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Date: 20130311

Dossier : T-247-12

Référence : 2013 CF 262

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

SALOMON DAOUD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES DU CANADA)

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les dates suivantes sont essentielles dans la présente affaire :

a.                   le 5 avril 1936 : monsieur Daoud naît au Liban;

b.                  le 8 octobre 1960 : il arrive au Canada en tant qu’étudiant;

c.                   le 22 décembre 1964 : il obtient un visa de résident permanent;

d.                  le 12 juillet 1988 : il devient citoyen canadien;

e.                   à compter de mai 2001, M. Daoud reçoit une pleine pension de Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, étant considéré comme ayant résidé au Canada pendant quarante ans entre les âges de 18 et 65 ans;

f.                   plus tard la même année, son épouse tombe malade lors d’un voyage au Liban et ne revient jamais au Canada.

 

[2]               La pension de Sécurité de la vieillesse a été accordé à M. Daoud en fonction de ses 40 années de résidence au Canada. Ce droit, une fois accordé, n’est assujetti à aucune obligation de résidence. M. Daoud peut maintenant se déplacer comme bon lui semble. Il pourrait quitter le Canada pour ne jamais y revenir et continuer de recevoir sa pleine pension.

 

[3]               Cependant, il en va autrement du Supplément de revenu garanti. Les prestations du Supplément de revenu garanti sont suspendues après une période de six mois d’absence ininterrompue du Canada ou après six mois de non-résidence au Canada.

 

[4]               En juin 2007, le ministère des Ressources humaines et Développement des compétences Canada entame une enquête afin de « vérifier toutes les entrées et sorties du Canada depuis 03/2005 (avec preuve), pour déterminer si le client est toujours RÉSIDENT PERMANENT ou s’il fait plutôt de la PRÉSENCE dans le but d’obtenir le SRG ».

 

[5]               En avril 2009, le Ministère informe M. Daoud des conclusions de son enquête et l’avise de son inadmissibilité à recevoir des prestations de Sécurité de la vieillesse. Les paiements sont alors interrompus et on lui demande de rembourser un trop-payé de 97,893.05 $, couvrant la période de mai 2001 à mars 2009. En réexamen, le Ministère maintient la décision du 8 avril 2009. Le demandeur porte cette décision en appel auprès du Tribunal de révision. Dans sa décision du 4 novembre 2010, le Tribunal de révision maintient la décision d’annuler le droit de M. Daoud à la pension et exige le remboursement du trop payé. La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

I. LA LOI

 

[6]               La distinction entre « résidence » et « présence » est fondamentale. L’article 21 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse stipule à cet effet que :

21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

 

a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada; et

 

b) une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

 

[…]

 

[Je souligne.]

21. (1) For the purposes of the Act and these Regulations,

 

(a) a person resides in Canada if he makes his home and ordinarily lives in any part of Canada; and

 

(b) a person is present in Canada when he is physically present in any part of Canada.

 

 

 

[My Emphasis.]

 

[7]               Tel que susmentionné, il importe de faire la distinction entre la pension de Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Le programme de pension de Sécurité de la vieillesse est le plus grand programme public de pension au Canada. Il est offert à toutes les personnes âgées de 65 ans ou plus qui satisfont au critère de résidence et au critère du statut légal au Canada. Le Supplément de revenu garanti, quant à lui, est un montant mensuel additionnel attribué aux personnes âgées à faible revenu. Pour avoir droit au Supplément, une personne doit recevoir une pension de Sécurité de la vieillesse et répondre à d’autres conditions d’admissibilité.

 

[8]               En avril 2001, on accorde à M. Daoud un droit à une pleine pension de Sécurité de la vieillesse en raison du fait qu’il avait atteint l’âge de 65 ans et qu’il avait résidé au Canada après l’âge de 18 ans pendant au moins quarante années avant d’avoir fait sa demande de pension.

 

[9]               Plus particulièrement, le sous-alinéa 3(1)c)(iii) de la Loi stipule que :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

 

 

c) celles qui, à la fois :

 

 

(iii) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

 

3. (1) Subject to this Act and the regulations, a full monthly pension may be paid to

 

 

 

[…]

 

(c) every person who

 

[…]

 

(iii) has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least forty years.

 

 

Il s’agissait donc de déterminer si M. Daoud avait « résidé » au Canada, et non simplement s’il y était « présent ».

 

[10]           L’article 9 de la Loi prévoit que les prestations de pension de Sécurité de la vieillesse sont suspendues après six mois d’absence ininterrompue du Canada ou après six mois de non-résidence au Canada. Cependant, les personnes qui justifient 20 ans de résidence avant l’agrément de leur demande ne sont pas visées par cette disposition.

 

[11]           À l’égard du Supplément de revenu garanti, les alinéas 11(7) c) et d) de la Loi prévoient que les prestations seront suspendues après six mois d’absence ininterrompue du Canada ou six mois de non-résidence au Canada, sans exception.

 

II. L’ANALYSE

 

[12]           En l’espèce, il fallait faire la distinction entre deux périodes :

a.       la première se terminant le jour du 65e anniversaire de M. Daoud, soit le 5 avril 2001;

b.      la seconde commençant le 5 avril 2001 même.

Cependant, les décideurs ne tiennent pas compte de cette distinction.

 

[13]           Comme je l’ai mentionné précédemment, l’enquête initiale portait sur l’admissibilité de M. Daoud à recevoir le Supplément de revenu garanti. La demande d’enquête n’avait rien à voir avec son admissibilité à recevoir la pension de Sécurité de la vieillesse.

 

[14]           Or, l’agent d’enquête dépasse largement la portée initiale de l’enquête en se prononçant, dans son rapport, sur l’admissibilité de M. Daoud à la pension de Sécurité de la vieillesse. L’agent d’enquête conclut que M. Daoud ne réside pas au Canada et qu’il y revient uniquement afin d’obtenir le Supplément de revenu garanti. L’agent note : « Aucune attache au Canada, toutes ses attaches sont au Liban. Il fait donc de la présence et non pas de la résidence ». Quoique ce rapport contienne quelques références à la période d’avant 2001, l’essentiel du rapport concerne la période pendant laquelle le demandeur recevait ses prestations de la pension et du Supplément.

 

[15]           Service Canada indique ceci dans sa décision initiale :

Selon les informations obtenues lors de l’enquête, il a été démontré que vous avez établi votre résidence principale au Liban. De ce fait, vous n’étiez pas éligible à recevoir des prestations de la Sécurité de la vieillesse.

 

[16]           Cette déclaration est clairement erronée. L’agent n’indique pas à quel moment M. Daoud a établi sa résidence au Liban. Si le changement de résidence s’est fait après 2001, le Ministère pouvait suspendre les prestations de Supplément de revenu garanti, mais M. Daoud était toujours en droit de recevoir sa pension de Sécurité de la vieillesse.

 

[17]           La décision de Service Canada en réexamen n’est guère mieux. L’agent note :

L’étude a révélée qu’effectivement, vous étiez souvent à l’extérieur du Canada. Vous ne souvenez pas des dates de vos voyages à l’étranger ni de leur durée. Vous n’avez pas été capable de nous fournir (pour vos fréquentes allées et venues à l’étranger) les preuves officielles pouvant confirmer vos dates de départ et de retour pour vos chacune de vos absences du Canada. [sic]

 

[18]           Cette décision en réexamen a mené à la décision du Tribunal de révision, la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. À ce stade il est apparent que la portée de l’enquête dépasse sa portée initiale. Le Tribunal écrit qu’il doit « déterminer si monsieur Daoud se qualifie pour une pension de la Sécurité de la vieillesse. » En d’autres termes, l’enquête concernait maintenant la période précédant le 65e anniversaire de M. Daoud. Il s’ensuit, bien sûr, que s’il était déterminé que M. Daoud n’était pas en droit de recevoir ses prestations de la Sécurité de vieillesse, celui-ci perdrait également son droit de recevoir le Supplément.

 

[19]           Il n’est pas clairement établi que M. Daoud a été informé du changement de la portée de l’enquête. L’essentiel de la preuve présentée par celui-ci concernait sa résidence ou sa présence au Canada après son 65e anniversaire, preuve qui s’est avérée non pertinente.

 

[20]           Le Tribunal note ce qui suit avant de conclure :

[96]      Les attaches de monsieur Daoud sont au Liban. C’est là que réside son épouse, Joséphine, depuis 2001, ainsi que ses deux filles, Rose-Marie et Caroline. Sa troisième fille, Diana, réside aux Etats-Unis.

 

[97]      L’ensemble des preuves démontre qu’il reste au Canada uniquement l’été et le printemps, ce qui ne constitue pas une résidence ordinaire mais plutôt estivale.

 

[98]      Le fait qu’il habite lors de ses passages à Montréal chez un ami et/ou un immeuble d’appartements où à chaque année, il occupe un logement différent démontre une absence d’attaches substantiellement profondes, enracinées et établies au Canada.

 

[21]           Encore une fois, et avec égard, bien que cette analyse soit possiblement fondée en ce qui concerne la résidence de M. Daoud depuis 2001, celle-ci n’a rien à voir avec la question de savoir si M. Daoud a résidé au Canada pendant 40 ans avant son 65e anniversaire. Si c’est effectivement le cas, M. Daoud peut très bien résider à l’extérieur du Canada et continuer de recevoir ses prestations de Sécurité de la vieillesse, mais pas le Supplément de revenu garanti.

 

[22]           Il ne fait aucun doute que l’examen par le Tribunal de la période précédant l’octroi de la pension de M. Daoud est insuffisant. Par ailleurs, même si on avait conclu que M. Daoud n’avait pas résidé au Canada pendant 40 ans, l’analyse ne peut pas simplement s’arrêter là. Outre le critère de 40 ans de résidence, la Loi prévoit d’autres circonstances entraînant l’admissibilité à une pleine pension, lesquelles dépendent du nombre d’années de résidence et de présence au Canada. Nous savons que M. Daoud a passé quatre ans à l’École Polytechnique de Montréal, nous savons qu’il a travaillé pour Québec Cartier Mining et nous savons qu’il est devenu citoyen canadien en 1988, ce qui veut dire qu’il est réputé avoir résidé au Canada pendant trois ou quatre ans immédiatement avant l’octroi de sa citoyenneté. Nous savons aussi qu’il a travaillé pour Hydro-Québec en Haïti, et qu’il est réputé avoir résidé au Canada pendant cette période.

 

[23]           Tel qu’indiqué au paragraphe 9 de sa décision, le Tribunal avait pour mandat de déterminer si M. Daoud était admissible à la pension de Sécurité de la vieillesse. Le Tribunal conclut qu’il ne l’était pas. Il va de soi qu’une telle conclusion entraînerait également l’inadmissibilité au Supplément.

 

[24]           L’omission du Tribunal de limiter la portée de l’enquête à la période précédant le 65e anniversaire de M. Daoud constitue une erreur fatale susceptible de révision. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Savard, 2006 CF 109, [2006] ACF no 126 (QL), le ministre conteste la décision de la Section d’appel de l’immigration déterminant que Mme Savard pouvait parrainer un citoyen du Maroc qu’elle avait rencontré en ligne à titre de partenaire conjugal. En vertu du règlement, l’examen devait concerner l’année précédant la demande de parrainage. J’ai alors conclu que l’omission de limiter l’examen à la période pertinente constituait une erreur susceptible de révision. J’en viens à la même conclusion en l’espèce. 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS PRONONCÉS;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit accordée.

2.                  L’affaire soit renvoyée au Tribunal de révision afin qu’un panel différemment constitué procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-247-12

 

INTITULÉ :                                      DAOUD c PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 19 FÉVRIER 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 11 MARS 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me André Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Carole Vary

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alarie Legault – Cabinet d’avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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