Date : 20130228
Dossier : IMM‑7308‑12
Référence : 2013 CF 201
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 28 février 2013
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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JASWINDER SINGH
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision concernant un examen des risques avant renvoi [ERAR] dans le cadre de laquelle il a été établi que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
II. Instance
[2] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR, d’une décision relative à un ERAR rendue le 30 mai 2012.
III. Contexte
[3] Le demandeur, M. Jaswinder Singh, est un citoyen de l’Inde né en 1958.
[4] En février 2002, la police indienne aurait détenu et torturé le demandeur et son frère parce qu’ils étaient soupçonnés d’entretenir des liens avec des activistes; ils ont été libérés cinq jours plus tard grâce à un pot‑de‑vin versé par des membres de leur famille. Son frère serait disparu sans laisser de traces en novembre 2002.
[5] En janvier 2003, la police indienne se serait mise à la recherche du demandeur après avoir appris qu’il prévoyait déposer une plainte contre elle par suite de la disparition de son frère.
[6] Avec l’aide d’un intermédiaire, le demandeur est arrivé au Canada le 24 avril 2003 muni d’un faux passeport. Il y a fait une demande d’asile le 7 mai 2003.
[7] Le 15 mars 2004, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité. Le 24 juin 2004, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire.
[8] Le demandeur a fait trois demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (demandes CH). La première a été déposée le 25 novembre 2004 et a été rejetée le 23 octobre 2007; la deuxième, datée du 7 novembre 2007, a été rejetée le 30 septembre 2008. Enfin, la troisième a été déposée le 23 avril 2009.
[9] En 2009, le frère du demandeur aurait refait surface après s’être enfui de divers postes de police régionaux où il avait été détenu.
[10] Le 20 octobre 2011, la police indienne aurait fait feu sur le frère du demandeur.
[11] Le 5 janvier 2012, le demandeur a reçu un avis l’informant qu’il pourrait présenter une demande d’ERAR.
[12] Le 13 janvier 2012, le demandeur a déposé une demande d’ERAR.
[13] Dans sa demande d’ERAR et ses demandes CH, le demandeur a déposé les éléments de preuve suivants qui ne l’avaient pas été dans sa demande d’asile et dans ses demandes CH antérieures : (i) affidavit de Joginder Singh Mohalla, daté du 13 mars 2009 [affidavit Mohalla]; (ii) affidavit de Charanjit Kaur, daté du 13 mars 2009 [affidavit Kaur]; (iii) affidavit de Mohan Lal, daté du 24 janvier 2012 [affidavit Lal]; (iv) copie du certificat de décès du frère du demandeur [le certificat de décès]; (v) avis publié par le demandeur dans un journal en hindi, daté de 2012 [l’avis]; (vi) documents sur la situation dans le pays concernant l’impunité de la police et le terrorisme d’État contre les Sikhs en Inde, datés du 29 juillet 2010 et du 19 mars 2011; et (vii) décision du comité contre la torture [CCT], datée du 17 mai 2004 [décision du CCT].
[14] Le 30 mai 2012, l’agent a rejeté la demande d’ERAR et les demandes CH.
IV. Décision faisant l’objet du contrôle
[15] L’agent a déclaré que les demandes d’ERAR sont évaluées en fonction de faits ou d’éléments de preuve nouveaux qui démontrent l’existence d’un risque de persécution ou de torture, d’une menace à la vie des demandeurs ou du risque qu’ils soient exposés à des traitements ou peines cruels et inusités. Citant la décision Kaybaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32, l’agent d’ERAR a souligné qu’un ERAR n’est pas un appel d’une décision de la SPR, mais plutôt une évaluation des nouveaux risques qui peuvent surgir après la tenue d’une audience.
[16] L’agent n’a pas considéré comme des éléments de preuve nouveaux au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR les affidavits Mohalla et Kaur. En effet, les affidavits étaient postérieurs à la décision de la SPR mais reprenaient des faits et des événements qui constituaient le fondement de la demande d’asile. Selon l’agent, il était raisonnable d’estimer que les affidavits Mohalla et Kaur auraient pu être présentés devant la SPR; or, le demandeur n’a pas réussi à expliquer pour quelles raisons ils ne l’avaient pas été.
[17] L’agent n’a pas accordé de valeur probante à l’affidavit Lal, qui contient les allégations concernant le retour et le meurtre du frère du demandeur. Cet affidavit présente des vices de forme parce que son auteur ne s’est pas identifié et n’a pas déclaré qu’il avait une connaissance directe des événements relatés, ce qui affaiblissait sa valeur probante. De plus, l’agent lui a aussi accordé une faible valeur probante étant donné qu’il avait été souscrit 19 jours après que le demandeur eut reçu l’avis concernant la possibilité de présenter une demande d’ERAR et qu’il se rapportait directement à des allégations que la SPR n’avait pas jugées crédibles.
[18] L’agent n’a pas accordé de valeur probante au certificat de décès étant donné qu’il ne précisait pas la cause du décès et qu’il n’avait pas la fiabilité d’un document original.
[19] Aucune valeur n’a non plus été accordée à l’avis étant donné qu’il n’établissait pas que c’était bien la police qui avait assassiné le frère du demandeur; en effet, il ne s’agissait que d’un avis à l’intention des créanciers de la succession de son frère.
[20] L’agent n’a pas accordé de valeur probante aux éléments de preuve sur la situation dans le pays en ce qui concerne les forces policières, le terrorisme d’État et l’activisme sikh étant donné que ces éléments de preuve n’étaient pas liés à la situation personnelle du demandeur et ne corroboraient pas ses allégations.
[21] Selon l’agent, la décision du CCT n’avait pas de valeur probante parce qu’elle était fondée sur la situation d’une autre personne et que le demandeur n’avait pas démontré le lien entre cette décision et sa situation personnelle.
[22] Après avoir pris connaissance d’autres éléments de preuve sur la situation dans le pays, l’agent a conclu que le demandeur n’était pas exposé au risque d’être persécuté ou d’être soumis à la torture, d’être exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en Inde. L’agent a reconnu que des éléments de preuve confirmaient que les forces policières se livraient à des exécutions extrajudiciaires et à la torture et qu’il régnait une atmosphère d’impunité en Inde à cause des lacunes en matière d’exécution de la loi, du manque de formation des policiers et de l’engorgement du système judiciaire. L’agent a aussi souligné que les activistes risquaient bel et bien d’être détenus et de subir de mauvais traitements, mais que la violence avait diminué considérablement depuis un certain temps. Néanmoins, le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il serait persécuté par les autorités indiennes et que sa demande d’asile au Canada l’exposait à des risques. La documentation sur la situation dans le pays n’a pas démontré que les ressortissants indiens de retour dans leur pays risquent de subir de mauvais traitements uniquement parce qu’ils ont déposé une demande d’asile.
V. Questions en litige
[23] (1) Est‑ce que le refus de l’agent d’admettre les éléments de preuve présentés au titre de l’alinéa 113a) de la LIPR était raisonnable?
(2) Est‑ce que l’évaluation par l’agent des éléments de preuve qu’il a acceptés comme nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa a) de la LIPR était raisonnable?
(3) Est‑ce que la procédure d’ERAR en cause donne lieu à une crainte raisonnable de partialité?
VI. Dispositions législatives pertinentes
[24] Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes :
Définition de « réfugié »
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Personne à protéger
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
Personne à protéger
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.
[...]
113. Il est disposé de la demande comme il suit :
a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;
[...] |
Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
Person in need of protection
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
Person in need of protection
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
…
113. Consideration of an application for protection shall be as follows:
(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;
... |
[25] Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, sont pertinentes :
57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2). |
57. (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2)
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VII. Arguments des parties
[26] Tout en reconnaissant qu’un ERAR ne constitue pas une nouvelle instruction d’une décision déjà rendue par la SPR, le demandeur soutient que le principe du non‑refoulement est un élément central du régime d’ERAR. Étant donné que la LIPR vise à éviter l’expulsion vers des endroits où il existe un risque substantiel de torture, l’agent devait tenir compte à la fois des éléments de preuve concernant le demandeur et des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays qui feraient la démonstration de l’existence d’un risque de torture en Inde.
[27] Le demandeur affirme que l’agent a tiré des conclusions en matière de crédibilité sur la foi d’hypothèses plutôt que d’une analyse rationnelle de la preuve. En effet, les éléments de preuve relatifs à la détention et aux tortures dont il a été victime auraient dû être analysés dans le contexte de la preuve sur la situation dans le pays qui démontrait l’existence d’une impunité des forces policières et d’un terrorisme d’État contre les Sikhs soupçonnés d’être des activistes. Le demandeur fait valoir que l’agent devait tenir compte de la preuve par affidavit étant donné que la torture se déroule rarement en public et qu’un affidavit n’est pas nécessairement dépourvu de toute valeur probante uniquement parce que son souscripteur est une partie intéressée.
[28] Le demandeur soutient que, dans le contexte d’une expulsion, les décisions administratives de décideurs possédant une indépendance ou une expertise limitées sont incompatibles avec les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte] et les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Le demandeur affirme aussi que le fait de limiter les éléments de preuve qui peuvent être abordés dans le contexte d’un ERAR aux seuls éléments de preuve nouveaux au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR est aussi incompatible avec la Charte.
[29] Enfin, le demandeur soutient qu’il existe une crainte raisonnable de partialité étant donné que les décideurs chargés des ERAR sont systématiquement favorables à l’expulsion.
[30] Le défendeur réplique que la conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve déposés par le demandeur ne constituaient pas des éléments de preuve nouveaux au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR était raisonnable, et ce, parce que les risques allégués par le demandeur étaient essentiellement les mêmes que ceux que la SPR avait rejetés.
[31] Selon le défendeur, l’analyse qu’a effectuée l’agent de la preuve sur la situation dans le pays était raisonnable étant donné que le demandeur n’a pas démontré qu’il était un activiste sikh bien connu ou que les demandeurs d’asile déboutés courent des risques en Inde. De plus, le défendeur ajoute qu’une demande ne peut être fondée uniquement sur des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays sans qu’un lien soit établi entre la situation personnelle du demandeur et lesdits éléments de preuve.
[32] Le demandeur soutient que la Cour suprême du Canada a statué que le régime d’ERAR ne contrevient pas aux dispositions des articles 7 et 12 de la Charte ou des obligations juridiques internationales du Canada dans les arrêts suivants : Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84, Al Sagban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 4, [2002] 1 RCS 133 et Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3.
[33] Enfin, le défendeur fait valoir que le processus d’ERAR lui‑même ne justifie pas une crainte raisonnable de partialité, institutionnelle ou individuelle.
VIII. Analyse
Norme de contrôle
[34] Le refus de l’agent d’accepter les affidavits Mohalla, Kaur et Lal comme nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 361, 343 FTR 291). L’analyse des nouveaux éléments de preuve est aussi susceptible de contrôle selon la même norme (Terenteva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1431).
[35] Dans les cas où la norme de la raisonnabilité s’applique, la Cour ne peut intervenir que si les motifs ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles. Pour qu’il soit satisfait à cette norme, les décisions doivent aussi appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).
[36] La crainte raisonnable de partialité est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Azziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 663, 368 FTR 281).
[37] Étant donné que l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales empêche les tribunaux de se prononcer sur des questions d’ordre constitutionnel lorsque les avis prévus n’ont pas été transmis, il n’est pas nécessaire d’établir la norme de contrôle qui s’appliquerait aux points visés par les observations relatives à la Charte. Le défaut d’envoyer lesdits avis « est fatal puisqu’il s’agit d’une condition sine qua non à l’examen de l’argument constitutionnel soulevé par le demandeur » (Barlagne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 547, 367 FTR 281, au paragraphe 61; voir également Eaton c Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 RCS 241, au paragraphe 53).
(1) Est‑ce que le refus de l’agent d’admettre les éléments de preuve présentés au titre de l’alinéa 113a) de la LIPR était raisonnable?
[38] La conclusion de l’agent selon laquelle les affidavits Mohalla, Kaur et Lal ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR était raisonnable.
[39] La Cour d’appel fédérale a énoncé le critère qui doit s’appliquer aux nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) dans Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 :
[13] Selon [m]on interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :
1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :
a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?
b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?
c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?
Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
5. Conditions légales explicites :
a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).
[40] Il serait raisonnable de conclure que les affidavits Mohalla et Kaur ne satisfont pas au cinquième critère de l’arrêt Raza, précité. En effet, ces affidavits font la preuve d’événements qui sont survenus avant l’audience de la SPR. Le demandeur n’a pas démontré que ces éléments de preuve ne lui étaient pas normalement accessibles ou qu’il n’aurait pas été raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment de l’audience.
[41] Même si l’affidavit Lal satisfait au critère de la nouveauté parce qu’il traite du retour du frère du demandeur et de son assassinat ultérieur par la police indienne, il est possible de conclure de façon raisonnable qu’il ne s’agissait pas d’une preuve nouvelle selon le critère du caractère substantiel.
[42] Même si l’agent a déclaré que l’affidavit Lal contenait de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR, il a refusé de lui accorder une valeur probante parce qu’il reprenait [traduction] « des faits et des événements qui constituaient le fondement de la demande d’asile du demandeur » et que les ajouts relatifs au retour et au meurtre allégués de son frère étaient [traduction] « directement liés à une version jugée non crédible par la SPR » (dossier certifié du tribunal, p. 9). Il est permis de penser que l’agent s’est mal exprimé et qu’il n’a pas considéré l’affidavit de Lal comme un nouvel élément de preuve.
[43] Il a été établi dans l’arrêt Raza, précité, qu’un agent d’ERAR « peut validement rejeter [des] preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR » (au paragraphe 17). Il n’existe aucune différence importante entre, d’une part, les allégations du demandeur faites à l’audience devant la SPR, selon lesquelles lui‑même et son frère avaient été détenus et torturés parce que son frère était soupçonné d’être un activiste sikh, et, d’autre part, les allégations de l’affidavit Lal selon lesquelles son frère avait été assassiné parce qu’il était soupçonné d’être un activiste sikh. Étant donné que la SPR n’avait pas cru la version des faits donnée par le demandeur, sa demande n’aurait « probablement [pas] été accordée » si la SPR avait eu accès à l’affidavit Lal (au paragraphe 13).
(2) Est‑ce que l’évaluation par l’agent des éléments de preuve qu’il a acceptés comme nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa a) de la LIPR était raisonnable?
[44] L’évaluation qu’a effectuée l’agent d’ERAR des nouveaux éléments de preuve acceptés en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR était raisonnable. En effet, le certificat de décès et l’avis ne mentionnaient pas la cause de la mort du frère du demandeur et ne permettent pas nécessairement d’inférer qu’il avait été assassiné par la police indienne. En effet, des éléments de preuve sur la situation générale dans un pays ne peuvent remplacer un lien direct avec un demandeur aux fins d’établir l’existence d’un risque personnel auquel serait exposée une personne soupçonnée d’être un activiste sikh en Inde (Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1305, au paragraphe 37).
(3) Est‑ce que la procédure d’ERAR en cause donne lieu à une crainte raisonnable de partialité?
[45] L’allégation selon laquelle la crainte raisonnable de partialité institutionnelle découle du processus d’ERAR lui‑même parce que les agents d’ERAR auraient un préjugé favorable à l’expulsion de demandeurs ne peut être accueillie. En effet, dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 669, le juge Edmond Blanchard a rejeté ce même argument (au paragraphe 39).
IX. Conclusion
[46] Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est proposée aux fins de certification.
« Michel M.J. Shore »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑7308‑12
INTITULÉ : JASWINDER
SINGH c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 27 février 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS : Le 28 février 2013
COMPARUTIONS :
Me Stewart Istvanffy
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POUR LE DEMANDEUR
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Me Thomas Cormie
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Étude légale Stewart Isvanffy Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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