Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130307

Dossier : IMM‑3724‑12

Référence : 2013 CF 248

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

 

TALAT ZEESHAN

MUHAMMAD ZEESHAN

MAHNOOR ZEESHAN

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 29 février 2012 (la décision), par laquelle une agente des visas (l’agente) du Haut‑commissariat du Canada à Londres, au Royaume‑Uni, a rejeté la demande de résidence permanente présentée au Canada par la demanderesse principale au titre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Mahnoor Zeeshan, la demanderesse principale, est une citoyenne pakistanaise de 33 ans. Son mari et sa fille sont les demandeurs secondaires. Le 8 mars 2010, elle a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédérale), selon le Code 4121 – Professeur et professeure d’universités de la Classification nationale des professions (CNP).

 

[3]               Selon la CNP 4121, les professeurs d’université exercent tout ou partie des fonctions suivantes :

a.                   enseigner une ou plusieurs matières de niveau universitaire aux étudiants de premier cycle et d’études supérieures;

b.                  préparer et donner des cours aux étudiants et diriger les séances de travaux pratiques en laboratoire et les discussions de groupe;

c.                   préparer, administrer et corriger les examens, les travaux pratiques en laboratoire et les rapports;

d.                  conseiller les étudiants sur leurs choix de cours, d’études et de professions;

e.                   diriger les programmes de recherche des étudiants diplômés et donner des conseils sur les questions concernant les recherches;

f.                   effectuer des recherches dans leur champ de spécialisation et publier les résultats obtenus dans des livres ou des revues scientifiques;

g.                  faire partie, au besoin, des comités de professeurs qui traitent de questions telles que l’élaboration des programmes et les conditions d’obtention des diplômes, et exécuter différentes tâches administratives;

h.                  représenter, s’il y a lieu, leur université à titre de conférenciers ou chargés de cours invités;

i.                    fournir, s’il y a lieu, des services de consultation professionnelle au gouvernement, à des entreprises du secteur privé et à des particuliers.

 

[4]               La demanderesse a joint à sa demande une annexe 3 dans laquelle elle décrit son expérience professionnelle. Elle affirme avoir au moins quatre ans d’expérience professionnelle à titre de chargée de cours et décrit comme suit ses principales fonctions : [traduction] « enseigner la physique à des étudiants de premier cycle et de cycles supérieurs; préparer et donner des cours aux étudiants et diriger des séances de travaux pratiques en laboratoire; préparer, administrer et corriger des examens ».

 

[5]               La demanderesse a également présenté une lettre datée du 6 mars 2010 du Lahore College for Women University, dans laquelle il est indiqué qu’elle travaille au département de physique de l’université en qualité de chargée de cours depuis octobre 2004. On peut y lire : [traduction] « C’est une professeure compétente et expérimentée. Son travail est conforme aux attentes. » Il n’y a pas d’autre mention des fonctions qu’elle exerçait dans cette institution. La demanderesse a également inclus dans sa demande des documents faisant état de ses antécédents scolaires.

 

[6]               Par lettre datée du 29 février 2012, l’agente a informé la demanderesse qu’elle n’avait pas démontré à sa satisfaction qu’elle possédait l’expérience de travail requise par la CNP 4121 et que sa demande n’était donc pas recevable.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[7]               En l’espèce, la décision consiste en la lettre datée du 29 février 2012 (lettre de refus), et en les notes de l’agente versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI).

 

[8]               L’agente a examiné la demande et a conclu qu’elle n’était pas recevable parce que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve démontrant qu’elle répondait aux conditions prescrites par les instructions ministérielles en matière d’expérience professionnelle. La demanderesse a fourni une lettre de recommandation, mais celle‑ci n’a pas convaincu l’agente qu’elle avait exercé les fonctions de professeure d’université décrites dans lesdites instructions. La lettre de recommandation ne décrivait pas en détail ses attributions.

 

[9]               L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle possédait l’expérience professionnelle exigée par le poste mentionné dans sa demande et que celle‑ci n’était donc pas recevable.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           La demanderesse soulève en l’espèce les questions suivantes :

a.                   L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse ne répondait pas aux conditions de la CNP 4121, alors qu’il était apparemment évident qu’elle y répondait?

b.                  L’agente a‑t‑elle porté atteinte à l’équité procédurale à l’égard de la demanderesse en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ses préoccupations?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[12]           La première question m’amène à examiner la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse ne pouvait présenter sa demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédérale). D’après la jurisprudence, cet aspect doit être examiné selon la norme de la raisonnabilité (Zhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 980. au paragraphe 11; Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, au paragraphe 22).

 

[13]           La cour qui contrôle une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit se rappeler dans son analyse que ce caractère « tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision contrôlée se révèle déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[14]           Dans ses arguments, la demanderesse conteste le caractère suffisant des motifs fournis par l’agente. Elle affirme qu’il s’agit là d’une question d’équité procédurale. Or, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permettait pas à elle seule de casser une décision. Au contraire, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». Ainsi, l’analyse portera à la fois sur la suffisance des motifs de l’agente et sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

 

[15]           La deuxième question porte sur l’équité procédurale (Kuhathasan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 457 [Kuhathasan], au paragraphe 18). Comme l’a déclaré la Cour suprême dans Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 RCS 539, au paragraphe 100, « il appartient aux tribunaux judiciaires et au non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Ainsi, la norme de contrôle applicable à la seconde question est celle de la décision correcte.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[…]

 

*        (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées au paragraphe 11(1) – sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) –, aux demandes de parrainage faites par une personne visée au paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

*        

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

 

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :

 

a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui‑ci;

 

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

 

 

c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

 

 

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

 

 

(3.1) Les instructions peuvent, lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet.

 

(3.2) Il est entendu que les instructions données en vertu de l’alinéa (3)c) peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro.

 

(4) L’agent – ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 – est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[…]

 

 (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsection 11(1), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), to sponsorship applications made by persons referred to in subsection 13(1), to applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada, to applications for work or study permits and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

 

 

(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.

 

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

(3.1) An instruction may, if it so provides, apply in respect of pending applications or requests that are made before the day on which the instruction takes effect.

 

(3.2) For greater certainty, an instruction given under paragraph (3)(c) may provide that the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year be set at zero.

 

(4) Officers and persons authorized to exercise the powers of the Minister under section 25 shall comply with any instructions before processing an application or request or when processing one. If an application or request is not processed, it may be retained, returned or otherwise disposed of in accordance with the instructions of the Minister.

 

 

[17]           Voici les dispositions du Règlement applicables en l’espèce :

    Expérience (21 points)

 

80. (1) Un maximum de 21 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié en fonction du nombre d’années d’expérience de travail à temps plein, ou l’équivalent temps plein du nombre d’années d’expérience de travail à temps partiel, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande, selon la grille suivante :

*                                

[…]

 

Expérience professionnelle
 

(3) Pour l’application du paragraphe (1), le travailleur qualifié, indépendamment du fait qu’il satisfait ou non aux conditions d’accès établies à l’égard d’une profession ou d’un métier figurant dans les descriptions des professions de la Classification nationale des professions, est considéré comme ayant acquis de l’expérience dans la profession ou le métier :

 

a) s’il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession ou le métier dans les descriptions des professions de cette classification;

 

b) s’il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession ou du métier figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

Experience (21 points)

 

80. (1) Up to a maximum of 21 points shall be awarded to a skilled worker for full‑time work experience, or the full‑time equivalent for part‑time work experience, within the 10 years preceding the date of their application, as follows:

 

 

 

 

 

[…]

 

Occupational experience
 

(3) For the purposes of subsection (1), a skilled worker is considered to have experience in an occupation, regardless of whether they meet the employment requirements of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, if they performed

 

 

 

(a) the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

 

 

(b) at least a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all the essential duties.

 

 

 

LES ARGUMENTS DES PARTIES

La demanderesse

            Le caractère raisonnable de la décision

 

[18]           La demanderesse soutient que la lettre du Lahore College for Women University qu’elle a produite montre qu’entre octobre 2004 et aujourd’hui, elle a exercé des fonctions qui répondent aux conditions de la CNP 4121. Ayant travaillé pendant cinq ans comme chargée de cours au département de physique, il faut donc, affirme-t-elle, qu’elle ait exercé les fonctions s’attachant à la profession de professeur d’université pour avoir pu conserver son poste. La demanderesse a de plus joint à sa demande de nombreux certificats et diplômes qui décrivent clairement ses compétences. Elle fait également remarquer qu’elle a énuméré les fonctions qu’elle exerçait dans son annexe 3.

 

[19]           La demanderesse affirme que la décision ne contient aucune explication sur les raisons pour lesquelles l’agente a estimé qu’elle ne répondait pas aux conditions de la CNP 4121, compte tenu du fait qu’il ressort de la preuve que c’était bien le cas. Pour que la demanderesse ait pu exercer sa profession pendant cinq ans, il est évident qu’elle a été obligée d’exécuter les principales tâches énumérées dans la CNP 4121.

 

[20]           La demanderesse soutient également que l’agente n’a pas motivé suffisamment sa décision et qu’il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jeizan, 2010 CF323). L’agente n’a pas bien expliqué pourquoi la demanderesse ne répondait pas aux conditions de la CNP 4121. De plus, ses conclusions ne reposaient sur aucun fait.

 

L’équité procédurale

 

[21]           La demanderesse soutient également que l’agente était tenue de lui donner la possibilité de répondre aux préoccupations qu’elle entretenait au sujet de sa demande. Il ne s’agissait pas là d’un cas où la demanderesse aurait dû savoir que les documents présentés posaient problème, ni d’un cas où elle n’aurait fourni aucun élément de preuve.

 

[22]           Selon la demanderesse, l’agente n’a pas respecté les principes de l’équité procédurale en omettant de lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations. Comme le juge Richard Mosley l’a déclaré, au paragraphe 22 de la décision Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 :

Il est bien établi que, dans le contexte des décisions d’un agent des visas, l’équité procédurale exige que le demandeur ait la possibilité de répondre aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l’agente des visas s’est fondée et qu’il soit informé des préoccupations que l’agente a à cet égard : Muliadi, précité. À mon avis, le fait que la Cour d’appel fédérale a souscrit, dans l’arrêt Muliadi, précité, aux remarques que lord Parker avait faites dans la décision In re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617, montre que l’obligation d’équité peut exiger que les fonctionnaires de l’Immigration informent les demandeurs des questions suscitées par leur demande, pour que ceux‑ci aient la chance d’« apaiser » leurs préoccupations, même lorsque ces préoccupations découlent de la preuve qu’ils ont soumise. D’autres décisions de la présente cour étayent cette interprétation de l’arrêt Muliadi, précité. Voir, par exemple, Fong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 705 (1re inst.), John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 350 (1re inst.) (QL) et Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 38 (C.F. 1re inst.), où il a été statué qu’à l’entrevue, l’agent des visas doit informer le demandeur de l’impression défavorable que lui donne la preuve que celui‑ci a soumise.

 

[23]           La demanderesse soutient qu’il est possible d’établir une analogie entre son affaire et la décision Kuhathasan, précitée, aux paragraphes 39 à 41 :

S’agissant des questions d’équité procédurale soulevées dans la présente affaire, je pense qu’il faut garder à l’esprit que le dossier du demandeur était étudié dans des circonstances quelque peu exceptionnelles et que les procédures habituelles devaient être ajustées en conséquence. Rien ne prouve vraiment que les demandeurs ont eu accès aux renseignements dont ils avaient besoin pour satisfaire à toutes les exigences prévues par la Loi. Les directives apparaissant sur le site Web du défendeur étaient publiées pour que les demandeurs et les personnes qui les aidaient sachent comment présenter leur demande. Ces directives disaient aux demandeurs d’utiliser le formulaire de demande fédérale pour travailleurs qualifiés, et aussi de produire la lettre d’un proche au Canada qui allait leur offrir un soutien financier.

 

Il se trouve que les demandeurs ont fait tout ce qu’on leur avait dit de faire et qu’ils se sont conformés aux directives qui figuraient sur le site Web. Le principal doute de l’agente, tel qu’il apparait dans sa décision, concernait les moyens généraux d’existence des demandeurs, encore que, d’après le dossier, elle ait eu aussi des doutes secondaires sur les ressources du proche vivant au Canada.

 

Au vu des circonstances propres à la présente affaire, il m’est impossible de voir comment les demandeurs auraient pu prédire, et régler, la question de leur moyen d’existence, les questions accessoires concernant les ressources du proche au Canada ou la question de leur attitude linguistique. Ils ont fait ce qu’on leur avait dit de faire en se fondant sur la directive du site Web. Les moyens généraux d’existence des demandeurs étaient à l’évidence un aspect crucial de la décision de l’agente. L’équité exigeait donc de l’agente qu’elle donne aux demandeurs une occasion ou une autre de dissiper les doutes qu’elle avait à ce chapitre. Rien ne me prouve que, si les demandeurs avaient eu une telle possibilité, ils n’auraient pas pu dissiper les doutes de l’agente. Le demandeur principal est un professionnel établi, qui a également fait état de plusieurs autres relations et ressources auxquelles il pourrait s’adresser pour obtenir un soutien financier.

 

[24]           La demanderesse affirme que les paragraphes 12 à 14 de Sekhon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 700, sont également applicables à sa situation, étant donné que dans cette affaire, le demandeur soutenait que l’agente s’était montrée inéquitable en se fondant sur des préoccupations qu’elle ne lui avait pas communiquées. Il prétendait également que la décision de l’agente était déraisonnable, celle‑ci ayant écarté sans raison des éléments de preuve.

Les observations de M. Sekhon visaient à répondre aux préoccupations de l’agente concernant la question de savoir si l’école exerçait bien ses activités à l’adresse indiquée. Les lettres des parents et les photos devaient répondre à ces préoccupations et d’autres documents relatifs aux finances de l’école ont été produits. M. Sekhon n’aurait toutefois pas pu répondre aux autres préoccupations de l’agente puisqu’il ne les connaissait pas.

 

En conséquence, j’estime que M. Sekhon n’a pas eu une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations de l’agente concernant les faiblesses de sa demande.

 

L’agente n’a pas donné à M. Sekhon la possibilité de répondre aux véritables préoccupations suscitées par sa demande. Il n’a donc pas été traité équitablement. En conséquence, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner le réexamen de la demande de M. Sekhon par un autre agent.

 

[25]           La demanderesse soutient que, compte tenu de ce qui précède, l’agente était tenue de l’informer de ses préoccupations et qu’en s’abstenant de le faire, elle a porté atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale.

 

Le défendeur

            Le caractère raisonnable de la décision

 

[26]           Le défendeur soutient que la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi qu’elle répondait aux exigences prescrites par la CNP 4121 en matière d’expérience professionnelle était raisonnable, compte tenu des conditions réglementaires et de la minceur de la preuve documentaire fournie par la demanderesse. La demanderesse n’a présenté qu’une lettre de recommandation qui ne contenait pas la liste des fonctions qu’elle exerçait.

 

[27]           Le défendeur fait remarquer que la lettre de recommandation provenant du Lahore College for Women University était très brève et ne fournissait pas de détails au sujet du travail qu’elle y effectuait. Au sujet de cette lettre, l’agente dit dans sa décision : [traduction] « La DP a fourni une copie de la lettre de recommandation, mais je ne suis pas convaincue qu’elle a exercé ces fonctions ou occupé ce poste. Le dossier ne contient aucun autre élément concernant la CNP – la lettre de recommandation ne décrit pas en détail ses fonctions et ne démontre pas que la DP répond aux conditions de la CNP. »

 

[28]           Ni la simple affirmation de la demanderesse, selon laquelle elle avait exercé les fonctions énumérées à la CNP 4121, ni la brève lettre de recommandation produite par elle n’étaient susceptibles d’établir qu’elle avait exercé tout ou partie desdites fonctions dans le cadre de son poste. De la même façon, les certificats et diplômes universitaires de la demanderesse ne démontraient pas qu’elle avait exercé l’une ou l’autre de ces fonctions une fois ses études terminées.

 

[29]           L’agente n’était pas tenue de faire des hypothèses au sujet de l’expérience qu’avait la demanderesse relativement à un poste donné. Il ne suffit pas que la demanderesse ait établi qu’elle possédait les diplômes universitaires exigés ou qu’elle occupait un poste ayant un certain titre (Tabanag c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1293, au paragraphe 22). En l’absence d’éléments de preuve suffisants, l’agente avait la latitude de tirer la conclusion qu’elle a tirée (Wankhede c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. 968). La demanderesse n’a simplement présenté aucun élément de preuve établissant qu’elle avait exercé les fonctions exigées; la décision est donc raisonnable.

 

[30]           Le défendeur soutient également que l’argument de la demanderesse selon lequel l’agente n’a pas suffisamment motivé sa décision est dénué de fondement. La Cour suprême du Canada a clairement dit dans Newfoundland Nurses que l’allégation portant sur le « caractère suffisant » des motifs n’est pas un élément permettant à lui seul d’annuler une décision et qu’elle ne peut non plus être qualifiée de question d’équité procédurale.

 

[31]           Le défendeur affirme que peu d’éléments de preuve ont été présentés et que la décision était donc simple à prendre. L’agente explique clairement dans sa décision pourquoi la demande a été rejetée – la demanderesse n’a pas produit une preuve suffisante démontrant qu’elle avait exercé les fonctions nécessaires. La décision fait expressément référence au seul document pertinent – la brève lettre de recommandation – et l’agente indique que cette lettre ne fournit pas suffisamment de détails sur les fonctions exercées par la demanderesse dans le cadre de son travail. Cette explication suffit pour que la demanderesse et la Cour comprennent comment l’agente est arrivée à sa conclusion finale (Pirzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 461).

 

L’équité procédurale

 

[32]           Le défendeur soutient également que l’argument de la demanderesse selon lequel il a été porté atteinte à son droit à l’équité procédurale est mal fondé. Il est bien établi que, dans le contexte d’une demande de résidence permanente, le contenu de l’équité procédurale est peu exigeant (Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, au paragraphe 10).

 

[33]           La jurisprudence a établi que l’agent des visas n’est pas tenu de donner au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations lorsque celles‑ci découlent directement des exigences de la loi ou du règlement applicable (Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25). C’est le cas en l’espèce. En effet, la demande a été rejetée parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions de la CNP 4121, ni aux dispositions réglementaires pertinentes.

 

[34]           L’agent n’est pas tenu d’informer le demandeur des réserves que suscite son manque d’expérience professionnelle (et du fait qu’il n’appartient pas à une certaine CNP) parce que ces réserves découlent directement du règlement (Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 697, au paragraphe 31; Gulati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451, aux paragraphes 43 et 44; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, aux paragraphes 23 et 24). Il incombait à la demanderesse de fournir des éléments de preuve suffisants; l’équité procédurale n’obligeait pas l’agente à l’informer du fait que ses documents étaient insuffisants.

 

[35]           Le demandeur n’a pas non plus droit à une autre entrevue pour corriger ses propres lacunes (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 442, au paragraphe 9). Comme la Cour l’a dit au paragraphe 23 de la décision Rukmangathan, précitée, (2004 CF 284), l’agent n’est pas tenu de fournir au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande. Le défendeur soutient que, compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas eu d’atteinte à l’équité procédurale.

 

La réponse de la demanderesse

 

[36]           La demanderesse soutient que le caractère insuffisant des motifs de l’agente contrevient à l’équité procédurale. La demanderesse affirme que l’arrêt Newfoundland Nurses n’est pas pertinent, s’agissant d’une affaire de droit du travail, et qu’il ne s’applique donc pas dans le contexte de l’immigration. Les commissions des relations de travail sont des tribunaux administratifs spécialisés, souvent appelés à rendre des décisions rapides (International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union, Ship and Dock Foremen, Local 514 c Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 RCS 432, aux paragraphes 24 à 27). Les décisions rendues en matière de relations de travail peuvent être revues au cours du processus de négociation, à la différence de la présente affaire. La demanderesse soutient que l’arrêt Newfoundland Nurses a été rendu dans ce contexte particulier et qu’il ne faudrait pas conclure qu’il écarte la norme de la « justification, transparence et intelligibilité » exposée dans Dunsmuir, précité.

 

[37]           En réponse à l’argument du défendeur selon lequel l’agente n’était pas tenue d’informer la demanderesse de ses préoccupations, celle‑ci répond qu’il ne s’agit pas d’un cas où elle aurait présenté suffisamment d’éléments de preuve au sujet desquels l’agent aurait eu des doutes. Le fait qu’aucun de ces doutes n’a été porté à l’attention de la demanderesse alors qu’elle avait établi prima facie le bien‑fondé de sa demande constitue une violation de la justice naturelle.

 

L’exposé des arguments supplémentaires du défendeur

 

[38]           Le défendeur soutient que l’affirmation qu’a faite la demanderesse dans sa réponse selon laquelle l’arrêt Newfoundland Nurses ne s’applique pas dans un contexte d’immigration est inexacte. Il est vrai que cette décision concerne le droit des relations de travail, mais elle s’applique de façon générale aux décisions des tribunaux administratifs et la Cour l’a fréquemment appliquée dans un contexte d’immigration depuis qu’elle a été rendue en 2011.

 

ANALYSE

 

[39]           L’arrêt Newfoundland Nurses est applicable et, dans la présente affaire, les motifs étaient manifestement suffisants. La demanderesse principale n’a tout simplement pas fourni de preuve démontrant qu’elle avait l’expérience professionnelle exigée par la CNP 4121.

 

[40]           Il ressort du dossier que l’agente a estimé que la preuve n’était pas suffisante parce que la demanderesse principale n’a présenté qu’une lettre de recommandation et que cette lettre ne contenait pas la liste de l’ensemble ou d’une partie appréciable des fonctions principales de la profession concernée.

 

[41]           Selon l’alinéa 75(2)c) du Règlement d’application de la LIPR, le demandeur est un travailleur qualifié si :

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

[42]           Les instructions relatives à la CNP 4121 décrivent les fonctions principales s’attachant au poste en question, lesquelles sont mentionnées au paragraphe 3.

 

[43]           La lettre du Lahore College présentée par la demanderesse principale se lit ainsi :

[traduction]

Je soussigné, à titre de registraire, connais Mme Talat Zeeshan depuis octobre 2004. Elle est à l’heure actuelle chargée de cours au département de physique de la LCWU, Lahore dans le BPS‑18. C’est une professeure compétente et expérimentée. Son travail est conforme aux attentes. La durée totale de son expérience à la LCWU est de cinq ans.

 

Son salaire annuel est de 250 000 r/p seulement. Je lui souhaite beaucoup de succès dans sa vie.

 

[44]           Au mieux, cette lettre nous apprend que la demanderesse principale enseigne la physique et, par déduction, qu’elle prépare et donne des cours aux étudiants. Je ne pense pas que l’on puisse dire que cette lettre démontre que la demanderesse principale a exercé une partie appréciable des fonctions principales, notamment toutes les fonctions essentielles, de la profession relevant de la CNP 4121, et il n’était pas déraisonnable que l’agente arrive à cette conclusion. La demanderesse principale ne peut remédier à cette lacune en affirmant qu’elle a exercé les fonctions décrites à la CNP 4121 ou en fournissant une liste de ses certificats et diplômes universitaires. La demande ne satisfaisait tout simplement pas à une condition fondamentale des lignes directrices.

 

[45]           Ces faits ne soulèvent pas de question d’équité procédurale. La lacune dont il est ici question découlait des exigences de la législation applicable et n’est pas de celles qui obligeaient l’agente à en informer la demanderesse principale et à lui donner la possibilité d’y remédier. Voir Talpur, précité.

 

[46]           La jurisprudence énonce clairement que l’agent des visas n’est pas tenu de donner au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations lorsque celles‑ci découlent directement des conditions de la loi ou du règlement y afférent. C’est précisément le cas en l’espèce. La demande a été rejetée parce que la demanderesse n’a pas fourni la preuve exigée par les dispositions réglementaires pertinentes et les conditions de la CNP 4121 — à savoir, démontrer qu’elle avait exercé tout ou partie des fonctions énumérées. Voir Hassani, précité.

 

[47]           J’estime que la décision ne contient aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[48]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, ce qui est également l’avis de la Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE ce qui suit :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3724‑12

 

INTITULÉ :                                                  TALAT ZEESHAN; MUHAMMAD ZEESHAN; MAHNOOR ZEESHAN

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sherif R. Ashamalla

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sherif R. Ashamalla

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.