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Date : 20130312

Dossier : T‑1600‑11

Référence : 2013 CF 266

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

ONTARIO DENTAL ASSISTANTS ASSOCIATION

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

L’ASSOCATION DENTAIRE CANADIENNE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté, en application de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], à l’encontre de la décision du 25 juillet 2011 [la décision] par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission] a accueilli l’opposition de la défenderesse à la demande d’enregistrement no 1265950 pour la marque de certification CDA [la marque] présentée par la demanderesse.

 

I. Contexte

[2]               Le 22 juillet 2005, l’Ontario Dental Assistants Association [la demanderesse] a produit une demande d’enregistrement pour la marque de certification CDA en regard de la norme définie suivante :

Les personnes qui rendent les services doivent être membres en règle du requérant et avoir obtenu la note de passage à un examen de certification des assistants dentaires approuvé par le requérant et les personnes doivent avoir complété un programme d’assistance dentaire approuvé par le requérant, ou avoir obtenu un certificat, un diplôme ou un grade en assistance dentaire, en hygiène dentaire ou en dentisterie approuvé par le requérant (mais ne pas détenir un certificat d’inscription d’une profession de la santé réglementée où que ce soit au Canada), ou avoir pratiqué le métier pendant deux années complètes, sous réserve de vérification, de pratique à titre d’assistant dentaire ou l’équivalent. Cette norme peut être modifiée par le requérant de temps en temps.

 

[3]               La demande était fondée sur l’emploi de la marque au Canada depuis au moins 1965.

 

[4]               Le 15 août 2006, l’Association dentaire canadienne [la défenderesse] a produit une déclaration d’opposition [l’opposition] à l’encontre de la demande. Le 4 octobre 2006, la demanderesse a produit une contre‑déclaration dans laquelle elle niait les allégations formulées dans l’opposition.

 

[5]               Le 26 avril 2007, la défenderesse a produit sa preuve, constituée des affidavits de Bernard Dolansky, Ronald G. Smith et Deborah N. Stymiest.

 

[6]               Le 7 juin 2007, la défenderesse a produit une déclaration d’opposition modifiée, et le 15 octobre 2007, la demanderesse a produit une contre‑déclaration modifiée dans laquelle elle niait les allégations formulées dans la déclaration d’opposition modifiée. Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit et elles étaient présentes à l’audience.

 

[7]               Le 9 juin 2008, la demanderesse a produit à son tour sa preuve, constituée de l’affidavit de Judith Melville. La défenderesse n’a pas produit de preuve en réponse.

 

[8]               La Commission a accueilli l’opposition dans sa décision du 25 juillet 2011, et c’est cette décision qui fait l’objet du présent appel.

 

[9]               Aucune preuve additionnelle n’a été déposée en appel.

 

II.        Questions en litige

[10]           Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande s’énoncent comme suit :

A.    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant qu’un titre professionnel ne pouvait être employé comme marque de certification?

B.     La Commission a‑t‑elle conclu erronément que la demanderesse n’avait pas employé la marque de certification CDA en liaison avec les services visés dans la demande depuis la date de premier emploi revendiquée, à savoir dès 1965?

C.     La Commission a‑t‑elle conclu erronément que, compte tenu de l’emploi par la défenderesse de l’acronyme CDA pour viser l’Association dentaire canadienne, la marque CDA de la demanderesse n’était pas distinctive?

 

[11]           La défenderesse fait également valoir que si, en réponse aux trois questions posées, je devais conclure que la Commission a agi erronément, ses motifs d’opposition que la Commission n’a pas abordés sont pertinents en vue d’établir si la marque de certification donne une description claire et est non distinctive.

 

III.       Norme de contrôle

[12]           Les parties sont d’un avis différent quant à la norme de contrôle qui s’applique à la première question. Invoquant l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [Mattel], au paragraphe 40, la demanderesse soutient que, lorsqu’il s’agit de trancher une question de droit de portée générale qui peut être isolée, c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer. La première question, ajoute la demanderesse, serait de cet ordre.

 

[13]           La défenderesse soutient que dans l’arrêt Mattel, précité, la Cour suprême n’a pas entendu modifier le critère énoncé dans la décision Les Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] ACF no 159 (CAF) [Molson], au paragraphe 51, quant à la norme de contrôle que commande l’appel d’une décision rendue par la Commission. La défenderesse ajoute que les éléments de Mattel sur lesquels la demanderesse se fonde constituent des remarques incidentes et qu’en tout état de cause, le scénario hypothétique envisagé par la Cour suprême au paragraphe 40 de l’arrêt, comme exemple de cas où s’appliquerait la norme de la décision correcte, diffère de la situation d’espèce.

 

[14]           J’estime comme la défenderesse que la raisonnabilité est la norme appropriée pour toutes les questions soulevées dans le présent appel; il en est ainsi de la question de savoir si un titre professionnel peut constituer une marque de certification – une question mixte de fait et de droit.

 

IV.       Dates pertinentes

[15]           La date qui importe pour décider de la conformité à l’article 30 de la Loi est celle de la production de la demande, c’est‑à‑dire le 22 juillet 2005.

 

[16]           La date pertinente pour se prononcer sur le caractère distinctif est celle de la production de l’opposition, c’est‑à‑dire le 15 août 2006.

 

V.        Fardeau incombant aux parties

[17]           Si le fardeau de preuve incombe à la partie opposante dans l’instance en opposition, la partie requérante doit s’acquitter du fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’enregistrabilité de la marque de commerce (John Labatt Ltée c Molson Co), [1990] ACF no 533, conf. par [1992] ACF no 525 (CAF)).

 

VI.       Analyse

A.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant qu’un titre professionnel ne pouvait être employé comme marque de certification?

[18]           Pour répondre à cette question, il faut d’abord examiner la définition d’une marque de certification donnée à l’article 2 de la Loi, et l’interpréter en contexte en tenant compte de manière globale des dispositions pertinentes de la Loi.

 

[19]           L’article 2 de la Loi dispose :

[…]

 

« marque de certification » Marque employée pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises ou services qui sont d’une norme définie par rapport à ceux qui ne le sont pas, en ce qui concerne :

 

a) soit la nature ou qualité des marchandises ou services;

 

b) soit les conditions de travail dans lesquelles les marchandises ont été produites ou les services exécutés;

 

c) soit la catégorie de personnes qui a produit les marchandises ou exécuté les services;

 

d) soit la région à l’intérieur de laquelle les marchandises ont été produites ou les services exécutés.

[…]

 

“certification mark” means a mark that is used for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services that are of a defined standard with respect to

 

 

 

(a) the character or quality of the wares or services,

 

(b) the working conditions under which the wares have been produced or the services performed,

 

(c) the class of persons by whom the wares have been produced or the services performed, or

 

(d) the area within which the wares have been produced or the services performed,

 

from wares or services that are not of that defined standard;

 

 

[20]           Comme l’a fait valoir la demanderesse, le passage pertinent de l’article 2 qui doit retenir notre attention est le suivant :

« marque de certification » marque employée pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises ou services qui sont d’une norme définie par rapport à ceux qui ne le sont pas, en ce qui concerne [...]

 

c) soit la catégorie de personnes qui a produit les marchandises ou exécuté les services [.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[21]           Il faut interpréter cette définition dans le contexte global de la Loi, et ainsi, pour être valide, une marque de certification doit

a)      ne pas donner une description claire, ou fausse et trompeuse, des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée;

b)      permettre de distinguer les marchandises ou services qui sont d’une norme définie par rapport aux marchandises et services d’autres propriétaires (c.‑à‑d. être distinctive);

c)      à la date mentionnée par le propriétaire de la marque de certification comme date de premier emploi, ne pas être employée par le propriétaire, mais uniquement par des personnes autorisées, en liaison avec l’exécution de services, la fabrication de marchandises ou l’annonce des marchandises ou de services de ces personnes autorisées;

d)     ne pas causer vraisemblablement de confusion avec une marque de commerce enregistrée ou à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement a été antérieurement produite, ou avec une marque de commerce ou un nom commercial antérieurement employé, au Canada;

e)      être conforme, quant à l’« emploi » en matière de services, à l’article 4 de la Loi, qui prévoit qu’une marque de commerce (et ainsi une marque de certification) est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

 

[22]           Rien dans la Loi n’empêche qu’un titre professionnel soit validement enregistré comme marque de certification, s’il est satisfait aux critères mentionnés plus haut. La défenderesse a tort, selon moi, lorsqu’elle fait valoir une jurisprudence antérieure à l’appui d’une conclusion contraire. Les avocats des deux parties ont d’ailleurs convenu à l’audience qu’il y avait lieu d’interpréter les dispositions pertinentes de la Loi comme permettant, dans les circonstances appropriées, d’enregistrer validement le nom ou l’acronyme d’une association professionnelle, dans la mesure où ce nom ou cet acronyme satisfait aux critères prévus, tel que nous l’avons précisé, dans ces dispositions.

 

[23]           Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision Assn. des Assureurs‑vie du Canada c Assn. Provinciale des Assureurs‑vie du Québec, [1988] ACF no 564, et les affaires dont était saisie la Commission de l’opposition après cette décision tendent à indiquer qu’un titre professionnel ne peut jamais constituer une marque de certification valide. Rien dans la Loi n’empêche qu’un titre professionnel soit validement employé comme marque de certification, dans la mesure où ce titre respecte les critères requis, déjà mentionnés, concernant l’absence de description claire ou de risque de confusion, le caractère distinctif et l’emploi conforme.

 

[24]           Or, je ne partage pas le point de vue de la demanderesse selon lequel il faut accorder une grande importance à la section II. 7.5.5 du Manuel d’examen des marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada pour étayer l’argument portant qu’un titre professionnel peut être employé comme marque de certification valide. Ce manuel n’a pas valeur de loi et l’opinion exprimée dans la section en cause est dépassée.

 

[25]           Après avoir statué qu’un titre professionnel pouvait constituer une marque de certification valide, je dois maintenant me pencher sur la preuve concernant la date de premier emploi revendiquée et sur la question du caractère distinctif de l’acronyme CDA de la demanderesse. Je traiterai à la fin de ma décision des autres motifs d’opposition non examinés par la Commission qui concernaient le caractère descriptif et non distinctif.

 

B.        La Commission a‑t‑elle conclu erronément que la demanderesse n’avait pas employé la marque de certification CDA en liaison avec les services visés dans la demande depuis la date de premier emploi revendiquée, à savoir dès 1965?

[26]           La demanderesse soutient que, la Commission ayant conclu qu’un titre professionnel ne pouvait être employé comme marque de certification valide (aux paragraphes 57 et 64 de la décision), une telle conclusion tirée a priori a entaché ou vicié l’examen d’ensemble, par la Commission, de la preuve relative à son emploi de la marque CDA et à la question du caractère distinctif. On me renvoie aux passages suivants de la conclusion de la Commission (aux paragraphes 59 et 64 de la décision) :

 

59        Même si la Marque, un titre professionnel, pouvait être employée comme marque de certification, je suis d’accord avec l’Opposante pour dire que la Requérante n’a pas établi l’emploi de sa marque en liaison avec les Services au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, pour les raisons suivantes.

 

[…]

 

64        […] Les [photographies d’étiquettes de noms portées par des assistants dentaires certifiés qui arborent la Marque à la suite de leur nom] pourraient constituer des emplois de la Marque si les assistants dentaires certifiés les portent dans l’exécution des services d’assistance dentaire. Or, il s’agirait d’un emploi de la Marque indiquant que les assistants dentaires répondent aux critères qui les autorisent à employer le titre CDA plutôt qu’un emploi distinguant les services qu’ils exécutent. En d’autres termes, cet élément constituerait un emploi de la Marque comme titre professionnel, lequel ne peut être employé comme marque de certification comme je l’ai déjà conclu.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[27]           Selon la demanderesse, puisqu’un titre professionnel peut être employé comme marque de certification, l’emploi d’un titre professionnel par des utilisateurs autorisés (les assistants dentaires) dans le cadre de l’exécution des services, satisfait aux exigences concernant l’« emploi » énoncées au paragraphe 4(2) de la Loi. La demanderesse ajoute qu’employer ou montrer une marque de certification dans l’annonce de services satisfait également aux exigences du paragraphe 4(2) de la Loi.

 

[28]           La demanderesse soutient, quant à l’affidavit de Mme Melville, qu’il [traduction] « conviendrait d’examiner tant ce qui y est expressément déclaré que ce qui peut être dûment déduit, de l’affidavit lui‑même et du fait que la défenderesse a choisi de ne pas contre‑interroger Mme Melville ». La demanderesse s’appuie sur des pièces jointes à l’affidavit, particulièrement les pièces H, I et J, pour soutenir que des utilisateurs certifiés emploient la marque depuis au moins 1965. Elle fait plus particulièrement valoir que la preuve montrant que ses utilisateurs certifiés portaient des étiquettes de noms arborant la marque dans le cadre des services d’assistants dentaires qu’ils offraient à des membres du public en Ontario, démontre l’emploi de l’acronyme CDA pendant que des assistants dentaires dispensaient des services aux patients.

 

[29]           Toutefois, les demandes de certification pour la marque CDA figurant à titre représentatif dans les pièces H et I de l’affidavit de Mme Melville sont datées de 1997 et 2008 (à la pièce I) et de 2001 et 2004 (dans la pièce H). Les formules de demandes et les certificats délivrés étant des documents de la demanderesse destinés aux assistants dentaires, ils ne constituent pas un emploi de l’acronyme CDA par des personnes autorisées ou des utilisateurs certifiés de la demanderesse. De même, la date des documents ne permet pas de constater un emploi dès 1965, la date de premier emploi revendiquée par la demanderesse. En outre, bien que la pièce J renferme une plaque où est inscrit le nom d’anciens présidents de la demanderesse, aucun emploi n’est démontré de la marque CDA en liaison avec des services. Par conséquent, bien que Mme Melville prétende dans son affidavit que des assistants dentaires utilisaient la marque CDA dès 1965, rien n’a été joint à cet affidavit pour étayer cette prétention. Les pièces L et M démontrent que la demanderesse elle‑même, et non des personnes autorisées, a employé l’acronyme CDA; ces pièces peuvent certes révéler la capacité d’utiliser l’acronyme comme marque de certification, mais elles ne sont pas la preuve d’un emploi véritable en liaison avec des services. Les pièces O et P jointes à l’affidavit de Mme Melville ne montrent également l’emploi que par des tiers (des écoles), et non tel qu’il est requis par des personnes autorisées en liaison avec les services.

 

[30]           La demanderesse présente également la pièce N comme preuve d’emploi de l’acronyme CDA, et dans celle‑ci figurent deux échantillons d’étiquettes portant le nom d’assistants dentaires, et qui remonteraient aussi loin qu’en 1961. Elle fait valoir que, comme les assistants dentaires portent ces étiquettes lorsqu’ils offrent des services aux patients, un tel « emploi » est réputé constituer l’emploi de CDA comme marque de certification au moment de la prestation de ces services. Je conclus toutefois que ces échantillons font preuve, tout au mieux, de l’emploi possible de CDA pour désigner les assistants dentaires comme membres de leur association professionnelle, mais non d’une manière qui permet de distinguer les services qu’ils exécutent.

 

[31]           La demanderesse soutient que, comme Mme Melville n’a pas été contre‑interrogée, je dois considérer que les déclarations qu’elle a faites au sujet de l’emploi sont véridiques. J’estime toutefois que de simples affirmations d’emploi, sans preuve valable pour les étayer, n’équivalent pas à des faits permettant d’établir l’emploi de l’acronyme CDA comme marque de certification depuis 1965 (Aerosol Fillers Inc c Plough (Canada) Ltd, [1979] ACF no 250 (CF 1re inst.), au paragraphe 16). Cela est d’autant plus vrai que, pour l’essentiel, les pièces jointes à l’affidavit de Mme Melville – la seule preuve produite par la demanderesse en l’espèce – ne démontrent pas l’emploi par des personnes autorisées à la date de premier emploi revendiquée pertinente. Tel que la défenderesse le fait remarquer, la demanderesse n’a pas présenté la moindre autorisation faisant preuve de l’emploi depuis 1965, que ce soit devant la Commission, ou en appel au moyen de nouveaux éléments.

 

[32]           Je conclus donc que la demanderesse n’a pas démontré l’emploi dès 1965 de l’acronyme CDA comme marque de certification.

 

C.                 La Commission a‑t‑elle conclu erronément que, compte tenu de l’emploi par la défenderesse de l’acronyme CDA pour viser l’Association dentaire canadienne, la marque CDA de la demanderesse n’était pas distinctive?

[33]           La demanderesse soutient, premièrement, que la Commission n’a pas accordé suffisamment d’importance à l’affidavit de Mme Melville en convenant avec la défenderesse que Mme Melville avait estimé de manière « purement hypothétique » que le nombre de patients traités depuis 1961 par des utilisateurs certifiés en Ontario se comptait par millions. La Commission n’aurait pas accordé suffisamment de poids non plus à la déclaration de Mme Melville selon laquelle il était désormais bien connu en Ontario que la marque CDA désignait les services d’assistance dentaire fournis par des utilisateurs certifiés. La demanderesse ajoute que c’était sans aucun fondement que la défenderesse avait qualifié de « purement hypothétique » la déclaration de Mme Melville, compte tenu du fait, particulièrement, qu’elle n’avait pas contre‑interrogé cette dernière sur son affidavit. Étant donné aussi, selon la demanderesse, que Mme Melville avait également déclaré dans son affidavit qu’il y en avait actuellement 7500 en Ontario, on peut dire sans difficulté que les assistants dentaires certifiés y ont traité des millions de patients depuis 1961. 

 

[34]           La demanderesse soutient deuxièmement que la Commission a mal appliqué le critère juridique énoncé dans Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657 [Bojangles]. Elle prétend que l’emploi occasionnel de l’acronyme CDA par la défenderesse pour désigner son organisation ne permettrait pas de distinguer les services exécutés par celle‑ci des services offerts par d’autres propriétaires, et qu’un tel emploi ne satisfait pas au critère prévu dans Bojangles pour démontrer le caractère non distinctif de la marque de la demanderesse à partir de l’emploi de CDA par la défenderesse.

 

[35]           La demanderesse soutient troisièmement que la Commission a conclu erronément qu’il y avait chevauchement entre ses services et ceux offerts par la défenderesse, étant donné que ses utilisateurs certifiés recourent à la marque pour indiquer que leurs services correspondent à une norme définie, tandis que la défenderesse emploie uniquement l’acronyme comme désignation abrégée de son organisation, laquelle est une association de dentistes.

 

[36]           La demanderesse affirme que même si l’on devait conclure que l’emploi de CDA par la défenderesse constitue l’emploi d’une marque de commerce, cet emploi concerne des services d’association destinés aux dentistes, ce qui diffère fondamentalement de services d’assistance dentaire destinés au public. La demanderesse ajoute que, malgré des décennies de coexistence au sein du secteur dentaire, il n’existe aucune preuve de réelle confusion, et tant le public que les dentistes sont en mesure de distinguer entre sa marque et l’acronyme de la défenderesse, celui‑ci étant presque toujours accompagné dans son emploi de la désignation au long de la défenderesse.

 

[37]           La défenderesse soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que son emploi de l’acronyme CDA suffisait pour faire perdre à la marque CDA de la demanderesse son caractère distinctif. Quant à l’affidavit de Mme Melville, la défenderesse soutient que la Commission a conclu non seulement raisonnablement, mais aussi correctement, que Mme Melville avait évalué de manière purement hypothétique que le nombre de patients traités par des utilisateurs certifiés se comptait par millions, compte tenu particulièrement du fait que cette dernière n’occupait le poste de directrice générale que depuis septembre 2001.

 

[38]           La défenderesse ajoute qu’il est bien établi que les initiales d’un nom de marque peuvent elles‑mêmes constituer une marque de commerce (GSW Ltd c Great West Steel Industries Ltd, 22 CPR (2d) 154, à la page 162 [GSW Ltd]), et que l’emploi d’un nom commercial par un tiers peut fonder la contestation du caractère distinctif d’une marque de commerce (Whole Foods Market IP, LP c Salba Corp NA, 2012 COMC 5, au paragraphe 27).

 

[39]           Enfin, selon la défenderesse, la Commission a conclu raisonnablement et correctement que le grand public était exposé à l’emploi de l’acronyme CDA par la défenderesse au moyen de diverses publications qui le ciblaient et aussi en raison du fait que les services d’assistance dentaire n’étaient offerts que dans les cabinets de dentistes : ces éléments étayent le chevauchement des services offerts par les parties en liaison avec les services dentaires généraux.

 

[40]           Le mot « distinctive » est défini à l’article 2 de la Loi :

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

“distinctive”, in relation to a trade‑mark, means a trade‑mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

[41]           Comme nous l’avons indiqué ci‑dessus, la date pertinente pour trancher la question du caractère distinctif est celle de la production par la défenderesse de son opposition, soit le 15 août 2006.

 

[42]           Lorsqu’une opposante conteste le caractère distinctif d’une marque, il incombe à la requérante d’établir que sa marque distingue véritablement ses marchandises ou services de ceux d’autres propriétaires au Canada ou qu’elle est adaptée à les distinguer ainsi. L’opposante a toutefois le fardeau initial de prouver qu’une autre marque est connue dans une certaine mesure au Canada et y a une réputation « importante, significative ou suffisante » qui permet de faire perdre à la marque contestée son caractère distinctif (Bojangles, aux paragraphes 25 à 34).

 

[43]           J’ai examiné avec soin les témoignages de Deborah Stymiest, Ronald Smith et Bernard Dolansky, ainsi que la transcription du contre‑interrogatoire de ces trois déposants. Leurs témoignages font état de l’emploi depuis de nombreuses années de l’acronyme CDA par des dentistes et les associations dont ils font partie, ainsi que par des assistants dentaires, au Nouveau‑Brunswick, en Colombie‑Britannique et en Ontario. Le Dr Dolansky révèle en outre l’emploi par l’Association dentaire canadienne de « CDA », depuis au moins 1912, comme acronyme désignant l’association au Canada. Selon l’affidavit du Dr Dolansky, de plus, la défenderesse utilise l’acronyme CDA pour communiquer non seulement avec ses membres, mais aussi avec le public, et des tiers utilisent l’acronyme pour désigner la défenderesse, dans des publications comme The National Post et The Globe and Mail et sur Internet.

 

[44]           Il ne fait aucun doute, quant aux services dentaires offerts par la demanderesse et la défenderesse en liaison avec l’acronyme CDA, qu’il existe un certain chevauchement entre les services dentaires généraux exécutés par l’un et l’autre groupe, dont les membres travaillent de concert au sein des mêmes cabinets partout au pays.

 

[45]           Je conclus au vu des faits qui m’ont été présentés que l’emploi de « CDA » par la défenderesse, et la réputation associée à cet acronyme en tant que marque de commerce et plus particulièrement de nom commercial de la défenderesse, suffisent pour faire perdre à l’acronyme CDA employé par la demanderesse au Canada son caractère distinctif.

 

D.        Motifs d’opposition non abordés par la Commission des oppositions

[46]           La défenderesse invoque également ses motifs d’opposition à la marque de certification de la demanderesse que la Commission n’a pas abordés, à savoir que la marque i) donne une description claire au sens des alinéas 38(2)b) et 12(1)b) de la Loi, et ii) n’est pas distinctive, d’après les motifs d’opposition non abordés, soit que l’acronyme CDA de la demanderesse n’est pas distinctif au sens de l’alinéa 38(2)d) et de l’article 2 de la Loi, en ce qu’il ne distingue pas les services de la demanderesse de ceux de l’Association des assistant(e)s dentaires du Nouveau‑Brunswick (AADNB), de la Newfoundland Dental Assistants Association (NDAA) et de la Certified Dental Assistants of British Columbia (CDABC).

 

[47]           S’agissant du motif d’opposition selon lequel l’acronyme CDA de la demanderesse donne une description claire, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la demanderesse invoque le moyen de défense prévu au paragraphe 12(2), selon lequel l’acronyme serait devenu distinctif, et le fait que son emploi de la marque CDA qui donne une description claire est justifié soit en Ontario seulement soit dans l’ensemble du Canada. Tout en reconnaissant que « CDA », en tant qu’acronyme de Certified Dental Assistants, donne une description claire des services offerts par ses membres, la demanderesse affirme qu’il s’agit néanmoins d’une marque enregistrable parce qu’aux termes du paragraphe 12(2), elle a acquis un caractère distinctif. La demanderesse ajoute qu’elle a modifié sa demande d’enregistrement de marque de certification afin de ne revendiquer qu’à l’égard de l’Ontario l’acquisition d’un tel caractère distinctif.

 

[48]           La défenderesse nie l’existence d’une restriction de territoire à l’Ontario, en indiquant que la correspondance pertinente échangée avec le Bureau des marques de commerce ne fait état d’aucune pareille restriction visée par la modification aux termes du paragraphe 12(2) acceptée par le Bureau.

 

[49]           Je conviens avec la demanderesse que si les autres motifs d’opposition n’avaient pas été accueillis, ce motif‑ci devrait être renvoyé à la Commission pour nouvel examen. Il n’en est pas ainsi, toutefois, comme j’en ai décidé précédemment.

 

[50]           Quant aux motifs liés au caractère non distinctif et fondés sur l’emploi de « CDA » par d’autres organismes provinciaux que la Commission n’a pas examinés, je n’ai pas, là encore, à me prononcer à leur sujet. Si, toutefois, j’en étais arrivé à des conclusions contraires quant au non‑emploi depuis 1965 ou à l’absence de caractère distinctif du fait de l’emploi de « CDA » par la défenderesse, je demanderais également à la Commission des oppositions de statuer à nouveau sur ces motifs en lui renvoyant l’affaire.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  L’appel de la demanderesse est rejeté.

2.                  Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1600‑11

 

INTITULÉ :                                                  ONTARIO DENTAL ASSISTANTS ASSOCIATION c.
L’ASSOCIATION DENTAIRE CANADIENNE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 27 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MANSON

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 12 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Robbins

Elizabeth Afolabi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Janet Fuhrer

Andrew Montague

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

RIDOUT & MAYBEE LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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