusives et brutales utilisées par les TLET et de la possibilité qu’elles aient entraîné la participation forcée du demandeur. Le fait que les passages précis cités devant moi par l’avocate du demandeur n’aient pas été mentionnés expressément dans la partie des motifs traitant de la contrainte ne permet pas d’inférer que la Commission a fait abstraction de leur importance ou de leur incidence sur la question du caractère volontaire ou non de la participation du demandeur aux activités des TLET. Et la Commission n’en a d’ailleurs pas fait abstraction dans les faits, on l’a déjà noté.

 

[…] La jurisprudence est claire sur ce point : la Commission n’a pas à mentionner expressément tous les éléments de preuve dont elle dispose.

 

 

[78]           De plus, le défendeur soutient que le commissaire était fondé à accorder peu de poids à l’opinion du témoin lorsque celle‑ci n’était pas appuyée par des faits objectifs. Le témoignage de l’expert sur les moyens utilisés par les TLET ne touche pas à la question centrale en l’espèce, à savoir l’absence de preuve établissant que les activités liées aux TLET auxquelles le demandeur s’est livré étaient le produit de la coercition. Le commissaire a estimé que la prétention du demandeur ne concordait pas avec l’idée d’une population entière « vivant dans la peur » ou sous le contrôle strict des TLET. Le poids que le commissaire a accordé à la preuve ne donne pas ouverture à un contrôle judiciaire.

La réponse du demandeur

[79]           Le demandeur soutient que la jurisprudence récente de notre Cour établit clairement qu’il existe une distinction entre la contrainte et la coercition. La contrainte est pertinente pour les questions liées à l’exclusion, s’agissant d’un moyen de défense tendant à justifier la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité (et, comme le signale le défendeur, de toute infraction criminelle). À ce titre, la pression exercée doit être de niveau élevé et faire l’objet d’une mise en balance. La coercition n’est pas un moyen de défense; il s’agit plutôt d’un facteur à considérer pour déterminer si quelqu’un appartient à un groupe. Cette détermination se fait par un examen du comportement en cause : permet‑il de conclure que le demandeur a suffisamment participé à la réalisation des objectifs de l’organisation? Il ne s’agit pas d’un moyen de défense, mais d’un facteur pertinent pour évaluer l’engagement de quelqu’un envers une organisation. Le demandeur affirme que le défendeur tente de soutenir que les deux notions sont interchangeables, alors qu’elles ne le sont pas.

[80]           En réponse aux observations du défendeur, le demandeur fait valoir que, pour établir qu’il y a eu contrainte, la preuve doit démontrer l’existence d’un préjudice imminent, proportionnel au préjudice causé par ses actes. La coercition est différente : elle touche à la question de l’engagement de la personne envers l’organisation. Il peut y avoir coercition même si la menace est moins grave; il faut alors établir que le demandeur n’a pas choisi de participer de son propre gré, mais qu’il a plutôt été forcé de le faire. Ainsi, le fait qu’une arme à feu ait été pointée dans sa direction et qu’il n’ait pas été battu n’est pas déterminant. Le demandeur avance que l’élément clé soumis au le commissaire était le témoignage de l’expert qui a déclaré que la population des secteurs contrôlés par les TLET n’avait d’autre choix que d’aider les TLET. C’est ce qui permet de trancher la question de l’appartenance au groupe (Jalloh; Krishnamoorthy; Toronto Coalition to Stop the War).

[81]           Le défendeur cite, au paragraphe 2 de son mémoire des faits et du droit, un extrait du témoignage du demandeur où celui‑ci déclare que, s’il y avait un pays pour les Tamouls, ceux‑ci n’auraient pas à quitter le Sri Lanka et n’auraient pas de problèmes avec l’armée. Le demandeur fait valoir que cet argument ne réfute pas le fait qu’il y a eu coercition et que le commissaire ne l’a pas invoqué dans ses motifs. Le témoignage de l’expert comportait également à cet égard des éléments convaincants que le commissaire a choisi d’ignorer. Le défendeur a aussi écarté la preuve d’expert en ce qui a trait aux observations du demandeur sur ses activités liées aux TLET et le versement de fonds au syndicat.

[82]           En réponse au défendeur qui invoquait les déclarations de sa sœur, le demandeur a nié avoir reçu une formation sur le maniement des armes. Le commissaire a cru le demandeur sur ce point; le défendeur ne peut maintenant prétendre que ce fait justifie la décision du commissaire. Dans le même ordre d’idées, le commissaire s’est dit convaincu que le demandeur ne s’était présenté qu’à une seule séance d’entraînement. Le défendeur ne peut plus maintenant remettre cette preuve en question. Qui plus est, le témoignage de la mère du demandeur sur l’atmosphère de coercition générale concorde avec le témoignage de l’expert.

[83]           En réponse au défendeur qui a affirmé que le demandeur s’appuie sur des notions de droit pénal, ce dernier soutient que cette affirmation est mal fondée. Dans Jalloh, la Cour utilise clairement le terme mens rea pour expliquer l’obligation de tenir compte de l’intention du demandeur. Partant, la jurisprudence permet d’affirmer que l’on doit tenir compte de l’élément moral pour évaluer l’appartenance à un groupe. Le terme mens rea renvoie à l’intention, et la jurisprudence établit clairement que l’intention doit être prise en compte lorsqu’on évalue l’appartenance à un groupe.

[84]           Dans la décision Jalloh, la Cour établit une nette distinction entre la contrainte et la coercition, et elle explique, au paragraphe 33 , que : « [l]orsqu’elle a déterminé si M. Jalloh était membre du NPFL, la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à la coercition, les soupesant séparément dans le cadre de son analyse de la défense des contraintes. » La Cour ajoute, au paragraphe 38, que « la conclusion selon laquelle une personne est membre d’un groupe devrait reposer sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe et ne concernaient pas sa propre survie. La preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte ». Ainsi, le demandeur n’a pas tort de soutenir que la Cour doit tenir compte de ses intentions pour déterminer s’il appartenait au groupe puisque cette obligation est clairement établie par la jurisprudence.

[85]           Le défendeur fait aussi abstraction du fait que le demandeur a dit clairement qu’il perdrait toute possibilité de travailler s’il ne collaborait pas avec les TLET, ce qui concorde avec le témoignage de l’expert sur l’atmosphère de coercition qui règne de façon générale dans les secteurs contrôlés par les TLET. De plus, comme il a été mentionné, la coercition est distincte de la contrainte et n’exige pas de la personne qui l’invoque la preuve d’une menace à sa vie.

[86]           Le demandeur prétend en outre que le défendeur a tort de s’appuyer sur l’arrêt Ramirez. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale faisait référence à la défense fondée sur la coercition et la contrainte telle qu’elle est appliquée en droit international. La jurisprudence subséquente établit une nette distinction entre la défense fondée sur la contrainte, qui suppose des menaces imminentes, et la coercition, qui est un facteur pertinent pour l’examen de l’appartenance à un groupe. Le défendeur confond ces notions en faisant appel à la jurisprudence sur l’exclusion alors qu’il est question de l’appartenance à un groupe.

[87]           De plus, le défendeur rapporte erronément la conclusion dans Jalloh. Le demandeur convient avec le défendeur que l’examen visant à établir si une personne appartient à un groupe est un processus unifié, qui exige de déterminer si le comportement en cause est le produit de la coercition. Il fait toutefois observer que le commissaire a appliqué le critère plus strict de la contrainte au lieu de chercher à savoir s’il y avait eu coercition, ce qui aurait neutralisé l’intention de se livrer aux activités concernées.

[88]           Qui plus est, la Cour a dit dans la décision Jalloh que, pour déterminer si une personne appartient à un groupe, il faut examiner son intention. La personne qui agit sous la coercition ou la contrainte ne devrait pas être considérée comme membre d’un groupe. C’est pourquoi le commissaire doit tenir compte, dans un tel contexte, autant de la coercition que de la contrainte. Rien dans l’extrait de la décision Jalloh cité par le défendeur ne contredit l’argument du demandeur selon lequel la coercition et la contrainte sont deux notions distinctes. D’ailleurs, le fait que la Cour d’appel y emploie les deux termes montre qu’ils sont distincts. En effet, lorsqu’elle parle de contrainte, c’est dans le contexte de l’annulation de la mens rea.

[89]           Quant à l’arrêt Poshteh, le demandeur fait valoir que la Cour d’appel fédérale établit clairement que la contrainte et la coercition sont deux questions distinctes. Lorsqu’elle dit que « la violence ou la contrainte [duress or coercion] pourraient être des facteurs pertinents », la cour reconnaît clairement que ce sont deux notions distinctes. Le défendeur n’a fourni aucune explication raisonnable justifiant l’emploi des deux termes. De surcroît, son recours répété à la décision Ramirez est mal fondé, puisqu’il s’agit d’une affaire d’exclusion.

[90]           En réponse aux observations du défendeur sur la norme de preuve peu élevée à laquelle il faut satisfaire pour établir l’appartenance à un groupe, le demandeur avance que cette norme ne s’applique qu’à l’examen des faits. Ainsi, le commissaire doit appliquer aux faits non pas la norme de la prépondérance des probabilités, mais seulement celle des motifs raisonnables. Une fois les faits établis, il doit se demander s’ils sont visés par la définition juridique de « l’appartenance à un groupe », et c’est là que le commissaire a commis une erreur.

[91]           La déclaration du commissaire, citée par le défendeur, selon laquelle le demandeur participait en toute connaissance de cause au mouvement des TLET illustre clairement que le commissaire a confondu les notions d’exclusion et d’appartenance à un groupe. La participation consciente et active est le critère applicable à la complicité; il ne s’agit pas du critère de l’appartenance à un groupe, qui suppose un examen de la preuve en vue de déterminer si la personne était suffisamment engagée dans la réalisation des objectifs de l’organisation pour être considérée comme l’un de ses membres.

[92]           Le défendeur s’est aussi fondé à tort sur la décision Ugbazghi. La Cour a statué à plusieurs reprises que l’examen relatif à l’appartenance est un exercice axé sur les faits qui exige un examen de la conduite du demandeur, et donc de ses activités et de ses intentions. Dans la décision Ugbazghi, il n’était pas question de coercition, puisque la demanderesse dans cette affaire avait clairement dit qu’elle avait participé volontairement aux activités en question.

[93]           Le demandeur ne conteste pas qu’il a participé aux activités des TLET dont il est question aux paragraphes 23 à 25 du mémoire des faits et du droit du défendeur, mais il répète que le commissaire doit tenir compte de l’atmosphère de coercition qui existait à ce moment‑là. L’observation du défendeur sur les autres solutions qui s’offraient au demandeur est dénuée de pertinence. La question n’est pas de savoir, comme ce peut être le cas en matière d’exclusion, si le demandeur avait d’autres solutions ou s’il a quitté à la première occasion, mais s’il a participé volontairement aux activités en cause. S’il n’y a pas participé volontairement, ces activités ne sauraient être considérées comme un indice de son appartenance au groupe.

[94]           Le demandeur soutient que le défendeur fait également fausse route en invoquant la décision Thiyagarajah. Dès le début de cette décision, le juge Rennie indique clairement que la contrainte est la seule question en litige. Voici ce qu’il dit au paragraphe 5 :

Une seule question est en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire : la Commission a‑t‑elle conclu erronément que le bien‑fondé de la défense de contrainte n’avait pas été démontré? Nul ne conteste que la Commission a appliqué les bons principes juridiques pour apprécier la preuve de ce bien‑fondé. L’erreur plus précisément alléguée est que la Commission n’a aucunement mentionné dans sa décision certains rapports sur la situation régnant au Sri Lanka, tout particulièrement aux passages où l’on y décrivait la mesure dans laquelle les TLET recouraient à des actes de violence et à la menace de tels actes pour forcer les Tamouls à appuyer leur cause. L’avocate du demandeur a passé en revue de manière exhaustive et détaillée, devant la Cour, la preuve documentaire dont la Commission était saisie et qui décrivait les tactiques des TLET.

 

 

[95]           Le demandeur n’a jamais prétendu qu’il pouvait invoquer la défense de contrainte; il a prétendu que la question de la coercition était pertinente pour l’examen de l’appartenance au groupe, ce qui n’a été ni soulevé ni tranché dans Thiyagarajah, où la Cour dit ce qui suit aux paragraphes 16 à 18 :

L’application d’un critère juridique (celui ici de la défense de contrainte) à un ensemble de faits constitue une question mixte de fait et de droit qui, à ce titre, appelle la norme de contrôle de la raisonnabilité (Poshteh, précité). Lorsqu’elle examine une décision en fonction de cette norme, la Cour doit s’attarder à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Cela étant, la Commission a évalué les pressions et la coercition ressenties par le demandeur par rapport au préjudice causé par son rôle actif au sein des TLET et son soutien constant à leurs objectifs. Il serait raisonnable qu’une telle évaluation donne lieu à diverses interprétations. S’il est possible de tirer de la preuve une conclusion différente, toutefois, cela ne rend pas déraisonnable l’interprétation des faits donnée par la Commission. Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise à cet égard.

 

On l’a dit, le cadre juridique utilisé par la Commission pour évaluer la question de l’appartenance aux TLET ou de la contrainte n’est pas contesté. Le demandeur soutient plutôt que la Commission aurait tiré des conclusions de fait différentes si elle avait fait état des rapports présentés sur la situation régnant au Sri Lanka. En faisant valoir cet argument, le demandeur demande en fait à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de tirer ses propres conclusions de fait. Le demandeur ne mentionne aucune conclusion de fait précise que la prise en compte des rapports serait venue modifier. Il ne relève non plus aucun élément particulier des rapports sur la situation régnant dans le pays dont la mention expresse aurait entraîné une conclusion différente, ni une faille quelconque, pour en arriver aux conclusions de fait, dans l’analyse ou le raisonnement de la Commission. Il plaide plutôt en faveur d’une conclusion différente.

 

 

[96]           Il ressort de l’extrait précité que la décision Thiyagarajah portait exclusivement sur la contrainte. En l’espèce, le demandeur soutient que, compte tenu des deux décisions subséquentes (Jalloh; Krishnamoorthy), la coercition est une question distincte qui touche à la question de l’appartenance à un groupe.

[97]           En réponse aux observations du défendeur sur le témoin expert du demandeur, le demandeur répète que le commissaire a complètement écarté ce témoignage, qui touchait à une question centrale qui lui était soumise. Le demandeur prétend que ce simple fait suffit à annuler la décision.

ANALYSE

[98]           Comme il ressort clairement de l’analyse de la juge Anne Mactavish dans Kanapathy, précité, aux paragraphes 22 et 34, l’appartenance à une organisation terroriste ou à un groupe terroriste pour l’application de l’article 34 de la LIPR peut être officielle, « par association » ou « participation officieuse ». Il est clair qu’une participation officieuse ou un appui en faveur d’une organisation peut établir l’appartenance pour l’application du paragraphe 34(1). Voir Kanapathy, au paragraphe 38, et Kanendra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 923, aux paragraphes 21 à 23.

[99]           En l’espèce, personne ne conteste que les TLET forment une organisation terroriste, mais il n’y a aucune conclusion que le demandeur en faisait officiellement partie. La SPR devait déterminer si le demandeur était membre des TLET en raison de sa participation officieuse à cette organisation.

Le critère de l’appartenance

[100]       Le demandeur insiste beaucoup sur la distinction juridique qui existe entre la contrainte et la coercition et prétend que la SPR a commis une erreur en [traduction] « confondant le moyen de défense fondé sur la contrainte et la notion de coercition ».

[101]       Une lecture de la décision dans son ensemble révèle qu’aucune confusion n’a eu lieu. Le commissaire emploie simplement les termes « coercion », « duress » et « compulsion » (contrainte) de façon interchangeable. Après avoir énuméré les activités utiles aux TLET auxquelles le demandeur avait participé, le commissaire tente simplement – comme l’exige la jurisprudence – de déterminer si le demandeur a commis ces actes volontairement pour aider les TLET, ou s’il a été forcé ou obligé de les commettre d’une façon qui révèle qu’il n’appuyait pas les objectifs des TLET.

[102]       Avant de procéder à cette analyse, la SPR énonce le critère applicable. Se référant à la décision Ahani, le commissaire fait observer avec raison que « [l]a jurisprudence actuelle semble indiquer que, en ce qui concerne l’article 34, il faudrait élargir la définition de l’appartenance ».

[103]       La SPR définit ensuite l’approche à adopter en citant les directives formulées par le juge James O’Reilly dans Jalloh, précité, où il dit clairement qu’« [u]n membre est à tout le moins une personne qui commet intentionnellement des actes afin que les buts du groupe soient atteints » (paragraphe 37). Le paragraphe 38 de Jalloh, également cité par la SPR, revêt une importance particulière pour ce qui est de l’approche adoptée par le commissaire en l’espèce :

Par conséquent, la conclusion selon laquelle une personne est membre d’un groupe devrait reposer sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe et ne concernaient pas sa propre survie. La preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte. Il faut bien sûr se rappeler que la question qui doit être tranchée sous le régime de l’alinéa 34(1)f) consiste à savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne était membre du groupe, et non si la preuve établit un tel lien selon la prépondérance des probabilités ou si la contrainte a été démontrée selon une quelconque norme de preuve. Cela également laisse croire que tous les éléments de preuve pertinents doivent être considérés ensemble.

 

 

[104]       Dans ce paragraphe, nous voyons que le juge O’Reilly utilise les mots « coerced »et « duress » (contrainte) d’une façon qui, à mon sens, ne vise pas à établir ou à appliquer une quelconque distinction juridique entre les deux notions. L’appartenance au groupe repose « sur des éléments qui indiquent que les intentions de la personne étaient en accord avec les objectifs du groupe » et « la preuve devrait être considérée dans son ensemble afin de déterminer si la personne était véritablement membre du groupe ou si les actes qu’elle a commis au nom du groupe l’ont été sous la contrainte ». Autrement dit, la personne avait‑elle l’intention d’appuyer le groupe ou y a‑t‑elle été contrainte d’une manière qui neutralise cette intention? Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’introduire des distinctions juridiques complexes dans le présent exercice et, en citant le juge O’Reilly, la SPR nous informe de toute évidence du critère qu’elle entend appliquer. Comme le demandeur le soutient, la question clé est celle de son engagement envers les TLET à l’époque considérée, et de l’intention sous‑jacente aux actes qui ont permis de tirer une conclusion d’appartenance officieuse. Je vois l’analyse de la SPR comme une façon d’aborder la notion importante d’« intention » et, du même coup, de décider si le demandeur avait l’intention par ses actes d’appuyer les TLET, ou s’il était obligé ou contraint de les commettre d’une façon qui révèle qu’il n’appuyait pas les TLET. J’estime que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle sur cette question.

Application du bon critère pour tirer une conclusion d’appartenance à un groupe

[105]       Sur cette question, je conviens avec le demandeur que la jurisprudence a établi un critère permettant de déterminer si une personne est membre d’une organisation. Les facteurs suivants devraient être pris en compte : la nature et la durée des activités de l’intéressé, ainsi que le niveau de son engagement dans l’organisation et dans la poursuite de ses objectifs. Voir Krishnamoorthy, précité, au paragraphe 23 et Villegas, précité, au paragraphe 44.

[106]       Le demandeur soutient que dans le cas qui nous occupe, comme dans l’affaire Krishnamoorthy, le commissaire n’a pas tenu compte du critère de l’appartenance au groupe établi par la jurisprudence. Il affirme que le commissaire n’en fait pas mention dans son analyse. Le commissaire précise que l’appartenance doit recevoir une « interprétation large et non restrictive », mais il n’énonce pas les facteurs à prendre en considération pour déterminer si une personne appartient à un groupe, et il ne les applique pas non plus. Son analyse vise principalement à déterminer si les actes du demandeur étaient le produit de la contrainte.

[107]       Le demandeur estime que les conclusions de fait portant sur ses activités avec les TLET, sans autre analyse, ne sauraient étayer une conclusion d’appartenance au groupe.

[108]       Je suis d’avis que le demandeur exige un degré de subtilité qui n’est pas nécessaire dans une analyse sérieuse. Une lecture de la décision dans son ensemble révèle que l’analyse du commissaire va bien au‑delà de la simple énumération des faits et que le commissaire tente de s’assurer de l’« intention » du demandeur en examinant la façon dont celui‑ci interagit avec les TLET. Le commissaire expose peut-être mal le critère juridique applicable pour tirer une conclusion d’appartenance au groupe, mais il fait une véritable analyse des questions en litige. Il s’intéresse aux activités du demandeur, à la durée de son association avec les TLET et à son niveau d’engagement dans le mouvement des TLET et dans la poursuite de ses objectifs. Certes, on peut contester en partie l’examen et les conclusions du commissaire, mais je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il s’est borné à énumérer les faits, qu’il n’a pas tenu compte des facteurs d’appartenance au groupe ou qu’il n’a pas tenté de s’assurer de l’« intention » qu’avait le demandeur en faisant ce qu’il a fait. J’estime qu’il n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle sur cette question.

Prise en compte des éléments de preuve pertinents

[109]       À mon sens, c’est ici que la décision devient déraisonnable. Le demandeur a présenté une preuve d’expert et d’autres éléments démontrant que les TLET avaient établi un climat de peur et d’intimidation dans sa région, de sorte que chacun était forcé d’agir d’une manière qui, en apparence du moins, laissait croire à un appui. La preuve démontre que les gens n’avaient pas d’autre choix que de participer; ne pas agir comme un partisan pouvait avoir de terribles conséquences.

[110]       Cette preuve est directement pertinente pour la conclusion que la SPR était appelée à tirer à l’égard du demandeur. Elle touche au cœur de la question de savoir pourquoi le demandeur a agi comme il l’a fait. Considéré à la lumière de cette preuve, ce qu’a fait le demandeur ressemble énormément à ce que beaucoup d’autres personnes se sont senties obligées de faire afin de se soustraire aux conséquences qu’entraîne la résistance à un régime autoritaire et terroriste. Le commissaire se devait d’aborder cette preuve contradictoire et hautement pertinente. Voir Cepeda‑Gutierrez, précité, aux paragraphes 15 et 17, et Provost, précité, aux paragraphes 30 et 31.

[111]       Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, non seulement le commissaire a écarté le témoignage de M. Sritharan, mais il a aussi écarté la preuve documentaire corroborante sur laquelle s’appuyait le demandeur. Ce dernier a présenté une preuve documentaire exhaustive afin de démontrer la culture de peur qui régnait à Jaffna à l’époque en cause. Cette preuve montrait l’ampleur du contrôle que les TLET exerçaient sur la population. Elle montrait aussi que les actes commis par le demandeur pour le compte des TLET étaient répandus et que nombreux étaient ceux qui étaient forcés de faire de même. Cela n’en faisait pas pour autant des membres par association. Cette preuve a été abondamment citée par le demandeur dans ses observations écrites.

Dispense ministérielle

[112]       Le défendeur fait valoir que la coercition ne saurait en soi neutraliser l’appartenance au groupe et que, même si le résultat peut sembler dur, il est possible d’invoquer le paragraphe 34(2). Il en est ainsi parce le paragraphe 34(1) vise à ratisser très large afin d’englober les comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada. Voir Stables c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1319, au paragraphe 35. Le défendeur laisse entendre qu’en l’espèce la décision ne devrait pas être infirmée, car il estime que peu d’éléments de preuve étayent la coercition et que le demandeur peut demander une dispense ministérielle en vertu du paragraphe 34(2).

[113]       Le défendeur nous renvoie à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 103 , aux paragraphes 63 à 65, et plus particulièrement à la précision apportée au paragraphe 64 :

Il peut exister d’autres situations dans lesquelles des personnes qui tomberaient par ailleurs sous le coup du paragraphe 34(1) de la LIPR pourraient justifier leur conduite de manière à se soustraire aux conséquences d’une interdiction de territoire. Ainsi, celles qui réussiraient à convaincre le ministre qu’elles avaient été contraintes de participer à une organisation terroriste pourraient bénéficier d’une dispense ministérielle.

 

 

[114]       Comme il ressort clairement de la jurisprudence portant sur le paragraphe 34(1), l’existence du paragraphe 34(2) ne dispense pas la SPR de l’obligation de tenir compte de la coercition, de la contrainte ou de toute autre forme d’obligation lorsqu’elle examine la question de l’appartenance au sens du paragraphe 34(1). Sauf dans les cas d’appartenance officielle, l’examen du comportement d’une personne qui se trouve dans la situation du demandeur vise principalement à s’assurer qu’elle a agi dans l’intention de contribuer aux objectifs des TLET. L’existence du paragraphe 34(2) ne saurait dispenser de l’obligation de procéder à cet examen. De toute évidence, le paragraphe 34(2) sera très important dans les cas d’appartenance officielle et il pourrait même être invoqué si la conclusion d’appartenance officieuse tirée par le commissaire est raisonnable. J’estime toutefois que la dispense ministérielle prévue au paragraphe 34(2) ne dispense pas le commissaire de l’obligation d’examiner la question de l’appartenance au groupe en application du paragraphe 34(1), puisqu’un demandeur peut invoquer la contrainte, quelle qu’en soit la nature, pour justifier ses actes ou ses omissions. Elle ne dispense pas non plus la Cour, lors d’un recours en contrôle judiciaire, de l’obligation d’examiner le caractère raisonnable de l’examen effectué à cet égard par le commissaire. J’estime donc, vu les faits de l’espèce et pour les motifs susmentionnés, que le commissaire n’a pas procédé à une évaluation raisonnable de l’appartenance au groupe. Je ne vois pas pourquoi le demandeur devrait s’en remettre au pouvoir discrétionnaire ministériel prévu au paragraphe 34(2) alors qu’il peut encore se prévaloir des droits que lui accorde le paragraphe 34(1).

[115]       À cet égard, au paragraphe 39 de la décision Kanapathy, précitée, la juge Mactavish fait observer ce qui suit :

Je prends acte de l’argument de M. Kanapathy selon lequel il est peut‑être inévitable qu’il y ait un certain degré d’interaction avec les TLET dans les régions du nord du Sri Lanka que contrôlait cette organisation durant la période en question, mais il me semble que ces observations auraient peut‑être plus de poids dans le contexte d’une demande d’exemption ministérielle présentée en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

 

[116]       Vu les faits de l’affaire Kanapathy, il se peut bien que le paragraphe 34(2) ait été la disposition la plus indiquée à invoquer. Or, comme l’établit clairement la jurisprudence portant sur le paragraphe 34(1), l’association officieuse suppose que l’on tienne dûment compte des intentions de l’intéressé et de son engagement envers l’organisation. Comme l’a fait observer le juge Richard Mosley dans Krishnamoorthy, au paragraphe 19 :

Je suis d’avis que l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur était membre des TLET, parce qu’il a laissé de côté le critère applicable, énoncé dans la jurisprudence, qui permet de déterminer l’« appartenance » dont parle l’alinéa 34(1)f). L’agent n’a pas pris en compte les intentions du demandeur, son niveau de participation et son engagement envers les TLET.

 

 

[117]       Le législateur a voulu que l’on donne au terme « membre » « une interprétation large et libérale » (voir Poshteh, précité, au paragraphe 52), mais ce terme doit avoir un certain sens et une certaine limite, sinon le paragraphe 34(1) serait incompréhensible. La jurisprudence portant sur le paragraphe 34(1) a établi clairement que la SPR doit tenir compte de divers facteurs et chercher à savoir si les actes en question sont ceux d’un membre . C’est ce qu’a fait observer le juge Mosley dans Toronto Coalition to Stop the War, précité, au paragraphe 118 :

La loi ne définit pas l’expression « membre d’une organisation ». Les tribunaux n’ont pas établi une définition précise et complète de cette expression. Il est de jurisprudence constante que cette expression doit recevoir une interprétation large et libérale : Poshteh, précité, au paragraphe 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, 151 F.T.R. 101, 44 Imm. L.R. (2d) 309, au paragraphe 52. Cependant, une interprétation large et libérale ne donne pas carte blanche au décideur pour considérer quiconque ayant déjà eu affaire à une organisation terroriste comme étant membre de cette organisation. Il faut tenir compte des faits de chaque affaire, y compris de la preuve contredisant une conclusion d’appartenance : Poshteh, au paragraphe 38. Rien ne donne à penser que les auteurs de l’examen ont accordé quelque poids que ce soit aux facteurs ne portant pas sur le soutien financier et matériel qui a été fourni au Hamas par M. Galloway.

 

Question à certifier

[118]       Le demandeur a proposé des questions à la certification, mais comme le contrôle est accueilli pour les motifs précédemment exposés, il n’y a pas lieu de les examiner.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un commissaire différent de la Section de l’Immigration.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4207‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  T.K.

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 2 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

Tamara Morgenthan

 

DEMANDEUR

 

Angela Marinos

Nicole Rahaman

 

DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocat

Toronto (Ontario)

 

DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

DÉFENDEUR

 

 

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