Date : 20130305
Dossiers : IMM-1421-13
IMM-1422-13
Référence : 2013 CF 233
Montréal (Québec), le 5 mars 2013
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE :
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NAGALOGATHEVY SIVAGURUNATHAN
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Applicant
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and
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THE MINISTER OF CITIZENSHIP AND IMMIGRATION and THE MINISTER OF PUBLIC SAFETY AND EMERGENCY PREPAREDNESS
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Respondent
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La demanderesse, Mme Nagalogathevy Sivagurunathan, présente à cette Cour deux demandes de sursis d’exécution d’un ordre de renvoi à son égard qui doit prendre effet le 6 mars 2013. Le renvoi doit avoir lieu vers le Sri Lanka. La Cour a accepté d’entendre ces affaires le 4 mars dernier à cause du renvoi imminent de la demanderesse. La même ordonnance doit être rendue dans les deux dossiers et les motifs de cette ordonnance seront communs aux deux dossiers. Les mêmes motifs seront donc versés dans ceux-ci.
[2] L’avocate des défendeurs a fait valoir que les requêtes en sursis devraient être rejetées parce que les demandes de sursis ont été faites tardivement. En effet, la demanderesse savait depuis le 7 février dernier qu’elle ferait l’objet d’une mesure de renvoi au début de mars et la date du 6 mars 2013 était connue depuis le 14 février. La demanderesse a fait ses demandes de sursis le 1er mars. Étant donné la conclusion à laquelle j’en suis venu sur le sursis lui-même, je décline l’occasion qui m’est offerte de disposer de la question sur cette base étroite. Je rappelle cependant que cette Cour, il y a plus de vingt ans, établissait que le sursis demandé in extremis pourrait être rejeté. Dans Membreno-Garcia c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] 3 CF 306, Madame la juge Reed concluait :
«À mon avis, le fait de présenter une demande de sursis à la toute dernière minute constitue en soi, dans bien des cas, un motif pour refuser la demande.» (page 315)
[3] En l’espèce, la demanderesse est arrivée au Canada le 14 août 2008. Ce n’est que le 22 octobre 2008 qu’elle faisait une demande d’asile. Cette demande a été refusée le 18 octobre 2010. Une demande en autorisation de contrôle judiciaire de ce refus était présentée à cette Cour et celle-ci était rejetée le 14 mars 2011. Une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) était soumise le 24 octobre 2011; ladite demande a été rejetée le 14 novembre 2012.
[4] La demanderesse a aussi invoqué des considérations humanitaires dans une demande de résidence permanente pour lui permettre de présenter la demande de résidence permanente depuis le Canada (article 25 de la Loi). Cette demande a aussi été rejetée. La décision du Senior Immigration Officer a été rendue le 16 novembre 2012, mais la demanderesse indique ne l’avoir reçue que le 7 février 2013.
[5] Tant la décision sur l’examen des risques avant renvoi (IMM-1421-13) que la décision sur la demande de résidence permanente depuis le Canada pour un motif d’ordre humanitaire (IMM‑1422‑13) font l’objet de requêtes en contrôle judiciaire aux termes de l’article 72 de la Loi. Ces deux demandes sont toute récentes, si bien que les demandes d’autorisation n’ont pas été entendues.
[6] La demanderesse argue que l’examen des risques avant renvoi et sa demande de résidence permanente pour un motif humanitaire ont été mal décidées et qu’il doit donc y avoir sursis de l’ordre de renvoi pour permettre que ces décisions soient renversées.
[7] Pour obtenir ledit sursis, la demanderesse doit satisfaire la Cour qu’une question sérieuse doit être débattue, que le sursis est nécessaire pour éviter qu’un préjudice irréparable ne lui soit causé et que la balance des inconvénients la favorise (R.J.R. - Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311; Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.)).
[8] Dans un argument oral appuyé, l’avocat de la demanderesse présente avec vigueur et éloquence que le Senior Immigration Officer (le décideur), le même dans les deux dossiers, a « manqué au devoir de justice naturelle et d’agir avec équité et non avec célérité ». Il dit que le décideur n’a pas fait une analyse particularisée pour chacun des recours devant lui, se contentant de considérer que les questions soulevées par la demanderesse dans ces deux recours avaient déjà fait l’objet d’une décision pour laquelle une autorisation de se pourvoir en contrôle judiciaire a été refusée.
[9] Il convient de rappeler que les demandes d’autorisation sont décidées sur la base du test « fairly arguable » énoncé dans Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990], 47 Admin. L.R. 317 (CAF). Si la Cour a refusé permission parce que l’affaire ne rencontrait pas un test tel « fairly arguable », n’était-il pas raisonnable pour le décideur de considérer que des arguments fondés sur des faits différents étaient requis pour en arriver à une décision différente?
[10] Or, la demanderesse fait grief à l’agent ERAR de ne pas avoir fait une analyse particularisée. C’est, selon elle, l’erreur faite qui constitue la question sérieuse devant satisfaire au premier critère donnant ouverture à sursis. Quant à l’étude du décideur au sujet de la demande pour obtenir le statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse fait grief en plus d’avoir omis de considérer l’intérêt supérieur des enfants (apparemment la demanderesse parle alors des enfants de sa fille avec qui elle vit depuis plusieurs années), une considération qui est prévue expressément à l’article 25 de la Loi.
[11] La difficulté que rencontre la demanderesse est que ses arguments doivent être mesurés contre le test applicable dans l’un et l’autre des recours. Ainsi, une décision ERAR n’est pas un appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR). Si les mêmes faits sont présentés à l’agent ERAR, il n’y a rien de nouveau à considérer. L’article 113 de la Loi est clair à cet égard. Pour reprendre les mots de l’alinéa a), « le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet... ». Ce fardeau n’a pas été déchargé en l’espèce. Même à l’audition devant cette Cour, l’avocat de la demanderesse n’a pu pointer spécifiquement en direction de quelque chose de neuf. Elle n’a pas non plus rencontré le test qui veut qu’il faille prouver un risque personnalisé. Il était raisonnable pour l’agent de rejeter la demande puisque rien de neuf, à proprement parler, n’était devant lui et qu’il ne saurait agir en appel de la SPR.
[12] La même difficulté confronte la demanderesse dans son dossier en vertu de l’article 25 de la Loi. Cette demande ne peut être une demande d’asile présentée devant un autre décideur. En effet, il existe dans ce domaine aussi un test qui doit être satisfait par la demanderesse. La demanderesse s’est appuyée sur la qualité de son établissement au Canada et les risques qu’un retour au Sri Lanka pourrait entraîner pour elle. Encore ici, la question des risques ne lui est pas utile puisque l’on tente à nouveau de présenter le même argument : les risques encourus ne sont pas différents de ceux traités par la SPR et le décideur pouvait raisonnablement se satisfaire de cette analyse. Il eut été déraisonnable, arguendo, qu’il ne le fasse pas. Sur la base du dossier tel qu’il était, il ne restait au décideur qu’à considérer que l’établissement de la demanderesse au Canada.
[13] À ce chapitre, le fardeau de la demanderesse était de satisfaire le décideur que la demande de résidence permanente qui devait être faite à l’extérieur du Canada, comme requis en vertu de l’article 11 de la Loi, pourrait être faite au Canada parce que si elle était faite hors du pays, cela causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Tel est le test. Le seul fait du renvoi hors du pays constitue certes des inconvénients. Mais ceux-ci doivent prendre une mesure telle qu’ils sont des difficultés inhabituelles qui seraient ou bien démesurées, ou bien injustifiées. La Loi prévoit d’ailleurs spécifiquement le cas de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché comme étant une considération d’ordre humanitaire. C’est un fardeau dont la demanderesse ne s’est pas déchargée malgré la sympathie que son cas pourrait soulever.
[14] L’allégation faite devant cette Cour, pour la première fois, qu’il y aurait en l’espèce à considérer l’intérêt de l’enfant directement touché pour faire l’objet de deux commentaires. D’abord, ce qui est devant la Cour est le dossier tel que présenté à l’agent en vertu de l’article 25. Aucun tel argument n’était devant lui, si bien qu’aucun tel argument ne saurait réussir devant cette Cour. Au mieux, la demanderesse indique être près de ses petits-enfants et que ceux-ci « will definitely suffer hardship as we all are very close ». Ensuite, il est loin d’être clair que l’argument aurait pu être couronné de succès s’il avait été présenté avec plus de vigueur. La Loi parle de « l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Ici, il s’agirait des petits-enfants de la demanderesse avec qui elle partage le domicile de leurs parents.
[15] Par conséquent, des questions sérieuses n’ont pas été démontrées devant cette Cour. Présenter à répétition le même argument fondé sur la même preuve ne saurait suffire. Quant à l’établissement au Canada, la preuve ne satisfait tout simplement pas au test des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Il n’est pas inutile de rappeler que les décisions du décideur bénéficient en ces matières de déférence et qu’elles ne seront révisées que si elles ne sont pas raisonnables.
[16] Il ne faut pas oublier que la demanderesse est dans un état précaire depuis longtemps quant à son statut au Canada. Depuis 2008, alors qu’elle a demandé asile au Canada, elle n’a jamais eu de statut reconnu. Les recours se sont additionnés et, à chaque étape, le même argument a été présenté, sans succès. Le seul nouvel argument était celui de l’établissement au Canada, à toutes fins utiles, après plusieurs années de statut sinon inexistant, à tout le moins fort précaire. Comme indiqué, ce seul argument ne saurait satisfaire au test.
[17] Il n’est donc pas nécessaire de se pencher sur les deux autres éléments du test tripartite, soit la balance des inconvénients et le préjudice irréparable. Le défaut de satisfaire à l’un des éléments du test pour obtenir un sursis suffit. Si j’avais eu à le faire, j’aurais conclu que la demanderesse ne s’était pas déchargée du fardeau qui est le sien quant aux deux autres éléments aussi.
[18] Je ne suis pas convaincu que le préjudice irréparable requiert toujours un risque grave qui mette en danger la vie ou la sécurité. En même temps, il ne saurait être que la simple demande de contrôle judiciaire emporte le sursis d’une mesure d’exécution. Davantage est requis. Ici, la demanderesse ne démontre pas de risque grave pour elle, autre qu’une preuve documentaire générale. Elle ne démontre pas non plus une qualité d’argument qui rendrait illusoire un contrôle judiciaire par ailleurs établi sur des questions très sérieuses et bien appuyées. La demanderesse n’a satisfait ni l’un ni l’autre.
[19] Il s’ensuivra que la balance des inconvénients ne favorise pas la demanderesse. La Loi prévoit que la mesure de renvoi doit être relativement expéditive (article 48 tel qu’amendé en décembre 2012). L’intérêt public à ce que le renvoi ait lieu pour maintenir l’intégrité du système (Membreno-Garcia c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] 3 CF 306) l’emporte d’emblée lorsqu’il n’y a ni question sérieuse, ni dommage irréparable.
[20] En conséquence, la demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi prévu pour le 6 mars 2013 est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi prévu pour le 6 mars 2013 soit rejetée.
L’intitulé dans les deux dossiers est amendé pour inclure le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile dont relève l’exécution des mesures de renvoi.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1421-13 & IMM-1422-13
INTITULÉ : NAGALOGATHEVY SIVAGURUNATHAN
c. MCI ET AL
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 4 mars 2013
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROY
DATE DES MOTIFS : Le 5 mars 2013
COMPARUTIONS :
Anthony Karkar
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POUR LA DEMANDERESSE
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Denisa Chrastinova
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POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Anthony Karkar Montréal (Québec) |
POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada |
POUR LES DÉFENDEURS |