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Date: 20130318

Dossier : IMM-7121-12

Référence : 2013 CF 280

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

SHAH, MUTAHIR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Shah, est un citoyen du Pakistan et il était un homme d’affaires prospère dans ce pays. Il est arrivé au Canada en 2010 et il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte alléguée des talibans, qui, selon ses dires, l’avaient extorqué et agressé. Dans une décision datée du 28 juin 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), ni une personne à protéger au titre du paragraphe 97(1) de la Loi. La décision de la Commission est fondée sur une conclusion générale concernant la crédibilité, selon laquelle « le demandeur d’asile manque de crédibilité de manière générale, et que ce manque de crédibilité s’étend à l’ensemble de ses déclarations importantes ».

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision.

 

[3]               La seule question à trancher est de savoir si la conclusion selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité était raisonnable. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision ne contient pas d’erreurs qui justifient l’intervention de la Cour; « la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Les erreurs alléguées dans la décision

 

[4]               Le demandeur conteste un certain nombre des incohérences relevées par la Commission dans sa décision et les inférences qui ont été tirées de ces incohérences alléguées. Plus précisément, le demandeur prétend que les incohérences étaient mineures et, dans certains cas, qu’elles avaient été faites par erreur.

 

[5]               Je conviens avec le demandeur que la décision peut être déraisonnable si la Commission a mal exposé la preuve qui était déterminante quant à l’analyse de la crédibilité (voir, à titre d’exemple, Owusu-Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm LR (2d) 106, à la page 103, 98 NR 312 (CAF)). Cependant, il est généralement loisible à la Commission de tirer des inférences défavorables concernant la crédibilité d’un demandeur d’asile en se fondant sur les incohérences dans les éléments de preuve qu’il a fournis au cours des différentes étapes du processus d’octroi de l’asile; cela comprend les éléments de preuve produits au point d’entrée, le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur d’asile et le témoignage livré lors de l’audience (Eustace c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1553, [2005] ACF no 1929, aux paragraphes 6 et 10; Zaloshnja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 206, [2003] ACF no 272, au paragraphe 6).

 

[6]               La conclusion de la Commission en matière de crédibilité était fondée sur les nombreuses incohérences décelées dans les éléments de preuve fournis par le demandeur. Ces incohérences, qui étaient liées à la persécution du demandeur par les talibans et aux précautions qu’il avait prises parce qu’il craignait les talibans, concernaient des questions déterminantes à l’égard de la demande d’asile du demandeur. Un bon nombre de ces incohérences pouvaient être considérées comme mineures lorsqu’on les examinait de manière isolée. Toutefois, cumulativement, elles semblent indiquer que le récit n’était tout simplement pas véridique. Je suis d’avis qu’il était loisible à la Commission d’examiner ces incohérences cumulativement et de formuler une conclusion générale défavorable en matière de crédibilité.

 

[7]               Le demandeur affirme que la Commission n’aurait pas du tirer une inférence défavorable du fait qu’il ne pouvait initialement se rappeler quand avait eu lieu l’incident à la station‑service. Je ne souscris pas à cette affirmation. Selon le demandeur, les talibans avaient communiqué avec un garde de sécurité à la station‑service pour lui poser des questions à son sujet. Il s’agissait d’un incident qui était important dans le contexte de la demande d’asile du demandeur – selon son FRP, il avait retiré ses enfants de l’école à ce moment‑là en raison de sa crainte. Compte tenu de l’importance de cet incident, la Commission pouvait raisonnablement tenir compte, dans son appréciation de la crédibilité, du fait que le demandeur avait de la difficulté à se rappeler quand l’incident s’était produit.

 

[8]               De plus, la Commission pouvait raisonnablement tirer une inférence défavorable des incohérences dans le témoignage du demandeur en ce qui concerne le moment auquel il avait retiré ses enfants de l’école. Selon son FRP, le demandeur avait retiré ses enfants de l’école vers avril 2009, après qu’on lui avait dit que [traduction] « quelqu’un avait posé des questions à son sujet ». Pendant son témoignage de vive voix, le demandeur a déclaré qu’il avait retiré ses enfants après s’être fait tirer dessus, un fait qui s’est produit plusieurs mois plus tard. Ces incidents sont importants quant au récit du demandeur concernant la persécution et ils témoignent de la grande crainte qu’éprouvait le demandeur. Il était loisible à la Commission de tirer une inférence négative quant à sa crédibilité.

 

[9]               Le demandeur prétend aussi que la Commission a conclu à tort qu’il vivait à Karachi. Je conviens que la transcription contient quelques mentions au sujet de brefs séjours à Karachi pendant qu’il déménageait sa famille dans cette ville. Cependant, lorsqu’on l’examine dans son intégralité, le témoignage du demandeur quant à cette question était loin d’être clair. Même si la Commission se trompait sur ce point, cette conclusion n’a pas joué un rôle important dans sa décision.

 

[10]           Les autres erreurs alléguées que le demandeur a soulevées n’ont aucune importance quant à la conclusion globale ou ne sont pas des erreurs, mais plutôt d’autres interprétations de la preuve dont disposait la Commission.

 

La preuve documentaire corroborante

 

[11]            Le demandeur s’oppose à la manière avec laquelle la Commission a traité certains des éléments de preuve dont elle disposait.

 

a)         La preuve médicale du Dr Block et celle du Dr Stall

 

[12]           Le demandeur a présenté deux rapports médicaux – l’un rédigé par le Dr Block, qui est médecin, et l’autre par le Dr Stall, qui est psychiatre.

 

[13]           Il appartient à la Commission d’apprécier les rapports médicaux et de leur accorder le poids qui convient.

 

[14]           Le rapport médical du Dr Block, qui est daté du 3 août 2011, contient un exposé du récit des faits du demandeur ainsi que les observations du médecin concernant les cicatrices du demandeur et ses blessures aux dents. Le Dr Block concluait que [traduction] « M. Shah a des cicatrices qui sont compatibles avec son récit à propos des blessures par balle et de l’agression physique dont il a été victime ».

 

[15]           L’opinion du Dr Block, selon laquelle les cicatrices du demandeur étaient compatibles avec son récit, ne corrobore pas nécessairement le fait que le demandeur avait été blessé, comme il le prétendait. Il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de ne pas attribuer de poids à ce rapport, compte tenu des doutes qu’elle entretenait à l’égard du témoignage du demandeur, du fait qu’une grande partie du rapport reprend la version des faits du demandeur et de la possibilité que ces blessures puissent être attribuables à d’autres causes.

 

[16]           La Commission disposait aussi du rapport psychiatrique daté du 29 avril 2011 qui a rédigé par le Dr Stall. Comme l’a relevé la Commission, la preuve psychologique n’est pas une « panacée » pour palier aux lacunes dans le témoignage d’un demandeur d’asile (à titre d’exemple, voir Arizaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 774, [2008] ACF no 978, au paragraphe 26). L’opinion du Dr Stall était fondée uniquement sur une entrevue d’évaluation. Aucun examen objectif n’avait été effectué. Rien n’indique que les problèmes psychiatriques mentionnés dans le rapport découlaient, comme l’a décrit le demandeur, de la persécution. De plus, le rapport semble être entièrement fondé sur les propres déclarations du demandeur, et le demandeur n’était pas crédible.

 

b)         Le billet du médecin du Pakistan

 

[17]           La manière dont la Commission a traité le billet illisible rédigé par un médecin au Pakistan était elle aussi raisonnable. Un examen de ce document appuie la conclusion de la Commission selon laquelle le billet était globalement illisible. Selon ce qu’affirme le demandeur, on peut lire « blessure… jambe » à la première ligne du billet, et il ne fait aucun doute qu’il est daté du 16 août 2009. Cependant, cela n’établit pas la cause des blessures et n’apporte aucune précision que ce soit à propos de l’incident. De plus, lorsque le commissaire et l’interprète ont mentionné lors de l’audience qu’ils étaient incapables de lire le billet médical, la conseil du demandeur n’a donné aucune explication quant à son contenu. La Commission a traité ce document de manière raisonnable.

 

c)         La lettre du frère

 

[18]           La Commission a conclu qu’elle ne devait pas accorder beaucoup de poids à la lettre rédigée par le frère du demandeur, parce qu’on ne savait pas exactement quand elle avait été reçue et qu’il n’y avait aucun moyen de déterminer l’origine de la lettre. Bien qu’un timbre figure sur la lettre et qu’il pourrait constituer une certaine forme de [traduction] « caractéristique de sécurité », il est impossible à lire, tout comme l’écriture qui figure autour de celui‑ci.

 

[19]           Il est loisible à la Commission d’attribuer un poids accru ou réduit à la preuve en fonction de sa source et de l’existence de corroboration (Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 74 Imm LR (3d) 306, aux paragraphes 31 à 33 (Ferguson)). L’ensemble de cette preuve – une description d’appels ou des renseignements à propos des expériences vécues par la famille du demandeur, qui ont probablement été obtenus du demandeur et de sa nièce – semble constituer du ouï-dire. Par conséquent, l’analyse de la Commission au sujet de la lettre était raisonnable.

 

d)         Le premier rapport d’information (FIR)

 

[20]           La Commission a rejeté une version traduite d’un FIR, au motif que la version originale du document n’avait pas été produite et que le demandeur n’a fourni aucune explication pour justifier son omission d’obtenir la version originale avant la tenue de l’audience.

 

[21]           Comme il a été mentionné dans Ferguson, précitée, la Commission peut tenir compte de la source de la preuve lorsqu’elle en détermine la valeur probante. Il lui était loisible de n’attribuer aucun poids au FIR, étant donné qu’il est permis de douter de son authenticité en raison de l’absence de preuve documentaire à l’appui. Dans ces circonstances, la Commission n’avait pas l’obligation de tenir compte des aspects corroborants du document.

 

L’état psychologique et le manque de raffinement du demandeur

 

[22]           En dernier lieu, le demandeur prétend que la Commission n’a pas tenu compte de son état psychologique et de son manque de raffinement. Je ne souscris pas à cette prétention.

 

[23]           La Commission a pris acte de l’état mental du demandeur et elle a examiné sa capacité à témoigner. Dans ce contexte, la Commission a cité l’opinion du Dr Stall, qui indiquait que le demandeur « a répondu aux questions avec logique et cohérence » et « qu’il ne manifestait aucun signe de troubles de la pensée, et que ses formulations et le contenu de ses propos n’étaient pas décousus ».

 

[24]           Je suis convaincue que la Commission a tenu compte de la situation personnelle du demandeur et de ses caractéristiques. Il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

Conclusion

 

[25]           La décision dans son ensemble appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[26]           Ni l’une ni l’autre des parties ne propose de question à des fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Judge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7121-12

 

INTITULÉ :                                      MUTAHIR, SHAH

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 5 MARS 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 18 MARS 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Zahra Khedri

 

POUR LE DEMANDEUR

Ildikó Erdei

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Law Office of Zahra Khedri

Avocate

East York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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