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Date: 20130228

Dossier : T-1961-11

Référence : 2013 CF 208

Ottawa (Ontario), le 28 février 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

ALAIN GRENIER

(ANCIEN COMBATTANT)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Grenier a servi dans la Force régulière des Forces canadiennes de 2004 à 2010. Ces six années de service ont été très difficiles pour lui. En raison de problèmes de stress et d’anxiété, il n’a pu poursuivre son métier de policier militaire ni même demeurer dans les Forces. Cette conclusion n’est cependant pas la question en l’espèce. La question est plutôt de savoir si M. Grenier est en droit de recevoir une prestation d’invalidité.

 

[2]               Le Tribunal des anciens combattants a confirmé la décision du Comité de révision du Tribunal des anciens combattants d’accorder à M. Grenier une indemnité de l’ordre de deux cinquièmes pour un trouble de l’adaptation avec humeur mixte en raison de l’aggravation d’une condition médicale préexistante. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Puisque je vais accorder le contrôle judiciaire au motif que les règles d’équité procédurale n’ont pas été suivies à deux égards précis, il suffit de résumer sommairement les faits.

 

I. LES FAITS

 

[4]               Monsieur Grenier a présenté une première demande d’emploi dans les Forces canadiennes en 2002, mais pour quelconques raisons a opté de ne pas s’enrôler avant 2004. À cette époque, il a dû remplir un rapport d’examen médical pour être admis dans les Forces canadiennes et devenir policier militaire. Il était plus âgé que la plupart des autres candidats et avait déjà servi quelques années en tant que policier municipal au Québec.

 

[5]               Selon le Rapport d’examen médical (en vue de l’enrôlement) de 2002, M. Grenier a obtenu la cote d’aptitude la plus élevée, hormis celle réservée aux militaires aspirant à des fonctions exceptionnelles comme l’entraînement d’astronaute ou d’équipage aérien.

 

[6]               En 2003, il a participé à un tournoi de badminton pour policiers et pompiers à Barcelone, à l’issue duquel il a remporté la médaille de bronze. Il en est toutefois revenu stressé et anxieux.

 

[7]               En 2004, lorsqu’il a refait demande pour s’enrôler dans les Forces canadiennes, il a dû subir un nouvel examen et a encore une fois obtenu la même cote. Il a indiqué avoir consulté le Dr Patrice Trottier à son retour de Barcelone. Il a autorisé celui-ci à divulguer des renseignements médicaux le concernant. Selon la Demande de divulgation de renseignements médicaux remplie par le Dr Trottier, M. Grenier a fait l’objet d’un diagnostic de « trouble d’adaptation avec anxiété » pour lequel il a reçu comme traitement du support psychologique. En outre, le docteur y indique qu’en date du 28 novembre 2003, le problème était résolu.

 

[8]               Dr Trottier devait répondre aux questions suivantes :

Vous serait-il possible, dans votre réponse, de nous fournir des précisions sur les aspects suivants :

 

 

E.         Toutes restrictions en ce qui concerne les activités physiques et mentales, étant donné qu’un membre des Forces canadiennes travaille parfois sous des conditions de stress physique/mental intensifs;

 

F.         Risque de récidive

 

En réponse à la question E, il a indiqué « aucune restriction », et à la question F, « non ».

 

[9]               Sur réception de ce rapport, les médecins des Forces canadiennes ont approuvé l’enrôlement de M. Grenier.

 

[10]           Cependant, des problèmes sont survenus. M. Grenier a eu de la difficulté à trouver sa place dans un cadre militaire. Il estime avoir été victime de harcèlement en raison de son âge et de son vécu, notamment de son expérience en tant que policier. En effet, son instructeur était d’avis que M. Grenier n’était pas apte au métier de policier militaire. Il a réussi, à l’issue d’un grief, à faire renverser cette décision par le Grand prévôt des Forces canadiennes, et a donc été réadmis à l’École de la police militaire. Dans une lettre adressée à l’avocat de M. Grenier, le Grand prévôt s’est exprimé ainsi : « Je regrette l’anxiété que ce processus ait pu causer au MAT1 Grenier et je vous remercie d’avoir porté cette matière à ma connaissance. »

 

[11]           M. Grenier a aussi vécu du stress et de l’anxiété liés à des questions qui n’avaient rien à voir avec les Forces, notamment sa relation avec sa conjointe ainsi qu’une dispute relative à des réparations subséquentes à l’achat d’une voiture usagée.

 

[12]           La situation de M. Grenier a continué d’empirer. Il a dû être hospitalisé; il a aussi souffert de troubles physiques, et son score d’aptitude physique a dégringolé au point où il n’était manifestement plus apte au service militaire.

 

[13]           Il convient de mentionner un incident en particulier : une plainte a été logée par un des collègues de M. Grenier à l’égard de son hygiène personnelle. Ce dernier en a été très troublé et a consulté la Dr Labonté, des Services de santé mentale de la Base des Forces Canadiennes Borden, qui l’avait déjà traité auparavant. Voici le compte rendu qui figure dans le rapport de consultation du 16 mars 2007 de la Dr Labonté [traduction] :

[…] Il dit avoir pris part à un entretien filmé relatif à une plainte logée à son endroit par l’un de ses camarades de classe à l’égard de son hygiène. Il en ressent de la détresse; il sent qu’il se retrouve dans la même situation qu’il a vécue lorsqu’il a suivi son cours pour la première fois, alors qu’il a présenté un grief, qui a été accueilli. Il se sent particulièrement visé et ne comprend pas pourquoi la situation se reproduit. […]

 

[14]           Plusieurs rapports médicaux qui figurent au dossier suggèrent que les problèmes de stress et d’anxiété de M. Grenier étaient de longue date.

 

II. LES DÉCISIONS

 

[15]           La première décision a été rendue en septembre 2008 au nom du ministre des Anciens combattants. Puisque le ministre n’était pas convaincu que la condition de M. Grenier résultait de facteurs associés à son service militaire, il a refusé de lui accorder une indemnité en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, qui est ainsi libellé :

45. (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée :

 

 

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

 

b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

 

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)b), seule la fraction — calculée en cinquièmes — du degré d’invalidité qui représente l’aggravation due au service donne droit à une indemnité d’invalidité.

45. (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

 

(a) a service-related injury or disease; or

 

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

 

(2) A disability award may be paid under paragraph (1)(b) only in respect of that fraction of a disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated by service.

 

 

[16]           Cependant, lors d’une révision ministérielle en novembre 2009, une indemnité sur une base de deux cinquièmes lui a été accordée en vertu de cet article. La décision comporte la mention suivante : « les rapports d’évaluation indiquent que votre affection psychologique est reliée à plusieurs facteurs, incluant le stress associé au processus de grief, des conflits interpersonnels et des facteurs personnels. » Mention est aussi faite d’une consultation antérieure avec un psychologue qui avait diagnostiqué chez M. Grenier un trouble de l’adaptation avec anxiété, en 2003. Toutefois, le fait que ce même rapport faisait également état d’un rétablissement complet a été passé sous silence.

 

[17]           Une troisième décision a été rendue en juin 2010. Le Tribunal des anciens combattants, Comité de révision de l’admissibilité, a alors confirmé l’octroi de l’indemnité de l’ordre de deux cinquièmes.

 

[18]           La décision finale, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, a été rendue en octobre 2011 par le Tribunal des anciens combattants, Comité d’appel de l’admissibilité. Cette décision reconfirme l’octroi de l’indemnité de l’ordre de deux cinquièmes.

 

[19]           Je suis d’avis que l’issue du présent contrôle repose sur les deux passages suivants :

[…]

 

La copie de l’enregistrement vidéo en date du 21 février 2007 (AD-Annexe-G2) n’a pas été acceptée car le Tribunal n’accepte pas de témoignage vidéo mais seulement des documents écrits pour l’audience d’appel.

 

[…]

 

Pour ce qui est de la demande de vérification de renseignements médicaux du mois de janvier 2004, indiqué dans la décision du Ministère, l’appelant se souvient que le Dr Trottier avait préparé une lettre à son enrôlement indiquant qu’il était en bonne santé mentale et qu’il pouvait poursuivre une carrière dans l’armée. Malgré ses maintes tentatives d’obtenir cette lettre, il n’a pu l’obtenir car les dossiers du médecin ne sont plus disponibles (AD-G1).

 

[20]           On n’explique pas clairement pourquoi le Tribunal d’appel n’a pu obtenir le rapport du Dr Trottier; en tout cas, il figure sans contredit dans le dossier qui a été soumis à la présente Cour.

 

III. LA LOI

 

[21]           Les avocats du demandeur ont offert une plaidoirie méticuleuse à l’égard du fait que la décision, de façon générale, était déraisonnable et que les présomptions légales dont aurait dû bénéficier M. Grenier ont été écartées.

 

[22]           La première présomption sur laquelle se fonde le demandeur est prévue à l’article 51 du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes.

 

[23]           Voici le libellé de l’article 51 :

Sous réserve de l’article 52, lorsque l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité du militaire ou du vétéran pour laquelle une demande d’indemnité a été présentée n’était pas évidente au moment où il est devenu militaire et n’a pas été consignée lors d’un examen médical avant l’enrôlement, l’état de santé du militaire ou du vétéran est présumé avoir été celui qui a été constaté lors de l’examen médical, sauf dans les cas suivants :

 

a) il a été consigné une preuve que l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi l’enrôlement;

 

 

b) il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité existait avant l’enrôlement.

Subject to section 52, if an application for a disability award is in respect of a disability or disabling condition of a member or veteran that was not obvious at the time they became a member of the forces and was not recorded on their medical examination prior to enrolment, the member or veteran is presumed to have been in the medical condition found on their enrolment medical examination unless there is

 

(a) recorded evidence that the disability or disabling condition was diagnosed within three months after enrolment; or

 

 

 

 

(b) medical evidence that establishes beyond a reasonable doubt that the disability or disabling condition existed prior to enrolment.

 

 

[24]           Aucune preuve n’a été consignée au dossier dans les trois mois qui ont suivi son enrôlement, et M. Grenier conteste que la preuve médicale ait pu suffire à établir, hors de tout doute raisonnable, que l’affection entraînant son incapacité était préexistante.

 

[25]           M. Grenier se fonde aussi sur d’autres présomptions. Notamment, celles établies par les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui disposent que :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

[26]           Le défendeur soutient quant à lui que le demandeur demande essentiellement à la Cour de soupeser la preuve à nouveau. La norme de contrôle applicable est la norme de raisonnabilité, et la décision faisant l’objet du contrôle respecte manifestement les critères définis à cet égard par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [2008] ACS no 9 (QL), plus particulièrement au paragraphe 47. En outre, bien que la décision ne comporte aucune référence explicite aux présomptions mentionnées, la preuve au dossier indique irréfutablement que l’avis médical offert par le Dr Trottier en 2003 à l’égard de l’aptitude mentale du demandeur au service militaire s’est révélé erroné. En somme, il ressort clairement du dossier que la décision est raisonnable, même si les motifs qui l’accompagnent ne font pas référence à tous les arguments ou détails que M. Grenier aurait voulu y lire (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, [2011] ACS no 62 (QL), au para 16).

 

IV. DÉCISION

 

[27]           Compte tenu des dispositions de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, précité, qui couvrent à la fois les maladies liées au service et les maladies non liées au service mais dont l’aggravation est due à celui-ci, je me suis demandé tout haut, lors de l’audience, quelle incidence cette distinction a réellement pu avoir sur l’indemnité accordée à M. Grenier. Il est probable – et, le cas échéant, possiblement injustifié - que le Tribunal ait été d’avis que n’eût été la condition préexistante de M. Grenier, le stress lié au processus de grief n’aurait pas été de nature à entraîner une invalidité.  

 

[28]           Il est possible - et je tiens ici à souligner le caractère hypothétique de mon propos - que la décision du Tribunal, compte tenu du dossier qui était devant lui, était raisonnable. Toutefois, je n’ai pas à trancher cette question, puisque la décision du Tribunal était fondée sur un dossier incomplet. La question en l’espèce n’est pas de savoir quels éléments figuraient dans le dossier soumis au Tribunal, mais plutôt de déterminer lesquels auraient dû s’y trouver (Tremblay c Canada (Procureur général), 2005 CF 339, [2005] ACF no 421 (QL)).

 

[29]           Les questions d’équité procédurale relèvent de la justice naturelle : la présente Cour n’est nullement tenue de faire preuve de déférence envers le Tribunal dont la décision est contestée pour ces motifs (Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539).

 

[30]           La justice naturelle exige que les parties se voient donner une occasion équitable d’établir leur cause ou de présenter leur défense, et nécessite que les décisions soient rendues sur le fondement d’un dossier complet.

 

[31]           Le Tribunal, par son refus d’accorder à M. Grenier l’occasion de présenter l’enregistrement sur dvd du harcèlement allégué, a mal interprété ses propres règles. S’il est vrai qu’en matière de procédure, les tribunaux sont maîtres chez eux, il n’en demeure pas moins que la procédure doit respecter les principes de la justice naturelle.

 

[32]           Comme l’a exprimé Lord Denning dans l’arrêt Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12, à la page 19 :

[TRADUCTION]

 

Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion […] Dans tous ces cas, on a jugé que l’organisme chargé d’enquêter a le devoir d’agir équitablement; mais les exigences de l’équité dépendent de la nature de l’enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu’on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu’on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l’enquête et du rapport, il faut l’informer de la nature de la plainte et lui permettre d’y répondre. Cependant, l’organisme enquêteur est maître de sa propre procédure.

 

En somme, on ne saurait donner aux règles de procédure une interprétation incompatible avec les principes de justice naturelle.

 

[33]           L’article 28 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) prévoit ce qui suit :

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l’appelant peut soit adresser une déclaration écrite au comité d’appel, soit comparaître devant celui-ci, mais à ses frais, en personne ou par l’intermédiaire de son représentant, pour y présenter des éléments de preuve et ses arguments oraux.

 

28. (1) Subject to subsection (2), an appellant may make a written submission to the appeal panel or may appear before it, in person or by representative and at their own expense, to present evidence and oral arguments.

 

[34]           La question de savoir si un enregistrement sur dvd constitue une « preuve documentaire » a été soulevée.

 

[35]           À cet égard, les articles 19 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada traitent de la « preuve documentaire – documentary evidence ». Aux termes du paragraphe 31.8, les documents comprennent tout « document électronique - electronic document ». Il ne fait aucun doute qu’un dvd constitue un document électronique.

 

[36]           Dans l’arrêt Yates c Canada (Procureur général), 2004 CF 1159, 262 FTR 309, [2004] ACF no 1384 (QL), au paragraphe 13, madame la juge Simpson a énoncé ce qui suit :

Le demandeur pensait que cet article voulait dire que ni le procureur général ni lui ne pouvaient présenter de nouvelles preuves en appel devant le Tribunal. Il pensait que le Tribunal avait contrevenu à cet article lorsqu'il a utilisé le rapport sur les prisonniers de guerre. J'estime cependant que cet article veut tout simplement dire que l'appelant peut présenter des observations orales ou écrites mais qu'il n'est pas possible de faire entendre des témoins - les preuves doivent être présentées sous forme de documents, comme des affidavits ou des rapports d'experts.

 

[37]           Le paragraphe cité s’applique tout à fait à la question du dvd. En l’occurrence, M. Grenier a été privé d’une occasion équitable d’établir ses arguments. Le Tribunal a conclu qu’il n’avait pas été victime de harcèlement; le visionnement de l’enregistrement vidéo aurait justement pu avoir une incidence sur cette conclusion et donc sur l’allocation d’une pension d’invalidité.

 

[38]           M. Grenier a tenté, par l’entremise de son affidavit, de soumettre le dvd à la présente Cour. Le protonotaire Morneau a ordonné que le dvd soit radié du dossier, ainsi que l’excédent du libellé de l’affidavit de M. Grenier y faisant référence. Je conçois que son ordonnance se rapporte essentiellement à la question de l’administration de la justice, notamment à la présentation d’éléments de preuve qui ne figuraient pas dans le dossier du Tribunal. À mon sens, la question n’est pas de savoir si le dvd aurait dû être admis devant la présente Cour, mais plutôt, comme dans l’arrêt Tremblay, précité, de savoir s’il aurait dû être admis en preuve devant le Tribunal.

 

[39]           En outre, les Règles de procédure en ce qui concerne les pièces à l’appui et les pièces jointes du Tribunal prévoient expressément que les éléments de preuve additionnels peuvent comprendre des enregistrements audio, des enregistrements vidéo, des cd et des dvd :

Énoncés, documents, enregistrements, bandes vidéo, CD, DVD, photos, matériel internet ou tout autre matériel pour plaider ou appuyer une demande et qui n’était pas au dossier du requérant antérieurement à la décision courante.

 

[40]           Un autre problème lié à la décision contestée est le fait que le rapport du Dr Trottier ne figurait pas dans le dossier en fonction duquel le Tribunal a rendu sa décision. Ce rapport constitue un élément clé en ce qui concerne les présomptions législatives visant le demandeur.

 

[41]           Plus encore, si le rapport du Dr Trottier n’était pas disponible, on peut alors se demander comment le Tribunal peut affirmer que le « Docteur Trottier avait préparé une lettre à son enrôlement indiquant qu’il était en bonne santé mentale et qu’il pouvait poursuivre une carrière dans l’armée ». L’unique référence à ce rapport dans le dossier certifié du Tribunal se trouve dans la Révision ministérielle, où il est simplement indiqué ce qui suit : « vous avez été suivi par un psychologue pour un trouble de l’adaptation avec anxiété en 2003… ». Il n’est fait aucune référence à la conclusion du Dr Trottier à l’égard de l’aptitude de M. Grenier au service militaire. Le Tribunal se serait-il fondé sur des renseignements qui n’auraient été ni versés au dossier, ni communiqués à M. Grenier? Il s’agirait, le cas échéant, d’un autre manquement à l’équité procédurale.

 

[42]           Il existe une présomption voulant que le Tribunal ait pris connaissance de tous les renseignements qui figurent au dossier, et qu’il les ait tous considérés. Cette présomption est toutefois mise en doute lorsqu’un document qui figure au dossier contient des renseignements qui contredisent la conclusion du Tribunal. Le rapport du Dr Trottier s’écarte manifestement de la conclusion du Tribunal. En l’occurrence, ce dernier avait l’obligation d’expliquer pourquoi il choisissait de n’accorder aucun poids au rapport. Une inférence tacite ne saurait suffire (Cepeda-Gutierrez v Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1988), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (QL)). En l’espèce, le rapport ne figurait même pas au dossier du Tribunal. Il arrive parfois, dans le cadre d’une requête écrite présentée en vertu de la règle 369 des Règles des cours fédérales, qu’un jugement soit fondé sur un dossier incomplet. Lorsqu’une telle lacune est révélée, la justice exige que l’affaire soit reconsidérée.


 

ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  Le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des anciens combattants, Comité d’appel, rendue le 20 octobre 2011 est accordée, le tout avec dépens.

2.                  L’affaire est renvoyée afin qu’un panel du Tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision, compte tenu des présents motifs.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1961-11

 

INTITULÉ :                                      GRENIER c PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 19 FÉVRIER 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 FÉVRIER 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mark Phillips

Me Marc Unger

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sébastien Gagné

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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