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Date : 20130320

Dossier : IMM-8801-11

Référence : 2013 CF 289

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 mars 2013

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

 

 

MIRAFGHAN HUSSAINI ET KUBRA HUSSAINI

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision du 26 avril 2011 de la première secrétaire (Immigration) à l’ambassade du Canada à Bichkek, au Kirghizistan (l’agente des visas), de rejeter la demande de résidence permanente au Canada des demandeurs à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. L’agente des visas a conclu que les demandes d’asile des demandeurs manquaient de crédibilité en raison de contradictions entre leurs déclarations et celles de la sœur de M. Hussaini, Shikiba Rizayee, qui a immigré au Canada en 2006.

[2]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs font valoir que l’agente des visas les a privés de leurs droits à l’équité procédurale en ne leur donnant pas une possibilité suffisante d’expliquer les divergences. Je suis d’accord et j’accueille donc la présente demande pour les motifs énoncés ci-dessous.

 

Contexte

[3]               Les demandeurs forment un couple marié de l’Afghanistan. M. Hussaini affirme que son père et sa sœur ont été tués par des hommes armés en 2005 lorsque sa famille a refusé la main de sa sœur à l’un des villageois. Après les meurtres, M. Hussaini et sa famille ont continué à recevoir des menaces et ont tenté d’échapper aux meurtriers en déménageant à Kaboul. Il prétend cependant que les menaces se sont poursuivies et que la famille a donc fui l’Afghanistan pour se réfugier au Kirghizistan en 2007. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a reconnu la qualité de réfugié aux demandeurs en 2010, et ils ont demandé à s’établir au Canada à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

 

[4]               Au cours d’une entrevue avec les autorités de l’immigration en 2009 dans le cadre de leur demande de résidence permanente, M. Hussaini a révélé qu’une autre de ses sœurs, Mme Rizayee, avait réussi à immigrer au Canada. L’agente des visas a rédigé une note pour se rappeler d’examiner le dossier d’immigration de la sœur pour obtenir des références au sujet de leurs parents et de leurs sœurs. L’agente des visas a procédé à cet examen, et elle a présumé que Mme Rizayee avait indiqué dans sa demande d’immigration de 2006 que son père et sa sœur – qui, selon les demandeurs, avaient été assassinés en 2005 – étaient présents à son mariage en 2006 et qu’ils avaient fait la connaissance de son conjoint vers cette époque.

 

[5]               Lorsqu’elle a découvert ces incohérences, l’agente des visas a rédigé une soi-disant « lettre d’équité » aux demandeurs, dans laquelle elle a indiqué :

[traduction]

Je me suis rendu compte qu’une partie de l’information que vous avez fournie à l’appui de votre demande n’est pas plausible. Vous avez affirmé dans votre demande d’asile que votre père et votre sœur Diljan ont été assassinés en Afghanistan en juin 2005. Cependant, selon nos vérifications, votre père était présent en Afghanistan au mariage de votre sœur, Mme Rizayee, le 27 janvier 2006, et, en outre, il était en vie en juin 2006 et habitait avec votre famille à Kaboul.

 

 

L’agente des visas n’a cependant pas indiqué la source de ses préoccupations ni fourni de copie de la demande de résidence permanente de Mme Rizayee. Les demandeurs se sont vu accorder un délai de 60 jours pour donner suite aux préoccupations soulevées dans la lettre de l’agente des visas.

 

[6]               Les demandeurs ont répondu par deux lettres : l’une de M. Hussaini, et l’autre, de Mme Rizayee. Elle a expliqué dans sa lettre avoir célébré deux fois son mariage avec son mari, parce que l’ambassade du Canada à Islamabad n’avait pas reconnu leur premier mariage, qui avait été contracté par procuration. M. Hussaini et Mme Rizayee ont tous les deux indiqué que leur père et leur sœur étaient présents au premier mariage, en 2004, mais pas à celui de 2006, que leur père n’avait jamais habité à Kaboul et qu’il avait été assassiné en 2005.

 

[7]               L’agente des visas a admis que le père du demandeur n’avait pas assisté au second mariage de Mme Rizayee, mais elle a conclu qu’il y avait d’autres divergences entre sa demande de 2006 et les demandes d’asile des demandeurs. L’agente des visas a rédigé les notes suivantes dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) :

[traduction]

Je conviens que Shikiba Rizayee a eu deux cérémonies de mariage et que les parents du demandeur principal ont assisté au premier mariage, cependant, ni le demandeur principal ni sa sœur n’ont expliqué pourquoi, dans la demande de résidence permanente de Shikiba, reçue le 1er juin 2006, il est indiqué que les deux parents du demandeur principal, Zarghoon et Guljan, sont vivants et habitent à Kaboul, et également que les deux parents ont fait la connaissance du répondant de Shikiba le 27 janvier 2006. Il est impossible que tous ces faits, le décès du père du demandeur et sa rencontre ultérieure du répondant de Shikiba, soient vrais. Ni le demandeur principal ni Shikiba ne prétendent qu’elle a fourni de l’information erronée ou trompeuse dans sa demande de résidence permanente. Je ne suis donc pas convaincue que le demandeur ait fourni des renseignements fiables ou exacts à propos de points essentiels à la demande d’asile de sa famille.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               En l’espèce, les demandeurs font valoir qu’ils auraient pu fournir plus d’information s’ils avaient connu la source des préoccupations de l’agente des visas. Plus précisément, Mme Rizayee affirme ne pas se rappeler avoir présenté une demande en 2006, mais qu’un interprète aurait eu à remplir un formulaire de demande pour elle si elle l’avait fait. Les demandeurs relèvent en outre plusieurs autres erreurs dans la demande, qui, selon eux, montrent également qu’elle était inexacte, et avancent donc qu’ils auraient dû avoir eu l’occasion d’expliquer pourquoi cela ne devrait pas miner leur crédibilité. Enfin, Mme Rizayee a expliqué qu’en 2006, elle ne savait pas encore que son père et sa sœur avaient été assassinés, car sa famille l’avait protégée de cette nouvelle pendant qu’elle vivait seule au Pakistan, en attendant l’issue de la demande de son mari en vue de la parrainer pour qu’elle s’établisse au Canada.

 

Questions à trancher et norme de contrôle

[9]               La seule question qui se pose en l’espèce consiste à savoir si les demandeurs ont été privés de leur droit à l’équité procédurale. Je dois trancher cette question en l’espèce, car aucune déférence n’est accordée aux tribunaux administratifs quant aux questions d’équité procédurale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, para 43; SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, para 100, [2003] 1 RCS 539; Amri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 713, para 7).

 

Analyse

 

[10]           Comme en conviennent les avocats des deux parties, il est bien établi que l’équité procédurale exige que les demandeurs de la résidence permanente aient une occasion valable de répondre aux incohérences ou aux préoccupations relatives à la crédibilité importantes perçues quant à leur dossier (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 147, para 38 [Qin]; Abdi c Canada (Procureur général), 2012 CF 642, para 21 [Abdi]; Zaib c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 769, para 17 [Zaib]; Baybazarov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, para 17 [Baybazarov]). Cela exige que le demandeur soit informé de la préoccupation du décideur et de la substance de tout élément de preuve extrinsèque qui est la source de préoccupations sur laquelle le décideur a l’intention de se fonder (voir p. ex. Qin, para 38; Abdi, para 21; Baybazarov, para 12). Ce genre d’éléments de preuve extrinsèques peut aussi bien comprendre le témoignage d’un membre de la famille du demandeur, sauf, peut-être, dans une demande de parrainage d’époux, où les éléments de preuve contradictoires ne pourraient pas être considérés comme extrinsèques (voir p. ex. Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 204, para 27 [Ahmed 1] et Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 205, para 30-31 [Ahmed 2]).

 

[11]           En l’espèce, je conclus que les demandeurs ont été privés d’une possibilité suffisante de répondre à de l’information importante contenue dans la demande de résidence permanente qu’a présentée Mme Rizayee en 2006 application et que ce genre d’information constitue des éléments de preuve extrinsèques qui auraient dû leur être communiqués. Les questions clés qui préoccupent l’agente des visas ont été soulevées par les déclarations qu’a faites Mme Rizayee dans sa demande de 2006 en ce qui concerne la présence du père du demandeur à son mariage, qui, selon ce qu’a présumé l’agente des visas, a été célébré en 2006, soit après la date du présumé meurtre, l’information donnée par Mme Rizayee dans sa demande de 2006 selon laquelle son père et sa sœur décédée étaient alors des proches vivants et sa mention selon laquelle son conjoint a fait la connaissance de son père en 2006. La lettre d’équité envoyée aux demandeurs a soulevé sans détour la question de la présence du père au mariage, et les demandeurs ont fourni des éléments de preuve pour donner suite à cette préoccupation. Les demandeurs n’ont cependant pas reçu un avis suffisant relativement aux deux autres préoccupations pour être en mesure de bien y répondre.

 

[12]           En ce qui concerne les déclarations de Mme Rizayee quant à ses proches qui étaient vivants en 2006, pour être en mesure de répondre à cette préoccupation, il était nécessaire pour les demandeurs de savoir quelle était la source de cette préoccupation : il ne s’agissait pas tant de savoir si le père et la sœur de Mme Rizayee étaient en vie en 2006 que de savoir pourquoi elle a dit qu’ils l’étaient. Si les demandeurs avaient su que cette préoccupation venait de déclarations que Mme Rizayee a faites dans sa demande ainsi que la nature de cette préoccupation, ils auraient pu fournir l’explication donnée dans l’affidavit de Mme Rizayee, dont la Cour a maintenant été saisie, à savoir que Mme Rizayee n’a appris le décès de son père et de sa sœur qu’après son établissement au Canada en 2007. Parce que certains éléments n’ont pas été communiqués comme il se doit, ils n’ont pas été en mesure de fournir une explication.

 

[13]           De même, ils n’ont pas été en mesure d’expliquer l’incohérence relevée par l’agente des visas qui découle des déclarations contenues dans la demande quant à la date de la rencontre entre le conjoint de Mme Rizayee et son père, parce que cette préoccupation n’a pas été communiquée aux demandeurs. Contrairement à ce qu’avance le défendeur, la simple recherche pour déterminer la date de la demande de résidence permanente de Mme Rizayee et la demande d’une copie de sa carte de résident permanent n’ont pas suffi à aviser les demandeurs quant à la source et aux détails des préoccupations de l’agente des visas. L’information sur laquelle l’agente s’est fondée aurait tout aussi bien pu venir d’ailleurs. En outre, comme l’avocate des demandeurs le fait valoir de façon convaincante, comme les demandeurs d’asile n’étaient pas représentés et que rien n’indique qu’ils connaissaient le processus d’immigration, aucun motif ne permet de conclure qu’ils auraient dû demander la communication de la demande de résidence permanente de Mme Rizayee. Cette demande n’a été faite que par l’avocate en lien avec la présente demande.

 

[14]           La présente affaire est semblable aux cas Ahmed 1, Ahmed 2, Baybazarov; Zaib, Amin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 206, Mekonen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, et Wong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF 24, 141 FTR 62, sur lesquels se fondent les demandeurs, où il a été conclu que des défauts semblables de communiquer des détails d’éléments de preuve extrinsèques ont entraîné des violations du droit à l’équité procédurale. Par ailleurs, les affaires Kunkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347 et Toma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 779, sur lesquelles se fonde le défendeur, sont différentes, car, dans ces affaires, contrairement au cas qui nous occupe, les agents ont avisé les demandeurs de leurs préoccupations.

 

[15]           Par conséquent, parce que l’agente des visas n’a pas communiqué certains éléments aux demandeurs comme elle aurait dû le faire, sa décision doit être annulée pour donner aux demandeurs l’occasion de s’expliquer quant aux préoccupations découlant de la demande d’immigration qu’a présentée Mme Rizayee en 2006. Il se pourrait fort bien que ces explications soient insuffisantes, mais il appartient à l’agent des visas chargé du dossier de décider, comme il appartient aux agents des visas, et non à la Cour dans une demande comme celle-ci, d’évaluer la crédibilité des demandeurs.

 

[16]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et aucune n’est appropriée, car les principes juridiques qui guident cette décision sont clairs et l’issue, propre aux faits de l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision du 26 avril 2011 de la première secrétaire (Immigration) est accueillie;

2.                  La décision est cassée;

3.                  La demande de résidence permanente des demandeurs à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières est renvoyée au défendeur pour un nouvel examen par un autre agent;

4.                  En ce qui concerne ce nouvel examen, les demandeurs devront avoir l’occasion de présenter d’autres éléments de preuve et observations quant à la demande d’immigration de Shikiba Rizayee;

5.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée selon l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27;

6.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Julie Bergeron

Traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8801-11

 

INTITULÉ :                                      MIRAFGHAN HUSSAINI ET KUBRA HUSSAINI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             18 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            GLEASON J.

 

DATE :                                              19 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

POUR LES DEMANDEURS

 

Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat

Jackman, Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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