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Date : 20130307

Dossier : IMM‑3998‑12

Référence : 2013 CF 242

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

ANDRIY MAKLAKOV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Andriy Maklakov, citoyen ukrainien, a présenté la présente demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi], visant la décision, en date du 22 février 2012, par laquelle un agent des visas [l’agent] de l’ambassade du Canada à Kiev, en Ukraine, a rejeté la demande de permis d’études qu’il avait présentée sous le régime de l’article 11 de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs dont l’exposé suit, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[3]               M. Maklakov avait auparavant présenté trois demandes de permis d’études, qui avaient toutes été rejetées, et cinq demandes de visa de visiteur, dont quatre sans succès. On lui a délivré un seul visa de visiteur, en 2008, afin qu’il puisse venir au chevet de sa mère mourante au Canada. Cette succession d’échecs en matière de visas est attribuée au fait qu’il a utilisé, dans le cadre d’une demande formée en 2003, un document frauduleux présenté comme une lettre d’employeur pour donner une idée avantageuse de sa situation pécuniaire. Il a admis cette fraude en interrogatoire et l’a signalée dans ses demandes postérieures.

 

[4]               Le demandeur s’est vu refuser visas de visiteur et permis d’études depuis 2003, y compris en 2010, en raison de sa [TRADUCTION] « propension à la fraude et aux fausses déclarations » et au motif que [TRADUCTION] « sa demande de permis d’études [n’était] qu’un autre moyen d’entrer au Canada ».

 

[5]               La décision ici contrôlée se rapporte à une demande de permis d’études que le demandeur a présentée pour suivre des cours au Southern Alberta Institute of Technology (SAIT). Cet établissement l’a admis dans un programme où il devait d’abord étudier l’anglais, puis la production cinématographique et vidéo afin de se perfectionner pour l’exercice de sa profession de cinéaste en Ukraine. Le demandeur a produit des documents pour démontrer qu’il habiterait chez sa sœur et son beau‑frère, qui sont bien établis à Calgary. Il a également produit un relevé de compte d’une banque canadienne affichant un solde de 20 000 $, somme destinée à couvrir ses frais d’inscription et les autres dépenses afférentes à ses études. Il a expliqué que sa femme continuerait à travailler en Ukraine, où elle resterait avec leur enfant, pendant qu’il étudierait au Canada, et qu’il possède une entreprise cinématographique dans son pays.

 

[6]               L’agent a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions que prévoit l’article 11 de la Loi. Les motifs de la décision contrôlée comprennent la lettre de refus, les notes de l’agent et une liste de contrôle portant que ce dernier n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à l’expiration de son délai de séjour pour les deux motifs suivants : « la raison de votre visite » et « votre situation actuelle en matière d’emploi ». L’agent a aussi écrit sous la rubrique « Autres raisons » de cette liste : [TRADUCTION] « vous avez déjà fait de fausses déclarations et vous manquez de crédibilité ».

 

[7]               On peut en outre lire les observations suivantes dans les notes de l’agent :

[TRADUCTION] [Le demandeur] a 34 ans, il est marié, et il veut suivre un cours d’ALS d’un an au SAIT. Employé comme opérateur et chef monteur chez Vidoe [sic] Master Plus. On lui a déjà refusé trois fois un PE. On lui a délivré un VRT en 2008. Il a admis avoir déjà produit de faux documents. [Il] a aussi demandé son inscription à un cours de production cinématographique et vidéo. [Il] a au Canada un compte bancaire ayant un solde de 20 000 $CAN. Conjointe et enfant mineur en Ukraine. [Il] ne précise pas la source de ses moyens pécuniaires. [Il] n’a pas expliqué de manière convaincante pourquoi il veut étudier au Canada. Fraudeur avoué, il manque de crédibilité. Je ne suis pas convaincu qu’il soit un résident temporaire de bonne foi. Demande rejetée.

 

 

[8]               Le demandeur a avancé trois moyens dans la présente instance. Il soutient premièrement que l’agent a manqué à l’équité procédurale en se montrant partial; deuxièmement, que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne lui offrant pas la possibilité de dissiper les doutes qu’il nourrissait sur sa crédibilité; et, troisièmement, que la décision de l’agent est déraisonnable au motif qu’elle se fonde sur des conclusions de fait erronées ou le défaut de prise en considération d’éléments documentaires produits au soutien de la demande de permis d’études.

 

[9]               Le défendeur fait valoir quant à lui que les antécédents du demandeur ainsi que ses aveux de fraude et de fausses déclarations alourdissaient le fardeau dont il devait s’acquitter pour prouver l’authenticité de sa demande. Or, le demandeur n’a pas satisfait à ce fardeau parce qu’il n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’objet de ses études au Canada, la source de ses moyens pécuniaires et la manière dont son entreprise serait exploitée en Ukraine pendant son séjour canadien. Le défendeur soutient que le rejet de la demande est motivé par l’insuffisance des éléments de preuve produits et non par des conclusions sur la crédibilité, et que, par conséquent, l’agent n’était pas tenu de convoquer le demandeur à un entretien et on ne peut arguer d’une crainte raisonnable de partialité.

 

[10]           Pour ce qui concerne l’allégation de partialité, le demandeur et le défendeur conviennent que le critère applicable à cette question est celui qu’a énoncé le juge de Grandpré, dans ses motifs dissidents, à la page 394 de Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 :

[...]  la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

 

[11]           Citons également les observations formulées au sujet de ce critère par les juges L’Heureux‑Dubé et McLachlin dans l’arrêt R c S(RD), [1997] 3 RCS 484 :

113      Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière. Voir la décision Stark, précitée, aux par. 19 et 20. Lorsqu’existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d’agir. C’est toutefois une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère.

 

 

[12]           Il est vrai que l’allégation de partialité examinée par la Cour suprême du Canada visait un juge, mais le même principe s’applique aux autres décideurs : les allégations de partialité sont sérieuses et doivent être faites avec prudence.

 

[13]           Dans la présente espèce, le dossier ne contient aucun élément donnant à penser que l’agent aurait préjugé de la demande considérée. S’il était au courant des antécédents du demandeur, qui formaient une partie du contexte pertinent, il a néanmoins examiné la demande qui lui était présentée et les documents justificatifs avant de rendre sa décision. Je ne puis souscrire à l’idée que l’agent ait fait preuve d’une quelconque partialité ou qu’une personne raisonnable aurait conclu qu’il ne se prononcerait pas de manière équitable.

 

[14]           Comme le fait valoir le défendeur, le demandeur doit s’acquitter d’un lourd fardeau de preuve pour convaincre l’agent des visas qu’il remplit les critères de délivrance d’un permis d’études, étant donné ses fausses déclarations de 2003. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants pour satisfaire à ce fardeau. Or, l’agent considérait manifestement la fausse déclaration antérieure comme un problème de crédibilité, ainsi qu’il l’a noté deux fois dans ses motifs. Selon le demandeur, cette fausse déclaration unique, qu’il a avouée dans chacune de ses démarches postérieures, a entraîné le rejet de toutes ses demandes, à une exception près.

 

[15]           Il est bien établi en droit que les principes d’équité procédurale s’appliquent de manière moins rigoureuse dans le contexte des demandes de visa que dans d’autres et qu’il serait pratiquement impossible pour les agents des visas de convoquer tous les demandeurs à des entretiens. Néanmoins, l’équité procédurale commande la tenue d’entretiens dans certains cas.

 

[16]           Le juge Mosley a examiné en profondeur la jurisprudence relative à l’obligation d’équité envers les demandeurs de visa dans la décision Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, et a fait les observations suivantes aux paragraphes 23 et 24 :

[23]      Dans Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, [2004] A.C.F. no 317 (QL) (Rukmangathan), la Cour a donné les indications suivantes sur ce que doit faire un agent selon le type de réserves qu’il a […] :

 

 22      […] l’obligation d’équité peut exiger que les fonctionnaires de l’Immigration informent les demandeurs des questions suscitées par leur demande, pour que ceux‑ci aient la chance d’« apaiser » leurs préoccupations, même lorsque ces préoccupations découlent de la preuve qu’ils ont soumise. D’autres décisions de la présente cour étayent cette interprétation de l’arrêt Muliadi, précité [Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.)]. Voir, par exemple, Fong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 705 (1re inst.), John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 350 (1re inst.) (QL) et Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 38 (C.F. 1re inst.), où il a été statué qu’à l’entrevue, l’agent des visas doit informer le demandeur de l’impression défavorable que lui donne la preuve que celui‑ci a soumise.

 

 23      Toutefois, ce principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande : Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1091 (1re inst.) (QL), paragraphe 21, et Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL), paragraphe 23. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l’ancienne Loi et de son règlement d’application : Yu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 36 F.T.R. 296, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 151 F.T.R. 1 et Bakhtiania c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1023 (1re inst.) (QL).

 

Dans Rukmangathan, la Cour a conclu que les problèmes que posait la demande à l’agente des visas, à savoir la raison pour laquelle il avait suivi d’autres cours au Canada, le fait qu’il avait de [traduction« mauvaises » notes (même si elles se situaient dans les 70) et le fait que deux attestations d’études étaient [traduction« de mauvaise qualité », auraient dû être portés à l’attention du demandeur pour qu’il puisse y répondre. La Cour est arrivée à cette conclusion parce que l’on ne pouvait pas dire que la plupart des réserves de l’agente découlaient directement des exigences de la loi.

 

[24]      Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Dans les circonstances de la présente espèce, étant donné que les doutes de l’agent portaient sur la crédibilité du demandeur et que celui‑ci ne verra jamais accueillir aucune de ses demandes si chaque fonctionnaire saisi adopte un point de vue semblable sur ses antécédents, l’agent avait l’obligation de convoquer le demandeur à un entretien, en personne ou par d’autres moyens, afin de discuter de ses doutes sur la crédibilité de ce dernier et de lui donner la possibilité de les dissiper.

 

[18]           En l’occurrence, le demandeur savait qu’il avait fort à faire pour appuyer sa demande de permis d’études. Il a essayé de s’acquitter de cette charge en précisant l’objet de ses études au Canada, en faisant état de l’acceptation de sa demande d’inscription par le SAIT, en donnant des renseignements sur ses moyens pécuniaires, et en produisant une lettre de sa sœur et de son beau‑frère. Cependant, le demandeur ne pouvait réfuter la conclusion sur sa crédibilité du demandeur si on ne lui donnait pas la possibilité de le faire. Le fait de ne pas l’avoir convoqué à un entretien constitue donc un manquement à l’équité procédurale.

 

[19]           Un manquement à l’équité procédurale ne donne pas toujours lieu à réparation. Cependant, étant donné les faits de la présente espèce, le résultat n’aurait pas été inévitablement le même si l’agent avait convoqué le demandeur à un entretien. Par conséquent, la demande de permis d’études devrait être renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

[20]           Il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments concernant les conclusions de fait.

 

[21]           Le demandeur soutient aussi que la Cour devrait lui adjuger des dépens pour les mêmes raisons qu’il a données au soutien de sa demande et, d’un point de vue général, en raison du caractère irrégulier de la décision de l’agent.

 

[22]           L’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés dispose ce qui suit :

22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

 No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

 

 

[23]           Vu la jurisprudence, notamment Ndererehe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 880, et Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] ACF no 1523, j’estime qu’il n’y a pas dans la présente espèce de raisons spéciales qui justifieraient l’adjudication de dépens.

 

[24]           La Cour accueille la présente demande de contrôle judiciaire, renvoie l’affaire à un autre agent pour nouvel examen et n’adjuge pas de dépens. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen et aucuns dépens ne sont adjugés. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3998‑12

 

INTITULÉ :                                                  ANDRIY MAKLAKOV c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 31 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MATTHEW JEFFERY

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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