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Date : 20130301

Dossier : T‑533‑12

Référence : 2013 CF 96

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

CPNI INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la ministre du Revenu national (la ministre) a refusé en partie la demande que CPNI Inc. (la demanderesse ou CPNI) a présentée en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, SRC 1985, c 1 (5e suppl.) (la Loi) pour que la ministre renonce aux pénalités et aux intérêts applicables aux années d’imposition 2008 et 2009.

 

[2]               La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance obligeant la ministre à réexaminer la demande.

[3]               La demanderesse et la défenderesse ont sollicité les dépens.

 

Le contexte

 

[4]               La demanderesse est une société de Toronto qui a présenté une demande d’allègement fiscal des intérêts pour les années 2008, 2009 et 2010 fondée sur son incapacité de payer. Dans sa demande, CPNI indique que son bilan financier affiche des pertes de 6 411 745 $ en 2008, de 5 211 187 $ en 2009 et de 1 663 451 $ en 2010. Le montant total de l’allègement demandé est de 116 000 $.

 

[5]               La demanderesse se décrit comme une entreprise qui développe une nouvelle gamme de produits s’adressant aux institutions bancaires. Durant la période couverte par la demande, la clientèle cible de la demanderesse a été frappée par la crise des prêts hypothécaires aux États‑Unis. Les grandes banques ont donc dû réduire leurs dépenses et mettre fin à certains nouveaux programmes. Cette situation a rendu les investisseurs externes réticents à engager des fonds dans le secteur des technologies et en particulier dans les services destinés à l’industrie bancaire. Durant la période couverte, la demanderesse a accumulé environ 690 000 $ en arriérés auprès de l’Agence de revenu du Canada (ARC) parce qu’elle n’a pas versé les retenues d’impôt sur le salaire de ses employés.

 

[6]               Depuis, la demanderesse a pris des arrangements pour payer une portion substantielle de ce montant. Près de 116 000 $ du solde qui restait à payer, soit la somme d’environ 232 000 $, étaient attribuables à l’accumulation des intérêts et des pénalités. À l’époque, la demanderesse s’employait à grossir ses effectifs et avait besoin de financement. Pour ce faire, elle avait demandé l’aide du gouvernement. La demanderesse a indiqué que tous ses revenus provenaient de comptes à l’étranger et qu’ils créaient de l’emploi au Canada. La demande a été reçue le 21 février 2011.

 

La première décision

 

[7]               La première décision a été rendue par la chef d’équipe (le décideur) au centre d’arrivage de la Direction générale des appels, le 21 octobre 2011. La décision ne portait que sur les années d’imposition 2008 et 2009, puisqu’aucune pénalité ni aucun intérêt n’étaient imposés pour l’année d’imposition 2010.

 

[8]               Le décideur a établi les circonstances dans lesquelles l’ARC exerce son pouvoir discrétionnaire pour renoncer à des pénalités et des intérêts ou les annuler : 1) la pénalité ou l’intérêt résultent de circonstances exceptionnelles; 2) les circonstances sont principalement attribuables à des actions de l’ARC; 3) le contribuable est incapable de payer. Le décideur a aussi fait remarquer que l’ARC a tout loisir de répondre favorablement à une demande d’allègement qui ne cadre dans aucune de ces trois catégories.

 

[9]               Le décideur a indiqué que lorsque l’ARC applique les dispositions relatives à l’allègement fiscal, celle‑ci détermine si le contribuable : 1) a des antécédents en matière de règlement de dettes et d’exécution volontaire; 2) a laissé subsister un solde en souffrance en connaissance de cause; 3) a exercé une diligence raisonnable; 4) a remédié rapidement à tout retard ou à tout défaut.

 

[10]           Le décideur a ensuite expliqué qu’après avoir soigneusement étudié le cas de la demanderesse, elle avait conclu qu’il n’était pas approprié d’accorder un allègement parce que l’examen n’avait pas permis de démontrer que l’entreprise avait été empêchée de respecter ses obligations en raison d’une incapacité de payer. Ce constat était fondé sur trois faits :

            1.         En 2010, il y a eu une aliénation de biens. Par conséquent, la demanderesse a accordé la préférence à d’autres débiteurs que l’ARC.

            2.         En 2010, la demanderesse a acquis des actifs à court terme de 3 225 261 $.

            3.         En 2009, il y avait un prêt ou des avances à recevoir de parties liées de l’ordre de 3 054 790 $.

 

[11]           Le reste de la décision a trait aux modalités de paiement; il y est également expliqué qu’un second examen pourrait être requis.

 

[12]           Le dossier certifié du tribunal indique qu’une feuille d’information d’allègement fiscal a été remplie dans le cadre de la première décision; elle semble avoir été préparée par un subordonné de la chef d’équipe. Ce document révèle un solde en souffrance de 54 601,77 $. La feuille d’information répète les motifs pour lesquels la demanderesse a demandé un allègement et contient une analyse des facteurs énumérés ci‑dessus, notamment les points suivants : 1) certains versements n’ont pas été effectués à temps; 2) le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance sur lequel se sont accumulés des intérêts; 3) le contribuable a été négligent ou insouciant dans la conduite de ses affaires dans le cadre du système d’autoévaluation.

 

[13]           La feuille d’information indique aussi qu’aucun arrangement de paiement n’a été pris et les états financiers suivants démontrent qu’elle n’était pas incapable de payer. En 2009, les actifs à court terme s’élevaient à 3 225 261 $. En 2009, il y a eu une aliénation de biens de l’ordre de 34 180 $ et en 2008, il y avait un prêt ou des avances à recevoir de parties liées de l’ordre de 3 054 790 $.

 

[14]           Le reste de la feuille d’information est une répétition des recommandations défavorables à l’allègement pour les motifs figurant dans la décision.

 

La demande d’examen

 

[15]           La demanderesse a demandé un examen dans deux lettres datées du 21 octobre 2011 et du 14 novembre 2011.

 

[16]           Dans sa première lettre, la demanderesse conteste les conclusions factuelles de la première décision. Elle y soutient qu’elle n’a pas vendu d’actifs en 2010, mais qu’elle a plutôt amorti ses actifs. La demanderesse indique qu’elle a déclaré un déficit d’exploitation de 1 658 106 $ pour 2010 et qu’elle a obtenu du financement auprès d’actionnaires et d’un prêteur. Elle a versé 688 439 $ à l’ARC. Ces faits contredisent la conclusion de la décision selon laquelle la demanderesse a acquis des actifs à court terme.

 

[17]           La demanderesse conteste la conclusion de la décision selon laquelle elle avait des avances à recevoir de parties liées en 2009. Elle fait valoir qu’elle était dans l’incapacité de recueillir les fonds nécessaires à même son compte intersociété avec son entreprise aux États‑Unis puisque le montant mentionné dans la décision portait sur des pertes accumulées au cours d’un certain nombre d’années dans cette entreprise, et non sur des fonds accumulés aux États‑Unis. La demanderesse se plaint aussi de ce que l’ARC n’a pas communiqué avec CPNI pour obtenir des précisions sur cette question.

 

[18]           La seconde lettre porte sur des questions procédurales. La demanderesse y demande que le dossier soit transféré au Centre fiscal de Summerside à des fins d’examen puisque comme c’est la chef d’équipe qui a approuvé la première décision, il serait difficile pour un subordonné de contester sa validité. La demanderesse se plaint aussi de la durée du processus d’examen et des difficultés qui en résultent pour sa planification. Enfin, elle souligne que le fait le plus important de sa demande d’allègement est qu’elle a perdu 14 millions de dollars entre 2008 et août 2011, une quantité astronomique d’argent pour une petite entreprise, et que la décision ne fait aucune mention de ce fait.

 

La deuxième décision

 

[19]           Il s’agit de la décision contestée en l’espèce. Dans une lettre émanant d’un gestionnaire du centre d’arrivage de la Direction générale des appels datée du 10 février 2012, la deuxième demande d’allègement a été en partie accueillie.

 

[20]           Dans sa lettre, le gestionnaire explique que l’allègement des intérêts est accordé pour les années d’imposition 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012. Toutefois, les pénalités imposées ne sont pas annulées.

[21]           Le gestionnaire fait observer que de façon générale, une pénalité n’est pas annulée en raison d’une incapacité de payer ou de difficultés financières à moins que des circonstances exceptionnelles (une inondation ou un incendie, des troubles publics, une maladie grave, un accident ou des troubles émotifs graves) aient empêché le contribuable de se conformer à la loi. Le gestionnaire conclut que l’examen du dossier de la demanderesse n’a pas montré qu’elle avait été incapable de se conformer aux exigences de déclaration des renseignements en raison de facteurs indépendants de sa volonté.

 

[22]           Cette décision est aussi accompagnée d’une feuille d’information d’allègement fiscal préparée par une autre personne que le gestionnaire. Il y est indiqué un solde en souffrance de 52 163,60 $. Cette feuille contient un résumé des faits décrits par la demanderesse et la liste des documents fournis. En considérant les facteurs, l’auteur conclut que le contribuable s’est généralement acquitté de ses obligations fiscales, mais qu’il a, en toute connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance. Il ajoute que l’entreprise a fait montre d’une certaine insouciance, mais que des sommes dues avaient été versées. De plus, la feuille d’information contient la description des efforts investis par un représentant de l’entreprise pour collaborer avec l’ARC et régler le solde.

 

[23]           Sous la rubrique de la capacité de payer de la feuille d’information, il est indiqué que des arrangements pour régler le solde ont été pris. On y souligne aussi qu’il y a effectivement une incapacité de payer, étant donné que le total des actifs de l’entreprise s’élève à 10 378 $, que le total du passif est de 14 333 887 $ et que l’avoir des actionnaires est de 22 745 109 $. La feuille d’information indique que la part des actifs en 2010 et le prêt en 2009 auquel il est fait référence dans la première décision étaient en fait des fonds reçus des actionnaires et des prêteurs pour la conduite des activités de l’entreprise; il y est également fait mention du paiement de 688 439 $ à l’ARC. La feuille d’information révèle un coefficient de liquidité de 0,01285, alors qu’un coefficient de 2,0 est généralement considéré comme suffisant pour qu’une entreprise réponde à ses besoins à court terme. Le ratio d’endettement est de 1 120,47, alors qu’un ratio dépassant 1,0 est réputé indiquer une non‑solvabilité. L’entreprise affiche un déficit chaque année depuis 2005. La feuille d’information contient également un résumé de la correspondance entre la demanderesse et l’ARC.

 

[24]           La feuille d’information se conclut sur la recommandation d’annuler les intérêts sur arriérés de 2008 à 2012, compte tenu des difficultés financières qui se reflètent dans le bilan de l’entreprise. Toutefois, il y est aussi recommandé de ne pas annuler les pénalités, au motif que l’entreprise n’a pas connu de difficultés financières extrêmes selon les termes de la circulaire IC07‑1. Les pénalités peuvent aussi être annulées dans des circonstances exceptionnelles comme celles qui sont décrites dans la décision, mais aucune de ces circonstances n’est constatée.

 

Les questions en litige

 

[25]           Dans son mémoire, la demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         Le gestionnaire a‑t‑il conclu à tort que la crise financière ne relevait pas d’une catastrophe?

            2.         Le gestionnaire a‑t‑il conclu à tort que la crise financière ne relevait pas de circonstances exceptionnelles?

            3.         Le gestionnaire s’en est‑il remis à des rationalisations personnelles des motifs invoqués pour justifier le refus de rembourser la pénalité?

            4.         Le gestionnaire a‑t‑il fait reposer à tort son refus sur le défaut de se conformer aux exigences de déclaration?

            5.         Le gestionnaire a‑t‑il acheminé incorrectement aux dossiers de l’ARC l’information financière contenue dans les observations de l’entreprise?

            6.         Le gestionnaire a‑t‑il mal analysé la formulation des règlements?

 

[26]           Je reformulerais les questions qui précèdent comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Le gestionnaire a‑t‑il commis une erreur en refusant de rembourser les pénalités imposées à la demanderesse?

 

Les politiques pertinentes

 

[27]           La demanderesse s’appuie sur trois paragraphes de la circulaire IC07‑1 de l’ARC :

 

Situations dans lesquelles un allègement des pénalités et des intérêts peut être justifié

 

23. Le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts lorsque les situations suivantes sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation ou de l’exigence fiscale en cause :

 

a)  circonstances exceptionnelles;

 

b)  actions de l’ARC;

 

c)  incapacité de payer ou difficultés financières.

 

[. . .]

 

 

Circonstances exceptionnelles

 

25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, lorsqu’ils découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi sont les suivantes, sans être exhaustives :

 

a)  une catastrophe naturelle ou causée par l’homme, telle qu’une inondation ou un incendie;

 

b)  des troubles publics ou l’interruption de services, tels qu’une grève des postes;

 

c)  une maladie grave ou un accident grave;

 

d.) des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

 

[. . .]

 

28. De façon générale, on ne considèrera pas l’annulation d’une pénalité en raison d’une incapacité de payer ou de difficultés financières à moins que des circonstances exceptionnelles, telles qu’elles sont décrites au paragraphe 25, aient empêché l’observation. Cependant, des situations exceptionnelles peuvent donner lieu à l’annulation totale ou partielle des pénalités. Par exemple, lorsqu’une entreprise a des difficultés financières extrêmes et que l’application des pénalités mettrait en danger la continuité de son exploitation, des emplois et du bien‑être de la collectivité dans son ensemble, on peut considérer un allègement des pénalités.

 

Circumstances Where Relief From Penalty and Interest May Be Warranted

 

 

23. The Minister may grant relief from the application of penalty and interest where the following types of situations exist and justify a taxpayer’s inability to satisfy a tax obligation or requirement at issue:

 

 

 

a.  extraordinary circumstances

 

b.  actions of the CRA

 

c.  inability to pay or financial hardship.

 

 

. . .

 

 

Extraordinary Circumstances

 

25. Penalties and interest may be waived or cancelled in whole or in part where they result from circumstances beyond a taxpayer’s control. Extraordinary circumstances that may have prevented a taxpayer from making a payment when due, filing a return on time, or otherwise complying with an obligation under the Act include, but are not limited to, the following examples:

 

 

 

a.  natural or man‑made disasters such as, flood or fire;

 

 

b.  civil disturbances or disruptions in services, such as a postal strike;

 

c.  a serious illness or accident; or

 

 

d.  serious emotional or mental distress, such as death in the immediate family.

 

 

. . .

 

28. Consideration would not generally be given to cancelling a penalty based on an inability to pay or financial hardship unless an extraordinary circumstance, as described in 25 has prevented compliance. However, there may be exceptional situations that may give rise to cancelling penalties, in whole or in part. For example, when a business is experiencing extreme financial difficulty, and enforcement of such penalties would jeopardize the continuity of its operations, the jobs of the employees, and the welfare of the community as a whole, consideration may be given to providing relief of the penalties.

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[28]           La demanderesse prétend que le refus de rembourser les pénalités n’est pas documenté dans la politique publiée de l’ARC. Les arguments de la demanderesse se fondent principalement sur les Lignes directrices concernant l’annulation ou la renonciation aux pénalités et aux intérêts énoncées dans la circulaire IC07‑1. La demanderesse avance que le gestionnaire n’a pas jugé que la crise financière mondiale était une « catastrophe causée par l’homme » comme il est indiqué dans cette circulaire. La demanderesse avance aussi que la crise financière constitue des « circonstances exceptionnelles » aux termes du même paragraphe.

 

[29]           En réponse à l’assertion faite dans la décision selon laquelle les pénalités servent à encourager le respect des exigences en matière de déclaration, de retenue d’impôt et de paiement, la demanderesse soutient que le législateur a cru bon de prévoir des situations où l’encouragement devient un exercice futile, comme lors de catastrophes.

[30]           La demanderesse soutient que le gestionnaire a interprété à tort les critères énoncés dans la circulaire comme étant conjonctifs plutôt que disjonctifs; pour le contribuable, il n’y a qu’un seul critère à respecter pour se qualifier à l’allègement.

 

[31]           La demanderesse souligne que l’utilisation de « cependant » au paragraphe 28 de la circulaire indique que ce qui suit est une exception par rapport au texte qui précède. La demanderesse fait observer que la crise financière n’était pas moins une catastrophe qu’une grève de la poste, événement mentionné au paragraphe 25.

 

[32]           La demanderesse fait valoir qu’elle a créé des emplois qui se sont traduits par des millions de dollars en charges sociales et autres taxes.

 

[33]           La demanderesse a présenté un argument juridique supplémentaire dans l’affidavit de son agent. Il est vrai que cet argument reprend les arguments du mémoire des faits et du droit, mais la demanderesse fait valoir que la feuille d’information fait directement référence à la situation financière précaire de la demanderesse, de sorte qu’il serait absurde de rejeter sa demande.

 

Les observations écrites de la défenderesse

 

[34]           La défenderesse soutient que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions que prend la ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[35]           La défenderesse soutient que la décision était raisonnable, tant dans son processus que dans son résultat. Le gestionnaire a déterminé que la demanderesse n’avait pas été empêchée de s’acquitter de ses obligations en raison de circonstances extraordinaires et qu’elle n’était pas dans une situation exceptionnelle.

 

[36]           L’examen des observations de la demanderesse par le gestionnaire a confirmé qu’elle était dans l’incapacité de payer la totalité du montant exigible. Ce fait était reflété dans la décision qui accordait l’allègement des intérêts.

 

[37]           Les actions de l’ARC et les antécédents d’un contribuable en matière de règlement de dettes et d’exécution volontaire sont des facteurs pertinents dans une demande d’allègement des intérêts.

 

[38]           La circulaire IC07‑1 est un guide, et non une loi. Bien qu’utile dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, elle n’y fait pas obstacle.

 

[39]           Notre Cour a déjà statué qu’une crise immobilière n’est pas similaire aux situations exceptionnelles dont il est fait mention dans la circulaire. Cette conclusion s’applique tout autant à une crise financière.

 

[40]           Rien ne prouve que la demanderesse était dans une situation exceptionnelle au sens du paragraphe 28 de la circulaire IC07‑1, car aucun élément de la preuve n’a trait aux employés et autres partenaires de la demanderesse ou à la mesure dans laquelle ils seraient touchés par l’application des pénalités. De même, rien n’indique non plus dans quelle mesure la collectivité d’attache de la demanderesse serait affectée advenant l’application des pénalités.

 

[41]           Le paragraphe 220(3.1) confère à la ministre un large pouvoir discrétionnaire pour octroyer un allègement ou un allègement partiel et, en l’espèce, ce pouvoir a été exercé de façon judicieuse.

 

L’analyse et la décision

 

[42]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie est déjà établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[43]           La Cour d’appel a statué que l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi est assujetti à la norme de la décision raisonnable (voir Telfer c Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, [2009] ACF no 71, au paragraphe 28).

 

[44]           Lorsqu’elle examine la décision de la ministre suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la ministre est arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables au vu des éléments de preuve soumis (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 4). Comme l’a conclu la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, il n’appartient pas à une cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il ne lui appartient d’évaluer de nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[45]           Deuxième question

            Le gestionnaire a‑t‑il commis une erreur en refusant de rembourser les pénalités imposées à la demanderesse?

            La défenderesse a raison d’affirmer que les décideurs ne sont pas légalement obligés de suivre les lignes directrices; cependant, je ne vois pas de conflit en l’espèce entre les lignes directrices et la décision et je ne vois donc pas l’utilité de pousser plus loin l’analyse.

 

[46]           De toute évidence, le paragraphe 25 de la circulaire IC07‑1 développe la notion de « circonstances exceptionnelles », ce terme étant utilisé au paragraphe 23. La demanderesse fait valoir que les circonstances qu’elle a connues relèvent en substance de ce paragraphe.

 

[47]           Je tiens d’abord à préciser que l’argument de la demanderesse selon lequel la crise financière a été qualifiée de « catastrophe » au sens du paragraphe 25 n’a pas été soumis à l’ARC. Les observations de la demanderesse mentionnent la crise financière comme faisant partie des explications fournies à l’égard de son incapacité de payer, mais rien n’indique que la demanderesse s’appuyait spécifiquement sur l’analogie à une catastrophe naturelle et il ne s’agit certainement pas d’un argument qui va de soi. Par conséquent, il serait inapproprié pour la Cour d’annuler la décision sur ce fondement, puisque le but du contrôle judiciaire est de déterminer si une décision raisonnable a été prise sur la foi du dossier dont le décideur initial est saisi, indépendamment des arguments soulevés après le fait.

 

[48]           Or, au bout du compte, même si l’ARC avait changé d’avis sur la question des exemples donnés au paragraphe 25 de la circulaire IC07‑1, il aurait été raisonnable de conclure qu’une crise financière n’est pas analogue à ces exemples. Dans un jugement antérieur, Cooke c Canada (Procureur général), 2009 CF 1161, [2009] ACF no 1586, au paragraphe 18, le juge Simon Noël a conclu qu’une crise immobilière n’était pas similaire aux exemples cités dans la circulaire :

Le demandeur soutient que la crise immobilière des années 1990 s’apparente à des circonstances exceptionnelles telles qu’énoncées dans les Lignes directrices, puisqu’il s’agit d’un événement ayant eu lieu indépendamment de sa volonté. La Cour souligne qu’il ne s’agit pas ici d’un événement pouvant s’apparenter aux exemples mentionnés aux paragraphes 5a) et b) des Lignes directrices, par exemple une inondation, un incendie, des troubles civils ou l’interruption de services. La crise immobilière a été causée par un ensemble de décisions faites par des gens d’affaires. Elle ne provenait pas d’une situation exceptionnelle telle qu’exemplifiée dans les Lignes directrices. Certes, cette situation n’était pas voulue par ceux‑ci, mais suite aux décisions prises, elle devenait une possibilité. La même situation pourrait s’appliquer à la crise dans le secteur des hautes technologies à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

 

 

[49]           La dernière phrase démontre clairement que cette analyse ne se limite pas à une crise immobilière particulière, mais aux variations qui caractérisent le système capitaliste en général et la destruction créatrice qui y est inhérente. Dans une économie de marché, les fluctuations financières ne sont pas exceptionnelles. Les exemples énumérés au paragraphe 25 de la circulaire IC07‑1 se distinguent de ce concept. Bien que je comprenne le point de vue de la demanderesse selon lequel une grève des postes se rapproche davantage d’une perturbation économique que d’une catastrophe naturelle, le sens du paragraphe 25 dans son ensemble est clair : une baisse de la demande de la part d’un secteur particulier n’est pas « exceptionnelle » au sens de ce paragraphe.

 

[50]           Certes, dans la circulaire, le paragraphe 24 indique aussi clairement qu’une demande qui ne répond pas aux critères du paragraphe 23 peut quand même être autorisée, ce qui est approprié compte tenu de la nature non contraignante des lignes directrices. Or, la demanderesse n’a fourni aucune raison pour laquelle ce serait le cas de sa demande et, la crise financière ayant des effets largement répandus, on ne voit pas ce qui distinguerait cette entreprise de l’économie en général.

 

[51]           Pour ce qui est du paragraphe 28 de la circulaire IC07‑1, je conviens avec la demanderesse qu’il crée une exception aux circonstances exceptionnelles décrites au paragraphe 25, comme en fait foi l’utilisation de « cependant ». Je conviens également avec la demanderesse que le dossier révèle que l’ARC a reconnu clairement les difficultés financières éprouvées, comme le prouve le commentaire extrait de la feuille d’information selon lequel [traduction] « [l’]entreprise se trouve dans une situation financière difficile ».

 

[52]           Toutefois, des difficultés financières extrêmes ne constituent pas le seul critère mentionné au paragraphe 28. De fait, le texte précise clairement qu’il s’agit de difficultés financières combinées aux particularités suivantes :

[...] Cependant, des situations exceptionnelles peuvent donner lieu à l’annulation totale ou partielle des pénalités. Par exemple, lorsqu’une entreprise a des difficultés financières extrêmes et que l’application des pénalités mettrait en danger la continuité de son exploitation, des emplois et du bien‑être de la collectivité dans son ensemble, on peut considérer un allègement des pénalités. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[53]           L’application appropriée du paragraphe 28 exige du décideur qu’il détermine si les difficultés financières extrêmes sont combinées aux trois facteurs suivants : la continuité de l’exploitation, celle des emplois et celle du bien‑être de la collectivité.

 

[54]           En l’espèce, la demanderesse ne semble pas avoir présenté d’observations sur ces trois facteurs. Bien que la lettre du 14 novembre 2011 mentionne les emplois, aucun autre détail n’est fourni et plus important encore, aucun lien n’est établi entre l’application des pénalités et l’existence des emplois. De même, aucune mention n’est faite de la continuité de l’exploitation (au‑delà des difficultés financières généralement invoquées) ou du bien‑être de la collectivité.

 

[55]           Je suis conscient de la situation difficile de la demanderesse, d’ailleurs confirmée dans le rapport même de l’ARC. Cependant, je ne vois rien dans la décision qui soit contraire à l’intelligibilité, la justification ou la transparence ou qui la place à l’extérieur de la gamme des issues possibles acceptables.

 

[56]           La demande est donc rejetée.

 

[57]           Les deux parties ont sollicité des dépens. Compte tenu de la nature de la présente demande et du contexte factuel de l’affaire, notamment la situation financière de la demanderesse et ses efforts pour payer sa dette, je ne suis pas disposé à rendre une ordonnance à cet égard.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune ordonnance n’est rendue au sujet des dépens.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi de l’impôt sur le revenu (LRC, 1985, c 1 (5e suppl.))

 

220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220. (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑533‑12

 

INTITULÉ :                                                  CPNI INC.

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 10 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Bird

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tony Cheung

Nancy Arnold

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CPNI Inc.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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