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Date: 20130312

Dossier : T-893-12

Référence : 2013 CF 263

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2013

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

SYLVAIN DUFRESNE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

 

[1]               La défenderesse présente cette requête aux termes des règles 298(2) b) et 358 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]. Elle recherche le rejet de la déclaration amendée et de l’action simplifiée intentée contre elle par Sylvain Dufresne (M. Dufresne), le 28 décembre 2012.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, cette requête est accueillie.

 

II.        Les faits

 

[3]               Le 18 septembre 2009, M. Dufresne est condamné par le juge Marc Bisson de la Cour du Québec à purger une peine de 7 mois et 15 jours assortie d’une période consécutive de 10 ans de surveillance de longue durée à titre de délinquant à contrôler.

 

[4]               M. Dufresne est assigné en résidence au Centre correctionnel communautaire Hochelaga [CCC Hochelaga], sous l’autorité du Service correctionnel du Canada [SCC].

 

[5]               Son agente de libération conditionnelle est responsable de la gestion de son risque en communauté, et à ce titre, elle administre ses heures de sortie.

 

[6]               M. Dufresne conteste les décisions de son agente portant sur ses heures de sortie.

 

[7]               Il dépose un grief auprès du SCC le 6 janvier 2012 (dossier V30R00007409) et s’adresse également, le 17 janvier 2013, à la Cour supérieure du Québec à Montréal au moyen d’une requête en habeas corpus et certiorari ancillaire, alléguant l’illégalité de sa détention au CCC Hochelaga entre les 8 décembre 2011 et 19 janvier 2012.

 

[8]               Dans les conclusions à sa requête en habeas corpus, M. Dufresne demande à la Cour, entre autres, de :

(1)        déclarer illégale la détention du requérant; et

(2)        ordonner que l’horaire de sortie élaboré par le SCC soit nul pour défaut de compétence et parce qu’il viole l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) [Charte].

 

[9]               L’Honorable Marc André Blanchard rend son jugement le 16 février 2012. Il rejette la requête de monsieur Dufresne. Il réfère précisément au paragraphe 35 de la requête de M. Dufresne qui se lit comme suit : « [l]e requérant soumet à cette cour que ce dernier se voit imposer illégalement de la détention par des horaires de sortie imposés par le SCC et des mesures de détention en CCC alors que la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous conditions L.C. 1992, ch. 20 ne lui a pas octroyé un tel pouvoir » :

« Considérant qu’il va de soit également que la Commission des libérations conditionnelles quan[d] elle impose l’obligation de demeurer à un endroit spécifique telle qu’elle le vient de le réimposer dans sa décision du 22 décembre 2011 et présume connaître les modalités d’exercices qui s’appliquent à l’endroit de cette condition : de demeurer dans un endroit spécifique.

 

Considérant qu’il s’infère également logiquement que la personne ainsi soumise à cette condition par la commission doit respecter les règlements en vigueur dans les établissements en question.

 

Ici en occurrence, celui du centre correctionnel communautaire Hochelaga, Ogilvy et Sherbrooke.

 

[…]

 

Considérant qu’ici la détention que l’on peut qualifier pour les fins de l’exercice de privation résiduelle de liberté n’est pas illégale puisqu’elle apparaît entièrement justifiée, non seulement en égard à l’esprit et à la lettre de la décision de la Commission des libérations conditionnelles mais également aux articles 134(1) et 134(2) de la Loi. » (voir Dufresne c Directeur du CCC Hochelaga et al, Cour Supérieure de Montréal, rendu par l’Honorable juge Blanchard, le 16 février 2012, pages 30 et 31 du dossier de la défenderesse).

 

[10]           M. Dufresne interjette appel de la décision du juge Blanchard, puis se désiste le 31 janvier 2013.

 

[11]           Le 28 décembre 2012, M. Dufresne dépose une action simplifiée contre la défenderesse. Il y allègue :

« 2.      En date du jeudi le 22 décembre 2011 vers 11h00, alors que le demandeur (Sylvain Dufresne) résidait au CCC Hochelaga (Centre correctionnel communautaire), avait un rendez-vous avec la défenderesse (Service correctionnel du Canada), à l’établissement CCC Hochelaga. Le demandeur rencontre son ALC (Agents de libération conditionnelle) Chantal Bérubé, le demandeur se voit remettre son horaire de sortie (Laissez-passer) pour la semaine du 2011-12-23 au 2011-12-29 par son ALC.

 

3.                  Le demandeur a constaté que son horaire en date du 25 décembre 2011 comportait un [bloc] de 2h manquant qui a été volontairement retranché de son horaire par son ACL.

 

[…]

 

6.                  Le 25 décembre 2011, le demandeur a été contraint de rester enfermé au CCC Hochelaga en avant midi et n’a pas été possible qu’il puisse sortir pour se nourri[r], vu que le CCC Hochelaga ne fournit pas de service de nourriture, mais pourtant l’article 83(2) a) du RSCMLSC (règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition) dit :  83(2) Le service doit prendre toutes les mesures utiles pour que la sécurité de chaque détenu soit garanti et que chaque détenu :  a)  soit habillé et nourri convenablement.

 

[…]

 

10.       Suite à la réponse non satisfaisante du RALC et de l’acharnement de mon ALC, le demandeur rédige une plainte le 6 janvier 2012 et qui comporte le numéro V30R00007409 dans le but de faire cesser cette pratique harcelante et tyrannique pratiqué[e] par l’ÉGC (équipe de gestion de cas).

 

[…]

 

16.              Le demandeur a subi une période de détention de 2h, le 25 décembre 2011 de façon arbitraire, comme moyen de contrainte et de façon cruel[le] (sans nourrir le demandeur) dans un contexte répressif. Voici la liste des lois, règlements et directives que le CCC n’a pas respecté :

 

LSCMLSC

 

Moyens de contrainte

 

68.    Il est interdit d’user de moyens de contrainte à titre de sanction contre un délinquant.

 

Cruauté

 

69.    Il est interdit de faire subir un traitement inhumain, cruel ou dégradant à un délinquant, d’y consentir ou d’encourager un tel traitement.

 

La charte des droits et libertés du Canada

 

Article 7 :  le droit à la liberté

 

Article 9 :  chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraire.

 

RSCMLSC

 

Article 83(2) a) nourrir convenablement

 

Directive des commissaires 706

 

Paragraphe 36 :  que le CCC est un établissement à sécurité minimum

 

Directive des commissaires 714

 

Paragraphe 5 : le directeur de district veillera à ce que les CCC respecte l’ensemble des lois et règlements fédéraux, territoriaux, provinciaux, municipaux et locaux pertinent[s]. » (voir la déclaration d’action du demandeur)

 

[12]           Il conclut par une demande de condamnation en dommages intérêts de 15 500$ majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, LRQ, 1991, c C-1991 [CcQ] « pour privation de liberté et préjudice moral du 25 décembre 2011, le demandeur réclame pour les préjudices subites(sic) par faute de la défenderesse la somme de cinq cents cinquante (sic) dollars (500$), pour dommage punitif et exemplaire dû au comportement arbitraire, opressif (sic) et tyrannique de mon ACL une somme de dix mille (10 000$) et un montant de cinq mille (5 000$) pour dommages moraux et préjudice subit pour la période du 8 décembre 2011 au 23 février 2012 pour le harcèlement subit, l’intimidation et le non respecte (sic) des droits du demandeurs pour un total de quinze mille cinq cent dollars(15 500$) plus intérêts et les dépens » (voir la déclaration d’action du demandeur).

 

[13]           La défenderesse s’oppose à cette action simplifiée en faisant valoir un moyen de non-recevabilité fondé sur l’absence de cause d’action et sur l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

 

III.       Législation

 

[14]           Les dispositions applicables de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, du Code civil du Québec, LRQ, c C-1991, de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11)) et des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, sont reproduites en annexe à la présente décision.

 

 

IV.       Question en litige

 

                     La défenderesse a-t-elle établi tous les éléments donnant ouverture à sa requête en rejet d’action pour absence de cause valable ou à l’application de la préclusion découlant d’une chose jugée et dans l’affirmative la Cour doit-elle y faire droit?

 

V.        Positions des parties

 

A.                Position de la défenderesse

 

[15]           La défenderesse soutient que la Cour doit accueillir sa requête parce qu’elle satisfait aux termes de la règle 298(2) b) des Règles de cette Cour, en ce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable même si les faits y allégués seraient avérés. Elle réfère la Cour à la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 (CanLII) aux para 17 et 22.

 

[16]           La défenderesse prétend également que le demandeur ne peut réussir dans son action simplifiée vu l’absence de faute au sens du CcQ ou de violation de son droit à la liberté ou  pour cause de détention arbitraire en vertu de la Charte.

 

[17]           La cause d’action découle d’une détention illégale d’une durée de deux heures qui serait survenue au CCC Hochelaga le 25 décembre 2011, suite à une décision de son agente de libération conditionnelle de retrancher deux de ses heures de sortie.

 

[18]           La défenderesse s’appuie sur le jugement rendu le 16 février 2012 par le juge Blanchard de la Cour supérieure du Québec à Montréal rejetant la requête en habeas corpus présentée par le demandeur, pour soutenir que la détention de M. Dufresne était légale et qu’en conséquence il ne saurait y avoir de faute, ni de droit à des dommages, dommages punitifs et exemplaires pour atteinte illicite à son droit à la liberté protégé par la Charte ou pour détention arbitraire.

 

[19]           Enfin, la défenderesse plaide que l’action du demandeur est chose jugée puisque les trois critères énoncés par la Cour suprême dans l’affaire Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 au para 25 [Danyluk] sont satisfaits en ce que :

(1)        la même question a été décidé dans la requête en habeas corpus que celle qui doit être tranchée dans l’action simplifiée;

(2)        que  la décision judiciaire dans la requête en habeas corpus qui crée la préclusion est finale; et

(3)        que les parties sont les mêmes tant dans la requête en habeas corpus que dans l’action simplifiée du demandeur.

 

[20]           La défenderesse soutient de plus qu’en l’instance il appartient donc à la Cour d’utiliser son pouvoir discrétionnaire et d’appliquer la préclusion afin de mettre fin à une multiplication inutile de recours à partir des mêmes faits puisque le demandeur s’est prévalu de son droit de se porter requérant en habeas corpus. Il ne peut multiplier indûment les recours.

 

[21]           Enfin, la défenderesse rappelle à la Cour que même si le demandeur prétend que son action simplifiée vise le harcèlement, l’intimidation et le non-respect de ses droits qui sont étrangers à la gestion de son horaire, elle ne saurait faire obstacle à l’application de la préclusion, compte tenu qu’elle est mal fondée en fait, et qui plus est, elle repose sur des faits imprécis et ne révèle aucune cause d’action valable donnant de ce fait ouverture à l’application de la règle 221(1) a) des Règles de la Cour.

 

B.        Position de M. Dufresne

 

[22]           Le demandeur se représente lui-même. Il dépose devant la Cour une réponse écrite qui résume bien ses prétentions.

 

[23]           Dans un premier temps, il soutient que les éléments constitutifs de faute qu’il reproche à la défenderesse n’ont pas été traités explicitement dans le jugement rejetant sa requête en habeas corpus puisque le jugement du juge Blanchard ne fait aucune mention de la détention du 25 décembre 2011.

 

[24]           Puis, il souligne que son action simplifiée déborde le simple cadre de la gestion de ses sorties, car elle vise l’ensemble des gestes d’intimidation et de harcèlement posés à son endroit par son agent de libération conditionnelle qui veut l’empêcher de déposer des plaintes et griefs (voir réponse écrite du demandeur, paragraphe 3, page 4 du dossier du demandeur).

 

[25]           Le demandeur rappelle également que par sa décision du 16 janvier 2012, qui ne lui a été remise que le 20 janvier 2012, la défenderesse reconnaissait le bien-fondé partiel de sa plainte portant sur sa détention du 25 décembre 2011, alors que la directrice du CCC Hochelaga, madame Angèle Côté, écrivait dans sa réponse à la plainte :

« […] Tel que discuté durant l’entrevue, en aucun moment il ne vous a été interdit de rencontrer vos avocats pour le traitement de vos différentes causes, plaintes et griefs. Toutefois, il vous est demandé d’utiliser le temps impartis pour ce faire et éviter de prolonger vos heures de sorties sous prétexte que vous avez plusieurs rencontres avec des avocats.

 

Dass le cadre de la rencontre que nous avons eue, je vous ai mentionné que si vos rencontres avec des avocats reconnus étaient justifiées et vérifiables, vous n’auriez pas à reprendre du temps sur vos horaires de fin de semaine. Par contre, je vous rappelle que cette décision pourrait être révisée dans l’éventualité où un abus de votre part serait constaté.

 

Ainsi, votre plainte est maintenue en partie puisque les heures ne seront pas reprises sur les horaires de fins de semaine lorsqu’il s’agit de rencontres vérifiables avec des avocats. Une mesure a été prise à cet effet et j’ai demandé à votre équipe de gestion de cas de ne plus vous retrancher d’heures dans ces circonstances. Toutefois, la partie de la plainte traitant de préjudice physique et moral est refusée puisque vous n’avez pas démontré avoir subi un tel préjudice. […] » (voir annexe A, onglet 1, dossier de requête de la défenderesse)

 

[26]           Le demandeur soutient de plus que cette faute reconnue par la directrice du centre n’a fait l’objet d’aucun jugement antérieur.

 

[27]           Il rappelle aussi que son action simplifiée vise la privation de nourriture et que cet élément n’a fait l’objet d’aucun jugement.

 

[28]           Enfin, il plaide que la Cour fédérale n’est pas liée par les décisions administratives de la Cour supérieure du Québec et le recours en habeas corpus n’a pas le même fondement juridique que l’action en dommages.

 

VI.       Analyse

 

[29]           Dans sa décision Angle v Canada (ministre du Revenu national), [1975] 2 RCS 248, la Cour Suprême énonce les conditions à satisfaire avant d’appliquer le  principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Ainsi, la Cour cite, à la page 254, Lord Guest dans l’arrêt Carl Zeiss Stiftung c Rayner & Keeler Ltd (No. 2), [1967] 1 AC 853, à la page 935, qui définit les conditions de l’issue estoppel comme exigeant :

« (1)     que la même question ait été décidée;

 

(2)        que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale;  et

 

(3)        que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit… »

 

[30]           Dans sa décision Danyluk, précitée, la Cour suprême précise, au paragraphe 33, quant à l’applicabilité de la préclusion d’une question déjà tranchée, que celle-ci mérite une analyse à deux volets. Elle écrit :

« Les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée justice soit rendue.( Il existe des intérêts privés correspondants) Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant (en l’occurrence l’intimée) a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncés par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité. Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée :British Columbia (Minister of Forests) c Bugbusters Pest management Inc,(1998) , 50 B .C.L.R.(3d) 1 (C.A.)par. 32 […] ».

 

[31]           Il appartient donc à la Cour d’analyser dans un premier temps les faits et les recours intentés afin de vérifier si les trois conditions énoncées par la Cour suprême sont satisfaites. En cas de réponse affirmative, la Cour doit également considérer s’il est du meilleur intérêt de la justice d’appliquer cette forme de préclusion au cas devant elle.

 

[32]           En l’instance, il ne fait aucun doute que nous sommes en présence des mêmes parties soit le demandeur, Sylvain Dufresne, qui s’est porté requérant en habeas corpus et l’intimé, le Procureur général du canada, ayant droit de Sa Majesté du chef du Canada à la présente requête en rejet aux termes de la Règle 298(2) b) des Règles de cette Cour.

 

[33]           La Cour constate également que la décision du juge Blanchard rendue le 16 février 2012, sur la requête en habeas corpus de Sylvain Dufresne, est maintenant finale. M. Dufresne a porté cette décision en appel le 22 mars 2012, pour s’en désister subséquemment le 31 janvier 2013. Deux des trois conditions à l’application de la préclusion découlant de la chose jugée sont donc réunies.

 

[34]           Mais qu’en est-il du troisième critère? L’action simplifiée intentée par M. Dufresne porte-t-elle sur la même question qui a fait l’objet du jugement du juge Blanchard de la Cour supérieure du Québec à Montréal?

 

[35]           La défenderesse soutient que les faits et les droits mis en cause par M. Dufresne dans son action simplifiée sont les mêmes que ceux soulevés et tranchés par la Cour supérieure le 16 février 2012. Par ailleurs, M. Dufresne prétend que son action simplifiée soulève des questions plus larges puisqu’elle vise le harcèlement et l’intimidation dont il prétend être victime depuis son transfert au CCC Hochelaga. À la lecture des allégués de l’action simplifiée intentée par M. Dufresne, la Cour convient que la décision de lui imposer deux heures de détention le matin du 25 décembre 2011 se trouve au cœur même du litige. Le recours en habeas corpus intenté par M. Dufresne précisait, au paragraphe 29, qu’ «[E]ntre le 8 décembre 2011 et le 19 janvier 2012, le SCC impose au requérant une période de détention au CCC Hochelaga de 18 heures par jour.» Les paragraphes 30, 31 et 32 faisaient état de certains incidents dont celui du 25 décembre, lesquels constituaient, selon M. Dufresne, de la détention illégale contraire aux articles 68,134.1 et 134.2 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCMLSC], ainsi qu’à l’article 7 de la Charte. De plus, le défendeur dans la requête en habeas corpus présentée en Cour supérieure avait déposée copie des horaires détaillés de M. Dufresne couvrant toutes les semaines depuis son arrivée au CCC Hochelaga.

 

[36]           Par ailleurs, M. Dufresne recherche une condamnation en dommages au montant de 15 500$ dans son action simplifiée alors que sa requête en habeas corpus tentait plutôt de faire déclarer sa détention illégale, particulièrement en ce qu’elle limitait ses heures de sortie et violait ainsi l’article 7 de la Charte.

 

[37]           Néanmoins, la Cour doit déterminer si la décision du juge Blanchard avait disposé des faits et questions de droits soulevés par M. Dufresne dans son action simplifiée.

 

[38]           La Cour constate que le juge Blanchard n’avait d’autres choix que de se pencher sur l’ensemble des heures de sortie, des mesures de détention et plus particulièrement sur la détention du 25 décembre 2011. D’ailleurs le premier paragraphe de sa décision précise que « […].la question en litige telle que soumise par le requérant au paragraphe 35 de sa requête qui se lit comme suit :  le requérant soumet à cette cour, que ce dernier se voit imposé illégalement de la détention par des heures de sorties imposés par le SCC et des mesures de détention en CCC alors que la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous conditions ne lui a octroy[é] un tel pouvoir. »

 

[39]           Il devient alors évident que le jugement du juge Blanchard sur la requête en habeas corpus porte sur la légalité de la détention de M. Dufresne et de l’ensemble des mesures qui lui ont  été imposées entre les 8 décembre 2011 et le 19 janvier 2012. D’ailleurs, le dossier contient une copie des horaires détaillés de M. Dufresne pour la durée de sa détention au CCC Hochelaga. Ce sont ces mêmes mesures prises par le CCC Hochelaga qui servent de fondement à l’action simplifiée intentée par M. Dufresne et sur lesquelles il s’appuyait pour intenter  une partie de son recours en habeas corpus. À la lumière de cette constatation, force nous est de conclure que le troisième critère est satisfait.

 

[40]           Monsieur Dufresne soulève un autre argument à l’encontre de l’application de la préclusion découlant de la chose jugée, soit que la directrice du CCC Hochelaga  lui a donné partiellement raison sur sa plainte portant sur le retranchement des deux heures le 25 décembre 2011. Selon lui, cette reconnaissance partielle du bien-fondé de sa plainte justifie que cette Cour lui permette de poursuivre son action en dommages.

 

[41]           La Cour ne peut souscrire à un tel argument, car même si la directrice du centre Hochelaga  écrit le 20 janvier 2012 qu’il n’y aura plus d’heures de retranchées à moins d’abus de la part de M. Dufresne, cet écrit ne constitue pas un aveu de responsabilité donnant droit à un recours en dommages.

 

[42]           Dans l’affaire Merchant Law Group c Canada (Agence du Revenu), 2010 CAF 184, 405 NR 160, la Cour d’appel fédérale nous rappelle, au paragraphe 35 de sa décision, que pour établir le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, il faudra prouver que le fonctionnaire a agi délibérément d’une manière qu’il savait incompatible avec les obligations de sa charge. La Cour d’appel fédérale s’appuie sur le jugement de la Cour suprême du Canada dans Odhavji Estate c Woodhouse, [2003] 3 RCS 263. Il est clair dans le présent dossier que les faits, même s’ils étaient avérés, n’établissent nullement l’intention de l’agent de libération conditionnelle de M. Dufresne d’agir de façon contraire à la loi.

 

[43]           Enfin, à la lecture de la déclaration qui se trouve au dossier, sans spéculer sur les ajouts que M. Dufresne pourrait vouloir y apporter, il est clair que l’on se retrouve devant une absence de cause d’action valable, puisque les décisions de gestion de l’horaire de M. Dufresne ont été déclarées légales par le juge Blanchard. De plus, les termes des règles 174 et 181 des Règles de cette Cour ne sont pas respectés puisque les allégués sont vagues et que l’on ne peut déceler les éléments essentiels d’une action en responsabilité.

 

[44]           Le principe veut que les décisions des Cours soient finales, afin d’éviter dans la mesure du possible la multiplication des litiges qui reposent sur les mêmes faits lorsqu’un tribunal s’y est déjà penché et a rendu une décision qui en dispose. Ce principe vaut même dans les cas où toutes les conditions d’application de la préclusion reposant sur la chose jugée ne sont pas réunies (voir Oriji c Canada, 2006 CF 1539 (CanLII); Peter G. White Management Ltd c Canada (ministre du Patrimoine canadien), 2006 FCA 190 (CanLII); et Peter G. White Management Ltd c Canada (ministre du Patrimoine canadien), 2004 FC 346 (CanLII)).

 

[45]           En l’instance,  comme il est clair que le jugement sur la requête en habeas corpus a tranché sur la légalité des mesures prises à l’encontre du comportement de M. Dufresne, y compris son allégué sur la privation de nourriture, il n’existe donc pas de raisons valables de permettre que les mêmes faits soient représentés à un autre tribunal. D’autant plus qu’une autre instance s’est également penchée sur ces mêmes gestes et mesures dans le cadre du processus de plaintes et de griefs du CCC Hochelaga. Permettre l’existence d’un troisième recours qui se fonde sur les mêmes faits et qui ne peut réussir même si les faits étaient avérés (voir Canada c Grenier, 2005 CAF 348 au para 61 (Can LII) infirmé en partie par la Cour suprême, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62), ne saurait servir les fins de la justice.

 

[46]           Étant convaincue que les critères pour l’application de la préclusion découlant de la chose jugée sont satisfaits et que l’action simplifiée déposée par M. Dufresne ne présente pas de causes d’actions valables même si les faits allégués étaient avérés la Cour accueille la requête de la défenderesse.


ORDONNANCE

 

LA COUR accueille  la requête de la défenderesse, ordonne que soit radiée la déclaration du demandeur dans sa totalité et rejette l’action simplifiée du demandeur, sans possibilité d’amendement. Le tout sans frais.

 

 

« André F. J. Scott »

Juge

 


 

ANNEXE

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20

Corrections and Conditional Release Act, SC 1992, c 20

 

Moyens de contrainte

 

68. Il est interdit d’user de moyens de contrainte à titre de sanction contre un délinquant.

 

Cruauté

 

69. Il est interdit de faire subir un traitement inhumain, cruel ou dégradant à un délinquant, d’y consentir ou d’encourager un tel traitement.

 

Instruments of restraint

 

68. No person shall apply an instrument of restraint to an offender as punishment.

 

Cruel treatment, etc.

 

69. No person shall administer, instigate, consent to or acquiesce in any cruel, inhumane or degrading treatment or punishment of an offender.

 

Conditions

 

134.1 (1) Sous réserve du paragraphe (4), les conditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

 

Conditions imposées par la Commission

 

(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

 

Période de validité

 

(3) Les conditions imposées par la Commission en vertu du paragraphe (2) sont valables pendant la période qu’elle fixe.

 

Dispense ou modification des conditions

 

(4) La Commission peut, conformément aux règlements, soustraire le délinquant, au cours de la période de surveillance, à l’application de l’une ou l’autre des conditions visées au paragraphe (1), ou modifier ou annuler l’une de celles visées au paragraphe (2).

Conditions

 

134.1 (1) Subject to subsection (4), every offender who is required to be supervised by a long-term supervision order is subject to the conditions prescribed by subsection 161(1) of the Corrections and Conditional Release Regulations, with such modifications as the circumstances require.

 

Conditions set by Board

 

(2) The Board may establish conditions for the long-term supervision of the offender that it considers reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender.

 

Duration of conditions

 

(3) A condition imposed under subsection (2) is valid for the period that the Board specifies.

 

 

Relief from conditions

 

(4) The Board may, in accordance with the regulations, at any time during the long-term supervision of an offender,

 

(a) in respect of conditions referred to in subsection (1), relieve the offender from compliance with any such condition or vary the application to the offender of any such condition; or

 

(b) in respect of conditions imposed under subsection (2), remove or vary any such condition.

 

Instructions

 

 

134.2 (1) Le délinquant qui est surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée doit observer les consignes que lui donne son surveillant de liberté conditionnelle, un membre de la Commission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste en vue de prévenir la violation des conditions imposées ou de protéger la société.

Instructions to offenders subject to long-term supervision order

 

134.2 (1) An offender who is supervised pursuant to a long-term supervision order shall comply with any instructions given by a member of the Board or a person designated, by name or by position, by the Chairperson of the Board or by the Commissioner, or given by the offender’s parole supervisor, respecting any conditions of long-term supervision in order to prevent a breach of any condition or to protect society.

 

 

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620

 

Corrections and Conditional Release Regulations, SOR/92-620

83(2) Le Service doit prendre toutes les mesures utiles pour que la sécurité de chaque détenu soit garantie et que chaque détenu :

 

a) soit habillé et nourri convenablement;

 

b) reçoive une literie convenable;

 

c) reçoive des articles de toilette et tous autres objets nécessaires à la propreté et à l'hygiène personnelles;

 

d) ait la possibilité de faire au moins une heure d'exercice par jour, en plein air si le temps le permet ou, dans le cas contraire, à l'intérieur.

 

83(2) The Service shall take all reasonable steps to ensure the safety of every inmate and that every inmate is

 

(a) adequately clothed and fed;

 

(b) provided with adequate bedding;

 

(c) provided with toilet articles and all other articles necessary for personal health and cleanliness; and

 

(d) given the opportunity to exercise for at least one hour every day outdoors, weather permitting, or indoors where the weather does not permit exercising outdoors.

 

 

 

Code civil du Québec, LRQ, c C-1991

 

Civil Code of Québec, LRQ, c C-1991

1619

 

Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l'une ou l'autre des dates servant à calculer les intérêts qu'ils portent, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé pour les créances de l'État en application de l'article 28 de la Loi sur l'administration fiscale (chapitre A-6.002) sur le taux d'intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal.

1619

 

An indemnity may be added to the amount of damages awarded for any reason, which is fixed by applying to the amount of the damages, from either of the dates used in computing the interest on them, a percentage equal to the excess of the rate of interest fixed for claims of the State under section 28 of the Tax Administration Act (chapter A-6.002) over the rate of interest agreed by the parties or, in the absence of agreement, over the legal rate.

 

 

Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11)

Canadian Charter of Rights and Freedoms (Part 1 of The Constitution Act, 1982, Schedule B to the Canada Act 1982 (UK), 1982, c 11)

 

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

7.    Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice. 

9.  Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. 

9.    Everyone has the right not to be arbitrarily detained or imprisoned. 

 

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

 

Federal Courts Rules, SOR/98-106

174. Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits.

 

174. Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

181. (1) L’acte de procédure contient des précisions sur chaque allégation, notamment :

 

a) des précisions sur les fausses déclarations, fraudes, abus de confiance, manquements délibérés ou influences indues reprochés;

 

b) des précisions sur toute allégation portant sur l’état mental d’une personne, tel un déséquilibre mental, une incapacité mentale ou une intention malicieuse ou frauduleuse.

 

Précisions supplémentaires

 

(2) La Cour peut, sur requête, ordonner à une partie de signifier et de déposer des précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans l’un de ses actes de procédure.

 

181. (1) A pleading shall contain particulars of every allegation contained therein, including

 

(a) particulars of any alleged misrepresentation, fraud, breach of trust, wilful default or undue influence; and

 

(b) particulars of any alleged state of mind of a person, including any alleged mental disorder or disability, malice or fraudulent intention.

 

Further and better particulars

 

(2) On motion, the Court may order a party to serve and file further and better particulars of any allegation in its pleading

298(2) Une requête peut être présentée dans le délai prévu à la règle 204 pour la signification et le dépôt de la défense :

 

a) soit pour contester la compétence de la Cour;

 

b) soit pour faire radier une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable.

 

298(2) A motion may be brought, within the time set out in rule 204 for the service and filing of a statement of defence,

 

(a) to object to the jurisdiction of the Court; or

 

(b) to strike a statement of claim, on the ground that it discloses no reasonable cause of action.

 

 

Application

 

358. La présente partie s’applique aux requêtes autres que celles pour autorisation d’appeler visées à la partie 6.

Application

 

358. This Part applies to motions other than motions for leave to appeal under Part 6.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-893-12

 

INTITULÉ :                                      SYLVAIN DUFRESNE

                                                            et

                                                            SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             18 février 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     12 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sylvain Dufresne

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Nicholas Banks

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sylvain Dufresne

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

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