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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130313

Dossiers : IMM-2328-12

IMM-4970-12

 

Référence : 2013 CF 265

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

Dossier : IMM-2328-12

ENTRE :

 

 

ANOWARA BEGUM

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

Dossier : IMM-4970-12

ET ENTRE :

 

 

 

 

ANOWARA BEGUM

 

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) visant deux décisions d’un agent principal d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent). La première décision portait rejet de la demande d’Anowara Begum (la demanderesse), qui sollicitait, au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, une dispense pour motifs d’ordre humanitaire de la condition prévue au paragraphe 11(1) de la LIPR l’obligeant à présenter sa demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada. La seconde décision a, sur réexamen, confirmé le rejet de la demande.

 

[2]               La demanderesse, qui est âgée de 68 ans, est originaire du Bangladesh. Elle est arrivée au Canada le 6 octobre 2006 en tant que visiteur, munie d’un visa de résident temporaire. Elle a, le 25 novembre 2008, présenté une demande d’asile qui, le 30 novembre 2010, a été rejetée par une formation de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Le 6 mai 2011, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’elle avait déposée à l’encontre de cette décision.

 

[3]               Par lettre de son conseiller en immigration datée du 26 février 2011, la demanderesse a sollicité la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). Elle invoquait 1) les liens d’interdépendance existant entre elle et la famille de sa fille, chez qui elle habite, 2) les difficultés auxquelles il lui faudrait faire face si elle retournait au Bangladesh, 3) son établissement au Canada, et 4) l’intérêt supérieur de ses petits-enfants. La demande CH a été rejetée le 2 février 2012 par décision communiquée à la demanderesse le 22 février 2012 (la décision).

 

[4]               Le mari de la demanderesse, qui a vécu au Bangladesh pendant toute la période qu’elle a passée au Canada, est mort le 7 janvier 2012. Le conseiller en immigration de la demanderesse, qui ne savait pas que la décision avait déjà été rendue, a, le 10 février 2012, fait part du décès au bureau des dossiers en attente de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). La demanderesse a reçu la décision le 22 février 2012, et, le 27 février 2012, son conseiller a écrit à l’agent auteur de la décision, demandant un réexamen compte tenu du décès du mari de la demanderesse. La demande CH, réexaminée par l’agent le 9 mars 2012, a été à nouveau rejetée (le réexamen).

 

[5]               Le 8 mars 2012, la demanderesse a déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire concernant la décision (IMM-2328-12), puis le 23 mai 2012, une demande d’autorisation de contrôle judiciaire touchant le réexamen (IMM-4970-12). Par deux ordonnances distinctes, toutes les deux datées du 13 novembre 2012, la Cour a autorisé le contrôle judiciaire de la décision (IMM-2328-12) et du réexamen (IMM-4970-12), les deux affaires devant être entendues ensemble. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de ces deux affaires.

 

II.        Thèses des parties

A.        Les arguments de la demanderesse

[6]               La demanderesse fait essentiellement valoir que le temps qu’elle a passé au Canada, l’interdépendance financière et affective qui la lie à la famille de sa fille, et la marginalisation à laquelle elle s’exposerait à son retour au Bangladesh doivent porter à conclure qu’elle subirait des difficultés inhabituelles et excessives si on l’obligeait à quitter le Canada. Étant donné, en outre, que la fille et le gendre de la demanderesse travaillent toute la journée pendant la semaine, son départ obligerait sa fille à rester chez elle avec les enfants, ou à engager une tierce personne pour s’occuper d’eux. Il s’agirait, dans l’un et l’autre cas, d’une moins bonne solution que de confier les enfants à la demanderesse, une proche parente, et le revenu de la famille s’en trouvera sensiblement réduit, ce qui ne serait pas dans l’intérêt supérieur des enfants, pas plus que ne le serait le fait de rompre la relation affective qu’ils entretiennent avec leur grand‑mère. La demanderesse soutient qu’il a été, de la part de l’agent, déraisonnable de n’accorder aucun poids à son établissement au Canada, affirmant par ailleurs que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants.

 

[7]               En ce qui concerne le réexamen, la demanderesse fait valoir que la conclusion de l’agent voulant que le décès de son mari n’ait qu’une mince incidence sur sa situation va à l’encontre des nouveaux éléments de preuve qui ont été produits, ou n’en tient aucun compte. La conclusion voulant qu’en quittant le Canada, la demanderesse ne s’exposerait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, est déraisonnable. L’agent n’aurait pas dû, en outre, tirer de conclusion au sujet de la situation financière de la demanderesse sur la base de renseignements figurant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), qui remontait à trois ans, étant donné que sa situation avait changé depuis lors, comme le démontrent les arguments accompagnant la demande de réexamen. L’agent a manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas à la demanderesse la possibilité de s’expliquer sur les apparentes contradictions avant d’en tirer des conclusions défavorables.

 

B.        Les arguments du défendeur

[8]               Le défendeur fait essentiellement valoir que la demanderesse demande à la Cour de réévaluer la preuve et d’aboutir à une conclusion différente. Dans la mesure, cependant, où l’agent a pris en compte les facteurs pertinents, la Cour ne saurait revenir sur le poids qu’il a accordé à ces divers facteurs, même si elle les aurait elle-même évalués différemment. Le pouvoir de dispenser quelqu’un des conditions requises en matière de résidence permanente revêt un caractère exceptionnellement discrétionnaire. L’agent qui exerce ce pouvoir a droit à un degré considérable de déférence.

 

[9]               Selon le défendeur, l’agent a dûment pris en compte les observations présentées par la demanderesse, y compris celles touchant les six années qu’elle a passées au Canada, les liens d’interdépendance qui l’unissent à la famille de sa fille, et l’intérêt supérieur de ses petits-enfants. La procédure d’examen des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à éliminer toutes les difficultés inhérentes au fait d’être obligé de quitter un endroit où l’on a vécu un certain temps, mais à éviter les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives que peut entraîner le fait qu’un demandeur soit obligé de quitter le Canada et, suivant la procédure habituelle, de présenter une demande à partir de l’étranger. L’agent a raisonnablement conclu que le fait d’avoir à rentrer au Bangladesh n’entraînerait pas pour la demanderesse des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[10]           L’agent a procédé au réexamen de son rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, tenant notamment compte du décès du mari, mais, selon lui, bien que la demanderesse soutienne que, si elle rentrait au Bangladesh, elle se retrouverait seule et démunie, cela ne cadre pas avec le contenu du dossier. L’agent n’était aucunement tenu de demander des éclaircissements, ou d’obtenir de la demanderesse des renseignements financiers supplémentaires. L’agent a correctement procédé au réexamen de la demande sur la base du dossier et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

III.       Les questions en litige

[11]           Voici en quels termes j’ai formulé les questions que soulève la demanderesse :

En ce qui concerne la décision :

A.                L’agent a-t-il omis d’accorder de l’importance au fait que la demanderesse est établie au Canada, ce qui rendrait sa décision déraisonnable?

B.                 L’agent a-t-il été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des petits-enfants de la demanderesse?

En ce qui concerne le réexamen :

C.                 La décision rendue par l’agent sur réexamen est-elle déraisonnable et susceptible de contrôle judiciaire dans la mesure où elle n’est pas compatible avec les éléments de preuve, ou n’en tenait pas compte?

D.                L’agent a-t-il privé la demanderesse de son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de s’expliquer sur les contradictions apparentes relevées dans les éléments de preuve concernant sa situation financière?

 

IV.       La norme de contrôle

[12]           Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 57 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a précisé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme applicable à une question précise a été bien établie par la jurisprudence, la cour procédant au contrôle peut simplement l’adopter. Ce n’est que lorsque les recherches demeurent infructueuses que la cour de révision doit se pencher sur les quatre facteurs qui fondent l’analyse de la norme de contrôle applicable (Dunsmuir, précité; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au paragraphe 18 [Kisana]).

 

[13]           En ce qui concerne les décisions touchant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717 au paragraphe 13; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193 au paragraphe 14; Kisana, précité, au paragraphe 18; Walker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 447 au paragraphe 31 [Walker]). Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 59 [Khosa]). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au paragraphe 47). En ce qui concerne les trois premières questions en litige, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[14]           En ce qui concerne, par contre, la quatrième question, c’est-à-dire celle de savoir si la demanderesse a eu une réelle possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas, il s’agit d’une question d’équité procédurale relevant de la norme de la décision correcte (voir Rahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1252 au paragraphe 12; Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024 aux paragraphes 20 et 21; et Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885 aux paragraphes 24 et 25). Cette norme n’impose aucune déférence envers le décideur.

 

V.        Analyse

La décision

A.        La question de l’établissement

[15]           Selon la demanderesse, il était déraisonnable de la part de l’agent de n’accorder aucun poids à son établissement au Canada.

 

[16]           Dans sa décision, l’agent reconnaît que, comme l’affirme la demanderesse, celle-ci a perdu bon nombre de ses liens avec son pays d’origine puisqu’elle a vécu au Canada les six dernières années, qu’elle a tissé avec la famille de sa fille d’étroits liens d’interdépendance, qu’elle gérait bien ses finances, qu’elle s’était intégrée à sa collectivité, qu’elle avait un bon dossier civil, et qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une condamnation pénale. L’agent a également pris en compte l’argument de la demanderesse selon lequel elle vit chez sa fille, aide à préparer les repas, à faire les courses et à veiller aux travaux ménagers. La demanderesse porte un stimulateur cardiaque, mais précise que ses dépenses médicales sont réglées par sa fille et son gendre et qu’elle ne sera pas à la charge du système canadien de soins de santé.

 

[17]           L’agent a reconnu que la demanderesse a un bon dossier civil, mais il constate qu’il n’y a en cela rien d’exceptionnel et que les éléments produits ne permettent pas d’affirmer qu’elle a réussi à s’intégrer à sa collectivité ou qu’elle participe aux activités de celle‑ci. L’agent n’est pas d’accord pour dire que la demanderesse a perdu sous ses liens avec le Bangladesh, notant que le mari (lorsqu’il a rendu sa décision, l’agent ne savait pas que celui-ci était décédé le 7 janvier 2012) et les deux frères de la demanderesse vivaient toujours au Bangladesh. L’agent a en outre relevé que bien que la demanderesse ait mentionné dans sa demande d’asile des difficultés qu’elle éprouvait à l’égard d’un de ses frères, la SPR avait déjà jugé cette allégation peu crédible.

 

[18]           Quant aux liens d’interdépendance existant entre la demanderesse, sa fille et la famille de celle-ci, l’agent n’a pas estimé que la demanderesse éprouverait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il lui fallait quitter sa fille et ses petits-enfants et rentrer au Bangladesh. La demanderesse et sa fille ont, avant que la demanderesse n’arrive au Canada en 2006, été séparées pendant de nombreuses années et s’il est vrai qu’en cas de retour au Bangladesh, sa fille ne pourrait pas l’aider à se soigner, cela ne constituerait pas une difficulté inhabituelle et injustifiée ou démesurée, les preuves produites n’ayant pas par ailleurs établi que le Bangladesh ne possède ni les connaissances ni les équipements nécessaires pour s’occuper de patients portant un stimulateur cardiaque.

 

[19]           Lors du contrôle d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, « [...] on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 62, [1999] A.C.S. no 39 [Baker]).

 

[20]           La Cour n’a pas, en outre, à substituer l’issue qui serait à son avis préférable (voir Kisana, précité, au paragraphe 20; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 au paragraphe 14), pas plus qu’il ne lui appartient de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 aux paragraphes 34 et 37). Le poids relatif d’un facteur donné, en l’espèce l’établissement au Canada, relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent (Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1391 au paragraphe 63; El Thahir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1439 au paragraphe 43) et la cour devrait s’abstenir de procéder à un nouvel examen du poids accordé par un agent aux différents facteurs (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au paragraphe 11 [Legault]).

 

[21]           À cet égard, la demanderesse ne fait état d’aucun élément précis que l’agent aurait négligé ou mal interprété, mais affirme que l’agent n’a pas donné de poids aux indices de son établissement. La décision mentionne cependant l’âge de la demanderesse, la longueur de son séjour au Canada et les liens d’interdépendance qu’elle entretient avec la famille de sa fille. Ajoutons que lorsque la décision a été prise, les preuves d’établissement contenues dans le dossier se réduisaient aux observations transmises le 26 février 2011 par le conseiller en immigration de la demanderesse, observations décrivant les liens d’interdépendance que la demanderesse entretient avec la famille de sa fille, et comment elle aide sa fille à tenir son ménage. La demanderesse ne travaille pas à l’extérieur et rien n’indique qu’elle possède des biens au Canada, qu’elle ait une quelconque activité dans la collectivité ou qu’elle puisse invoquer d’autres signes de son établissement.

 

[22]           La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de n’accorder aucun poids à son établissement au Canada, mais j’estime que ce n’est pas le cas. Il ressort de la décision que l’agent a tenu compte des éléments de preuve concernant l’établissement de la demanderesse au Canada, et qu’il les a évalués. Lorsqu’il a décidé du poids qu’il convenait de donner à l’établissement de la demanderesse au Canada, l’agent a exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, il ressort nettement de la jurisprudence qu’il n’appartient pas à la Cour de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs lors de l’examen d’une demande CH (Legault, précité). L’argument avancé par la demanderesse sur ce point ne peut donc pas être retenu.

 

B.        L’intérêt supérieur de l’enfant

[23]           La demanderesse affirme que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de ses petits-enfants.

 

[24]           Dans sa décision, l’agent reconnaît l’observation présentée par le conseiller en immigration de la demanderesse à savoir qu’il y avait de puissants liens d’interdépendance entre la demanderesse et la famille de sa fille et que le renvoi de la demanderesse aurait des incidences considérables sur ses trois petits-enfants. L’agent a par ailleurs reconnu que la demanderesse exerce, auprès de ses petits-enfants, un rôle d’aide familiale, faute de quoi un des parents serait obligé de rester à la maison, occasionnant par là‑même à la famille une perte de revenu au détriment des enfants et de leur éducation.

 

[25]           Après cela, l’agent a procédé, en ces termes, à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants :

[traduction]
Le dossier ne contient qu’une seule photo de la demanderesse en compagnie de sa fille et de ses petits-enfants. Cela ne suffit pas, d’après moi, à démontrer l’existence de puissants liens d’interdépendance entre la demanderesse et ses petits-enfants.

Je conviens que, si la demanderesse est renvoyée au Bangladesh, sa fille devra peut-être, rester à la maison pour s’occuper de ses enfants. Je ne considère pas, cependant, que le fait d’obliger la demanderesse à repartir du Canada et à présenter depuis l’étranger sa demande CH, irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de ses trois petits-enfants.

 

[26]           La demanderesse affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait que si sa fille est obligée de rester à la maison pour s’occuper de ses enfants, le revenu familial sera en fait réduit de moitié, ce qui serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants. Le défendeur fait pour sa part valoir que selon les éléments de preuve dont disposait l’agent, les petits-enfants en question sont respectivement âgés de 12, 8 et 5 ans, que si la fille et le gendre de la demanderesse travaillent à temps plein, ils n’ont pas précisé leurs horaires de travail, que les observations présentées par la demanderesse ne disent rien de la question de savoir si les parents avaient envisagé une autre solution pour la garde de leurs enfants, ou si les parents se retrouveraient alors dans l’incapacité d’apporter les soins et l’aide que la demanderesse assure actuellement à ses petits-enfants. Le dossier ne contenait par conséquent pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la fille de la demanderesse serait obligée de rester à la maison, ou que les revenus familiaux seraient réduits de moitié.

 

[27]           Le dossier dont disposait l’agent à l’époque où a été rendue la décision comprenait une lettre, en date du 26 février 2011, envoyée par le conseiller en immigration de la demanderesse. D’après cette lettre, la demanderesse apporte à la famille un soutien affectif et contribue beaucoup à la bonne marche du ménage en s’occupant des jeunes enfants, rôle particulièrement important étant donné que la fille et le gendre de la demanderesse travaillent à plein temps. La fille [traduction] « travaille tous les jours » comme préposée au service à la clientèle dans un restaurant Subway, et le gendre [traduction] « travaille à temps plein » pour Career Connections Staffing of Canada. Selon la lettre en question :

[traduction]
Étant donné que [la fille et le gendre de la demanderesse] sont occupés tous les jours pendant la semaine, leurs enfants doivent être surveillés par quelqu’un qui veille à ce qu’ils se rendent à l’école, qui s’occupe d’eux lorsqu’ils rentrent à la maison, qui les nourrisse, qui les aide à faire leur toilette, qui veille à leur habillement, et qui s’assure qu’ils font leurs devoirs et qui, de manière générale, s’occupe d’eux.

 

[…]

 

Tel qu’il est indiqué plus haut, il s’est créé, entre la demanderesse et la famille de sa répondante, un puissant lien d’interdépendance. Les enfants comptent particulièrement sur leur grand-mère, qui les élève et s’occupe d’eux alors que les parents pourvoient aux besoins de la famille. Sans l’aide de la grand-mère, l’un des parents serait obligé de rester à la maison et de renoncer à une part importante du revenu qui contribue de manière essentielle aux soins des enfants et, éventuellement, à leur éducation. Autrement, la famille pourrait devoir engager une aide familiale, ce qui représente une grosse dépense. Cette personne n’habiterait vraisemblablement pas sur place et ne serait certainement pas un membre de la famille. Pour s’occuper des enfants, ou exercer un rôle parental, il est préférable de pouvoir compter sur des proches, car on peut davantage leur faire confiance étant donné qu’ils entretiennent, avec les enfants, des liens affectifs plus profonds. »

 

[28]           En ce qui concerne l’importance qu’il convient d’attacher à l’intérêt supérieur de l’enfant touché par une décision en matière d’immigration, la Cour suprême du Canada a précisé que :

[…] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

(Baker, précité, au paragraphe 75).

 

[29]           Cela veut dire que si l’intérêt supérieur des enfants touchés, y compris les petits-enfants (Walker, précité, au paragraphe 38; Afocha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 240 au paragraphe 7), est un facteur important qui doit être pris en compte dans toute décision CH, il n’y a pas de présomption prima facie que l’intérêt des enfants l’emporte sur tout autre facteur (Legault, précité, au paragraphe 31; et Walker, précité, au paragraphe 41). Il incombe en outre à la demanderesse de fournir la preuve des effets dommageables que son départ aurait sur les enfants (Walker, précitée, au paragraphe 39; et Liniewska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 591, au paragraphe 20).

 

[30]           En l’occurrence, l’analyse que l’agent a faite relativement à l’intérêt supérieur des enfants a été brève, ne comptant que pour trois petits paragraphes de sa décision. Cela dit, la demanderesse n’a, dans les observations transmises par son conseiller le 26 février 2011, fourni que de minces éléments concernant l’intérêt supérieur de ses petits-enfants. Ajoutons que les arguments avancés à l’appui de cette demande de contrôle judiciaire ne font qu’affirmer que, dans la mesure où n’ont pas été prises en compte les conséquences financières qu’entraînerait le fait d’avoir à trouver une autre solution pour la garde des enfants, l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, car le revenu familial serait amputé de sommes qui pourraient autrement être consacrées aux soins des enfants et à leur éducation.

 

[31]           L’agent a reconnu que, si la demanderesse rentre au Bangladesh, sa fille sera peut-être obligée de rester à la maison pour s’occuper de ses enfants. Le dossier comprenait les avis de cotisation de la fille de la demanderesse et de son gendre, pour l’année 2009. On peut donc penser qu’il avait compris que si la fille de la demanderesse était obligée de rester à la maison pour s’occuper de ses enfants, ou si elle devait faire appel à une aide familiale, le revenu de la famille serait amputé et que cela aurait pour les enfants certaines conséquences. Le fait que l’agent n’ait pas explicité cela ne veut aucunement dire qu’il n’ait pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Ce n’était, simplement, qu’un des facteurs qu’il a pris en compte avant de conclure que le fait que la grand-mère soit tenue de présenter depuis l’étranger sa demande de résidence permanente ne serait pas contraire à l’intérêt supérieur des enfants.

 

[32]           L’examen par l’agent, de la question de l’intérêt supérieur des petits-enfants n’a été ni long, ni détaillé, mais sa décision repose sur le contenu du dossier. Ce dossier ne contenait regrettablement que peu d’éléments concernant les liens affectifs entre la demanderesse et ses petits-enfants, ou les effets défavorables, autres que financiers, que le départ de la demanderesse aurait sur les petits-enfants. L’agent, se basant sur les preuves qui lui ont été fournies, a pris en compte l’intérêt supérieur des petits-enfants, comme il est tenu de le faire aux termes de l’article 25 de la LIPR, et, cela étant, n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

Le réexamen

C.        L’appréciation de la preuve

[33]           La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte des liens de dépendance affective entre la demanderesse et la famille de sa fille au Canada, liens qui ont pris une importance accrue avec le décès du mari de la demanderesse. La demanderesse affirme par ailleurs que l’agent n’a pas pris en compte la différence sensible, au niveau des faits, entre la possibilité de rester au Canada au sein de la seule cellule familiale qui lui reste, et son retour au Bangladesh. Cela étant, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le décès de l’époux de la demanderesse n’aurait pas sur elle un impact tel, que son départ du Canada lui occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

[34]           La Cour a statué qu’un agent d’immigration n’est aucunement tenu de procéder au réexamen d’une demande de résidence permanente, mais que « les principes de base de l’équité et du bon sens veulent que si, dans les jours qui suivent le prononcé d’une décision négative, l’agent des visas reçoit une nouvelle preuve confirmant un fait important, il devrait réexaminer le dossier » (voir Mansouri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1242 au paragraphe 8, citant Marr c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 367, au paragraphe 57). En l’occurrence, en réponse à la demande et aux observations qui lui ont été transmises le 29 février 2012 par le conseiller en immigration de la demanderesse, l’agent a effectivement procédé au réexamen de la décision.

 

[35]           Ces observations comprenaient les observations faites au nom de la demanderesse par son conseiller, le certificat de décès du mari de la demanderesse, ainsi que les déclarations solennelles de la fille et du gendre de la demanderesse. Dans sa déclaration, sa fille affirme notamment que le décès du mari de la demanderesse rendait sensiblement plus difficile le retour de celle-ci au Bangladesh. Elle explique qu’elle est l’enfant unique de la demanderesse, qui n’a plus de membre de sa famille immédiate au Bangladesh. Sa mère ne possède en outre au Bangladesh aucun bien, n’a pas d’économies, n’a reçu de son mari aucun héritage ou pension et, si elle retourne dans son pays d’origine, elle sera incapable de travailler et se retrouvera démunie. Il faudra, pour assurer sa survie, que sa fille lui envoie de l’argent, ce qui aura pour effet d’amenuiser encore plus le revenu de la famille. Selon cette déclaration, la demanderesse compte sur la famille de sa fille pour pourvoir à ses besoins, elle s’occupe de ses trois petites-filles pendant que sa fille et son gendre sont au travail, on ne pourra trouver, pour s’occuper des petits‑enfants, personne en qui on ait davantage confiance que la demanderesse, et les petits‑enfants éprouvent pour elle un tel attachement qu’ils seraient affligés de la voir partir. La déclaration du gendre va dans le même sens, précisant que ses filles sont très attachées à leur grand-mère. Les deux plus jeunes ayant cinq et six ans, la demanderesse a vécu auprès d’elles, et s’en est occupée depuis leur naissance ou presque. Elles voient en elle une autre mère et éprouvent pour elle un profond sentiment d’attachement.

 

[36]           Le réexamen concerne la demande de réexamen présentée par la demanderesse le 27 février 2012 et comprenant les observations faites par son conseiller en immigration, les déclarations solennelles et le certificat de décès. Aux termes du réexamen, les renseignements dont il est fait état dans les observations sur la situation financière de la demanderesse ne cadrent pas avec les renseignements figurant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), ou avec ce qu’elle a déclaré lors de son entrevue de premier contact. Dans son FRP, la demanderesse affirme [traduction] « Je suis citoyenne du Bangladesh, où j’habite en permanence avec mon mari. Je suis, de mon état, maîtresse de maison. Je suis solvable et je perçois régulièrement le revenu des propriétés et des terres appartenant à ma famille », et dans le compte rendu de son interrogatoire, elle dit, pour reprendre ses propres termes, que [traduction] « mon père m’a laissé des biens […] ». Compte tenu de ces renseignements contradictoires, l’agent a estimé que les éléments fournis ne confirmaient pas que la demanderesse n’aurait, comme elle l’affirme, aucun endroit pour vivre si elle rentrait au Bangladesh.

 

[37]           Dans le réexamen, l’agent relève en outre que la demanderesse avait, avant son arrivée au Canada, vécu pendant presque 60 ans à Dhaka, au Bangladesh, où elle avait encore des frères et sœurs et où, selon la prépondérance des probabilités, elle devait bien connaître les habitants. L’agent a alors conclu, après un examen approfondi des éléments complémentaires appuyant la demande de réexamen, que la mort du mari de la demanderesse n’aurait pas sur sa situation des effets tels qu’elle éprouverait, si elle devait quitter le Canada et rentrer au Bangladesh, des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[38]           La demanderesse considère pour sa part que l’agent n’a pas tenu compte des éléments concernant l’existence d’une [traduction] « dépendance affective » entre la demanderesse et la famille de sa fille. La demanderesse n’a cependant présenté aucun argument concernant une dépendance affective réciproque entre elle et la famille de sa fille, et n’a pas non plus évoqué la nature des liens qu’elle entretient avec ses frères et sœurs vivant au Bangladesh. Les seuls éléments de la demande de réexamen portant sur la question sont les déclarations décrites précédemment et dont l’agent a fait état dans son réexamen.

 

[39]           La demanderesse invoque la décision Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 956 [Yu] pour affirmer que l’agent n’a pas pris en compte la différence sensible de situation entre le fait de pouvoir rester au Canada dans la seule cellule familiale qui lui reste, et le fait de retourner au Bangladesh. Dans Yu, précitée, la question était de savoir si c’est à tort que l’agent d’immigration avait conclu que la demanderesse, Mme Yu, n’était pas membre de fait de la famille de sa sœur jumelle de 61 ans. Mme Yu entretenait avec sa jumelle des liens étroits de dépendance affective. Elle avait vécu presque toute sa vie avec la famille de sa sœur jumelle, avant que celle-ci immigre au Canada, et avait, depuis lors, essayé de se retrouver auprès d’elle.

 

[40]           Il convient d’opérer une distinction entre l’affaire dont la Cour est saisie en l’espèce et l’affaire Yu, qui porte sur la question de membres de fait de la famille, l’agent d’immigration n’ayant tenu aucun compte des éléments de preuve démontrant l’existence, entre les deux sœurs, de liens affectifs très forts. La cour a relevé l’existence d’une [traduction] « différence factuelle importante » entre le fait de vivre ensemble, de partager la vie quotidienne, et une visite occasionnelle. La cour a toutefois fondé sa conclusion sur le fait que l’agent n’avait pas pris en compte les considérations d’ordre humanitaire pertinentes lorsqu’il a décidé que Mme Yu n’était pas membre de fait de la famille.

 

[41]           Ainsi que nous l’avons vu précédemment, les décisions concernant les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire relèvent de la norme de la décision raisonnable. Ajoutons que lors du contrôle judiciaire d’une décision visant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il y a lieu de faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration (Baker, précité, au paragraphe 62). Dans la mesure où il n’a ni mal interprété, ni omis de prendre en compte les éléments de preuve, l’agent a en l’espèce droit à un degré considérable de retenue. Je considère que l’agent a examiné et pris en compte la demande de réexamen présentée par la demanderesse le 27 février 2012, y compris les rares éléments de preuve concernant l’existence de cette dépendance affective dont elle faisait état.

 

[42]           Je considère en outre qu’il était raisonnable de la part de l’agent de n’accorder que peu de poids, voire aucun, aux déclarations solennelles de la fille et du gendre de la demanderesse, touchant la situation financière de la demanderesse, car ces déclarations semblent être en contradiction avec les déclarations qu’elle avait elle-même faites auparavant.

 

[43]           Il convient, enfin, de relever qu’à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire du réexamen, la demanderesse avait produit un affidavit daté du 20 mai 2012. Dans cet affidavit, elle évoque les changements intervenus dans sa situation financière et diverses autres questions, et cite ce que ses petits-enfants ont dit de ce qu’ils ressentiraient s’ils étaient séparés d’elle. Mais l’agent ne disposait pas de ces témoignages lorsqu’il a procédé, le 9 mars 2012, au réexamen. Ils ne peuvent donc pas être pris en compte par la Cour (voir Saifee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 589 au paragraphe 28 [Saifee]).

 

D.        L’équité procédurale

[44]           Dans les observations présentées à la Cour par son avocat, et dans l’affidavit qu’elle a produit le 20 mai 2012 à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire du réexamen, la demanderesse fait valoir que son frère s’est emparé des propriétés familiales et qu’elle n’en tire donc plus aucun revenu. Elle soutient qu’on aurait dû lui donner la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent quant à l’écart entre les déclarations qu’elle avait faites dans son FRP et lors de son entrevue de premier contact et ce qui était affirmé dans les déclarations solennelles produites par sa fille et son gendre à l’appui de sa demande de réexamen de la décision visant sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[45]           Comme nous l’avons vu précédemment, tout ce qui touche au fait que le frère de la demanderesse se serait emparé des propriétés familiales constitue des éléments nouveaux dont l’agent n’avait pas connaissance. Il semble, en outre, que ces renseignements aient été connus avant le décès du mari de la demanderesse puisque, dans son affidavit, elle déclare que son frère [traduction] « avait cessé de lui procurer un revenu, à elle ou à son mari, avant même le décès de celui-ci ». La Cour a statué à maintes reprises qu’une demande de contrôle judiciaire doit être tranchée sur le fondement du dossier dont disposait l’auteur de la décision (Saifee, précitée, au paragraphe 28). La demanderesse ne peut donc pas invoquer les éléments de preuve compris dans son affidavit pour contester le réexamen.

 

[46]           Ajoutons qu’il appartenait à la demanderesse de soumettre à l’agent d’immigration tous les renseignements nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande CH (Mann c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 567). Ainsi que la Cour en a décidé dans Kisana, précité, au paragraphe 45 :

La question à se poser dans chaque cas est, en fin de compte, celle de savoir si la personne dont les intérêts sont en jeu a eu « une occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » (Baker, précité, au paragraphe 30). Dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, il est de jurisprudence constante que le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée et que l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations (voir, par exemple, la décision Thandal, précitée, au paragraphe 9).

 

Et, dans Pan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 838 :

26        S’agissant des demandeurs de visas, le niveau minimal d’équité procédurale auquel ils ont droit se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, au paragraphe 41 (C.A.); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 C.F. 413, aux paragraphes 30 à 32; Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, 23 Imm. L.R. (3d) 161, au paragraphe 10).

 

27        En général, c’est au demandeur de visa qu’il incombe de faire accepter sa demande en produisant tous les justificatifs requis, ainsi qu’une preuve suffisante et digne de foi au soutien de sa demande. Ce fardeau n’est pas transféré à l’agent des visas, et le demandeur de visa n’a pas droit à une entrevue personnelle si sa demande est ambiguë ou si elle n’est pas accompagnée des justificatifs requis (Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 20).

 

28        L’agent des visas n’a pas non plus l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente (Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8; Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 994, au paragraphe 13; Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 574, au paragraphe 4), ni l’obligation d’aider un demandeur à établir le bien-fondé de sa demande (Mazumder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au paragraphe 14), ni l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi (Ayyalasomayajula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 248, au paragraphe 18), ni encore l’obligation de dire au demandeur ce qu’est le résultat de sa demande à chaque étape du processus (Covrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 1413, au paragraphe 21). Imposer de telles contraintes à l’agent des visas reviendrait à lui demander de donner avis préalable d’une décision défavorable, obligation qui a été explicitement écartée (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 940 (QL); Sharma, précité).

 

[47]           En l’occurrence, l’agent pouvait à bon droit se référer aux renseignements fournis antérieurement par la demanderesse, et n’était aucunement tenu d’avertir la demanderesse que les renseignements concernant sa situation financière fournis dans le cadre des déclarations solennelles contredisaient les renseignements qu’elle avait fournis précédemment dans son FRP et lors de son entrevue de premier contact, ou de lui offrir la possibilité de s’expliquer au sujet de cette contradiction. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

VI.       Conclusion

[48]           L’agent n’a omis de prendre en compte ou mal interprété aucun élément de preuve. La décision et le réexamen sont raisonnables, car ils appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’agent ayant pris en compte les motifs d’ordre humanitaire pertinents, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau ces facteurs même si j’aurais moi‑même pu les évaluer différemment. Il appartenait à la demanderesse de produire, à l’appui de sa demande CH initiale, et de sa demande de réexamen, tous les éléments dont elle disposait. L’agent n’était pas tenu de lui signaler les contradictions des éléments de preuve concernant sa situation financière, et n’a pas manqué à l’obligation d’équité qu’il avait envers la demanderesse.

 

[49]           Les demandes de contrôle judiciaire doivent par conséquent être rejetées.

 

[50]           Aucune des parties n’a demandé que soit certifiée une question grave de portée générale et aucune ne se pose en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que les demandes de contrôle judiciaire soient rejetées. Les parties n’ont proposé la certification d’aucune question grave de portée générale, aucune ne se pose.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sara Tasset

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2328-12

INTITULÉ :                                      ANOWARA BEGUM c MCI

 

DOSSIER :                                        IMM-4970-12

INTITULÉ :                                      ANOWARA BEGUM c MCI ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 janvier 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                          LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

Teresa Ramnarine

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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