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Date : 20130319

Dossiers : T‑1420‑11

T‑288‑12

 

Référence : 2013 CF 283

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 mars 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

Dossier : T‑1420‑11

ENTRE :

 

NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

TEVA CANADA LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

défendeurs

 

et

 

 

 

NOVARTIS AG et

BOEHRINGER MANNHEIM GmbH

 

 

 

 

défenderesses/ titulaires de brevets

 

 


Dossier : T‑288‑12

 

ET ENTRE :

 

 

 

 

NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC.

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

TEVA CANADA LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

 

Défendeurs

 

 

et

 

 

 

 

NOVARTIS AG et

ROCHE DIAGNOSTICS GmbH

 

 

 

Défenderesses/ titulaires de brevets

 

 

 

            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

 

[1]               Les présents motifs concernent deux demandes présentées par Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (Règlement AC). Dans chaque demande, Novartis cherche à empêcher le ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Teva Canada Limitée; l’une des demandes concerne la concentration de 4 mg/5 ml d’une solution d’acide zolédronique pour perfusion intraveineuse (T‑1420‑11) et l’autre la concentration de 5 mg/100 ml d’une solution d’acide zolédronique pour perfusion intraveineuse (T‑288‑12), et cela, jusqu’à l’expiration des brevets canadiens 1,338,895 et 1,338,937. Les points soulevés dans chaque demande se rapportent à la validité de ces deux brevets. La contrefaçon n’est en cause dans aucune des demandes. Les deux demandes ont donc été instruites ensemble, sur preuve et argumentation communes.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les allégations de Teva concernant l’invalidité du brevet ’895, pour cause d’inutilité et d’insuffisance de la revendication 14, sont recevables, et la demande est donc rejetée pour ce qui concerne ce brevet. Je suis d’avis que les allégations de Teva concernant l’invalidité du brevet ’937 ne sont pas recevables, et la demande sera donc accueillie en ce qui concerne ce brevet. La demanderesse a droit à la moitié de ses dépens, calculés selon la partie médiane de la colonne IV.

 

[3]               Voici la table des matières des présents motifs, avec indication des paragraphes :

 

LES PARTIES

Paragraphes 4 à 7

LE BREVET 895, DANS SES GRANDES LIGNES

 

Paragraphes 8 à 12

LE BREVET 937, DANS SES GRANDES LIGNES

 

Paragraphes 13 à 17

LA PREUVE

Paragraphes 18 à 23

POINTS LITIGIEUX

Paragraphes 24 à 27

CHARGE DE LA PREUVE

Paragraphe 28

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

Paragraphes 29 à 34

LE BREVET 895, DANS SES DÉTAILS

Paragraphes 35 à 55

LE BREVET 895 – REVENDICATION 14

Paragraphes 56 à 64

LE BREVET 937, DANS SES DÉTAILS

Paragraphes 65 à 78

LE BREVET 937 – REVENDICATIONS 1 ET 2

Paragraphes 79 à 83

LES BISPHOSPHONATES – DOSSIER TECHNIQUE

Paragraphes 84 à 95

LE ZOLÉDRONATE

Paragraphes 96 à 99

CONTRÔLE D’ACTIVITÉ

Paragraphe 100

QU’ONT FAT LES INVENTEURS DU BREVET ‘895?

Paragraphes 101 à 103

QU’ONT FAIT LES INVENTEURS DU BREVET ‘937?

Paragraphes 104 à 107

LE CONFLIT – ET REVENDICATIONS RÉSULTANTES

Paragraphes 108 à 113

ÉVIDENCE

Paragraphes 114 à 116

LE BREVET ‘895 – LE CONCEPT INVENTIF

Paragraphes 117 à 119

LE BREVET ’937 – LE CONCEPT INVENTIF

Paragraphes 120 à 138

DATE DE L’INVENTION – BREVET ‘895

Paragraphes 139 à 142

DATE DE L’INVENTION – BREVET ‘937

Paragraphes 143 à 145

QUELLES ÉTAIENT LES « CONNAISSANCES GÉNÉRALES COURANTES » ET QUEL ÉTAIT L’« ÉTAT DE LA TECHNIQUE »

 

Paragraphes 146 à 162

ABSENCE D’UTILITÉ – PLAIDOYER

Paragraphe 163.

UTILITÉ – LA REVENDICATION 14 DU BREVET ‘895

Paragraphes 164 à 170

ABSENCE D’UTILITÉ – LES REVENDICATIONS 1 ET 2 DU BREVET ’937

 

Paragraphes 171 à 172

CARACTÈRE SUFFISANT – PLAIDOYER

Paragraphe 173.

CARACTÈRE SUFFISANT – PRINCIPES JURIDIQUES

Paragraphes 174 à 175

CARACTÈRE SUFFISANT – DATE À RETENIR POUR EN JUGER

 

Paragraphes 176 à 189

CONCLUSIONS ET DÉPENS

Paragraphes 190 à 193

 

LES PARTIES

[4]               Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. (Novartis) est la demanderesse dans chacune des demandes. Elle a inscrit au registre des brevets chacun des deux brevets en cause conformément au Règlement AC et a elle‑même obtenu des avis de conformité du ministre de la Santé afin de vendre un produit régulateur du métabolisme osseux au Canada renfermant du zolédronate comme principe actif. Novartis est une « première personne » au sens du Règlement AC.

 

[5]               La défenderesse Teva Canada Limited (Teva) est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Elle voudrait vendre des versions génériques du médicament de Novartis. La demande T‑1420‑11 concerne l’intention de Teva d’obtenir un avis de conformité afin de vendre un tel médicament pour administration par perfusion intraveineuse selon une concentration de 4 mg/5 ml, et Teva a signifié à Novartis un avis d’allégation en date du 20 juillet 2011, conformément au Règlement AC. La demande T‑288‑12 concerne l’intention de Teva d’obtenir un avis de conformité afin de vendre un tel médicament pour administration par perfusion intraveineuse selon une concentration de 5 mg/100 ml, et Teva a signifié à Novartis un avis d’allégation daté du 23 décembre 2011, conformément au Règlement AC.

 

[6]               Le ministre de la Santé défendeur est investi de diverses fonctions en vertu du Règlement AC, dont celle de délivrer un avis de conformité à une « seconde personne », comme Teva, dans les cas qui le justifient. Le ministre n’est pas intervenu activement dans la présente instance.

 

[7]               Novartis affirme, et Teva ne conteste pas, que le brevet canadien 1,338,895 appartient à la défenderesse Boehringer Mannheim GmbH et que le brevet canadien 1,338,937 appartient à la défenderesse Novartis AG. Aucune de ces entités n’est intervenue activement dans la présente instance.

 

LE BREVET ‘895, DANS SES GRANDES LIGNES

[8]               Le brevet canadien 1,338,895 (le brevet ’895) résultait d’une demande déposée auprès du Bureau des brevets du Canada le 29 juillet 1987. Ce brevet est donc régi par les dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, applicable à tout brevet dont la demande a été déposée auprès du Bureau des brevets du Canada avant le 1er octobre 1989.

 

[9]               Le brevet ’895 revendique une priorité sur la base d’une demande déposée le 1er août 1986 en République fédérale d’Allemagne. Il s’agit là de la « date d’invention » présumée, qui servira à trancher la question de l’évidence à condition que le document de priorité figure dans la preuve et appuie l’invention revendiquée. Une autre date d’invention peut aussi être prouvée au moyen d’éléments attestant ce qu’ont fait les inventeurs.

 

[10]           Le brevet ’895 a été délivré et concédé à Boehringer Mannheim GmbH le 4 février 1987. Le brevet sera interprété à cette date. La durée du brevet est de dix‑sept (17) ans à compter de la date de délivrance; ce brevet expirera donc le 4 février 2014.

 

[11]           Le brevet ’895 désigne Elmar Bosies et Rudi Gall, tous deux de la République fédérale d’Allemagne, comme les inventeurs. Le dossier révèle que M. Bosies est décédé et que M. Gall [traduction] « craint de mourir »; nous n’avons donc aucun témoignage des inventeurs dans la présente instance.

 

[12]           Seule la revendication 14 du brevet ’895 est en cause dans la présente instance.

 

LE BREVET ‘937, DANS SES GRANDES LIGNES

[13]           Le brevet canadien 1,338,937 (le brevet ’937) résultait d’une demande déposée auprès du Bureau des brevets du Canada le 19 octobre 1987. Ce brevet, tout comme le brevet ’895, est donc régi par les dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, applicable à tout brevet dont la demande a été déposée auprès du Bureau des brevets du Canada avant le 1er octobre 1989.

 

[14]           Le brevet ’937 revendique une priorité sur la base d’une demande déposée le 21 novembre 1986 auprès du Bureau des brevets de la Suisse. Il s’agit là de la « date d’invention » présumée, qui servira à trancher la question de l’évidence en fonction de la preuve comme on l’a vu à propos du brevet ’895.

 

[15]           Le brevet ’937 a été délivré et accordé à Ciba‑Geigy AG, de Suisse, le 25 février 1997. Le brevet doit être interprété à cette date. La durée du brevet est de dix‑sept (17) ans à compter de cette date; ce brevet expirera donc le 25 février 2014.

 

[16]           Le brevet ’937 désigne Knut A. Jaeggi et Leo Widler, tous deux de Suisse, comme les inventeurs. L’un d’eux, Leo Widler, a produit un témoignage dans le cadre de la présente instance.

 

[17]           Le brevet ’937 contient deux (2) revendications, les revendications 1 et 2, qui sont toutes deux en cause dans la présente instance.

 

LA PREUVE

[18]           Comme il est d’usage dans les instances de cette nature, la preuve a pris la forme d’affidavits, de pièces annexées aux affidavits, de transcriptions de contre‑interrogatoires, et de pièces annexées aux transcriptions des contre‑interrogatoires. La Cour n’a pas eu l’avantage de voir ou d’entendre les témoins, ni d’observer leur comportement.

 

[19]           La demanderesse a produit les affidavits des personnes suivantes, accompagnés de pièces :

 

                     M. Leo Widler : Il est l’un des inventeurs désignés dans le brevet ‘937. Il est chercheur principal du groupe Global Discovery Chemistry, aux Instituts Novartis pour la recherche biomédicale, à Bâle (Suisse). Il a présenté un historique des bisphosphonates en général ainsi que le contexte précis ayant conduit au brevet ‘937. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. Martin Knauer : de Bensheim (Allemagne). Avocat spécialisé dans le domaine des brevets, il travaille pour Roche Diagnostics GmbH comme administrateur et comme conseiller juridique principal dans les conflits portant sur des brevets. Il a produit deux affidavits auxquels sont annexés des documents de Boehringer Mannheim (société acquise par Roche) décrivant les événements ayant conduit au brevet ’895. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. Frank H. (Hal) Ebetino (expert) : de Blackrock (Irlande). Consultant en découverte et mise au point de médicaments, il possède une expertise spécialisée dans le domaine des bisphosphonates. Il est chercheur invité à l’Université de Californie du Sud et professeur‑chercheur invité à l’Université Queen de Belfast. Il a travaillé chez Proctor & Gamble aux premiers stades de la mise au point de bisphosphonates. Il a dressé un historique du développement de plusieurs générations de bisphosphonates. Il a traité de l’argumentation et de la preuve de Teva portant sur l’évidence et sur le caractère suffisant du brevet ‘937. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. Mark Lundy (expert) : de West Chester, en Ohio. Il est président d’Osteoresearch LLC, une société d’experts‑conseils dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Détenteur d’un doctorat en sciences biomédicales du Collège médical d’Albany, il a fait ses premiers cours dans le domaine de l’ostéologie à titre de boursier postdoctoral au Département de médecine et d’anatomie à l’Université de Loma Linda en Californie. Il a été embauché par Proctor & Gamble, où il a réalisé la majorité des premières recherches sur les bisphosphonates. Il a dressé un historique de la mise au point des bisphosphonates et a donné des opinions précises concernant les brevets ‘895 et ‘937. Il a examiné les documents fournis par M. Knauer au sujet des événements ayant conduit au brevet ‘895. Il a traité notamment des énoncés concernant l’utilité qui apparaissent dans l’affidavit de M. Grynpas. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. James J. Benedict (expert) : d’Aveda, au Colorado. Il est vice‑président de la recherche et du développement à Cerapedics, Inc. Il a reçu un doctorat de l’Université du Wisconsin en chimie organométallique des métaux de transition. Il a commencé sa carrière chez Proctor & Gamble dans le secteur des phosphonates; depuis ce temps, il s’est joint à d’autres organisations menant des recherches sur le métabolisme osseux et sur les bisphosphonates. Il a présenté un historique des bisphosphonates et a donné des opinions sur l’esprit inventif et sur le caractère suffisant du brevet ‘895. Il a réfuté les dires de certains des témoins de Teva. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. Ejvind Johannes‑Christiansen (expert) : de Hellerup (Danemark), avocat en brevets européens. Il s’est exprimé sur la date à laquelle une demande de brevet danoise, 1985 0 5996, avait été publiée et mise à la disposition du public. Il n’a pas été contre‑interrogé. Au cours de l’audience, l’avocat de Teva a informé la Cour que Teva ne s’appuyait à aucune fin sur la demande danoise dans la présente instance.

 

                     M. Eric McIntomny : un parajuriste travaillant dans les bureaux de l’avocat de la demanderesse. Il a produit, comme pièces, un échange de correspondance entre les cabinets des avocats représentant Teva. Il n’a pas été contre‑interrogé.

 

[20]           La défenderesse Teva a produit les affidavits des personnes suivantes, accompagnés de pièces :

 

                     M. Stanley Michael Roberts (expert) : de Devon (Royaume‑Uni). Détenteur d’un doctorat de l’Université de Salford, il a effectué des études postdoctorales à l’Université de Zurich et à l’Université Harvard. Il a été professeur dans plusieurs universités anglaises et chef de la recherche sur les produits chimiques à Glaxo Group, à Greenford (R.‑U.). Il a reçu plusieurs prix et travaille à titre de consultant dans plusieurs domaines, notamment la chimie médicinale, l’agrochimie, les biotechnologies et la chimie combinatoire. Il a donné des opinions concernant l’évidence des brevets ‘895 et ‘937. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. Jouko Vepsalainen (expert) : de Kuopio (Finlande). Il a reçu un doctorat de l’Université de Joensuu (Finlande); sa thèse portait sur la bisphosphonation de l’halométhylène. Il a travaillé exclusivement sur les bisphosphonates. Il enseigne et a rédigé de nombreux articles scientifiques dans le domaine. Il a déposé un affidavit, puis un deuxième en contre‑preuve concernant l’évidence des brevets ‘895 et ‘937. Il a été contre‑interrogé.

 

                     M. Marc Grynpas (expert) : de Toronto (Ontario). Il est un scientifique principal travaillant à l’Institut de recherche Samuel Lunenfeld du Mount Sinai Hospital, à Toronto; il est aussi professeur au Département de médecine de laboratoire et de bio‑pathologie de l’Université de Toronto. Il traite principalement de l’utilité en ce qui concerne les brevets ’895 et ‘937. Il a été contre‑interrogé.

 

                     Mme Christine Slattery : d’Oakville (Ontario). Elle parle couramment l’anglais, le français et l’allemand et elle est traductrice indépendante. Elle a comparé une demande de brevet européen rédigée en allemand, no 0 170 228, avec un brevet des États‑Unis, rédigé en anglais, no 4,687,767. Elle les a trouvés presque identiques. Elle n’a pas été contre‑interrogée. Son témoignage n’est pas contesté.

 

                     M. John Coakley : de Hamilton (Ontario). Il est traducteur indépendant et parle couramment le danois et l’anglais, entre autres. Il a comparé la demande de brevet danois no 168754 avec la demande de brevet européen no 0186405, rédigée en anglais, et il les a trouvées presque identiques. Il n’a pas été contre‑interrogé. Comme je l’ai déjà mentionné, la demande de brevet danois n’est plus en cause.

 

                     Mme Melissa Marie Dimilta : de Toronto (Ontario). Elle est stagiaire en droit au cabinet de l’avocat de Teva. Elle a trouvé et produit une copie de ce que l’on appelle l’article Schenck.

 

                     Mme Louise McLean : de Toronto (Ontario). Elle est parajuriste au cabinet de l’avocat de Teva. Elle a produit un affidavit et ensuite un autre en contre‑preuve. Elle a été contre‑interrogée. Son témoignage a servi à enregistrer certains documents mentionnés dans les avis d’allégation et dans la correspondance échangée entre l’avocat de la demanderesse et celui de Teva.

 

[21]           Ont également été déposées des copies certifiées de certains brevets, notamment les brevets ’895 et ‘937.

 

[22]           Chacune des parties, à l’audience et dans son mémoire, a tenté de marginaliser les témoignages des experts de l’autre partie. On a prétendu que M. Roberts, l’un des témoins experts de Teva, était surtout un généraliste et qu’il n’était pas intervenu dans la recherche sur le traitement des lésions osseuses. Il avait fait une recherche sur l’art antérieur, mais n’avait pas conservé ses notes, qu’il disait être « hiéroglyphiques ». On a aussi fait valoir que les témoins experts de Novartis étaient « trop experts » : à l’époque, leur travail était trop lié à la discipline visée et il leur était donc impossible de voir les choses clairement comme l’aurait fait un scientifique « désintéressé ».

 

[23]           Il m’est impossible d’arriver à une conclusion qui me conduirait à rejeter le témoignage de tel ou tel témoin expert de l’une ou l’autre des parties, ou à lui accorder un poids négligeable. M. Roberts s’est exprimé en tant que généraliste; selon moi, il a effectué une recherche adéquate sur l’art antérieur. Les témoins experts de Novartis avaient une certaine proximité avec le domaine, mais ils ont exprimé ce que je considère être des avis impartiaux et désintéressés. Les témoins des deux parties ont tous fait des dépositions utiles. Je ne vois aucune raison de rejeter ou de mettre en doute telle ou telle d’entre elles.

 

POINTS LITIGIEUX

[24]           La principale question à trancher est de savoir si les demandes d’interdiction en cause devraient ou non être accueillies. Elles le seront si la Cour est convaincue que les allégations de Teva concernant l’invalidité des brevets ’895 et ‘937 sont justifiées.

 

[25]           En ce qui a trait au brevet ’895, les allégations de Teva concernant l’invalidité du brevet reposent sur :

 

                     l’évidence

                     l’absence d’utilité

                     le caractère insuffisant

 

[26]           En ce qui concerne le brevet ’937, les allégations d’invalidité reposent sur :

 

                     l’évidence

                     l’absence d’utilité

                     le caractère insuffisant

                     la portée excessive

 

[27]           Dans son avis d’allégation, Teva a aussi soulevé la question du double brevet. Au cours d’une conférence préparatoire au procès, l’avocat de Teva a informé la Cour que cette question ne serait pas poussée plus loin.

 

CHARGE DE LA PREUVE

[28]           Les questions se rapportent uniquement aux allégations de Teva concernant l’invalidité des deux brevets en cause. Je me suis récemment prononcé sur ce sujet dans la décision Pfizer Canada Inc c. Pharmascience Inc, 2013 CF 120, et je réitère ce que j’y écrivais, aux paragraphes 25 et 26 :

 

[25]     De nombreux jugements traitent de la question du fardeau de preuve dans les instances relatives aux avis de conformité dont l’enjeu est la validité du brevet. Je renvoie par exemple au jugement Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 26, aux paragraphes 9 et 12, et 2007 CAF 195, autorisation d’appel à la Cour suprême refusée; Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 767, au paragraphe 42, confirmé quant à l’issue par 2012 CAF 308.

 

[26]     Pour résumer, les brevets sont présumés valides en vertu du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets. Dans les instances relatives aux avis de conformité, la « seconde personne » doit présenter des éléments de preuve pour réfuter cette présomption. Après la présentation de ces éléments, la Cour doit se prononcer sur la question de la validité en fonction du fardeau de preuve habituel en matière civile, eu égard à toute la preuve pertinente.

 

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[29]           La personne versée dans l’art, ou personne du métier, est celle à qui un brevet est adressé et dont le regard doit être mis à contribution pour l’appréciation de maints aspects se rapportant à un brevet.

 

[30]           Dans son exposé des arguments, la demanderesse propose la définition suivante d’une personne versée dans l’art :

 

[traduction]

77.       Novartis estime qu’une personne versée dans l’art ferait partie d’une équipe de découverte d’une société pharmaceutique à la recherche d’un nouveau bisphosphonate. La personne versée dans l’art aurait un Ph.D. et une certaine expérience dans le domaine des bisphosphonates ou encore une maîtrise ou un baccalauréat et une expérience plus poussée dans la recherche sur les bisphosphonates. L’équipe de découverte serait constituée de chimistes médicinaux, de biologistes et potentiellement d’autres sous‑spécialistes tels que des physico‑chimistes. Cependant, le chimiste médicinal serait le scientifique déterminant quels composés fabriquer et mettre à l’essai. De plus, le chimiste devrait avoir une expérience spécialisée dans la chimie des bisphosphonates.

 

[31]           Dans son exposé des arguments, Teva propose la définition suivante d’une telle personne :

 

[traduction]

33.       La personne versée dans l’art est un technicien compétent dont l’esprit est disposé à comprendre un mémoire descriptif qui lui est adressé, qui « n’est pas un nullard, mais une personne peu imaginative » et qui est autorisé à faire des expériences pour évaluer l’évidence, pour autant que les essais soient des essais habituels et ne requièrent pas de profondes investigations. La personne versée dans l’art « se tient au courant de la documentation et est en mesure de lire un brevet, non seulement en fonction de son objet, mais aussi en tant que document juridique. Elle lit les brevets accordés par le pays concerné comme elle l’aurait fait le jour où ils ont été rendus publics, mettant de côté tout ce qu’elle a appris depuis cette date ».

 

34.       Les parties s’accordent pour dire que la personne versée dans l’art pour le brevet 895 et le brevet 937 aurait quelques années d’expérience dans le domaine de la conception des médicaments et quelques années d’études doctorales dans le domaine pharmaceutique. La personne versée dans l’art faisait partie d’une équipe de projet, comme l’équipe chargée de développer un nouveau bisphosphonate. L’équipe comprenait un chimiste médicinal apte à déterminer les composés à fabriquer et à mettre à l’essai. Des biologistes procédaient aux essais à l’aide de modèles permettant d’évaluer l’activité et ils complétaient l’équipe.

 

[32]           Les différences entre les deux définitions sont ténues. La demanderesse énonce ces différences comme il suit dans son exposé :

[traduction]

78.       Pour l’essentiel, la position de Novartis s’accorde avec celle de Teva, à l’exception de deux précisions importantes. Premièrement, la personne versée dans l’art doit justifier d’une réelle expérience dans la mise au point de nouveaux bisphosphonates. Deuxièmement, dans la mesure où la personne versée dans l’art comprend un chercheur du monde universitaire, une telle personne n’entrerait dans la définition d’une personne versée dans l’art que si l’objet de sa recherche était la découverte de médicaments et si elle avait une expérience de travail au sein d’une équipe de découverte de médicaments dans une société pharmaceutique s’intéressant aux bisphosphonates.

 

 

[33]           Teva soutient, aux paragraphes 35 à 37 de son exposé, que la définition donnée par la demanderesse est trop étroite et aurait pour effet d’éliminer les personnes qui ne travaillaient pas pour l’une des cinq sociétés pharmaceutiques s’intéressant à l’époque aux bisphosphonates; serait donc ainsi éliminé M. Widler, l’un des inventeurs désignés dans le brevet ’937, et l’un des témoins de la demanderesse.

 

[34]           Je reconnais que la définition donnée par Teva est la plus convenable. Selon moi, les différences entre cette définition et celle de la demanderesse sont peu nombreuses, et la définition que donne la demanderesse d’une personne moyennement versée dans l’art est trop étroite.

 

LE BREVET ‘895, DANS SES DÉTAILS

[35]           Le brevet ‘895 porte le titre suivant :

 

Dérivés de l’acide diphosphonique, méthode de préparation et composition pharmaceutique à base de ces dérivés

 

[36]           À la page 1 du brevet, il est indiqué que l’invention concerne de nouveaux dérivés de l’acide diphosphonique, les procédés servant à les préparer et les compositions pharmaceutiques qui les contiennent :

 

[traduction]

La présente invention se rapporte à de nouveaux dérivés de l’acide diphosphonique, aux procédés servant à les préparer et aux compositions pharmaceutiques qui les contiennent.

 

 

[37]           Aux lignes 5 à 19 de la page 1, plusieurs demandes de brevet, toutes allemandes sauf une qui était européenne, sont décrites comme divulguant certains dérivés de l’acide diphosphonique. À la page 23, certaines de ces demandes sont décrites plus précisément comme des brevets délivrés, bien qu’il n’y ait aucune corrélation particulière entre les demandes figurant à la page 1 et celles figurant à la page 23. L’avocat de la demanderesse n’a pas été en mesure d’en expliquer la raison.

 

[38]           De retour à la page 1, à partir de la ligne 20, le brevet ‘895 fait mention d’une caractéristique particulière de ses dérivés d’acide diphosphonique qui les distingue des dérivés décrits antérieurement, à savoir :

 

[traduction]

(…) il n’y a qu’un seul atome de carbone entre ce résidu de diphosphonate et le radical hétérocyclique, et le radical hétérocyclique n’est pas un cycle pyrazole (…)

 

 

[39]           J’ouvre une parenthèse par rapport au brevet ‘895 pour souligner que cette caractéristique peut être représentée à partir des exemples présentés au paragraphe 25 de l’exposé des arguments de Novartis. Cet exemple est propre à l’un des nombreux composés visés par le brevet ‘895, en l’occurrence le zolédronate, mais il sert à représenter ce qui est défini comme le concept inventif du brevet :

 

[40]           Pour revenir au brevet ‘895, la description commençant à la ligne 20 de la page 1 et se terminant à la page 2 expose les caractéristiques de cette composition particulière, notamment que ces dérivés conviennent au traitement à plus grande échelle des troubles du métabolisme du calcium :

[traduction]

Nous avons maintenant découvert que les dérivés analogues de ces composés, dans lesquels il n’y a qu’un atome de carbone entre le résidu de diphosphonate et le radical hétérocyclique, et l’hétérocycle n’est pas un cycle pyrazole, présentent aussi ces actions et que, de plus, ils forment efficacement des complexes de calcium, ce qui les rend convenables pour le traitement à plus grande échelle des troubles du métabolisme du calcium. En particulier, ils peuvent très bien être utilisés dans les cas de perturbation de la formation et de la résorption osseuses, c’est‑à‑dire qu’ils conviennent au traitement des affections du squelette, telles que l’ostéoporose, la pelvispondylite et d’autres encore.

 

Par ailleurs, sur la base de ces propriétés, ils peuvent aussi être utilisés dans le traitement des métastases osseuses et de la lithiase urinaire et dans la prévention de l’ossification hétérotopique. De plus, de par leur effet sur le métabolisme du calcium, ils constituent la base de traitements contre la polyarthrite rhumatoïde, de l’ostéoarthrite et de l’arthrose dégénérative.

 

[41]           Du milieu de la page 2 à la ligne 18 de la page 3, il y a une description de plusieurs des composants du composé.

 

[42]           De la ligne 24 de la page 3 à la fin de la page 9, plusieurs procédés de préparation des composés sont décrits.

 

[43]           Du début de la page 10 à la ligne 8 de la page 11, une analyse des sels pharmaceutiquement acceptables est présentée.

 

[44]           À la page 11, aux lignes 9 à 18, figure une analyse des différentes formes dans lesquelles le produit pharmaceutique peut être administré, en phase liquide ou solide.

 

[45]           De la ligne 19 de la page 11 à la ligne 7 de la page 12, il y a une description des additifs, parfois appelés excipients.

 

[46]           Les lignes 8 à 13 de la page 12 renferment une description générale des doses [traduction] « pouvant dépendre de divers facteurs ».

 

[47]           À la page 13, un test effectué sur un des composés (pas le zolédronate) est décrit; ses résultats sont présentés au tableau 1 figurant à la page 14.

 

[48]           De la page 15 au milieu de la page 18, un grand nombre de composés sont spécifiquement décrits comme étant [traduction] « privilégiés au sens de la présente invention ». Aucun d’eux n’est le zolédronate.

 

[49]           Du milieu de la page 18 à la fin de la page 22, un certain nombre d’exemples sont présentés. Ils montreraient [traduction] « quelques‑unes des variantes du procédé qui peuvent être utilisées dans la synthèse des composés conformément à la présente invention ». Le zolédronate n’est pas spécifiquement décrit comme un composé pouvant être produit. Bien que l’exemple 1 soit décrit comme permettant de produire un composé qui serait visé par la revendication 14, ce composé n’est pas le zolédronate.

 

[50]           La page 23 a déjà été traitée.

 

[51]           Le brevet ‘895 se termine avec 25 revendications. La revendication 1 est très large et englobe un grand nombre de composés. La revendication 2 vise un nombre plus restreint de composés, tout comme la revendication 3. Les revendications 4, 5, 15, 16, 17 et 18 se rapportent à des composés précis; aucun d’eux n’est le zolédronate. Les revendications 6 et 7 portent sur des compositions pharmaceutiques dépendant d’une ou plusieurs des revendications 1 à 5. Les revendications 8 à 12 concernent l’utilisation des composés revendiqués dans une ou plusieurs des revendications 1 à 5. Les revendications 13 et 20 concernent un procédé de préparation des composés.

 

[52]           La revendication 14 est la revendication en cause, et je l’aborderai en plus grand détail ultérieurement.

 

[53]           La revendication 19 revendique la composition visée par la revendication 14, ainsi que celles visées par les revendications 15, 16, 17 ou 18, avec un sel compatible.

 

[54]           La revendication 21 revendique la composition visée par la revendication 14, ainsi que celles visées par les revendications 15, 16, 17 ou 18, avec un sel et un vecteur.

 

[55]           Les revendications 22, 23, 24 et 25 visent l’utilisation de la composition visée par la revendication 14, ainsi que celles visées par les revendications 15, 16, 17 ou 18, à diverses fins médicales, telles que le traitement des troubles du métabolisme du calcium, de l’arthrite, des affections du squelette, de la polyarthrite rhumatoïde, de l’ostéoarthrite, de l’arthrose dégénérative, des métastases osseuses et de la lithiase urinaire, de même que la prévention de l’ossification hétérotopique.

 

LE BREVET ‘895 – REVENDICATION 14

[56]           La revendication 14 du brevet ’895 est la seule qui est en cause dans la présente instance. La revendication est indépendante, c’est‑à‑dire qu’elle n’incorpore par renvoi aucune autre revendication; elle est un cas d’espèce. La revendication 14 est rédigée comme suit :

[traduction]

14.       Un acide hétéroarylalcane‑diphosphonique de la formule 1

 

 

 

Où R1 est un radical hétéroaryle à 5 membres sélectionnés parmi l’imidazolyle, le thiazolyle, l’oxazolyle, l’isoxazolyle, le triazolyle, le thiadiazolyle et l’oxadiazolyle, pouvant être substitués ou non une ou plusieurs fois par un alkyle inférieur, un alkoxy inférieur, un phényle ou un halogène; R2 est un atome d’hydrogène, un groupement hydroxyle ou un groupement amino ou un de ses sels.

 

[57]           La revendication 14 se rapporte à une classe de composés appelés acides hétéroarylalcane‑diphosphoniques, ayant pour formule générale celle décrite dans la formule I, avec un certain nombre de choix d’atomes ou de combinaisons d’atomes pouvant être placés aux positions R1 et R2. D’après la preuve, une estimation prudente du nombre de composés individuels visés par cette revendication serait de 1,2 million.

 

[58]           N’importe laquelle des nombreuses structures chimiques peut être placée à la position R1, et chacune d’elles peut être généralement décrite comme un radical hétéroaryle à cinq membres, le groupement visé par la description générale étant limité aux composés suivants :

[traduction]

(…) sélectionnés parmi l’imidazolyle, le thiazolyle, l’oxazolyle, l’isoxazolyle, le triazolyle, le thiadiazolyle et l’oxadiazolyle, pouvant être substitués ou non une ou plusieurs fois par des groupements alkyle inférieurs, alkoxy inférieurs, phényle ou halogène; (…)

 

[59]           La position R2 peut être occupée par un atome d’hydrogène, par un ensemble de molécules sélectionnées parmi un groupement hydroxyle de molécules ou par un ensemble de molécules sélectionnées parmi un groupement amino de molécules.

 

[60]           Dans la partie descriptive du brevet ’895, Rest inclus dans une classe plus large appelée Het et R2, dans une classe appelée X.

 

[61]           Ainsi, selon la revendication 14, il y a un nombre limité de choix pour R1 et un nombre limité de choix pour R2. Le nombre total de choix a été établi à environ 1,2 million.

 

[62]           Parmi les choix résultants, Rest un cycle imidazole lié à la structure de la formule I par un des atomes d’azote du cycle et R2 est un hydroxyle (OH). Le composé résultant peut être représenté chimiquement comme suit :

 

 

[63]           Dans la preuve, ce composé est désigné comme le zolédronate ou l’acide zolédronique. Il s’agit du principe actif des produits commerciaux de Novartis. Teva souhaite recevoir un avis de conformité qui lui permettra de commercialiser une version générique de ces produits, dont le principe actif est également l’acide zolédronique.

 

[64]           Ainsi, la revendication 14 est interprétée comme se rapportant à une classe d’environ 1,2 million de composés ayant tous en commun une sélection de molécules aux positions R1 et R2 d’un squelette bisphosphonique; le zolédronate n’est qu’un de ces composés.

 

LE BREVET ‘937, DANS SES DÉTAILS

[65]           Le brevet ’937 porte le titre suivant :

Méthode pour la préparation de nouveaux dérivés de substitution d’acides alcanediphosphonques

 

[66]           Le brevet commence à la page 1 par un énoncé indiquant qu’il se rapporte à certains nouveaux acides décrits dans la formule I :

[traduction]

Nouveaux dérivés de substitution d’acides alcanediphosphonques

 

La présente invention se rapporte à de nouveaux dérivés de substitution d’acides alcanediphosphonques, en particulier à des acides hétéroarylalcane‑diphosphoniques de la formule

 

 

 

où R1 est un radical hétéroaryle à 5 membres contenant comme hétéroatomes 2 à 4 atomes N, ou 1 ou 2 atomes N ainsi que 1 atome O ou S, lequel est non substitué ou C‑substitué par un aklyle inférieur, par un phényl ou un phényl ayant été substitué par un alkyle inférieur, par un alkoxy inférieur et/ou un halogène, ou par un alkoxy inférieur, un hydroxy, un dialkylamino inférieur, un alkylthio inférieur et/ou un halogène, et/ou est N‑substitué sur un atome N capable de substitution par un alkyle inférieur, un alkoxy inférieur et/ou un halogène, et où R2 est un hydrogène, un hydroxy, un amino, un alkylthio inférieur ou un halogène, et à leurs sels, de même qu’à la préparation desdits composés, aux compositions pharmaceutiques les contenant et à leur utilisation à titre de médicaments.

 

 

[67]           Il s’ensuit, de la partie inférieure de la page 1 au premier tiers de la page 3, une description de certains des composants pouvant être utilisés pour fabriquer le composé. Cette description est suivie à la page 2, jusqu’aux trois premières lignes de la page 4, d’une analyse des sels pouvant être formés à partir du composé.

 

[68]           Du premier paragraphe complet de la page 4 aux trois premières lignes de la page 5, figure une description des [traduction] « propriétés utiles » des composés visés par la formule I :

 

[traduction]

Les composés de la formule I et leurs sels présentent des propriétés pharmacologiques intéressantes. En particulier, ils ont une action régulatrice marquée sur le métabolisme du calcium chez les animaux à sang chaud. Plus particulièrement, ils provoquent une inhibition marquée de la résorption osseuse chez le rat, tel que démontré par la procédure expérimentale décrite dans Acta Endrocrinol. 78, 613‑24 (1975), durant laquelle une augmentation du calcium sérique induite par la PTH a été observée à la suite de l’administration sous‑cutanée de doses situées dans l’intervalle d’environ 0,01 à 1,0 mg/kg, ainsi que par le modèle TPTX (thyroparathyroïdectomie) du rat, dans lequel une hypercalcémie induite par la vitamine D3 a été observée à la suite de l’administration d’une dose d’environ 0,0003 à 1,0 mg. L’hypercalcémie tumorale induite par les tumeurs Walker 256 a aussi été inhibée à la suite de l’administration orale d’environ 1,0 à 100 mg/kg. Par ailleurs, s’ils sont administrés par voie sous‑cutanée à des doses d’environ 0,001 à 1,0 mg/kg conformément à la procédure expérimentale de Newbould, Brit. J. Pharmacology 21, 127 (1963) et de Kaibara et al., J. Exp. Med. 159 1388‑96 (1984), les composés de la formule I et leurs sels ont un effet inhibiteur marqué sur l’évolution des affections arthritiques chez les rats atteints d’arthrite induite par un adjuvant. Ils sont donc parfaitement indiqués à titre de médicaments pour le traitement des maladies associées aux troubles du métabolisme du calcium, par exemple les maladies inflammatoires des articulations, les processus dégénératifs des cartilages articulaires, l’ostéoporose, la parodontite, l’hyperparathyroïdie et la formation de dépôts calciques dans les vaisseaux sanguins ou les implants prothétiques. Des résultats favorables ont aussi été obtenus dans le traitement de maladies caractérisées par un dépôt anormal de sels calciques peu solubles, comme les affections arthritiques (p. ex., spondylarthrite ankylosante, névrite, bursite, parodontite, tendinite, fibrodysplasie, ostéoarthrose, artériosclérose), les affections ayant pour principal symptôme la décomposition anormale des tissus durs de l’organisme (p. ex., hypophosphatasie héréditaire, altérations dégénératives des cartilages articulaires, ostéoporose due à d’autres causes, maladie osseuse de Paget, ostéodystrophie fibreuse) et les affections ostéolytiques induites par des tumeurs.

 

[69]           Du premier paragraphe complet de la page 5 au milieu de la page 7, un grand nombre de composés sont explicitement décrits comme étant ceux auxquels l’invention [traduction] « se rapporte », « se rapporte plus particulièrement », « se rapporte de préférence » ou « se rapporte d’abord et avant tout ». Le zolédronate n’est pas explicitement mentionné, mais il fait partie de la vaste gamme de composés ainsi désignés.

 

[70]           Le paragraphe suivant figure au milieu de la page 7 :

[traduction]

L’invention se rapporte spécifiquement aux composés de la formule I et à leurs sels, spécialement les sels internes et les sels pharmaceutiquement acceptables, dont les bases sont mentionnées dans les exemples.

 

 

[71]           Environ 32 composés sont explicitement mentionnés dans les exemples 1 à 20, qui sont des exemples pour la préparation des composés, exclusion faite des répétitions. Le zolédronate, décrit comme étant :

[traduction]

acide 2-(imidazol-1-yl)-1-hydroxyéthane-1,1-diphosphonique

 

 

est l’un d’eux. Il est mentionné dans deux des exemples, à savoir les exemples 11 et 13 :

 

[traduction]

Exemple 11 : La procédure de l’exemple 1 est répétée, partant de l’hydrochlorure d’acide 1-imidazole-acétique, de l’hydrochlorure d’acide 1-(1H-1,2,4-triazole) acétique, de l’hydrochlorure d’acide 1-pyrazole-acétique et de l’hydrochlorure d’acide 3-pyrazole-acétique pour produire les composés suivants :

 

acide 2-(imidazol-1-yl)-1-hydroxyéthane-1,1-diphosphonique, PF 239 °C (décomposition)

acide 2-(1H-1,2,4-triazol-1-yl)-1-hydroxyéthane-1,1-disphosphonique, PF 255 °C (décomposition),

acide 2-(pyrazol-1-yl)-1- hydroxyéthane-1,1- diphosphonique, PF 234 °C (décomposition), et

acide 2-(pyrazol-3-yl)-1-hydroxyethane-1, 1- disphosphonique, PF

 

[Non souligné dans l’original.]

 

. . .

 

Exemple 13 : À l’aide d’un processus de brassage à reflux, 8,6 g (0,053 mole) de l’hydrochlorure d’acide 1‑imidazole‑acétique, 7,1 ml d’acide phosphorique à 85 % et 25 ml de chlorobenzène sont ajoutés à 100 °C. Ensuite, 13,9 ml de trichlorure de phosphore sont ajoutés goutte à goutte à 100 °C, après quoi l’évolution du gaz se produit. Pendant une période de 30 minutes, une masse dense est précipitée du mélange de réaction. Le lot est chauffé pendant 3 heures à 100 °C et le chlorobenzène surnageant est éliminé par décantation. La masse visqueuse résiduelle est chauffée pendant 3 heures jusqu’à ébullition, à l’aide d’un processus de brassage à reflux, avec 40 ml d’acide chlorhydrique 9N. Le lot est ensuite filtré à température élevée par l’ajout de carbone; le filtrat est dilué dans de l’acétone, après quoi la forme brute de l’acide 2-(imidazol-1-yl)-1-hydroxyéthane-1,1-diphosphonique est précipitée. Ce produit est recristallisé dans l’eau. Point de fusion : 239 °C (décomposition). Rendement : 41 % de la quantité théorique.

[Non souligné dans l’original.]

 

[72]           De retour à la page 7, et jusqu’à la partie supérieure de la page 14, figure une analyse des différents procédés pouvant servir à la fabrication des composés.

 

[73]           Du deuxième paragraphe de la page 14 au premier paragraphe de la page 16, il y a une description des différentes formes et formulations que peut prendre un produit pharmaceutique contenant le composé.

 

[74]           Le deuxième paragraphe de la page 16 porte sur l’utilisation du composé :

[traduction]

La présente invention se rapporte aussi à l’utilisation des composés de la formule 1 et de leurs sels, de préférence pour le traitement d’affections inflammatoires, principalement des maladies associées à la perturbation du métabolisme du calcium (p. ex., affections rhumatismales et, en particulier, les ostéoporoses).

 

[75]           Du milieu de la page 16 à la partie supérieure de la page 17, il y a une description des schémas posologiques.

 

[76]           Du premier tiers de la page 17 à la partir supérieure de la page 24, figurent vingt exemples se rapportant à la préparation des différents composés, y compris, tel que mentionné précédemment, les exemples 11 et 13, qui décrivent la préparation de plusieurs composés spécifiques, l’un d’eux étant le zolédronate.

 

[77]           Les pages 24 à 27 contiennent les exemples 21 à 25, qui exposent plusieurs comprimés, pastilles, capsules et liquides pour injection. Aucun d’eux ne fait explicitement mention du zolédronate.

 

[78]           Deux revendications suivent : les revendications 1 et 2.

 

LE BREVET ‘937 – REVENDICATIONS 1 ET 2

[79]           Le brevet ‘937 ne contient que deux revendications : les revendications 1 et 2, qui sont toutes deux en cause dans la présente instance. Ces revendications sont énoncées comme suit :

[traduction]

a.      Acide 2-(imidazol-1-yl)-1-hydroxyéthane-1,1-diphosphonique, ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

b.      Une composition pharmaceutique contenant un composé tel que revendiqué dans la revendication 1 en association avec des excipients pharmaceutiques conventionnels.

 

[80]           La revendication 1 se rapporte à un composé spécifique :

[traduction]

Acide 2-(imidazol-1-yl)-1-hydroxyéthane-1, 1-diphosphonique

 

            ou à un sel pharmaceutiquement acceptable de ce composé.

 

[81]           Cette formule n’est qu’une autre manière dont les demandeurs pourraient rédiger la formule du zolédronate ou de l’acide zolédronique, qui était l’un des quelque 1,2 million de composés englobés par la revendication 14 du brevet ‘895, comme nous l’avons vu.

 

[82]           La revendication 2 indique simplement que ce composé chimique est transformé en une composition pharmaceutique en étant mélangé avec des [traduction] « excipients pharmaceutiques conventionnels ».

 

[83]           Aucune construction complexe des revendications 1 et 2 n’est nécessaire. La revendication 1 revendique un seul composé : le zolédronate. La revendication 2 se rapporte à un mélange de zolédronate et d’excipients pharmaceutiques.

 

BISPHOSPHONATES – DOSSIER TECHNIQUE

[84]           Novartis et Teva ont tous deux fourni, par les témoignages de leurs experts, ainsi qu’avec l’assistance des avocats à l’audience, une quantité considérable de renseignements techniques sur les bisphosphonates et sur leur utilisation dans le traitement de certaines maladies osseuses.

 

[85]           Les os du corps humain sont, comme chez les autres mammifères, constitués de plusieurs éléments, notamment de collagène, de calcium et de phosphate. Une partie de ces éléments est libérée de façon continue dans l’organisme – dans le cadre d’un processus appelé résorption osseuse – et remplacés par de nouveaux éléments de l’organisme. Ce processus, qui continue toute la vie, permet la croissance des os ainsi que la réparation des éléments osseux fissurés ou endommagés. Toutefois, le vieillissement et certaines maladies peuvent entraîner un déséquilibre dans le processus. En particulier, une résorption osseuse excessive peut se produire et entraîner des affections comme l’ostéoporose.

 

[86]           À la fin des années 1960, des chercheurs, particulièrement M. Fleisch, ont établi qu’une classe de composés généralement appelés bisphosphonates étaient utiles dans la régulation de la résorption osseuse. La structure générale d’un bisphosphonate peut être représentée comme suit :

 

[87]           Les molécules de PO3 H2 sont les phosphonates; le C au centre est parfois appelé « carbone géminal », par analogie avec le signe astrologique des Gémeaux (jumeaux), étant donné que deux phosphonates y sont liés. Aux positions R1 et R2, un certain nombre d’atomes ou de molécules différents peuvent être liés par une ou plusieurs molécules appelées « coupleurs ».

 

[88]           Un des premiers bisphosphonates a été l’étidronate, qui a connu un certain succès commercial. Il peut être représenté chimiquement comme suit :

 

[89]           L’étidronate existe depuis la fin des années 1800. Il a notamment été utilisé pour prévenir l’accumulation de minéraux dans les tuyaux. Son utilisation comme inhibiteur de la résorption osseuse est nouvelle et remonte à la fin des années 1960 et au début des années 1970, époque à laquelle on a établi qu’il pouvait se lier aux surfaces minérales osseuses et inhiber la résorption osseuse.

 

[90]           Un autre des premiers bisphosphonates à avoir été utilisés dans la régulation de la résorption osseuse est le clodronate. Il peut être représenté comme suit :

où R1 et R2 sont tous deux du chlore (Cl).

 

[91]           La mise au point de ce qui est reconnu comme la deuxième génération des bisphosphonates a suivi. Des travaux ont été effectués sur les coupleurs entre le carbone géminal et la molécule R1. Jusqu’à neuf (9) coupleurs consistant en des molécules contenant du carbone (CH2) ont été examinés. Dans le paragraphe 67 de son affidavit, M. Benedict a fourni une illustration de ces coupleurs.

 

[92]           Les travaux se sont poursuivis sur la sélection de candidats convenables pour les atomes et les molécules à placer aux positions R1 et R2. Parmi les principaux candidats à la position R1, figuraient des molécules contenant de l’azote (N), y compris des molécules cycliques à cinq ou six atomes.

 

[93]           Des exemples de cycles ayant cinq atomes (hétérocycles), et d’autres n’en ayant pas cinq, sont présentés au paragraphe 98 de l’affidavit de M. Benedict.

[94]           Les nombreux types de cycles à cinq atomes contenant de l’azote comprennent notamment ceux présentés dans le paragraphe 44 de l’affidavit de M. Vepsalainen.

[95]           Le cycle à cinq atomes présente également un certain nombre d’atomes pouvant être chimiquement liés à un « coupleur » comme le CH2. Ces atomes sont numérotés conformément aux conventions de la nomenclature chimique, et si une structure est identique à une autre sauf en ce qui concerne l’atome par lequel la structure cyclique à cinq côtés est liée à un coupleur, chacune des structures est dite « isomère » de l’autre.

 

LE ZOLÉDRONATE

[96]           Le zolédronate peut être représenté chimiquement comme suit :

[97]           Il existe un carbone (C) géminal auquel deux phosphonates (PO3H2) sont liés. À la position R2, un hydroxyle (OH) est directement lié au carbone géminal. Le cycle hétérocyclique à la position R1 est lié par un atome d’azote (N) et un « coupleur » contenant du carbone (CH2). Le cycle hétérocyclique appartient au type que les chimistes ont classé sous la dénomination d’imidazole.

 

[98]           Il est établi que le zolédronate est un inhibiteur très actif de la résorption osseuse. L’injection annuelle d’une dose s’est avérée efficace dans de nombreux cas.

 

[99]           Il est utile de distinguer ce qu’on entend par médicament [traduction] « efficace » et [traduction] « actif ». Un médicament efficace produit un résultat souhaité. Un médicament actif est efficace même à de faibles doses. La [traduction] « plus faible dose efficace » d’un médicament est établie par la réalisation d’essais. Plus faible est la dose nécessaire d’un médicament pour obtenir un effet souhaité, plus actif est le médicament.

 

CONTRÔLE D’ACTIVITÉ

[100]       Des scientifiques ont établi que le rat était un bon modèle pour évaluer l’efficacité et l’activité d’un médicament candidat destiné à l’humain. Une méthode courante est celle appelée TPTX. Selon cette méthode, un groupe de rats de laboratoire sont sélectionnés, subissent une ablation de la thyroïde, puis reçoivent différentes doses de médicaments candidats sur une période donnée. À la fin, les rats sont « sacrifiés » et leurs os sont examinés. Les résultats sont comptabilisés. Les candidats nécessitant les doses les moins élevées pour maintenir les os dans un état raisonnable sont considérés comme les plus actifs.

 

QU’ONT FAIT LES INVENTEURS DU BREVET ‘895?

[101]       Aucune des deux personnes désignées comme les inventeurs dans le brevet ‘895 n’a témoigné. L’un est décédé et l’autre est probablement mourant. Cependant, un agent de brevets ayant une bonne connaissance des documents et des dossiers tenus par les inventeurs, en l’occurrence M. Knauer, a fourni des éléments de preuve, y compris des documents rédigés par les inventeurs ou sous leur direction.

 

[102]       Il semble que, avant la date de dépôt de la demande de brevet au Canada, le 29 juillet 1987, les inventeurs avaient fabriqué le composé maintenant appelé zolédronate. Le composé a été fabriqué le 3 avril 1987. Le composé a été mis à l’essai en juillet 1987, avant la date de dépôt au Canada. D’autres essais ont été réalisés après cette date et, à la lumière de son activité, le médicament a été retenu pour une évaluation approfondie.

 

[103]       La demande prioritaire a été déposée en Allemagne le 1er août 1986. Une ébauche de cette demande, datée du 23 juin 1986, est présentée dans le deuxième affidavit de M. Knauer. À cette date, seul un composé visé par la revendication 14 avait été fabriqué et soumis à des essais biologiques. Il ne s’agissait pas du zolédronate.

 

QU’ONT FAIT LES INVENTEURS DU BREVET ‘937?

[104]       M. Widler, désigné comme un des inventeurs dans le brevet ’937, a fourni an affidavit et a été contre‑interrogé.

 

[105]       Il a témoigné que, en 1986, lui et l’autre inventeur désigné, en l’occurrence M. Jaeggi, avaient été assignés à un projet ayant pour but la mise au point de nouveaux bisphosphonates. Lors du contre‑interrogatoire, il a admis qu’il avait pris connaissance des demandes de brevet d’autres parties peu après leur publication.

 

[106]       Avant la date à laquelle la demande a été déposée au Canada, le 19 novembre 1987, ils avaient fabriqué le zolédronate et l’avaient mis à l’essai dans le modèle TPTX.

 

[107]       La demande de brevet prioritaire a été déposée en Suisse le 19 novembre 1986. Cette demande contenait des revendications portant sur le genre des composés ainsi que sur plusieurs composés précis. Le zolédronate a été fabriqué et mis à l’essai en juillet 1987, c’est‑à‑dire après le dépôt de la demande prioritaire, mais avant le dépôt de la demande canadienne. Il y a une différence entre les données figurant dans la demande prioritaire et celles figurant à la page 4 du brevet canadien. Cette différence rend compte semble‑t‑il d’essais menés sur certains composés (non désignés explicitement) entre les deux dates. Nous ne savons pas si les essais effectués sur le zolédronate représentent les résultats des essais consignés dans le brevet ou s’ils ont été modifiés par tels résultats, étant donné que les résultats des essais faits sur le zolédronate ne sont pas explicitement inventoriés ni décrits dans le brevet ’937.

 

LE CONFLIT – ET REVENDICATIONS RÉSULTANTES

[108]       Selon les dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, si deux ou plusieurs demandes de brevet déposées avant le 1er octobre 1989 auprès du Bureau des brevets du Canada semblaient aux examinateurs revendiquer la même invention, ou si elles pouvaient peut‑être revendiquer la même invention, le commissaire des brevets pouvait conclure à l’existence d’un conflit entre elles. L’article 43 de l’« ancienne » Loi sur les brevets obligeait le commissaire des brevets à demander aux parties de produire une preuve par affidavit concernant la date de l’invention. Le commissaire examinait cette preuve et attribuait les revendications à l’une ou l’autre des parties après avoir décidé quel inventeur était le « premier à avoir inventé » l’objet particulier d’une revendication donnée. Souvent, certaines revendications étaient attribuées à une partie, et d’autres revendications à une autre. Il fallait souvent des années pour conclure le processus. La Cour fédérale pouvait être amenée à se prononcer.

 

[109]       En l’espèce, le témoignage de M. Widler montre que Ciba‑Geigy (aujourd’hui Novartis) a appris que sa demande avait été placée en conflit avec celle de Boehringer. Les parties ont réglé la question entre elles de sorte que Boehringer a obtenu le brevet ’895 avec de larges revendications génériques, dont la plus limitée est la revendication en cause, la revendication 14, tandis que Ciby‑Geigy a obtenu des revendications propres à un seul composé, le zolédronate, dans le brevet ’937.

 

[110]       Ainsi, alors qu’au début les deux demandes contenaient des revendications portant sur de nombreux composés, le brevet ’895 a conservé, par entente, les larges revendications génériques et le brevet ’937 les revendications propres au seul zolédronate. Dans la présente affaire, quelque neuf années se sont écoulées entre la date à laquelle les demandes de brevets ont été déposées au Canada et celle à laquelle les deux brevets ont été accordés. Il était alors devenu évident que le zolédronate était le composé présentant un intérêt commercial.

 

[111]       Les parties avaient donc ensemble l’avantage du brevet ’895 avec ses larges revendications « en cascade », lesquelles, à tout le moins dans la revendication 14, offraient 1,2 million de composés « en cascade », tout en disposant d’un autre brevet – le brevet ’937 – qui contenait deux revendications portant uniquement sur le zolédronate, le composé présentant un intérêt commercial.

 

[112]       Le paragraphe 43 de l’affidavit de M. Robert expose les avantages d’un brevet qui [traduction] « prépare le terrain » pour un vaste genre de composés. Il peut décourager les autres d’étudier ce genre :

[traduction]

43.              Le chimiste médicinal aurait été particulièrement intéressé à examiner les brevets visant des molécules du domaine pertinent pour plusieurs raisons. D’abord, les brevets revendiqueraient des composés considérés assez intéressants pour être protégés. Ensuite, les brevets indiqueraient les composés que le chimiste médicinal devrait éviter si son but est de trouver un médicament à développer. Enfin, les brevets permettraient d’identifier des molécules non brevetées dont on pourrait s’attendre à ce qu’elles présentent l’activité souhaitée. Le chimiste médicinal aurait cherché des tendances ou des récurrences susceptibles d’indiquer la voie à suivre partout où cela était possible. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[113]       Dans le cas présent, nous avons le brevet décourageant ‘895, et le brevet portant sur le composé précis, c’est‑à‑dire le brevet ’937; tout cela à la suite d’une longue procédure en raison du conflit.

 

ÉVIDENCE

[114]       J’ai récemment passé en revue le droit en vigueur au Canada concernant l’évidence et j’ai exposé mon opinion dans la décision Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120. Je répète ici ce que j’écrivais aux paragraphes 186 à 190 de ce jugement :

 

186     La jurisprudence concernant l’évidence a récemment été établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, [2008] 3 RCS 265, 2008 CSC 61. Le juge Rothstein a rédigé les motifs unanimes de la Cour. Il note en particulier aux paragraphes 67 à 71 :

 

67 Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing

 

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

 

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

 

68 Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

 

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

 

69 Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’art antérieur fournit‑[il] un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

70 Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

71 Par exemple, le fait pour l’inventeur et les membres de son équipe de parvenir à l’invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, pourrait étayer une conclusion d’évidence, sauf lorsque leurs efforts et leurs connaissances se sont révélés plus grands que ceux attribués à la personne versée dans l’art. Leur démarche tendrait à indiquer qu’une personne versée dans l’art, grâce à ses connaissances générales courantes et à l’art antérieur, aurait agi de même et serait arrivée au même résultat. Par contre, lorsque temps, fonds et efforts ont été consacrés à la recherche ayant finalement mené à l’invention, et ce, avant que l’inventeur ne se mette à la recherche de l’invention ou qu’on ne lui enjoigne de le faire, y compris les démarches qui se sont révélées vaines et inutiles, une conclusion de non‑évidence pourrait être fondée. On pourrait en déduire que la personne versée dans l’art n’aurait pas fait mieux en s’appuyant sur ses connaissances générales courantes et sur l’art antérieur. En fait, lorsque les intéressés, y compris l’inventeur et les membres de son équipe, avaient de grandes compétences dans le domaine technique en cause, la preuve pourrait indiquer que la personne versée dans l’art aurait obtenu des résultats bien pires et ne serait vraisemblablement pas parvenue à l’invention. Il ne lui aurait pas paru évident d’emprunter le parcours ayant mené à l’invention.

 

187       La Cour d’appel fédérale a développé ce critère dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8, dans lequel le juge Noël, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a établi une distinction entre de simples possibilités ou hypothèses, insuffisantes, et les inventions plus ou moins évidentes, satisfaisantes. Il déclarait aux paragraphes 28 à 30 :

 

28 J’en déduis que le critère qu’adopte la Cour suprême est une application particulière du critère appelé plus largement le critère de quelque chose « valant d’être tenté ». Après avoir noté l’argumentation d’Apotex faisant valoir que le critère de quelque chose « valant d’être tenté » devrait être accepté (paragraphe 55), le juge Rothstein n’utilise plus jamais par la suite l’expression « valant d’être tenté » et l’erreur qu’il identifie dans la question dont il est saisi est le défaut d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » (paragraphe 82).

 

29 Le critère reconnu est celui de l’« essai allant de soi », où l’expression « allant de soi » signifie « très clair ». Suivant ce critère, une invention n’est pas rendue évidente par le fait que l’état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi. La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour fédérale a ou n’a pas appliqué ce critère.

 

30 Je suis d’avis qu’il ne l’a pas fait. Le juge de la Cour fédérale n’emploie pas l’expression d’« essai allant de soi », mais ses motifs indiquent qu’il a mené son analyse en suivant la ligne de démarcation tracée dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo. En particulier, il a rejeté l’allégation d’évidence de l’invention sur la foi de simples possibilités ou hypothèses et cherché la preuve que l’invention allait plus ou moins de soi.

 

188     Le critère adopté par la Cour suprême du Canada est basé sur deux arrêts du Royaume‑Uni [et on le] désigne souvent comme étant le critère Windsurfing/Pozzoli. Il a récemment été examiné par la Cour d’appel du Royaume‑Uni (Division civile) dans MedImmune Limited v Novartis Pharmaceuticals UK Limited, [2012] EWCA Civ 1234. Le juge Kitchin y faisait observer, aux paragraphes 85 à 90 :

 

[traduction]

[85] Il est souvent commode, mais en aucun cas essentiel, d’examiner l’évidence alléguée en se servant de l’approche structurée que la Cour a expliquée dans Pozzoli v BDMO SA [2007] EWCA Civ 588, [2007] Bus LR D117, [2007] FSR 37, au par. 23 :

 

« 1)      a) identifier la “personne versée dans l’art”;

 

            b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

2) définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3) recenser les différences, s’il en est, entre ce qui fait partie de “l’état de la technique” et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

4) abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? »

 

[86] La deuxième étape pourrait poser problème. Dans certains cas, comme en l’espèce, les parties s’entendent sur l’idée originale, ce qui a pour avantage de limiter l’analyse de l’évidence à l’essence de l’invention. Or il arrive souvent qu’elles ne s’entendent pas et il est alors futile que la Cour s’emploie à résoudre leur désaccord, puisque seul importe en fin de compte ce que revendique le breveté. Ainsi que l’a déclaré lord Hoffmann dans Conor v Angiotech [2008] UKHL 49, [2008] 4 All ER 621, [2008] RPC 716, au par. 19, « […] le breveté a droit à ce que la question de l’évidence soit tranchée en fonction de la revendication et non d’une vague paraphrase qui s’appuie sur l’étendue de sa divulgation dans l’énoncé descriptif ».

 

[87] J’ajouterais qu’il en va de même pour la partie défenderesse. Il se peut que le breveté ait rédigé sa revendication en termes si généraux qu’elle se trouve à comprendre des produits ou des procédés qui ne doivent rien à son idée, ce qui la rend donc particulièrement vulnérable à une allégation d’évidence.

 

[88] D’un point de vue conceptuel, la troisième étape pose peu de difficultés et oblige simplement la Cour à définir les différences entre l’état de la technique et la revendication.

 

[89] La quatrième étape est cruciale et oblige la Cour à se demander si l’invention revendiquée était évidente pour la personne versée dans l’art toutefois dépourvue d’imagination à la date de priorité. Cette personne détient les connaissances générales courantes, est réputée avoir lu ou entendu les divulgations précédentes comme il fallait, c’est‑à‑dire avec intérêt; ses préjugés, préférences et attitudes sont ceux des personnes qui travaillent dans ce domaine; elle n’a aucune connaissance de l’invention.

 

[90] Il peut y avoir lieu de se demander s’il allait de soi de se lancer sur une voie particulière pour obtenir un produit ou un procédé amélioré. Il n’y a peut‑être aucune garantie de succès, mais la personne versée dans l’art peut néanmoins l’estimer suffisamment probable pour justifier un essai. Cela pourrait suffire dans certains cas à rendre une invention évidente. Il existe par ailleurs des domaines technologiques, comme les sciences pharmaceutiques et la biotechnologie, qui dépendent grandement des recherches et dans lesquels plusieurs avenues possibles sont ouvertes à l’exploration des inventeurs, sans qu’ils sachent cependant si l’une d’elles sera fructueuse. Ils s’y engagent néanmoins dans l’espoir de trouver de nouveaux produits utiles. Il est clair qu’ils ne se lanceraient pas dans ces travaux si les chances de succès étaient minces au point qu’ils n’en vaudraient pas la peine. Cependant, refuser dans tous ces cas la protection d’un brevet aurait un effet dissuasif important sur la recherche.

 

189     Le juge Lewiston souscrit à cette opinion et ajoute au paragraphe 184 :

 

[traduction]

[184] Dans de nombreux cas d’« essais allant de soi », c’est le fait d’essayer qui constitue l’idée originale. Il ne fait aucun doute que c’est ce qui a amené Sir Donald Nicholls V‑C à déclarer dans Molnlycke AB v Procter & Gamble Ltd [1994] RPC 49 que « […] l’évidence évoque une chose susceptible de traverser immédiatement l’esprit de la personne versée dans l’art désireuse d’accomplir la fin recherchée ». [Je souligne.]

 

190     Le juge lord Moore‑Bick était d’accord avec ses deux collègues.

 

[115]       J’ai déjà identifié la personne fictive versée dans l’art, ce qui est l’étape 1a) du critère Sanofi. L’étape 1b) requiert la détermination des connaissances générales courantes et pertinentes; cependant, il doit s’agir de celles qui existaient à la date de l’invention. Puisque les deux brevets en cause sont des brevets relevant de l’« ancienne » Loi sur les brevets, les connaissances générales courantes doivent être constatées à la « date de l’invention ». Cette recherche doit quant à elle commencer par la question : « quelle est l’invention? ». L’étape 2 du critère Sanofi requiert de définir le « concept inventif » (ou l’idée originale) de la revendication en cause. Je commencerai donc par le « concept inventif » de la revendication 14 du brevet ’895.

 

[116]       Le juge Near, qui était alors juge de la Cour fédérale, a fort bien résumé le droit sur ce point dans sa décision AstraZeneca Canada Inc c Teva Canada Limited, 2013 CF 245, au paragraphe 13 :

 

 [13]    Malgré les protestations d’AstraZeneca, l’analyse ne s’arrête pas toujours là (voir Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] ACS no 63 [Sanofi], au paragraphe 77). Lorsque le concept inventif faisant l’objet des revendications est indissociable des revendications elles‑mêmes parce qu’elles consistent en une simple formule chimique, comme en l’espèce, la Cour doit examiner le mémoire descriptif du brevet pour déterminer la nature dudit concept (Sanofi, précité, au paragraphe 77; Servier, précité, au paragraphe 58; Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60, [2012] ACS no 60 [Teva c Pfizer], au paragraphe 50). La Cour suprême et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux récemment réaffirmé le principe selon lequel il faut « examiner le mémoire en entier, revendications comprises, pour établir la nature de l’invention » (Teva c Pfizer, précité, au paragraphe 50; Allergan Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 308, [2012] ACF no 1467, au paragraphe 73). La Cour n’a pas pour autant carte blanche pour interpréter les revendications aussi libéralement ou étroitement qu’elle le souhaite. Le breveté a « le droit de voir la question de l’évidence tranchée en fonction de sa revendication et non d’une vague paraphrase fondée sur l’étendue de sa divulgation dans la description » (Servier, précité, au paragraphe 69; Angiotech Pharmaceuticals Inc v Conor Medsystems Inc, [2008] UKHL 49, au paragraphe 19).

 

LE BREVET ’895 ‑ LE CONCEPT INVENTIF

[117]       La revendication 14 du brevet ’895 revendique environ 1,2 million de composés, chacun ayant un squelette bisphosphonique; avec plusieurs choix possibles pour un groupe de composés directement liés au carbone géminal et plusieurs choix possibles pour un autre groupe de composés, tous liés par un coupleur unique contenant du carbone, tel que le CH2, au carbone géminal.

 

[118]       L’invention est décrite aux pages 1 et 2 du brevet ’895, que je cite en partie :

[traduction]

La présente invention se rapporte à de nouveaux dérivés de l’acide diphosphonique, à des procédés pour leur préparation et aux compositions pharmaceutiques qui les contiennent.

 

. . .

 

Nous avons découvert que les dérivés analogues de ces composés, dans lesquels il n’y a qu’un atome de carbone entre le résidu de diphosphonate et le radical hétérocyclique et l’hétérocycle n’est pas un cycle pyrazole, présentent aussi ces actions et que, de plus, ils forment efficacement des complexes de calcium, ce qui les rend convenables pour le traitement à plus grande échelle des troubles du métabolisme du calcium. En particulier, ils peuvent très bien être utilisés dans les cas de perturbation de la formation et de la résorption osseuses.

 

[119]       J’accepte la description du concept inventif énoncée par le demandeur dans le paragraphe 143 de son exposé des arguments, à une exception près, à savoir que la « famille » de composés compte environ 1,2 million de membres :

[traduction]

182.  Le concept inventif de la revendication 14 est une famille de nouveaux composés (au nombre d’environ 1,2 million) contenant un cycle à 5 membres, lequel est lié au carbone géminal du bisphosphonate par un coupleur à un carbone (―CH2―). Ces bisphosphonates ont pour actions biologiques de former des complexes de calcium et d’inhiber la résorption osseuse.

 

LE BREVET ’937 ‑ LE CONCEPT INVENTIF

[120]       Les revendications 1 et 2 du brevet ’937 se rapportent à un seul composé, en l’occurrence le zolédronate, ou le zolédronate mélangé avec des excipients pharmaceutiques.

 

[121]       L’invention est décrite de façon diffuse dans le brevet. Je reprends une partie de la page 1 :

[traduction]

La présente invention se rapporte à de nouveaux dérivés de substitution d’acides alcanediphosphonques, en particulier à des acides hétéroarylalcane‑diphosphoniques de la formule

 

où R1 (un certain nombre de composés) et R2 est (un certain nombre d’atomes ou de composés)

 

 

[122]       À la page 4, il est notamment énoncé dans la description :

[traduction]

Les composés de la formule I et leurs sels présentent des propriétés pharmacologiques intéressantes. Ils ont notamment une action régulatrice marquée sur le métabolisme du calcium chez les animaux à sang chaud. Plus particulièrement, ils provoquent une inhibition marquée de la résorption osseuse chez le rat, tel que démontré par (…).

 

 

[123]       La description se poursuit en exposant un certain nombre de composés dits [traduction] « privilégiés », « les plus privilégiés » et « à privilégier d’abord et avant tout » et se termine à la page 7 sur un énoncé indiquant que l’invention se rapporte spécifiquement à quelque 32 composés présentés dans les exemples. Le zolédronate est l’un d’eux, mais il n’est pas explicitement mentionné dans cette description :

[traduction]

L’invention se rapporte spécifiquement aux composés de la formule I et à leurs sels, spécialement les sels internes et les sels pharmaceutiquement acceptables, dont les bases sont mentionnées dans les exemples.

 

 

[124]       Le brevet se termine avec deux revendications. La revendication 1 est spécifique au zolédronate; la revendication 2 se rapporte au zolédronate associé à des excipients pharmaceutiques.

 

[125]       Je ne souscris pas à la description du concept inventif formulée au paragraphe 87 du mémoire du demandeur :

[traduction]

87.       Selon le concept inventif des revendications du brevet ’937, le zolédronate est un nouveau composé qui est un inhibiteur exceptionnellement actif de la résorption osseuse chez le rat.

 

[126]       Mon désaccord repose sur le point qu’il n’y a rien dans les revendications, ni dans la description, qui indique que le zolédronate est un [traduction] « inhibiteur exceptionnellement actif ». On peut présumer, d’après ce qui est énoncé à la page 4 du brevet, que le zolédronate fait partie des nombreux composés décrits qui présente une activité certaine. Nous ne savons pas si son activité est supérieure, inférieure ou comparable à celle des composés visés par la description.

 

[127]       À ce stade, il convient d’examiner un arrêt de la Cour suprême du Canada, Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60. La question était de savoir si le brevet répondait aux exigences de divulgation énoncées dans la Loi sur les brevets. La Cour suprême a commencé par réaffirmer la théorie du « marché » qui est propre au régime des brevets. Le juge LeBel, s’exprimant pour la Cour suprême, a écrit ce qui suit, au paragraphe 32 :

 

32     Le régime des brevets a pour assise un « marché » de nature synallagmatique (quid pro quo) où l’inventeur obtient, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société. Tel est le principe fondamental qui sous‑tend la Loi. Ce marché favorise l’innovation et promeut l’essor scientifique et technique. Dans AZT, le juge Binnie précise ainsi la nature de ce marché (au par. 37) :

 

     Comme on l’a dit à maintes reprises, le brevet n’est pas une distinction ou une récompense civique accordée pour l’ingéniosité.  C’est un moyen d’encourager les gens à rendre publiques les solutions ingénieuses apportées à des problèmes concrets, en promettant de leur accorder un monopole limité d’une durée limitée. La divulgation est le prix à payer pour obtenir le précieux droit de propriété exclusif qui est une pure création de la Loi sur les brevets.

 

 

[128]       S’agissant du caractère suffisant de la divulgation, il a écrit ce qui suit, au paragraphe 34 :

 

34      Par conséquent, la divulgation suffisante de l’invention dans le mémoire descriptif est une condition préalable à la délivrance du brevet. Comme le dit le juge Hughes dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, au par. 74 :

 

     Par conséquent, afin d’obtenir le monopole accordé par le brevet, il faut assurer l’avancement de l’état de l’art et divulguer cet avancement. L’omission de le faire, qui aurait pour effet d’invalider le monopole, peut prendre diverses formes, par exemple, l’« invention » n’était pas nouvelle, ou la prétendue invention était « évidente » ou la divulgation était « insuffisante » ou encore « ce qui a été divulgué ne justifie pas le monopole demandé ».

 

 

[129]       Concernant la divulgation, la Cour suprême, après examen de la jurisprudence, a conclu en confirmant ses arrêts antérieurs, Consolboard ([1981] 1 RCS 504) et Pioneer Hi‑Bred ([1989] 1 RCS 1623), aux paragraphes 51 et 52 :

51     Dans Pioneer Hi‑Bred, notre Cour renvoie à Consolboard à l’occasion d’un nouvel examen des exigences de la Loi en matière de divulgation. Le juge Lamer (plus tard Juge en chef) les définit comme suit au nom de la Cour :

 

En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu’il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont eu l’occasion d’énoncer au cours des années le test qu’il faut appliquer pour savoir si la divulgation est complète. Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle‑ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie . . .  Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation . . ., et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316). [Je souligne; références omises; p. 1637‑1638.]

 

52     Dans les arrêts Consolboard et Pioneer Hi‑Bred, la Cour analyse correctement les exigences de divulgation énoncées au par. 27(3) de la Loi. Il convient de confirmer le raisonnement qu’elle tient dans ces arrêts et de l’appliquer en l’espèce.

 

[130]       La Cour suprême a ensuite examiné le brevet particulier en cause en définissant la nature de l’invention. C’est l’exercice même auquel je me prête maintenant. Le juge LeBel a écrit ce qui suit, au paragraphe 53 :

 

53     Pour déterminer si les exigences de divulgation sont respectées en l’espèce, il faut d’abord définir la nature de l’invention que vise le brevet 446.  Cette démarche est nécessaire pour s’assurer de sa conformité au par. 27(3) de la Loi, qui exige notamment que le mémoire descriptif « décri[ve] d’une façon exacte et complète l’invention ».  Il faut donc se demander en quoi consiste l’invention visée par le brevet 446.

 

[131]       Le brevet qu’examinait la Cour suprême contenait plusieurs revendications qu’elle appelait, au paragraphe 80, des revendications « en cascade ». Le brevet commençait par la revendication 1, qui, disait la Cour au paragraphe 73, correspondait à plus de 260 trillions de composés, les revendications 2 à 5 se rapportant à des groupes de composés de plus en plus petits. Les revendications 6 et 7 ne visaient chacune qu’un seul composé. La Cour suprême a écrit, au paragraphe 75, qu’il faudrait conduire un « projet de recherche mineur » pour déterminer si c’était la revendication 6 ou la revendication 7 qui contenait le bon composé (c’est‑à‑dire le composé à vocation commerciale). En fait, la revendication 7 visait le composé appelé sildénafil, le principe actif du médicament vendu sous l’appellation Viagra.

 

[132]       Comme l’a écrit le juge LeBel au paragraphe 56, Pfizer, la société titulaire du brevet, avait fait valoir que, dans la mesure où il existait une revendication propre au composé présentant de l’intérêt, la divulgation de l’invention était suffisante, sans qu’il importe de savoir s’il existait d’autres revendications, spécifiques ou générales. Aux paragraphes 57 à 63 de ses motifs, le juge LeBel, après avoir passé en revue la jurisprudence, a rejeté toute conclusion générale qui aurait pu être tirée de la jurisprudence et aurait été susceptible d’appuyer les arguments de Pfizer.

 

[133]       Au paragraphe 64, le juge LeBel a adopté un mode d’analyse au cas par cas pour l’examen de la divulgation d’un brevet, et l’invention avait été ainsi divulguée :

 

64     Il se peut que chacune des revendications d’un brevet divulgue une invention distincte, comme dans Boehringer. Toutefois, on ne peut se prononcer qu’à l’issue d’une analyse des faits propres à une affaire. Selon moi, Teva propose au par. 119 de son mémoire une démarche appropriée en l’espèce : [traduction] « . . . [l]e mémoire descriptif doit être considéré dans son ensemble pour déterminer si le sildénafil et les autres composés revendiqués sont liés de telle sorte qu’ils forment une seule idée originale générale ». Cette approche concorde avec l’observation de notre Cour selon laquelle « [i]l faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement . . . » (Consolboard, à la p. 520).

 

[134]       Aux paragraphes 66 et 67, le brevet examiné par la Cour suprême est perçu comme très semblable au brevet ’937 :

 

66     Au vu de l’ensemble du mémoire descriptif, nul élément ne permet en l’espèce d’affirmer que l’utilisation du sildénafil pour traiter la DÉ constitue une invention distincte de l’utilisation de l’un ou l’autre des autres composés à cette même fin. Nulle caractéristique ou propriété susceptible de le distinguer des autres composés n’est attribuée au sildénafil.  Même si on le tient pour un « composé particulièrement privilégié », rien ne le distingue des huit autres « composés particulièrement privilégiés ». L’utilisation du sildénafil et des autres composés dans le traitement de la DÉ forme une seule idée originale.

 

67     D’ailleurs, le brevet donne lui‑même à penser que tous les composés revendiqués sont efficaces dans le traitement de la DÉ. La phrase suivante figure au tout début du mémoire descriptif : [traduction] « La présente invention concerne l’utilisation d’une série de [composés] pour le traitement de l’impuissance » (D.A., vol. X, p. 164, je souligne).  On lit ensuite, à la page 2 : [traduction] « C’est fortuitement qu’on découvre aujourd’hui l’utilité des composés divulgués pour le traitement de la dysfonction érectile »; puis à la page 11 :

 

[traduction]

Ainsi, l’invention s’entend d’une composition pharmaceutique pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal de sexe masculin, y compris l’homme, à savoir un composé de la formule (I) ou l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptable, de pair avec un diluant ou un support pharmaceutiquement acceptable.  [Je souligne; D.A., vol. X, à la p. 174.]

 

Dans le brevet 446, le mot « invention » ne porte pas la marque du pluriel.

 

[135]       La Cour suprême examine ensuite la situation suivante, qui lui aurait été soumise par les avocats : une demande « complémentaire » de brevet aurait pu être déposée, dans laquelle la description aurait été la même, mais où chacune des revendications se serait limitée à un seul composé, vraisemblablement le sildénafil. Au paragraphe 68, le juge LeBel a écrit ce qui suit :

 

68     Aucun élément du dossier n’indique que Pfizer aurait déposé une demande complémentaire en application du par. 36(2.1). Pfizer ne saurait en toute honnêteté affirmer, d’une part, que la demande de brevet vise une seule invention aux fins de la conformité au par. 36(1), puis soutenir, d’autre part, que chacune des revendications correspond à une invention distincte pour les besoins du présent pourvoi.  Il appert du brevet 446 considéré dans son ensemble qu’il n’y a qu’une seule invention, à savoir l’utilisation du ou des composés utiles dans le traitement de la DÉ.

 

[136]       La difficulté que pose le brevet examiné par la Cour suprême, difficulté évoquée au paragraphe 80 des motifs du juge LeBel, n’était pas qu’il y avait des revendications en cascade – vraisemblablement d’une portée exagérée – mais plutôt que le brevet revendiquait deux composés dans deux revendications distinctes, sans préciser quel composé était le composé véritablement utile.

 

80     Je n’attache pas beaucoup d’importance au fait que la revendication 1 vise plus de 260 trillions de composés. La revendication en cascade — même si sa portée peut se révéler exagérée, comme en l’espèce — est courante et ne compromet pas nécessairement le droit du public à la divulgation.  Le lecteur versé dans l’art sait que dans ce type de revendication c’est habituellement le composé individuel revendiqué en dernier qui constitue le composé utile. Les revendications de composés non fonctionnels sont simplement réputées invalides. Conformément à l’art. 58, toute revendication valide — en l’occurrence, la revendication 7 — le demeure néanmoins. En l’espèce, toutefois, il y a atteinte au droit du public à une divulgation suffisante, car deux composés individuels sont revendiqués en dernier lieu, ce qui brouille l’identité véritable de l’invention. La divulgation ne précise pas en termes clairs quelle est l’invention. Pfizer obtient l’avantage prévu par la Loi — le monopole — sans s’acquitter de l’obligation de divulgation que lui impose la Loi. On ne saurait ni au plan des principes ni sous l’angle de la juste interprétation des lois permettre au breveté de se « jouer » ainsi du régime légal. Là réside à mon sens la question fondamentale que soulève le présent pourvoi, et celle‑ci doit être tranchée au détriment de Pfizer.

 

[137]       En l’espèce, le brevet ’937 contient seulement deux revendications visant un seul composé, le zolédronate. Il s’agit en fait d’un brevet « complémentaire » puisque les revendications portant sur un autre composé ont été supprimées.

 

[138]       Je considère que, contrairement au brevet ’895, le brevet ’937, du fait qu’il ne revendique qu’un seul composé, en l’occurrence le zolédronate, peut, après analyse des faits propres à la présente affaire, être distingué du brevet examiné par la Cour suprême dans l’arrêt Teva. J’estime que le concept inventif du brevet ’937 est que le zolédronate est un inhibiteur utile de la résorption osseuse chez le rat et que, par conséquent, il convient comme médicament pour le traitement de maladies associées à une perturbation du métabolisme du calcium chez l’humain.

 

DATE DE L’INVENTION – LE BREVET ’895

[139]       Tel que je l’ai conclu, le concept inventif du brevet ’895, énoncé dans la revendication 14, est qu’il existe une famille d’environ 1,2 million de composés ayant pour action biologique de former des complexes de calcium sans causer de résorption osseuse.

 

[140]       Comme on l’a vu dans la section intitulée « Qu’ont fait les inventeurs du brevet ‘895? », les inventeurs en question ont fabriqué et mis à l’essai deux composés, dont un seul correspond aux paramètres de la revendication 14 (et n’est pas le zolédronate) avant le dépôt de la demande prioritaire allemande le 1er août 1986. Une ébauche de cette demande, datée du 23 juin 1986, est le premier document à poser comme principe qu’une « classe », si large soit‑elle, de composés peut être utile dans des essais portant sur les maladies osseuses. Rien ne permet de sauter d’un ou deux composés à une classe de 1,2 million de composés.

 

[141]       Sur ce point, je relève la déposition du témoin expert de la demanderesse, M. Ebetino, qui, dans le résumé de ses opinions, affirme ce qui suit, aux paragraphes 23 et 24 :

 

[traduction]

23.       Dès 1987, on savait que les bisphosphonates produisaient un effet physique/chimique et un effet biochimique ou cellulaire qui les rendait aptes à inhiber la résorption osseuse. Cependant, le mécanisme biochimique/cellulaire de l’action était inconnu. Il n’était donc pas possible de prédire la puissance d’un bisphosphonate d’après des rapports structure‑activité.

 

24.       Comme l’enseignait aux personnes versées dans l’art le chercheur innovateur dans le domaine des bisphosphonates (M. Fleisch) en 1985, il était téméraire d’énoncer des hypothèses sur l’activité de nouveaux bisphosphonates en se fondant sur ce que l’on savait de bisphosphonates antérieurs. Chaque bisphosphonate devait être évalué séparément et il fallait le synthétiser et le mettre à l’essai dans un modèle biologique pour mesurer sa puissance.

 

[142]       La « date d’invention » ne saurait donc précéder la date de l’ébauche de la demande prioritaire, c’est‑à‑dire le 23 juin 1986, quand une « classe » fut préconisée. Je ne me demanderai pas à ce stade si la classe ainsi préconisée était judicieuse ou suffisante.

 

DATE DE L’INVENTION – LE BREVET ’937

[143]       Tel que je l’ai conclu, le concept inventif du brevet ’937 est que le zolédronate est un inhibiteur utile de la résorption osseuse chez le rat et que, par conséquent, il convient comme médicament pour le traitement de maladies associées à une perturbation du métabolisme du calcium chez l’humain.

 

[144]       Comme on l’a vu dans la section intitulée « Qu’ont fait les inventeurs du brevet ’937? », les inventeurs ont fabriqué du zolédronate et l’ont mis à l’essai sur des rats en juillet 1987, c’est‑à‑dire après le dépôt de la demande prioritaire mais avant le dépôt de la demande canadienne. Je suis d’avis que la date d’invention du concept inventif du brevet ’937 est juillet 1987.

 

[145]       Je n’ai pas retenu la date de dépôt prioritaire du brevet ’937, qui est la date de dépôt de la demande suisse, le 21 novembre 1986, car rien ne prouve que les inventeurs avaient fabriqué ou mis à l’essai du zolédronate à cette date; rien ne prouve non plus qu’ils auraient pu, à la date de priorité, raisonnablement prédire que le zolédronate serait le composé de choix.

 

QUELLES ÉTAIENT LES « CONNAISSANCES GÉNÉRALES COURANTES » ET QUEL ÉTAIT L’ « ÉTAT DE LA TECHNIQUE »?

[146]       Dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a fait sienne la démarche énoncée par les tribunaux du Royaume‑Uni dans l’arrêt Windsurfing, démarche reformulée dans l’arrêt Pozzoli. J’ai reproduit ce paragraphe 67 plus haut dans les présents motifs. À l’étape 1b), il est demandé à la Cour de définir les « connaissances générales courantes » pertinentes et, à l’étape 3, il lui est demandé de recenser les différences entre le concept inventif et l’« état de la technique ». L’état de la technique pourrait vraisemblablement englober des connaissances qui ne sont pas courantes ou que l’on ne possède pas généralement.

 

[147]       En l’espèce, nous considérons les connaissances générales courantes ou l’état de la technique à deux dates distinctes; pour le brevet ’895, c’est le 23 juin 1986, tandis que, pour le brevet ’937, c’est juillet 1987. Heureusement, la preuve versée dans le dossier ne fournit qu’un seul événement notable survenu entre ces dates – la publication, le 12 novembre 1986, de ce que l’on appelle la demande de brevet ’057.

 

[148]       M. Roberts, un témoin expert de Teva, a résumé, aux paragraphes 151 à 156 de son affidavit, ses conclusions sur ce qu’étaient les tendances de la technique en juillet 1986 :

 

[traduction]

CONCLUSIONS/TENDANCES EN DATE DE JUILLET 1986

 

151.          D’après l’état antérieur de la technique, la personne versée dans l’art aurait su que les composés de bisphosphonate inhibent la résorption osseuse et qu’ils sont efficaces dans le traitement des maladies osseuses.

 

152.          Les composés de bisphosphonate connus présentaient tous la même structure bisphosphonique avec des substituants attachés au carbone géminal aux positions R et R1.

 

153.          Le substituant à la position R qui maintenait ou, bien souvent, améliorait l’activité était le groupement hydroxyle.

 

154.          Les composés dont le substituant R1 contenait au moins un atome d’azote présentaient généralement une activité plus grande que les autres composés.

 

155.          L’état de la technique montrait que les hydroxybisphosphonates contenant des substituants hétérocycliques à 5 et 6 membres à la position R1, liés par un chaînon alkyle (de 1 à 8 carbones dans le cas des cycles hétérocycliques à 6 membres, de 2 à 8 dans le cas des cycles hétérocycliques azotés à 5 membres, exclusion faite des pyrazoles substitués; et de 1 à 8 dans le cas des pyrazoles substitués et des cycles hétérocycliques à 5 membres de façon plus générale), conduisaient à des molécules actives dans l’inhibition de la résorption osseuse.

 

156.          Un hétérocycle azoté à 5 membres en particulier, à savoir l’imidazole, était reconnu pour avoir un effet sur la résorption osseuse s’il était substitué à la position 1. Parmi les mécanismes d’action proposés figurait l’inhibition de la thromboxane synthétase. L’imidazole avait été utilisé comme substituant à la position R1 dans un composé de bisphosphonate pour traiter une variété d’affections liées au métabolisme du calcium ou à la résorption osseuse, telles que l’ostéoporose, la maladie osseuse de Paget, la pelvispondylite rhumatismale, de même que les métastases osseuses et la lithiase urinaire, et pour prévenir l’ossification hétérotopique, la polyarthrite rhumatoïde et l’ostéoarthrite.

 

 

[149]       M. Roberts a donné son avis sur la demande de brevet ’057 publiée en novembre 1986. Je reproduis les paragraphes 172 à 175 de son affidavit, qui décrit le contexte dans lequel il met cette demande à l’essai. Il reconnaît que la demande ‘057 offre de nombreux choix, mais il est d’avis que, devant ces choix, une personne versée dans l’art, dès lors qu’un choix doit être fait, sera celui qu’elle juge évident. C’est là une logique qui me laisse sceptique; elle dépend largement d’une analyse a posteriori, le résultat à atteindre étant connu. M. Roberts s’exprime ainsi :

 

[traduction]

172.          La personne versée dans l’art aurait appliqué des concepts chimiques bien connus concernant les bisphosphonates pour ajouter au produit un imidazole lié au groupement bisphosphonate par un atome de carbone unique. Le méthylbisphosphonate pourrait théoriquement être lié à l’une de trois positions possibles sur le cycle imidazole. Les concepts chimiques utilisés pour fabriquer les trois composés étaient bien connus et extrêmement simples. Par conséquent, le chimiste médicinal versé dans l’art aurait vraisemblablement fabriqué ces trois variantes évidentes.

 

173.          Toutefois, si la personne versée dans l’art devait en choisir une seule, selon moi, elle aurait choisi la variante avec l’imidazole lié à la position 1 (par l’azote). La documentation indiquait qu’un imidazole substitué à la position 1 (celle de l’azote) inhibait la résorption osseuse.

 

174.          Si la demande 057 était prise à la lettre, la personne versée dans l’art devrait faire réagir l’imidazole avec l’EHDP plutôt qu’appliquer la synthèse bien connue des bisphosphonates. La personne versée dans l’art savait bien que, contrairement au concept exposé dans la demande 057, ces deux composés ne forment pas naturellement une liaison covalente entre eux, mais que cette réaction peut facilement être induite. Dans ce cas, la personne versée dans l’art aurait de préférence, sinon exclusivement, fabriqué le composé liant l’imidazole à l’EHDP à la position 1.

 

175.          Le procédé le plus simple est (et aurait été) d’activer le groupement méthyle de l’étidronate et de le faire réagir avec l’imidazole au moyen de l’atome d’azote de l’imidazole. Cela aurait entraîné une liaison à la position 1 (en d’autres termes, sur l’atome d’azote). La liaison à la position 1 est la molécule maintenant désignée sous le nom d’acide zolédronique.

 

 

[150]       M. Roberts conclut, aux paragraphes 249 à 252 de son affidavit, que le concept inventif du brevet ’895 et celui du brevet ‘937 seraient apparus immédiatement :

 

[traduction]

J.         EST‑CE QUE LES CONCEPTS INVENTIFS DES BREVETS ÉTAIENT IMMÉDIATEMENT ÉVIDENTS?

 

a)         Brevet 895

 

249.         Pour la personne versée dans l’art, il aurait été évident qu’un hydroxybisphosphonate lié à un hétérocycle à 5 membres, particulièrement s’il contient de l’azote, par une liaison à un carbone présenterait une action inhibitrice de la résorption osseuse. L’invention présumée du pont carbone entre le carbone géminal et le substituant hétérocyclique est évidente et non inventive.

 

250.         Par conséquent, à mon avis, les revendications du brevet 895 sont immédiatement évidentes en raison de la date de l’invention (même en présumant qu’elle soit établie par la Cour à une date aussi loin qu’avril 1986), à la lumière de l’état antérieur de la technique décrit ci‑dessus.

 

b)        Brevet 937

 

251.         À mon avis, les revendications 1 et 2 du brevet 937 étaient évidentes en date de novembre 1986, à la lumière de l’état antérieur de la technique décrit ci‑dessus.

 

252.         Tous les enseignements ayant mené au brevet 895 avaient encore plus évolué en date de novembre 1986. En particulier, la demande de brevet 057 enseignait de façon expresse et spécifique que la combinaison de bisphosphonates connus, dans ce qui est maintenant appelé EHDP, avec un imidazole (le plus simple étant l’imidazole lui‑même) entraînerait la formation d’un composé utile pour le traitement des troubles du métabolisme osseux. Comme l’imidazole était le composé le plus simple, il aurait été le premier à avoir été utilisé. La liaison de l’EHDP avec l’imidazole selon le procédé décrit dans la demande 057, en s’appuyant sur les concepts chimiques les plus simples et les plus évidents, aurait produit de l’acide zolédronique et rien d’autre.

 

 

[151]       M. Vepsalainen, un autre des témoins experts de Teva, arrive à des conclusions similaires aux paragraphes 15 à 17 de son affidavit :

 

[traduction]

IV. RÉSUMÉ DE MON OPINION

 

Brevet 895

 

15.       Pour les motifs énoncés ci‑après, à mon avis, les objets des revendications 1‑3, 6‑8, 10, 12, 14, 19 et 21‑25 du brevet 895 auraient été évidents pour la personne versée dans l’art. Les composés d’hydroxybisphonate contenant des liaisons formant un cycle hétéroaromatique azoté revendiqués dans le brevet 895 étaient, sur le plan matériel, presque identiques à un grand nombre de composés issus de l’état antérieur de la technique. En date du 29 juillet 1986, et même plus tôt, il était établi que pratiquement tous les hydroxybisphosphonates présentant des substituants de cycles aromatiques et hétéroaromatiques à la position R1 étaient actifs dans le traitement des troubles du métabolisme du calcium et d’autres maladies osseuses, peu importe que les cycles soient liés au carbone central par un pont à 1 ou à 8 carbones. D’après l’état antérieur de la technique, il était clair qu’un atome d’azote à la position R1 augmentait l’activité.

 

16.       Même la revendication la plus restreinte du brevet 895 englobait les hydroxybisphosphonates contenant des cycles hétéroaromatiques azotés liés au carbone central par un pont à 1 carbone. Il n’y avait rien de nouveau ni de surprenant au fait que ces composés soient décrits comme étant actifs dans le traitement des troubles du métabolisme du calcium et d’autres maladies osseuses.

 

Brevet 937

 

17.       De même, pour les motifs énoncés ci‑après, à mon avis, les revendications 1 et 2 du brevet 937, qui se rapportent à l’acide zolédronique, un hydroxybisphosphonate possédant un substituant imidazole lié à un pont à 1 carbone, auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art. En date du 21 novembre 1986, et même plus tôt, il était abondamment enseigné que les hydroxybisphonates contenant des cycles hétéroaromatiques azotés, y compris l’imidazole, étaient actifs dans le traitement des  troubles du métabolisme du calcium et d’autres maladies osseuses.

 

[152]       Comme l’on pouvait s’y attendre, les témoins experts de la demanderesse sont d’un avis différent. M. Ebetino résume ses opinions, aux paragraphes 22 à 26 de son affidavit :

[traduction]

D. RÉSUMÉ DE MES OPINIONS

 

22.       L’état antérieur de la technique et les connaissances générales courantes à la portée de la personne non inventive, mais versée dans l’art dans le domaine des bisphosphonates au milieu de 1987, ne faisaient ressortir aucune tendance claire ni aucune indication logique concernant la fabrication de bisphosphonates actifs. L’art antérieur était contradictoire et laissait entrevoir plusieurs points de départ et orientations pour la recherche.

 

23.       En 1987, il était reconnu que les bisphosphonates présentaient une action physico‑chimique et une action biochimique ou cellulaire qui contribuait à leur capacité d’inhiber la résorption osseuse. Cependant, le mécanisme biochimique/cellulaire de l’action était inconnu. Par conséquent, il était impossible de prédire l’activité d’un bisphosphonate d’après les relations structure‑activité.

 

24.       Tel qu’il était enseigné aux personnes versées dans l’art par le chercheur pionnier dans le domaine des bisphosphonates (M. Fleisch) en 1985, il était dangereux de faire des hypothèses sur l’activité de tout nouveau bisphosphonate en se fondant sur ce qui était connu des bisphosphonates antérieurs. Chaque bisphosphonate devait être évalué séparément et être synthétisé et mis à l’essai dans un modèle biologique pour qu’on puisse déterminer son activité.

 

25.       La synthèse et la mise à l’essai des nouveaux bisphosphonates prenaient beaucoup de temps et d’efforts. Les concepts chimiques concernant les bisphosphonates n’étaient ni rudimentaires ni simples. Les chercheurs mettant au point de nouveaux bisphosphonates faisaient souvent face à des difficultés auxquelles les chercheurs des autres domaines de la chimie médicale n’étaient pas confrontés.

 

26.       Il n’allait pas de soi pour une personne versée dans l’art de fabriquer un composé présentant la structure du zolédronate en se fondant sur l’état antérieur de la technique et sur les connaissances générales courantes. Même s’il valait la peine d’essayer de fabriquer du zolédronate, rien dans l’état de la technique ni dans les connaissances générales courantes ne montrait de façon claire ou évidente à la personne versée dans l’art qu’il serait plus actif que les bisphosphonates divulgués précédemment. L’activité pouvait seulement être déterminée après la fabrication et la mise à l’essai du composé.

 

[153]       On a seulement demandé à M. Benedict de donner son avis à propos du brevet ’895. Il s’exprime ainsi, aux paragraphes 126 à 131 de son affidavit :

 

[traduction]

Le concept inventif de la revendication 14 n’allait pas plus ou moins de soi.

 

126.     Les différences qui existent entre les composés de pointe et la classe des composés inventifs divulgués dans la revendication 14 sont importantes, car il était impossible de prédire l’activité des composés de cette classe en se fondant sur l’activité des composés issus de l’état antérieur de la technique jusqu’à ce qu’un membre de la classe visée par la revendication 14 soit synthétisé et mis à l’essai. Comme je l’ai déjà mentionné, il pouvait y avoir des différences marquées dans l’activité des bisphosphonates découlant de modifications en apparence mineures de leur structure. L’estimation de l’activité des bisphosphonates d’après leur structure n’était tout simplement pas possible avant la synthèse et la mise à l’essai biologique du composé.

 

127.     De plus, il existait très peu de données dans la documentation et les brevets publiés au sujet de l’action antirésorptive de différents bisphosphonates. C’était particulièrement le cas des bisphosphonates contenant des cycles liés au carbone géminal. Comme je vais le préciser ci‑après dans mes commentaires concernant l’affidavit de M. Vepsalainen, le seul document (brevet américain 4,416,877) qu’il cite qui divulgue de l’information sur l’action antirésorptive des bisphosphonates contenant des cycles montre que ces composés étaient, au mieux, légèrement actifs. Par ailleurs, M. Roberts n’a apparemment pas retrouvé ce document dans le cadre de sa recherche et il ne le considérait pas comme faisant partie de l’état antérieur pertinent de la technique.

 

128.     Au manque de données sur l’action antirésorptive des bisphosphonates s’ajoutait le fait que deux mécanismes différents interviennent dans les effets des bisphosphonates sur le métabolisme osseux : une action physico‑chimique et une action cellulaire ou biologique. Comme je l’ai déjà indiqué (à partir du paragraphe 58), les chercheurs considéraient deux grandes méthodes pour accroître l’index thérapeutique des bisphosphonates : 1) réduire leur affinité de liaison à l’hydroxyapatite en modifiant R1 et 2) augmenter leur action antirésorptive en modifiant R2.

 

129.     Cependant, la personne versée dans l’art ignorait pour quelle raison les bisphosphonates inhibaient la résorption osseuse. Bien qu’on ait proposé l’existence d’une action biologique (par opposition à une action physico‑chimique), la cible exacte (c.‑à‑d. une enzyme) n’a pas été découverte avant les années 1990. Par conséquent, personne n’aurait pu proposer des modifications à la structure des bisphosphonates en se fondant sur les caractéristiques de la cible. De plus, contrairement à aujourd’hui, où le chimiste médicinal a accès à des programmes sophistiqués de modélisation moléculaire informatique, nous ne disposions pas de ce type de technologie pour nous aider dans la mise au point de nouveaux bisphosphonates.

 

130.     Comme je l’ai décrit à la partie V de mon affidavit (« Contexte scientifique »), une personne versée dans l’art pouvait prendre de nombreuses directions différentes pour tenter de mettre au point de nouveaux bisphosphonates. Par ailleurs, même une fois la direction choisie, en raison des connaissances très limitées sur les relations structure‑activité, il existait très peu d’information à ce moment‑là. À Procter & Gamble, nous disions que nous allions devoir « embrasser beaucoup de grenouilles » avant de trouver un nouveau bisphosphonate actif.

 

131.     C’est pourquoi, à mon avis, il n’allait pas plus ou moins de soi que le concept inventif de la revendication 14 allait fonctionner. Tel que je l’ai mentionné ci‑dessus, on ne pouvait pas prédire l’activité d’une classe donnée de bisphosphonates avant de synthétiser et de mettre à l’essai un membre de cette classe.

 

[154]       Après avoir pris connaissance de la preuve présentée par tous les témoins experts, tant dans leurs affidavits que dans leurs contre‑interrogatoires, je dois présumer que, malgré la présence d’un vaste choix d’atomes ou de molécules ou de composés pouvant être liés au squelette du carbone géminal d’un bisphosphonate, même si un coupleur carbone était utilisé, il reste trop d’incertitude quant à savoir si une combinaison donnée sera utile. À titre d’exemple, je cite le paragraphe 109 de l’affidavit de M. Grynpas (expert de Teva) :

 

[traduction]

109.     Le brevet Boehringer revendique une vaste gamme de composés destinés à un grand nombre de fins. Le mémoire descriptif du brevet Boehringer contient des données pour seulement deux des composés revendiqués. Ces données montrent que l’activité de ces deux composés similaires diffère d’au moins 10 fois. Encore une fois, avec seulement deux composés mis à l’essai, la personne versée dans l’art n’aurait pas su si la plage de valeurs correspondant à ces deux composés représentait la plage entière ou seulement la partie supérieure ou inférieure de celle‑ci. Il n’est donc pas possible pour la personne versée dans l’art d’évaluer l’activité d’aucun des autres composés revendiqués. De plus, à la lumière de l’information figurant dans le mémoire descriptif, cette personne ne serait pas en mesurer de tirer quelque conclusion que ce soit en ce qui concerne l’utilité potentielle de chacun de ces composés revendiqués pour les indications thérapeutiques revendiquées.

 

 

[155]       M. Benedict (l’un des experts de la demanderesse) a donné cette réponse à la question 760 lors de son contre‑interrogatoire :

 

[traduction]

760.          Je demande si un composé ayant un chaînon de liaison à deux carbones rendrait évident le fait qu’un composé ayant un chaînon de liaison à un carbone devrait présenter la même activité.

 

LE TÉMOIN : Je suis prêt à répondre à la question.

 

M. RENAUD : Vous pouvez répondre à la question.

 

            LE TÉMOIN : D’après mon expérience dans le monde des bisphosphonates, si on me disait que la molécule avait un chaînon de liaison à deux carbones et qu’elle présentait une action, et que cette action était définie comme pouvant inhiber la résorption osseuse, il serait intéressant pour moi de mettre à l’essai la molécule à un atome de carbone. Il serait intéressant pour moi de le faire.

 

            Sur la base de mon expérience personnelle, je serais hésitant à prédire si elle serait plus ou moins bonne que la molécule ayant un chaînon à deux atomes de carbone, compte tenu de ce que je savais sur les bisphosphonates en 1986 et auparavant.

 

[156]       Dans son affidavit, M. Benedict traite des dangers liés au fait de tirer des conclusions hâtives au sujet d’une classe générale à partir d’un seul composé. Au paragraphe 162 de son affidavit, il indique :

 

[traduction]

162.     Deuxièmement, je note qu’une personne n’aurait aucune idée de l’effet que pourrait avoir le raccourcissement du chaînon tant qu’un membre de la classe n’aurait pas été synthétisé et mis à l’essai. Bien que les demandes ’524 et ‘228 divulguent une vaste gamme de composés, y compris les composés désignés a) et b) dans la description de M. Roberts, ces demandes ne divulguent aucune information qui permettrait à une personne versée dans l’art de définir une relation structure‑activité entre la longueur du chaînon et l’action antirésorptive du bisphosphonate.

 

[157]       M. Roberts (l’un des experts de Teva) a tenu des propos semblables en réponse aux questions 532 et 533 lors de son contre‑interrogatoire :

 

[traduction]

532.     Q.        Au paragraphe 253 de votre affidavit, vous déclarez :

 

            « (…) À mon avis, les revendications du brevet ’895, même la revendication la plus restreinte, étaient évidentes. Cependant, si la Cour en juge autrement, à mon avis, il aurait été évident pour la personne versée dans l’art de mettre à l’essai les composés revendiqués ou n’importe quel des composés hydroxylés revendiqués et de s’attendre à ce que les composés mis à l’essai soient utiles pour l’inhibition de la résorption osseuse dans le traitement des troubles du métabolisme osseux, comme l’avaient été les composés antérieurs […] ».

 

Il s’agit de votre opinion, n’est‑ce pas?

 

R.         Oui.

 

533.     Q.         À votre avis, une fois qu’un des composés hydroxylés revendiqués dans le brevet ’895 avait été fabriqué et qu’on avait démontré son action inhibitrice de la résorption osseuse, la personne versée dans l’art se serait aussi attendue à ce que les composés soient utiles pour inhiber la résorption osseuse et pour traiter les troubles du métabolisme osseux, comme l’étaient les composés antérieurs; n’est‑ce pas?

 

R.         Je pense que la mise à l’essai d’un seul composé ne serait pas suffisante pour étayer le brevet au complet.

 

[158]       Au paragraphe 104 de son affidavit, M. Ebetino (l’un des experts de la demanderesse) faisait état d’un document scientifique rédigé par M. Russell, qu’il décrivait comme l’un des chefs de file actuels dans le domaine en 2011, et il citait le passage suivant tiré de ce document, la pièce M :

 

[traduction]

Il conviendrait de rappeler que, malgré les nombreux efforts déployés par les chimistes médicinaux tout au long des années 1980, la découverte de bisphosphonates prometteurs était une démarche essentiellement empirique. Tout nouveau bisphosphonate devait être traité de manière qu’on puisse déterminer son action biologique, qui ne pouvait être prédite en fonction de sa structure seulement. Même des substances très similaires sur le plan structural pouvaient présenter des actions biologiques très différentes. Ce n’est qu’au cours de la dernière décennie environ, soit depuis que les mécanismes d’action moléculaire sont devenus beaucoup mieux définis, qu’il est devenu possible de décrire le lien entre la structure et l’activité de façon plus scientifique.

 

[159]       J’arrive à la conclusion qu’il n’irait pas « plus ou moins de soi » que la classe de composés revendiquée dans la revendication 14 du brevet ’895, ou le zolédronate revendiqué dans le brevet ’937, allait fonctionner à leurs dates respectives d’invention.

 

[160]       Je conviens que les chercheurs travaillant dans le domaine ont pu déceler une [traduction] « lacune », pour reprendre le terme employé par l’avocat de Teva, dans l’état de la technique en ce sens qu’un coupleur carbone n’avait pas été étudié. Cependant, compte tenu des nombreux choix possibles pour ce qui est décrit comme les positions R1 et R2, même si certains sont plus évidents que d’autres, il n’était pas vraiment possible de prédire ce qui fonctionnerait. Mon avis serait le même peu importe qu’on considère les connaissances générales courantes ou l’état de la technique. Je ne peux pas conclure qu’il « allait de soi » que ce qui est revendiqué dans l’un ou l’autre des brevets allait fonctionner.

 

[161]       Je conclus, tout comme le juge Kitchin, de la Cour d’appel du Royaume‑Uni, dans l’arrêt MedImmune Limited c Novartis Pharmaceuticals UK, [2012] EWCA Civ 1234, qu’il faut se garder de placer la barre trop haut en ce qui a trait à l’évidence. La recherche devrait être récompensée, non découragée :

 

[traduction]

[90] Il peut y avoir lieu de se demander s’il allait de soi de se lancer sur une voie particulière pour obtenir un produit ou un procédé amélioré. Il n’y a peut‑être aucune garantie de succès, mais la personne versée dans l’art peut néanmoins l’estimer suffisamment probable pour justifier un essai. Cela pourrait suffire dans certains cas à rendre une invention évidente. Il existe par ailleurs des domaines technologiques, comme les sciences pharmaceutiques et la biotechnologie, qui dépendent grandement des recherches et dans lesquels plusieurs avenues possibles sont ouvertes à l’exploration des inventeurs, sans qu’ils sachent cependant si l’une d’elles sera fructueuse. Ils s’y engagent néanmoins dans l’espoir de trouver de nouveaux produits utiles. Il est clair qu’ils ne se lanceraient pas dans ces travaux si les chances de succès étaient minces au point qu’ils n’en vaudraient pas la peine. Cependant, refuser dans tous ces cas la protection d’un brevet aurait un effet dissuasif important sur la recherche.

 

[162]       Je suis donc d’avis que ni la revendication 14 du brevet ’895, ni les revendications 1 et 2 du brevet ’937, ne sont invalides pour cause d’évidence. Les allégations de Teva sur ce point ne sont pas recevables.

 

ABSENCE D’UTILITÉ – PLAIDOYER

[163]       Teva a prétendu que la revendication 14 du brevet ’895 et les revendications 1 et 2 du brevet ’937 sont invalides pour cause d’absence d’utilité. L’avocat de la demanderesse soutient que Teva n’a pas énoncé dans son avis d’allégation une base suffisante étayant les arguments qu’elle avance maintenant. Je ne partage pas ce point de vue. Les sections 1.4.2 et 2.2.2 de l’avis d’allégation, qui s’étendent sur environ trois pages chacune, renferment des éléments qui suffisent à étayer les arguments avancés devant moi.

 

UTILITÉ – LA REVENDICATION 14 DU BREVET ‘895

[164]       La preuve montre que, avant de déposer la demande prioritaire en Allemagne, les inventeurs désignés dans le brevet ’895 avaient mis à l’essai deux composés, dont aucun n’était le zolédronate, et dont un seul relève du champ de la revendication 14 du brevet ’895. Au cours de l’année suivante, avant le dépôt de la demande canadienne, ils avaient également fabriqué et mis à l’essai le zolédronate. Cependant, la question ne concerne pas ces composés précis, mais la classe de 1,2 million de composés compris dans la revendication 14. Je répète ici ce qu’écrivait M. Grynpas (l’un des témoins experts de Teva), au paragraphe 109 de son affidavit :

 

[traduction]

109.     Le brevet Boehringer revendique une vaste gamme de composés destinés à un grand nombre de fins. Le mémoire descriptif du brevet Boehringer contient des données pour seulement deux des composés revendiqués. Ces données montrent que l’activité de ces deux composés similaires diffère d’au moins 10 fois. Encore une fois, avec seulement deux composés mis à l’essai, la personne versée dans l’art n’aurait pas su si la plage de valeurs correspondant à ces deux composés représentait la plage entière ou seulement la partie supérieure ou inférieure de celle‑ci. Il n’est donc pas possible pour la personne versée dans l’art d’évaluer l’activité d’aucun des autres composés revendiqués. De plus, à la lumière de l’information figurant dans le mémoire descriptif, cette personne ne serait pas en mesurer de tirer quelque conclusion que ce soit en ce qui concerne l’utilité potentielle de chacun de ces composés revendiqués pour les indications thérapeutiques revendiquées.

 

[165]       M. Lundy, que la demanderesse a proposé pour réfuter les déclarations de M. Grynpas, a adopté une approche plutôt mesurée et prudente dans l’examen de la question. Aux paragraphes 98 à 100, il tente avec grande précaution de définir les termes qu’il emploie et de les distinguer de ceux du brevet :

 

[traduction]

98.       Aux lignes 5 à 11 de la page 2, les inventeurs déclarent :

 

Par ailleurs, sur la base de ces propriétés, ils peuvent aussi être utilisés dans le traitement des métastases osseuses et de la lithiase urinaire et dans la prévention de l’ossification hétérotopique. De plus, de par leur effet sur le métabolisme du calcium, ils constituent la base de traitements contre la polyarthrite rhumatoïde, de l’ostéoarthrite et de l’arthrose dégénérative.

 

99.       Dans les passages soulignés ci‑dessus, les inventeurs font savoir au lecteur versé dans l’art que, à la lumière de la capacité des composés de former efficacement des complexes de calcium (« ces propriétés »), ils peuvent être utilisés pour réguler le métabolisme du calcium, qui est au cœur des troubles du métabolisme du calcium mentionnés. Par conséquent, les composés « constituent la base » du traitement de certaines affections médicales mentionnées.

 

100.     Encore une fois, à mon avis, les énoncés soulignés n’enseigneraient pas au lecteur versé dans l’art que les inventeurs déclarent que les nouveaux composés seraient immédiatement utiles pour le traitement de toute affection médicale. Pour arriver à cette conclusion, je m’appuie sur la formulation employée dans le brevet et sur le fait qu’une personne versée dans l’art comprendrait facilement, après avoir lu le brevet en entier, que ces nouveaux composés devraient faire l’objet d’études rigoureuses portant sur leur sûreté et sur leur efficacité avant de pouvoir être considérés comme une solution dans le traitement des affections du squelette mentionnées.

 

[166]       M. Lundy passe en revue les carnets des inventeurs et arrive à la conclusion, au paragraphe 121 de son affidavit, et sans dire pourquoi, que [traduction] « les composés visés par la revendication 14 étaient utiles ». Au paragraphe 122, il refusait de s’exprimer sur la prédiction valable :

 

[traduction]

121.     Ainsi, à la lumière de l’information du brevet ’895 ayant été confirmée par les essais mentionnés dans l’affidavit de M. Knauer, je suis d’avis que les inventeurs avaient démontré avant le 29 juillet 1987 que les composés visés par la revendication 14 étaient utiles pour la formation de complexes de calcium et l’inhibition de la résorption osseuse chez le rat et qu’ils avaient donc le potentiel de pouvoir être utilisés dans le traitement des troubles du métabolisme du calcium.

 

122.     À la lumière de cette démonstration de l’utilité, il ne me paraît pas nécessaire de considérer la question de la prédiction valable. Toutefois, j’ai considéré la question de la prédiction valable ci‑dessous au regard de mes commentaires au sujet de l’affidavit de M. Grynpas.

 

[167]       Vu les réponses données en contre‑interrogatoire par M. Lundy, et illustrées par la réponse à la question 760, énoncée plus haut dans les présents motifs, réponses selon lesquelles il lui faudrait procéder à des essais avant de se prononcer sur l’utilité, je suis d’avis que les inventeurs désignés dans le brevet ’859 n’ont pas établi, à la date de dépôt de la demande canadienne, que la classe comprenant 1,2 million de composés visée à la revendication 14 avait une utilité.

 

[168]       Par ailleurs, la description du brevet ‘859 ne renferme rien qui, aux dires d’un quelconque témoin, établirait un fondement étayant une prédiction valable selon laquelle tous les composés de cette classe auraient une utilité. En bref, l’état de la technique était au stade empirique où il aurait fallu évaluer séparément chacun des composés. Il n’y avait, dans l’état de la technique à l’époque, aucun consensus sur l’existence d’un fondement permettant de tirer des conclusions sur une classe de composés.

 

[169]       Lord MacDermott avait bien résumé la situation dans l’arrêt May & Baker Limited v Boots Pure Drug Company (1950), 67 RPC 23 (HL), à la page 50 :

 

[traduction]

Avant de nous pencher sur le mémoire descriptif original et la nature de l’invention revendiquée, il convient de mentionner deux questions qui, bien que ce champ particulier soit encore au stade empirique, me semblent procéder nécessairement de cette caractéristique. Tout d’abord, une invention dans ce domaine chimiothérapeutique doit se rapporter à une substance qui a réellement été produite. Il ne peut y avoir de découverte empirique à l’égard d’une simple formule. Deuxièmement, la découverte de chaque nouveau composé ayant une utilité thérapeutique constitue une invention distincte. Si l’inventeur est forcé de dire « “J’ai fabriqué” une nouvelle substance qui me paraît avoir une valeur thérapeutique, mais je ne peux pas être certain de toute “autre substance”, nonobstant la similitude de leurs structures moléculaires, ait la même utilité “tant que je ne l’aurai pas fabriquée et mise à l’essai” », j’estime alors que son invention doit se rapporter à la substance unique qu’il a fabriquée et à elle seule. S’il a fabriqué plusieurs de ces substances et en a prouvé l’utilité, le raisonnement reste le même à mon avis car, bien que le domaine conserve sa qualité empirique, chaque nouvelle substance constitue une nouvelle découverte. Mais si l’inventeur peut affirmer que son acte inventif est tel que chacun des divers nouveaux produits qu’il a permis de réaliser a une utilité thérapeutique, bien que certains d’entre eux n’aient pas encore été fabriqués,  l’état de la technique aura alors changé, selon ma vision des choses. Le domaine aura perdu son côté empirique, du moins dans une certaine mesure, et le chimiste aura découvert une loi ou un principe lui permettant de prédire l’effet thérapeutique.

 

[170]       Je suis d’avis que les allégations de Teva sur l’absence d’utilité de la revendication 14 du brevet ’895 sont recevables.

 

ABSENCE D’UTILITÉ – LES REVENDICATIONS 1 ET 2 DU BREVET ’937

[171]       Contrairement au brevet ’895, les revendications du brevet ’937 ne concernent qu’un seul composé, le zolédronate. Les inventeurs ont fabriqué et mis à l’essai ce composé avant le dépôt de la demande canadienne, et ils l’ont jugé utile pour l’objet déclaré, à savoir une action régulatrice prononcée sur le métabolisme calcique des animaux à sang chaud.

 

[172]       Je suis d’avis que les allégations de Teva sur l’absence d’utilité des revendications 1 et 2 du brevet ’937 ne sont pas recevables.

 

CARACTÈRE SUFFISANT – PLAIDOYER

[173]       Teva a prétendu que les brevets ‘859 et ‘937 ne présentent pas un caractère suffisant ni ne montrent la manière de fabriquer et d’utiliser les composés indiqués dans les revendications en cause. L’avocat de la demanderesse soutient que Teva n’a pas énoncé, dans son avis d’allégation, une base suffisante étayant les arguments qu’elle avance maintenant. Je ne partage pas ce point de vue. Les sections 1.4.3 et 2.2.3 de cet avis renferment des éléments suffisants pour étayer les arguments avancés devant moi.

 

CARACTÈRE SUFFISANT – PRINCIPES JURIDIQUES

[174]       Comme je l’ai indiqué plus haut, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l’arrêt Teva, précité, ses arrêts antérieurs, Consolboard et Pioneer Hi‑Bred, en établissant que, pour qu’une divulgation soit suffisante, elle doit permettre à une personne versée dans l’art, qui ne dispose que de la divulgation, de mettre l’invention en pratique. Le juge LeBel écrivait ce qui suit, aux paragraphes 51 et 52 :

 

51     Dans Pioneer Hi‑Bred, notre Cour renvoie à Consolboard à l’occasion d’un nouvel examen des exigences de la Loi en matière de divulgation. Le juge Lamer (plus tard Juge en chef) les définit comme suit au nom de la Cour :

 

En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu’il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont eu l’occasion d’énoncer au cours des années le test qu’il faut appliquer pour savoir si la divulgation est complète. Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle‑ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie . . .  Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation . . ., et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316). [Je souligne; références omises; p. 1637‑1638.]

 

52     Dans les arrêts Consolboard et Pioneer Hi‑Bred, la Cour analyse correctement les exigences de divulgation énoncées au par. 27(3) de la Loi. Il convient de confirmer le raisonnement qu’elle tient dans ces arrêts et de l’appliquer en l’espèce.

 

[175]       Ainsi que le confirmait la Cour suprême dans l’arrêt Consolboard, le mémoire descriptif n’a pas à énoncer tous les avantages de l’invention, ni toutes les raisons pour lesquelles l’invention fonctionne. Le juge Dixon a écrit ce qui suit, au nom de la Cour, à la page 526 :

 

Comme le dit le président Thorson dans R. v. American Optical Company et al., à la p. 85 :

 

[traduction] On ne peut pas opposer non plus au caractère suffisant de la divulgation que les avantages de l’invention énoncés par le professeur Price n’ont pas été mentionnés dans le mémoire descriptif .... Si un inventeur a adéquatement décrit son invention, il a droit d’en jouir même s’il n’apprécie ni ne réalise pleinement les avantages qui en découlent ou s’il ne peut fournir l’explication scientifique de ces derniers. Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l’invention et son emploi ou fonctionnement prévus par l’inventeur de telle sorte que le public, c.‑à‑d. les personnes versées dans l’art, puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur.

 

 

CARACTÈRE SUFFISANT – DATE À RETENIR POUR EN JUGER

[176]       La date à retenir pour juger du caractère suffisant prend ici toute son importance. Teva affirme que la date en question est celle du dépôt de la demande au Canada. La demanderesse affirme que c’est la date de publication, laquelle, en l’espèce, est la date à laquelle chacun des brevets a été délivré et accordé.

 

[177]       Pour les mêmes raisons que celles évoquées à propos de l’utilité, je suis d’avis que le brevet ’895 (revendication 14) est insuffisant, même à la date à laquelle le brevet a été délivré et accordé. Ce brevet n’appelle aucune autre analyse.

 

[178]       Il en va différemment pour le brevet ’937 (revendications 1 et 2). Ce brevet a été délivré et accordé avec seulement deux revendications – toutes deux propres au zolédronate. Pour les mêmes raisons que celles énoncées précédemment, je considère que ce brevet doit être distingué de celui examiné par la Cour suprême dans l’arrêt Teva, au motif que les revendications étaient propres au zolédronate uniquement. Cependant, lorsque la demande a été déposée au Canada, elle contenait des revendications portant sur de nombreux composés, y compris des revendications génériques et des revendications visant des composés précis, notamment le zolédronate. Si je devais juger du caractère suffisant du brevet à la date de dépôt de la demande, je conclurais que la demande n’était pas différente de celle soumise à l’examen de la Cour suprême dans l’arrêt Teva, et qu’elle était donc invalide pour cause de divulgation insuffisante.

 

[179]       Le droit canadien manque de clarté sur la date à prendre en compte pour juger du caractère suffisant ou non d’un brevet. Selon l’« ancienne » Loi sur les brevets, une demande était déposée et n’était jamais communiquée au public jusqu’à ce que le brevet soit délivré et accordé. Il n’y avait pas de limite à la période durant laquelle une demande pouvait demeurer au Bureau des brevets, à condition que des suites rapides soient données aux rapports de l’examinateur. Lorsqu’il y avait conflit entre deux demandes de brevets, il pouvait s’écouler des années, comme ce fut le cas ici, avant qu’un brevet ne soit délivré et accordé. Tant qu’une demande était pendante, des revendications pouvaient être ajoutées, enlevées ou modifiées. Sous réserve de la rectification d’erreurs d’écriture ou de rédaction, un mémoire descriptif faisant partie de la demande ne pouvait pas être modifié pour décrire ou ajouter des éléments qui ne pouvent raisonnablement s’en inférer (Règles sur les brevets, DORS/96‑423, article 181).

 

[180]       Selon la « nouvelle » Loi sur les brevets, applicable aux demandes déposées après le 1er octobre 1989, une demande de brevet est accessible au public dix‑huit mois après sa date de dépôt au Canada ou sa date de dépôt prioritaire, le cas échéant. Ainsi, dix‑huit mois ou moins après le dépôt d’une demande, celle‑ci était publiée. Des modifications pouvaient encore être apportées aux revendications et à la description avant la délivrance du brevet, comme pour une demande relevant de l’« ancienne » Loi sur les brevets, mais au moins le public pouvait voir ce qui se passait.

 

[181]       Pour les brevets relevant de l’« ancienne » Loi sur les brevets, il y a donc un choix entre deux dates : la date de la demande et la date de la publication, qui était la date de délivrance du brevet. Pour un brevet relevant de la « nouvelle » Loi sur les brevets, il y a un choix entre trois dates : la date de la demande, la date de la publication (18 mois après la date de dépôt au Canada ou, le cas échéant, la date de dépôt prioritaire), et la date où le brevet a été délivré et accordé.

 

[182]       Le juge Binnie, s’exprimant pour la Cour suprême dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc, [2000] 2 RCS 1024, a décidé que la date déterminante pour l’interprétation de revendications était la date de la publication (c’est‑à‑dire pour les brevets relevant de la « nouvelle » Loi, 18 mois après le dépôt d’une demande; et pour les brevets relevant de l’« ancienne » Loi, la date à laquelle le brevet était délivré et concédé). Il a délibérément laissé sans réponse le point de savoir si la même date s’appliquerait à l’examen de la question du caractère suffisant de la divulgation. Il convient de noter qu’il se fondait sur des décisions judiciaires du Royaume‑Uni en la matière lorsqu’il a écrit ce qui suit, au paragraphe 53 :

 

53     La date de publication est toujours la date déterminante en Angleterre: Terrell, op. cit., à la p. 106, bien que lord Hoffmann ait fait remarquer [traduction] « [qu’]il y existe une grande différence entre la [Patent Act] de 1949 et [celle] de 1977 », qui prévoit que la date de la demande (ou date d’antériorité) devient la date déterminante à certaines fins : Biogen Inc. c. Medeva PLC, [1997] R.P.C. 1 (H.L.), à la p. 54.  Dans cette affaire, la cour devait examiner la question du caractère suffisant de la divulgation, mais certains juges anglais ont saisi l’occasion pour interpréter les revendications également à compter de la date de la demande, p. ex., Dyson Appliances Ltd. c. Hoover Ltd., [2000] E.W.J. No. 4994 (QL) (Pat. Ct.), au par. 48k). Au Canada, le juge Reed a préconisé une démarche semblable dans AT & T Technologies, Inc. c. Mitel Corp., (1989), 26 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.), à la p. 260, même en l’absence de ces modifications législatives. Bien qu’il puisse y avoir des avantages à établir une seule date déterminante aux fins, notamment, des questions d’évidence, de caractère suffisant et d’interprétation des revendications, je suis d’avis que le droit canadien ne justifie pas le choix de la date de la demande comme date déterminante pour l’interprétation des revendications.

 

[183]       Le seul autre arrêt de la Cour suprême du Canada sur la question est l’arrêt Pioneer Hi‑Bred Limited c Commissaire des brevets, [1989] 1 RCS 1623. Il convient de noter cependant que la Cour suprême n’examinait, dans cette affaire, qu’une demande de brevet; aucun brevet n’avait été accordé. La question du caractère suffisant s’était posée lorsque la Cour devait dire si une demande de brevet se rapportant à du maïs hybride était suffisante dans sa description de la manière dont l’hybride avait été développé. Le juge Lamer s’était exprimé ainsi, au nom de la Cour, aux pages 1637 et 1638 :

 

Il m’apparaît que le devoir de divulguer les étapes suivies pour en arriver à l’invention représente un principe général du droit des brevets reconnu par nombre de législations internes (au Royaume‑Uni, voir le Patents Act 1977 (R.‑U.), 1977, chap. 37, par. 14(3); aux États‑Unis, voir 35 U.S.C. {SS} 112 (1982); voir aussi la législation ouest‑allemande, au par. 35(2)) et de traités internationaux (Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, 28 U.S.T. 7647, art. 5; Convention sur le brevet européen, 5 octobre 1973, art. 83).

 

En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu’il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont eu l’occasion d’énoncer au cours des années le test qu’il faut appliquer pour savoir si la divulgation est complète. Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle‑ci doit remplir deux conditions: l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett‑Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 563; Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1113), et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316).

 

[184]       Quant à la jurisprudence du Royaume‑Uni, je commencerai par le bref sommaire donné par les auteurs de l’ouvrage Terrell on the Law of Patents (16e édition), Sweet & Maxwell, Londres, 2006, au paragraphe 7 – 93 :

 

[traduction]

Quelle date faut‑il retenir pour juger du caractère suffisant d’un mémoire descriptif?

 

            Dans l’arrêt Biogen Inc c Medeva Plc, la Chambre des lords était d’avis que la date à retenir pour juger du caractère suffisant ou non d’un mémoire descriptif aux fins de la Loi de 1977 était la date de la demande, parce que des éléments ne peuvent pas être ajoutés et qu’une demande insuffisante ne devrait pas devenir suffisante à la faveur d’une évolution générale de l’état de la technique après la date de dépôt. Il avait déjà été considéré que la date pertinente était la date de publication, mais ce n’est plus le droit en vigueur.

 

[185]       Dans l’arrêt Biogen Inc c Medeva Plc, [1997] RPC 1, la Chambre des lords était invitée à déterminer la date à laquelle devait être évalué le caractère suffisant d’un mémoire descriptif, à la suite de changements apportés en 1977 au Patent Act du Royaume‑Uni. Avant ces changements, une cour de justice pouvait invalider un brevet si une revendication ne présentait pas un [traduction] « fondement satisfaisant » dans la description. Après 1977, la cour ou le contrôleur (assimilé à notre commissaire aux brevets) pouvait révoquer un brevet s’il ne divulguait pas l’invention de façon suffisamment claire et complète (alinéa 72(1)c), Patent Act 1977, 1977, c 37). Lord Hoffman, à l’opinion duquel ont souscrit les autres membres de la Chambre, a examiné la question en profondeur. Je reproduirai l’ensemble de ses propos; cependant, en bref, il a estimé que la date pertinente à retenir pour l’examen du caractère suffisant était la date de la demande. Cette conclusion s’expliquait essentiellement par des considérations de principe. Une demande, une fois déposée, ne pouvait pas être modifiée. Son auteur ne devrait pas pouvoir tirer parti des avancées survenues entre‑temps dans l’état de la technique de manière à rendre suffisante une demande qui était insuffisante au moment de son dépôt. Il a écrit ce qui suit, aux pages 53 et 54 :

 

[traduction]

14.  Caractère suffisant

 

            Si vos Seigneuries reconnaissent que, faute du soutien d’une date de priorité antérieure, le brevet est invalide pour cause d’évidence, il est inutile de se demander s’il était également invalide pour cause d’insuffisance, et donc susceptible de révocation aux termes de l’alinéa 72(1)c). Mais le raisonnement par lequel je suis arrivé à la conclusion que le brevet n’avait pas droit à une date de priorité antérieure conduit aussi, à mon avis, à la conclusion qu’il était insuffisant. Je devrais cependant mentionner une question d’importance générale qui concerne l’interprétation de cette disposition et qui fut soulevée au cours des arguments. Elle concerne la date à laquelle le mémoire descriptif doit « révéler l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’elle puisse être exploitée par une personne versée dans l’art ». La Cour d’appel pensait que c’était la date de dépôt de la demande, en l’occurrence le 21 décembre 1979. Le juge Aldous disait que c’était la date à laquelle la demande avait été publiée, c’est‑à‑dire le 28 mai 1986. Selon ce dernier point de vue, un mémoire descriptif pourra être insuffisant au moment du dépôt de la demande, mais répondre à l’alinéa 72(1)c) en raison des avancées de la technique survenues entre la date du dépôt et la date de la publication. Je ne pense pas que la question se pose en l’espèce parce que, quelle que soit la date retenue, le brevet ne divulguait aucune méthode de fabrication des antigènes si ce n’est celle divulguée dans la demande Biogen 1. Il demeurait donc insuffisant aux fins de l’admission d’une revendication portant sur toute méthode de recombinaison de l’ADN. Néanmoins, puisque la question a été débattue et qu’il y a eu divergence d’opinions  dans les juridictions inférieures, j’exposerai brièvement ma propre opinion.

 

            Le juge Aldous a suivi plusieurs précédents où l’on a jugé que la date de publication était la date à retenir pour trancher la question du caractère suffisant aux termes de la Loi de 1949 sur les brevets. Le raisonnement était que la nécessité d’un mémoire descriptif avait pour objet de permettre au public d’exploiter l’invention après l’expiration du monopole. Cela pourrait en soi donner à penser que, si la divulgation était suffisante au moment de l’expiration du brevet, il n’en fallait pas davantage. Mais, comme l’écrivait le juge Buckley dans l’arrêt Standard Brands Inc.’s Patent (No. 2) [1981] R.P.C. 499, 529, le public avait aussi le droit de savoir dès la publication du brevet s’il était valide ou non. Était donc posée la question de la date de publication. Il appelait aussi l’attention sur le fait que le mémoire descriptif avait pu être modifié après le dépôt. De telles modifications seraient considérées comme des modifications remontant à la date du dépôt, et il serait donc fautif de juger du caractère suffisant du brevet d’après le mémoire descriptif déposé à l’origine.

 

            À mon avis cependant, il y a entre la Loi de 1949 et celle de 1977 une différence importante qui fait douter de la pertinence des décisions fondées sur la Loi de 1949. L’alinéa 172(1)c) de la Loi de 1977 ne vise pas seulement à faire en sorte que le public puisse exploiter l’invention après l’expiration du monopole. Elle a aussi pour objet de conférer au tribunal saisi d’une procédure de révocation un pouvoir qui reflète celui du Bureau des brevets aux termes du paragraphe 14(3), ou celui de l’Office européen des brevets aux termes de l’article 83 de la Convention sur le brevet européen, c’est‑à‑dire le pouvoir de déclarer un brevet invalide pour la raison fondamentale que, comme l’écrivait l’Office européen des brevets dans l’affaire Exxon/Gazoles (T 409/91) [1994] OJ EPO 653, au paragraphe 3.3, le monopole revendiqué va au‑delà de l’apport que constitue la description par rapport à l’état de la technique. Dans la Loi de 1949, cette fonction était assurée par un autre motif de révocation, à savoir le fait que la revendication « n’était pas dûment fondée sur l’objet divulgué dans le mémoire descriptif » (alinéa 32(1)i)). On considérait donc que la nécessité du caractère suffisant de l’exposé servait un objet plus étroit. Mais la disparition du critère de l’« absence de fondement satisfaisant » comme motif explicite de révocation ne signifie pas selon moi que le principe général exprimé par cette notion a été abandonné. La jurisprudence de l’Office européen des brevets montre que ce critère a encore sa pleine valeur et qu’il est inscrit dans les articles 83 et 84 de la Convention sur le brevet européen, dispositions dont les équivalents dans la Loi de 1977 sont les paragraphes 14(3) et (5) et l’alinéa 72(1)c).

 

            L’alinéa 72(1)c) ne peut donner effet à ce principe que si la date à retenir pour la conformité est la date de la demande. Il serait illogique qu’un brevet qui aurait dû être rejeté aux termes du paragraphe 14(3) soit soustrait à la révocation aux termes de l’alinéa 72(1)c) grâce à des avancées survenues dans l’état de la technique entre la date de la demande et la date de publication du mémoire descriptif. Les dispositions relatives aux modifications, bien loin de s’écarter de cette manière de voir, me semblent l’appuyer. Le paragraphe 76(2) dit que la demande modifiée ne doit pas divulguer un élément qui va au‑delà de l’élément déjà divulgué. Autrement dit, la demande ne peut ajouter un nouvel élément qui aurait pour effet de rendre suffisante une demande qui ne l’est pas. Il m’apparaît conforme à ce régime qu’une demande insuffisante ne devrait pas non plus devenir suffisante à cause de l’évolution générale de l’état de la technique après la date de dépôt. Je partage donc sur ce point l’opinion de la Cour d’appel.

 

[186]       Ce précédent aurait du sens au Canada selon le régime de l’« ancienne » Loi sur les brevets ou celui de la « nouvelle » Loi sur les brevets, si ce n’est qu’il faut compter avec le récent arrêt Teva de la Cour suprême du Canada.

 

[187]       L’arrêt Teva m’a conduit à faire la distinction entre le brevet ’937 en cause ici et le brevet examiné par la Cour suprême, étant donné que, dans le brevet ’937, les revendications se limitaient à un composé unique. Des revendications peuvent être ajoutées, supprimées ou modifiées à tout moment durant le processus de demande, que l’on ait affaire à l’« ancienne » ou à la « nouvelle » Loi sur les brevets. Même après qu’un brevet a été délivré et accordé, il peut, à l’intérieur d’un certain délai, être délivré à nouveau, assorti de revendications moins nombreuses, plus nombreuses ou différentes; des revendications peuvent être réduites par renonciation et même éventuellement par cession. Le titulaire du brevet ne cherche pas à tirer parti d’avancées survenues dans l’état de la technique, il veut plutôt demeurer bien au fait de l’état de la jurisprudence.

 

[188]       Je suis d’avis que la date qu’il convient de retenir pour juger du caractère suffisant ou non d’un brevet canadien est, comme l’écrivait le lord juge Buckley dans l’arrêt Standard Brands, cité par lord Hoffman dans l’arrêt Biogen, la date de la publication. C’est la date à laquelle le public prend connaissance de la demande. C’est la date à laquelle l’auteur de la demande de brevet a arrêté les revendications de l’invention et les a communiquées au public. Dans le cas d’un brevet relevant de l’« ancienne » Loi, ce serait le jour où le brevet a été délivré et concédé. S’agissant d’un brevet relevant de la « nouvelle » Loi, ce serait la date de sa publication.

 

[189]       Eu égard à cette date, puisque le jour où le brevet ’937 – un brevet relevant de l’« ancienne » Loi – a été délivré et accordé, les revendications du brevet se limitaient au zolédronate, le brevet peut donc être distingué du brevet soumis à l’examen de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Teva. Je suis donc d’avis que, dans la présente affaire, les allégations de Teva selon lesquelles le brevet ’937 est insuffisant ne sont pas recevables.

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

[190]       En conclusion, je suis d’avis que les allégations de Teva concernant l’invalidité du brevet ’895 (revendication 14) pour cause d’inutilité et d’insuffisance, sont recevables. La demande d’interdiction se rapportant à ce brevet doit être rejetée.

 

[191]       Je suis d’avis que les allégations de Teva concernant l’invalidité du brevet ’937 (revendications 1 et 2) ne sont pas recevables. La demande d’interdiction se rapportant à ce brevet sera accueillie.

 

[192]       La demanderesse a partiellement obtenu gain de cause. Je sais que, au final, elle obtiendra une ordonnance d’interdiction pour la durée la plus longue des deux brevets en cause, mais les dépens ont pour objet d’amortir, en partie, les frais du litige. En l’espèce, me fondant sur une mesure approximative, je répartis les dépenses en en attribuant la moitié à chaque brevet.

 

[193]       Des dépens sont adjugés selon la partie médiane de la colonne IV, ce qui est habituel dans les affaires de ce genre. Des dépens sont adjugés pour un avocat principal et un avocat adjoint durant l’audience. Des honoraires d’experts sont adjugés pour autant qu’ils soient raisonnables et ne dépassent pas les honoraires d’un avocat principal pour la même vacation. Les débours liés uniquement aux déplacements requis pour conduire le contre‑interrogatoire d’un témoin ou opposer une défense durant tel contre‑interrogatoire sont adjugés. Je considère que des déplacements en classe affaires sont raisonnables s’il s’agit de déplacements vers l’Europe. Les dépens, les honoraires d’experts, les débours et les taxes applicables seront tous divisés par deux.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑HAUT :

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la demande d’interdiction se rapportant au brevet canadien 1,338,895 est rejetée;

 

2.                  la demande d’interdiction se rapportant au brevet canadien 1,338,937 est accueillie;

 

3.                  il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Teva Canada Limited concernant la concentration de 4 mg/5 ml et la concentration de 5 mg/100 ml d’une solution d’acide zolédronique pour perfusion intraveineuse, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet canadien portant le no 1,338,937, c’est‑à‑dire, sauf indication contraire de la Cour, jusqu’au 25 février 2014 inclusivement;

 

4.                  la demanderesse est fondée à obtenir de Teva la moitié de ses dépens, calculés selon la partie médiane de la colonne IV, et la moitié de ses débours et des taxes applicables, selon ce qui est indiqué dans les motifs.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T‑1420‑11 et T‑288‑12

 

INTITULÉ :                                                  NOVARTIS  PHARMACEUTICALS CANADA INC. c
TEVA CANADA LIMITED, ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Les 4, 5, 6 et 7 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Creber

Livia Aumand

 

POUR LA DEMANDERESSE,

Novartis Pharma Canada inc.

(T‑1420‑11 et T‑288‑12)

 

Jeffrey Leon

Dominique T. Hussey

Chandimal Nicholas

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

Teva Canada limitée

(T‑1420‑11 et T‑288‑12)

 

Aucune comparution

POUR LES DÉFENDERESSES/ TITULAIRES DE BREVETS,

Novartis AG et Boehringer Mannheim GmbH

(T‑1420‑11)

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR,

Le ministre de la Santé,

(T‑1420‑11 et T‑288‑12)

 

Aucune comparution

POUR LES DÉFENDERESSES/ TITULAIRES DE BREVETS,

Novartis AG et Roche Diagnostics GmbH

(T‑288‑12)

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE,

Novartis Pharma Canada inc.

(T‑1420‑11 et T‑288‑12)

 

Bennett Jones LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE,

Teva Canada limitée

(T‑1420‑11 et T‑288‑12)

 

Pas de représentant

POUR LES DÉFENDERESSES/ TITULAIRES DE BREVETS,

Novartis AG et Boehringer Mannheim GmbH

(T‑1420‑11)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR,

Le ministre de la Santé,

(T‑1420‑11 et T‑288‑12)

 

Pas de représentant

POUR LES DÉFENDERESSES/ TITULAIRES DE BREVETS,

Novartis AG et Roche Diagnostics GmbH

(T‑288‑12)

 

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