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Date : 20130326

Dossier : IMM-5888-12

Référence : 2013 CF 311

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JIN XIANG CHEN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande l’annulation d’une décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] RT Can no 6), au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR  Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande est accueillie.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine originaire de la province du Fujian.  Il prétend être persécuté en raison de son appartenance à une église catholique clandestine. Le demandeur prétend avoir été initié au christianisme par un ami en 2009, et avoir assisté aux offices d’une maison‑église chaque semaine jusqu’à ce que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) fasse une descente dans la maison‑église le 17 janvier 2010. Il dit avoir pris la fuite et avoir appris que le BSP s’était rendu chez lui et avait interrogé sa famille.

 

[3]               Le demandeur a pris des dispositions pour venir au Canada et est arrivé au pays le 2 février 2010. Il a présenté une demande d’asile trois jours plus tard. Depuis lors, son épouse lui aurait appris que trois membres de son église avaient étécondamnés à des peines d’emprisonnement et que le BSP le recherchait toujours.

 

Décision en cause

 

[4]               La Commission a jugé que le demandeur n’était pas crédible et a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[5]               La Commission a jugé que son témoignage ne concordait pas avec la preuve sur la situation dans le pays, et a donc conclu que la descente alléguée n’avait pas eu lieu.

 

[6]               La preuve documentaire montre que l’église catholique est très présente dans la province du Fujian, mais que certaines églises clandestines font l’objet d’actes de persécution sporadiques. Selon la Commission, les actes de persécution visent en général les prêtres et les évêques, et il y a très peu d’éléments de preuve indiquant que les paroissiens sont également pris pour cibles.

 

[7]               La Commission a examiné l’assignation qui, selon le demandeur, aurait été signifiée à sa famille par le BSP. La Commission a conclu que si une assignation a été signifiée, il s’agit de l’assignation assortie d’un mandat d’arrestation (le zuzhuan), et non de l’assignation moins coercitive (le zuanhuan). La Commission a également examiné l’assignation visant le demandeur et y a relevé plusieurs lacunes, dont l’absence de date, de signature, la présence de données écrites apparentes sur le sceau et le renvoi à la mauvaise disposition du code criminel.

 

[8]               Le demandeur a également soumis une carte de visite de prison qui aurait, selon les allégations, été délivrée à l’épouse d’un paroissien ayant été emprisonné. La Commission a rejeté cet élément de preuve à la lumière de sa conclusion selon laquelle la descente n’avait pas eu lieu et de la prolifération des documents frauduleux en Chine. La Commission a conclu que le fait d’avoir présenté un autre document frauduleux minait encore davantage la crédibilité du demandeur.

 

[9]               La Commission s’est ensuite penchée sur l’authenticité de la pratique religieuse du demandeur au Canada. Le demandeur avait produit une lettre d’un prêtre au Canada selon laquelle il s’était joint à une église catholique chinoise et avait été baptisé. En outre, le demandeur avait correctement répondu à un certain nombre de questions détaillées sur le catholicisme. La Commission a toutefois souligné qu’il avait suivi un cours d’études chrétiennes au Canada et a conclu que le fait qu’il fréquentait une église au Canada visait uniquement à appuyer sa demande d’asile.

 

[10]           Enfin, la Commission a conclu que le demandeur pourrait pratiquer librement la religion catholique en Chine. Les « renseignements diverge[aient] » quant au traitement des chrétiens dans la province du Fujian et certaines sources indiquaient que les autorités faisaient preuve d’une grande tolérance. Une autre source indiquait que la province du Fujian était l’une [traduction] « des pires » pour ce qui est de la persécution des églises catholiques non officielles. La Commission a préféré les premiers éléments de preuve aux seconds parce que ces derniers ne fournissaient aucun détail ou exemple. « [L]es éléments de preuve attestant les mesures prises par les autorités du pays contre des paroissiens dans la province du Fujian » étaient « extrêmement rares ».

 

Question en litige

 

[11]           La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a décidé de façon raisonnable que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

 

[12]           À mon avis, la décision comporte cinq vices de fond.

 

[13]           Premièrement, la Commission n’a pas ajouté foi au témoignage du demandeur parce que celui‑ci n’était pas appuyé par la preuve sur la situation dans le pays. Une telle preuve est contextuelle et fournit une toile de fond importante au témoignage du demandeur, mais elle ne permet pas de trancher une demande d’asile individuelle. En l’espèce, la preuve documentaire est contradictoire et imprécise. Elle ne dicte pas de conclusion selon laquelle le récit du demandeur est nécessairement non plausible.

 

[14]           Une bonne partie de la preuve documentaire fait état de façon générale d’arrestations, de l’imposition d’amendes et de la prise d’autres mesures de contrôle, sans faire expressément référence à quelque province que ce soit. La preuve indiquait que les renseignements concernant plus particulièrement la province du Fujian étaient [traduction] « peu abondants ».

 

[15]           La Commission n’a trouvé aucune incohérence ou contradiction dans le témoignage du demandeur. La Commission n’a pas non plus conclu qu’il était évasif ou que son comportement montrait qu’il n’était pas crédible. La Commission avait tout simplement une idée préconçue de la situation des catholiques dans le Fujian et a rejeté la demande parce que celle‑ci allait à l’encontre de cette opinion.

 

[16]           Deuxièmement, la Commission a rejeté de façon déraisonnable l’assignation du demandeur La Commission a comparé l’assignation à un modèle d’assignation assortie d’un mandat d’arrestation, même si le demandeur avait produit un avis d’assignation. Il s’agit de deux documents distincts qui, notamment, se réfèrent à des articles différents du code de procédure pénale.

 

[17]           La Commission a conclu qu’une assignation assortie d’un mandat d’arrestation aurait été signifiée en raison du témoignage du demandeur selon lequel le BSP était résolu à l’arrêter et parce que ce dernier s’était présenté chez lui à de nombreuses reprises afin de le trouver. Cette affirmation n’est que pure conjecture. La preuve documentaire indique que les normes policières sont très inégales. Le demandeur pouvait vraisemblablement recevoir signification d’un avis d’assignation dans les circonstances.

 

[18]           Il est loisible à la Commission de douter de l’authenticité de l’assignation. Cependant, la Commission doit à tout le moins reconnaître que ce document ne se voulait pas une assignation assortie d’un mandat d’arrestation et que, même s’il était authentique, il n’aurait donc pas la forme habituelle d’une assignation assortie d’un mandat d’arrestation. Par ailleurs, l’assignation assortie d’un mandat d’arrestation ayant servi d’élément de comparaison n’est qu’un modèle, qui, remontant à 2004, date déjà d’un certain temps. Une assignation authentique de 2010 pourrait fort bien avoir une autre apparence : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 288, aux paragraphes 52 et 53.

 

[19]           Troisièmement, la Commission n’a pas dûment pris en considération la carte de visite de prison, affirmant : « […] [É]tant donné que le tribunal a jugé que la descente à la maison-église fréquentée par le demandeur d’asile n’a pas eu lieu, le tribunal estime que la “carte de visite” de prison se rapportant à la personne qui l’a initié à la religion catholique n’est pas authentique. »

 

[20]           La Commission ne peut tirer une conclusion relativement à la demande en se fondant sur certains éléments de preuve et rejeter le reste de la preuve parce qu’elle est incompatible avec cette conclusion. Avant de conclure qu’il n’y a pas eu de descente, la Commission doit se demander si la carte de visite de prison fournit la preuve d’une telle descente. Le raisonnement a été inversé. C’est la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, dans l’arrêt Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354, qui décrit le mieux cette erreur quant à la méthode appliquée ou dans l’appréciation de la preuve :

[traduction] On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le véritable critère applicable à la véracité de la version du témoin dans un tel cas doit être sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question. [...] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait bien s’agir là d’une auto-directive dangereuse.

 

[21]           La Commission n’a rien trouvé qui lui permettait de conclure au caractère frauduleux de la carte de visite, sinon que ce document était incompatible avec la conclusion qu’elle avait déjà tirée au sujet de la crédibilité.

 

[22]           Quatrièmement, la Commission a rejeté sommairement la connaissance approfondie que le demandeur avait du catholicisme, son certificat de baptême et la lettre du prêtre de son église au Canada. On peut se demander si quelque élément de preuve que soit aurait pu convaincre la Commission que le demandeur avait une croyance religieuse sincère. Encore une fois, l’erreur consiste à avoir fait passer la conclusion avant la preuve. De plus, les réponses du demandeur aux questions posées appuyaient la conclusion inverse. Il a répondu, dans l’ensemble, à toutes les questions, dont certaines exigeaient une connaissance approfondie du christianisme.

 

[23]           Cinquièmement, il était déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur pouvait pratiquer librement sa religion en Chine s’il était véritablement catholique. L’analyse de la Commission sur ce point est entachée des erreurs mentionnées précédemment, en particulier le fait qu’elle ait rejeté le témoignage du demandeur en ce qui concerne la situation dans la province du Fujian. Dans bien des cas, une conclusion objective quant à l’existence ou à la tolérance de libertés religieuses dans le pays que fuit le demandeur serait déterminante et rendrait non pertinente la question de la crédibilité du demandeur. En l’espèce, cependant, la preuve de la tolérance religieuse dans la province du Fujian n’était pas accablante au point qu’il n’était pas nécessaire de se demander, eu égard à une évaluation adéquate de la crédibilité du demandeur, comment le demandeur serait traité à son retour.

 

[24]           Dans l’ensemble, il est évident que la Commission s’est prononcée sur le bien‑fondé de la demande du demandeur en se fondant uniquement sur la preuve documentaire. Après avoir tiré une conclusion fondée sur cette preuve, la Commission a rejeté le témoignage du demandeur et les documents à l’appui de sa demande parce qu’ils étaient incompatibles avec cette conclusion. Il ne s’agit pas là d’une méthode appropriée d’appréciation de la preuve. En l’absence d’une conclusion défavorable sur la crédibilité, la décision de rejeter certains aspects de la preuve ne donne pas carte blanche pour rejeter tout le reste de la preuve. Chaque aspect de la preuve doit être évalué suivant son propre fondement.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un commissaire différent de la Section de la protection des réfugiés. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

J. Boulanger


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5888-12

 

INTITULÉ :                                      JIN XIANG CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 26 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Julie Waldman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman
Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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