Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130308

Dossier : IMM‑5710‑12

Référence : 2013 CF 256

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

ZHEN XIANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du 15 mai 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

I.          Contexte

[2]               La demanderesse allègue les faits suivants au soutien de sa demande.

 

[3]               La demanderesse allègue qu’elle est originaire de la province du Fujian, en République populaire de Chine [la Chine]. Elle allègue qu’elle était déprimée après avoir appris en décembre 2008 que son mari avait été infidèle et qu’un ami l’a initiée au christianisme afin de l’aider. Elle soutient qu’elle a assisté à son premier service dans une maison‑église le 15 février 2009, qu’elle a fréquenté la maison‑église régulièrement tous les dimanches soirs avec 32 autres personnes et qu’elle a été baptisée en Chine le 10 janvier 2010.

 

[4]               La demanderesse allègue que le 29 septembre 2010, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] a effectué une descente à son église et qu’elle est allée se cacher chez son cousin. Elle soutient que pendant qu’elle était cachée, elle a appris que le BSP s’est rendu chez elle deux jours plus tard. Le BSP l’aurait accusée de participer aux activités religieuses d’une église clandestine illégale et d’être une membre importante d’un culte antigouvernemental. Elle soutient que le BSP a également indiqué qu’il avait arrêté quelques adeptes. Le BSP aurait alors perquisitionné la résidence de la demanderesse et interrogé les membres de sa famille. La demanderesse prétend que le lendemain, le BSP a laissé à son intention une assignation assortie d’un mandat d’arrestation et qu’il s’est également présenté à la résidence de ses parents, de ses beaux‑parents et de son frère pour la rechercher.

 

[5]               Ne se sentant pas en sécurité en Chine, la demanderesse a décidé de venir au Canada. Elle est arrivée au Canada le 17 novembre 2010 et a présenté une demande d’asile le 22 novembre 2010. Elle a tenté de communiquer avec les adeptes de son église en Chine, mais sans succès, et elle n’a aucune nouvelle à propos des adeptes qui auraient été arrêtés. Elle soutient que le BSP a continué à se rendre chez elle à plusieurs reprises.

 

[6]               À l’audience, la Commission a présenté des agrandissements de la photographie de la demanderesse sur sa carte d’identité de résidente [la CIR] et de la photographie que Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a prise de la demanderesse lorsqu’elle a présenté sa demande d’asile [la photographie de CIC].

 

[7]               Pour la Commission, l’impossibilité d’établir l’identité personnelle de la demanderesse ou sa citoyenneté chinoise était la question déterminante. La Commission a examiné les cinq documents que la demanderesse a présentés pour établir son identité : une CIR de seconde génération, un certificat de résidence [un hukou], un certificat de mariage, une assignation assortie d’un mandat d’arrestation et un permis d’exploitation d’entreprise.

 

[8]               La Commission n’a pas mis en doute l’authenticité de la CIR, mais a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la CIR n’identifiait pas la demanderesse. Selon la Commission, puisqu’une CIR était le document le plus important pour permettre d’établir l’identité de la demanderesse à titre de ressortissante de la Chine, elle a tiré une inférence défavorable à l’égard de la crédibilité de la demanderesse. La Commission a tiré sa conclusion à l’égard de la CIR en se fondant sur les considérations suivantes :

-          la demanderesse ne connaissait pas l’âge exact pour la délivrance d’une CIR à un citoyen chinois;

-          elle n’était pas en mesure de décrire avec exactitude la couleur principale, la forme et les utilisations de la CIR;

-          les traits de la personne présentée sur la photographie de la CIR ne semblaient pas être semblables à ceux de la photo de la demanderesse sur la photographie prise au moment de la présentation de sa demande d’asile; plus particulièrement, il y avait des différences évidentes en ce qui a trait à la forme du visage, du nez et des oreilles, de même qu’à l’égard de la ligne de contour de la chevelure et des sourcils et l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait gagné plus de dix livres n’a pas convaincu la Commission;

-          des éléments de preuve documentaire à propos de la CIR indiquaient qu’il était possible d’obtenir frauduleusement des cartes authentiques.

 

[9]               La Commission a également conclu que l’authenticité du hukou était douteuse et, par conséquent, elle a accordé peu de poids à cette pièce d’identité. La Commission a déclaré que ses conclusions à l’égard de la CIR avaient une incidence défavorable sur l’authenticité du hukou de la demanderesse, étant donné que le hukou comportait le numéro de la CIR alléguée de la demanderesse. La Commission a également souligné que le seul autre document que la demanderesse a fourni et qui contenait sa photographie était son certificat de mariage, dont le coin où se trouvait la photographie avait été déchiré. La demanderesse aurait déchiré la photographie lorsqu’elle a appris l’infidélité de son mari. La Commission a également pris en compte des éléments de preuve documentaire déclarant que les hukous contrefaits étaient répandus et pouvaient être facilement achetés sur le marché noir.

 

[10]           La Commission n’a accordé aucun poids aux autres pièces d’identité parce qu’elles ne comportaient pas de photos.

 

[11]           En conséquence, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de documents et d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité à titre de ressortissante de la Chine et qu’elle n’avait pas fourni d’explication satisfaisante quant aux raisons pour lesquelles elle ne les avait pas fournis. La Commission a conclu que, puisque la demanderesse avait sciemment présenté de faux documents, son témoignage n’était pas crédible et que la crédibilité de l’ensemble de son récit soulevait un doute sérieux. La Commission a conclu que, comme l’identité de la demanderesse n’avait pas été établie, il n’était pas nécessaire d’analyser les autres éléments de preuve concernant la demande d’asile.

 

II.        Questions en litige

[12]           La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

A.    La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en n’avisant pas, de façon raisonnable, la demanderesse de sa préoccupation selon laquelle la photographie apparaissant sur sa CIR ne la représentait pas?

B.     La Commission a‑t‑elle erronément confondu la question de l’identité personnelle de la demanderesse et celle de sa nationalité?

 

III.       La norme de contrôle

[13]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43). À cet égard, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers la Commission en ce qui concerne la première question (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50).

 

[14]           La conclusion de la Commission concernant l’identité de la demanderesse dépend exclusivement des faits et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 743, au paragraphe 5 [Su]). En conséquence, en ce qui a trait à la deuxième question, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

IV.       Analyse

A.        La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en n’avisant pas, de façon raisonnable, la demanderesse de sa préoccupation selon laquelle la photographie apparaissant sur sa CIR ne la représentait pas?

[15]           Bien que la demanderesse sût que son identité serait mise en cause à l’audience, le formulaire d’examen initial de la Commission indiquait que seule l’« Appartenance : politique/religieuse/sociale/familial » soulèverait une question à propos de la demande d’asile (page 40 du dossier du tribunal). Sur le formulaire d’examen initial, aucune autre case correspondant aux questions accessoires de la case principale « Identité » n’était cochée, par exemple les cases « État civil (nom, date & lieu de naissance, mariage » ou « Pays de référence (citoyenneté, nationalité multiple, statut de résident, apatride) ». Nonobstant le fait que la demanderesse avait elle‑même fourni la photographie en cause (la photographie de la CIR) à la Commission, la Commission avait l’obligation d’aviser la demanderesse de ses préoccupations concernant les incohérences photographiques avant l’audience. La capacité de la demanderesse de répondre aux questions relatives à son identité que la Commission a soulevées à l’audience a été compromise par le défaut de la Commission d’aviser la demanderesse sur le formulaire d’examen initial qu’il existait des incohérences quant aux photographies, lesquelles seraient finalement décisives.

 

[16]           Ainsi que l’a signalé le juge Russell Zinn dans la décision Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 108, au paragraphe 31 :

Je rejette absolument cette observation. J’admets par contre celle du défendeur selon laquelle lorsque, sur ce formulaire, la case principale (Crédibilité) est cochée alors que les cases correspondant aux questions accessoires ne le sont pas, le demandeur d’asile est averti que toutes les questions accessoires sont soulevées. De même, lorsque seules certaines cases correspondant aux questions accessoires sont cochées, le demandeur d’asile est averti que les questions accessoires sans case cochée ne sont pas soulevées.

 

 

[17]           La Commission a donc fait preuve d’iniquité procédurale en n’avertissant pas la demanderesse avant l’audience que les incohérences des photographies soulèveraient une question relativement à la confirmation de son identité.

 

[18]           De plus, la Commission a également omis de prévenir la demanderesse avant l’audience que des agrandissements de ses photographies lui seraient présentés pour mettre en cause son identité. Voici ce que le juge Gibson a déclaré dans Nrecaj c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 CF 630, aux paragraphes 22 et 23 :

Cependant, en l’espèce, les notes prises à l’entrevue ont été transmises au moment où l’audience a repris le 13 avril 1992. Cela était‑il suffisant pour satisfaire à l’obligation qui, à mon avis, incombe à l’AA et à la SSR. Je dirai brièvement que « non ». Pour satisfaire adéquatement au critère de l’équité, la communication doit être faite en temps opportun. Elle doit laisser suffisamment de temps à l’avocat pour lui permettre d’accomplir sa tâche d’une façon complète et efficace et pour permettre à la partie qui demande la communication de se préparer. En l’espèce, on ne s’est pas acquitté de cette obligation.

 

L’avocat de l’intimé a soutenu devant moi que les notes prises à l’audience et les contradictions existant dans le témoignage du requérant que ces notes ont permis d’établir, n’étaient pas essentielles à la décision de la SSR; si les notes n’avaient pas été utilisées et si les contradictions en question n’avaient pas été établies, la décision aurait néanmoins été la même. Il ne m’appartient pas de faire des conjectures à ce sujet. Il suffit de conclure au manque d’équité, comme je le fais, pour justifier le renvoi de cette affaire pour nouvelle audition. Il incombera à un autre tribunal de la SSR de déterminer les répercussions des mesures visant à corriger ce manquement.

 

 

[19]           Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission est inéquitable sur le plan de la procédure.

 

[20]           L’avocat de la demanderesse a demandé la certification de la question suivante : Y a‑t‑il manquement à la justice naturelle et (ou) à l’équité procédurale lorsque la SPR se prononce sur une demande d’asile en se fondant sur une question non précisée dans le formulaire d’examen initial?

 

[21]           J’estime qu’il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale qui mérite d’être certifiée.

 

B.        La Commission a‑t‑elle erronément confondu la question de l’identité personnelle de la demanderesse et celle de sa nationalité?

[22]           Je conclus que l’argument de la demanderesse sur cette question ne repose sur aucun fondement légitime. La juge Judith Snider a précisé la manière d’aborder cette question dans Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 743, au paragraphe 3 :

Toute personne qui demande l’asile doit établir son identité parce que, en l’absence d’une telle preuve, « il ne peut y avoir de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution, ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur » (Ji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 126, au paragraphe 26, [2006] ACF no 181 (QL); voir aussi Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 831, au paragraphe 18, [2007] ACF no 1101 (QL)).

 

 

[23]           Bien qu’en l’espèce la Commission n’ait pas entrepris une analyse de la nationalité réelle de la demanderesse indépendamment de sa conclusion selon laquelle l’identité de celle‑ci n’était pas établie, suivant Su, précité, la Commission n’aurait pas eu de fondement légitime pour l’entreprendre. En conséquence, à mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur en n’analysant pas la nationalité de la demanderesse indépendamment de sa conclusion quant à l’identité de celle‑ci.


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie et l’affaire est renvoyée à un commissaire différent pour nouvelle décision.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5710‑12

 

INTITULÉ :                                                  Xiang c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 7 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jayson Thomas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.