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Date : 20130222

Dossier : T‑1908‑11

Référence : 2013 CF 184

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2013

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

SYNDICAT CANADIEN DES EMPLOYÉS DE LA FONCTION PUBLIQUE (DIVISION DU TRANSPORT AÉRIEN)

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

AIR CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) [le SCFP] sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte qu’il avait portée contre Air Canada pour discrimination salariale fondée sur le sexe. Le SCFP affirme que la Commission a agi sans compétence en engageant une société privée pour enquêter sur sa plainte en matière de droits de la personne. Le SCFP affirme en outre qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale dans la présente affaire étant donné que l’enquête portant sur sa plainte n’était pas suffisamment approfondie et que la Commission n’a pas fourni des motifs suffisants à l’appui de sa décision.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, on ne m’a pas convaincue que la Commission a commis les erreurs qu’on lui reproche. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire du SCFP sera rejetée.

 

Contexte

[3]               Il s’agit d’une affaire longue et complexe. Il n’est cependant pas nécessaire de retracer au complet l’historique de l’instance pour statuer sur la présente demande. Je vais plutôt me contenter de mentionner les faits qui sont pertinents quant aux points litigieux soulevés par le SCFP en l’espèce.

 

[4]               Le SCFP a saisi la Commission d’une plainte en matière de droits de la personne en 1991. On y alléguait qu’Air Canada avait fait preuve de discrimination à l’égard du groupe des « agents de bord », lequel était composé en majorité de femmes, en payant aux membres de ce groupe un salaire moins élevé que celui payé aux membres de groupes composés majoritairement d’hommes exécutant des fonctions équivalentes, le tout en violation de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 [la LCDP ou la Loi] – l’article de la Loi portant sur la parité salariale. Le texte intégral des dispositions législatives applicables est reproduit en annexe de la présente décision.

 

[5]               Le SCFP affirmait également que la structure salariale des agents de bord d’Air Canada était discriminatoire étant donné qu’elle obligeait les agents de bord à travailler pendant sept jours consécutifs avant de pouvoir atteindre le plafond salarial de leur poste alors que les employés de certains groupes à prédominance masculine pouvaient atteindre ce même plafond salarial dans un délai plus court. Suivant le SCFP, cette situation constituait une violation de l’article 10 de la LCDP, qui prévoit que « [c]onstitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, [...] de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ».

 

[6]               La Commission a accepté d’examiner la plainte du SCFP en mai 1992. Les parties n’étaient pas d’accord sur la question de savoir si les groupes désignés dans la plainte travaillaient au sein du même « établissement » au sens de l’article 11 de la LCDP. L’article 11 dispose que « [c]onstitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes ».

 

[7]               En 1996, la Commission a déféré la question de « l’établissement » au Tribunal canadien des droits de la personne. Le Tribunal a par la suite estimé que les groupes à prédominance masculine et à prédominance féminine ne travaillaient pas dans le même établissement au sens de l’article 11 de la LCDP. Cette décision a été confirmée par la Cour fédérale, mais a été infirmée par la Cour d’appel fédérale. En 2006, la Cour suprême du Canada a jugé que les groupes à prédominance masculine et à prédominance féminine travaillaient bel et bien au sein du même établissement aux fins de la parité salariale (Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International limitée, 2006 CSC 1, [2006] 1 R.C.S. 3.

 

[8]               Dans l’intervalle, en 2003, Air Canada s’était prévalue de la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C‑36 et avait obtenu la suspension de toutes les instances introduites contre elle. En mai 2004, le SCFP et Air Canada ont signé un protocole d’entente aux termes duquel il a été convenu que la plainte déposée par le SCFP en matière de droits de la personne survivrait aux procédures en matière d’insolvabilité, mais qu’aucune réclamation ne serait présentée en vue de faire rajuster rétroactivement les salaires pour la période antérieure au 30 septembre 2004.

 

[9]               À la suite de la décision de la Cour suprême, la Commission a rencontré les parties au printemps 2006 en vue de régler la plainte. Le conciliateur nommé par la Commission n’a pas réussi à obtenir un règlement et aucune entente n’est intervenue entre les parties au sujet des conditions auxquelles l’enquête de la Commission sur la plainte du SCFP serait menée.

 

[10]           En juillet 2008, la Commission a écrit aux parties pour les informer de son intention de retenir les services d’un consultant du cabinet Opus Mundi Canada pour mener l’enquête pour le compte de la Commission. Les parties avaient un certain délai pour informer la Commission, le cas échéant, de leur opposition à la décision de la Commission d’engager ce consultant. Les parties ont également été informées que, si elles ne communiquaient pas avec la Commission dans le délai prescrit, leur silence serait interprété comme signifiant qu’elles ne s’opposaient pas au choix de ce consultant.

 

[11]           Le SCFP ne s’est pas opposé au recours, par la Commission, à un consultant extérieur pour mener l’enquête sur sa plainte, ni à l’identité du consultant proposé. Toutefois, par lettre datée du 25 juillet 2008, Air Canada s’est opposée au choix du consultant de la Commission. L’objection d’Air Canada était fondée sur le fait que la personne en question avait déjà pris part à l’enquête menée par le SCFP dans le cadre de l’emploi qu’il avait exercé au sein de la Commission et qu’il allait témoigner dans le cadre du litige relatif à l’« établissement ». La Commission a finalement décidé de ne pas retenir les services de ce consultant.

 

[12]           Par lettre datée du 26 août 2009, la Commission a plutôt informé les parties qu’elle proposait plutôt de retenir les services du cabinet Kapel and Associates Inc. pour qu’il lui [traduction] « prêt[e] assistance relativement à la plainte ». Les parties se sont de nouveau vu accorder un délai pour informer la Commission de toute objection quant au choix du consultant désigné pour enquêter sur la plainte. Ni Air Canada ni le SCFP n’a formulé d’objection quant au recours à un consultant extérieur par la Commission ou à l’identité du consultant proposé.

 

[13]           Au cours de l’enquête, des représentants du cabinet Kapel and Associates Inc. ont rencontré des représentants du SCFP et d’Air Canada. Le SCFP a alors formulé plusieurs préoccupations au sujet du déroulement de l’enquête. Il a notamment demandé aux enquêteurs d’« observer » les agents de bord pour se faire une idée plus précise de leurs fonctions et de leur milieu de travail. Le SCFP affirmait également qu’Air Canada avait communiqué à Kapel des renseignements inexacts ou incomplets. Le SCFP soutenait par ailleurs qu’il serait trompeur pour les enquêteurs de se fonder sur les feuillets T‑4 des employés pour calculer leur rémunération, étant donné que les agents de bord devaient travailler de nombreuses heures pour lesquelles ils n’étaient pas rémunérés.

 

[14]           Kapel a répondu aux préoccupations exprimées par le SCFP en expliquant que l’observation des employés en situation de travail ne faisait pas partie de son mandat d’enquête, qui consistait à procéder à un « examen sur dossier » des renseignements relatifs à l’emploi et à la rémunération. Kapel a également rappelé au SCFP qu’elle avait précisé dès le départ que les renseignements en question seraient recueillis auprès d’Air Canada avec l’apport du SCFP sur certains points clés.

 

[15]           L’enquête menée au sujet de la plainte du SCFP a abouti à la publication, le 20 avril 2011, d’un rapport [le rapport Kapel] dans lequel les auteurs ont conclu que [traduction] « les éléments de preuve recueillis ne semblent pas indiquer qu’il existe un problème de parité salariale en ce qui concerne les agents de bord ou les directeurs du service, au regard de l’article 11 ou de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Le directeur du service est un agent de bord principal qui a reçu une formation supplémentaire et qui assume des responsabilités supplémentaires pendant les vols.

 

[16]           La Commission s’est inspirée du rapport Kapel pour rédiger son propre rapport d’enquête [le rapport de la Commission] daté du 31 mai 2011. Le rapport de la Commission, qui est très bref et reprend essentiellement les conclusions du rapport Kapel, se termine avec la recommandation de rejeter la plainte en matière de droits de la personne du SCFP [traduction] « compte tenu de l’ensemble des circonstances entourant la plainte. Il n’y a pas lieu que le Tribunal procède à une enquête plus approfondie ». Le rapport de la Commission (auquel était annexé le rapport Kapel) a ensuite été transmis au SCFP et à Air Canada pour recueillir leurs commentaires.

 

[17]           Par lettre datée du 29 juillet 2011, le SCFP a soumis à la Commission des observations longues et détaillées dans lesquelles il a énuméré ce qu’il a qualifié [traduction] « les nombreuses lacunes » qu’il avait relevées dans le rapport Kapel. Il affirmait qu’il était tout simplement impossible de constater l’existence d’iniquités salariales en procédant à un « examen sur dossier ». À cet égard, le SCFP a signalé de nombreux passages du rapport Kapel dans lesquels sont abordées des questions débordant le cadre de l’enquête.

 

[18]           Le SCFP a également mentionné ce qu’il a appelé les nombreuses autres lacunes de l’enquête et du rapport Kapel, notamment ses préoccupations déjà évoquées quant à la portée de l’enquête. Le SCFP a également exprimé des réserves au sujet de l’utilisation de ce qu’il a décrit comme des renseignements inexacts ou trompeurs au sujet de la rémunération ainsi que du présumé défaut des enquêteurs de comprendre la façon dont les agents de bord d’Air Canada étaient rémunérés.

 

[19]           Le SCFP a également affirmé que les enquêteurs ne comprenaient pas le milieu de travail et les conditions de travail des agents de bord et formulé des critiques au sujet du plan d’évaluation des emplois utilisé par les enquêteurs. Le SCFP a conclu ses observations en faisant valoir que les lacunes signalées dans sa lettre [traduction] « portent un coup fatal à l’enquête et la rendent viciée et peu crédible ».

 

[20]           Air Canada a formulé ses propres observations au sujet du rapport d’enquête en produisant notamment un rapport rédigé par Mme Nan Weiner, une experte en parité salariale qui avait examiné le rapport Kapel. Mme Weiner n’était pas d’accord avec la méthode suivie par Kapel pour évaluer la méthode de rémunération fondée sur le recours aux renseignements tirés des feuillets T‑4. Elle aurait plutôt comparé les taux salariaux horaires des divers employés en question. Mme Weiner a toutefois fait observer que le recours à cette méthode n’aurait rien changé à la conclusion tirée par Kapel and Associates Inc. au sujet de l’absence d’écart salarial. Elle a par ailleurs conclu que rien ne permettait de croire que les conclusions formulées dans le rapport Kapel [traduction] « étaient fondées sur des actes qui n’étaient pas appropriés ou professionnels ».

 

[21]           Air Canada a communiqué à la Commission sa réponse aux observations du 29 juillet 2011 du SCFP dans une lettre datée du 7 septembre 2011. Le 15 septembre 2011, le SCFP a ensuite communiqué à la Commission des observations supplémentaires détaillées au sujet des présumées lacunes de l’enquête ainsi qu’une critique des observations d’Air Canada et du rapport de Mme Weiner.

 

[22]           Le rapport Kapel et le rapport de la Commission ainsi que les diverses observations des parties ont ensuite été communiqués aux commissaires de la Commission canadienne des droits de la personne pour qu’ils rendent leur décision. Ces derniers ont accepté la recommandation des enquêteurs de la Commission et la plainte du SCFP a été rejetée en application du paragraphe 44(3) de la LCDP au motif qu’un examen plus approfondi de la plainte n’était pas justifié. C’est cette décision qui était à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Questions en litige

[23]           Le SCFP soulève deux principales questions dans le cadre de la présente demande. En premier lieu, il fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour déléguer à un tiers, en l’occurrence une société du secteur privé, les obligations que la LCDP lui imposait en matière de tenue d’enquête. En second lieu, le SCFP allègue qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale en l’espèce, étant donné que l’enquête menée par la Commission au sujet de sa plainte en matière de droits de la personne n’était pas suffisamment approfondie et que la Commission n’a pas fourni des motifs suffisants à l’appui de sa décision.

 

[24]           Il convient de signaler que le SCFP ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision de la Commission de rejeter sa plainte en matière de droits de la personne.

 

[25]           Avant d’examiner la question de savoir si la Commission avait le pouvoir de déléguer à un tiers l’enquête sur la plainte en matière de droits de la personne du SCFP, la Cour doit d’abord traiter l’argument d’Air Canada suivant lequel le défaut du SCFP de s’opposer en temps utile à l’embauche de l’enquêteur extérieur le rend maintenant irrecevable à soulever cette question.

 

Importance du défaut du SCFP de s’opposer à la délégation, par la Commission, de l’enquête à un consultant du secteur privé

 

[26]           Air Canada affirme que le SCFP a été informé de l’intention de la Commission de retenir les services de Kapel and Associates Inc. en août 2009 et qu’on lui a accordé un délai pour informer la Commission en cas d’objection quant au choix de ce consultant. Le SCFP n’a jamais exprimé d’objection au recours, par la Commission, à un consultant extérieur pour mener l’enquête ou au choix de Kapel and Associates Inc. comme enquêteurs.

 

[27]           Air Canada affirme également que le SCFP aurait été parfaitement au courant du fait que Kapel and Associates Inc. menait effectivement l’enquête et que le SCFP participait au processus d’enquête depuis un an sans s’inquiéter de la participation de Kapel.

 

[28]           Niant qu’il y ait pu avoir quelque confusion que ce soit de la part du SCFP quant au rôle que Kapel and Associates Inc. jouait dans le processus d’enquête, Air Canada affirme que cette confusion aurait été dissipée lorsque le SCFP s’est vu remettre une copie du rapport Kapel. Toutefois, même s’il a soumis à la Commission des observations longues et détaillées au sujet des présumées lacunes de l’enquête Kapel, le SCFP n’a formulé aucune réserve au sujet du recours à un organisme extérieur pour mener l’enquête.

 

[29]           Air Canada fait valoir que, comme il n’a pas exprimé en temps utile de réserve au sujet du recours à des consultants extérieurs, le SCFP devrait être irrecevable à soulever maintenant cet argument devant la Cour. À l’appui de cet argument, Air Canada invoque la décision de notre Cour Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 173, [2005] A.C.F. no 209, au paragraphe 19.

 

[30]           Je suis d’accord avec Air Canada pour dire qu’il ressort clairement du dossier que l’argument relatif au choix de l’enquêteur est incontestablement le fruit d’une réflexion après coup et qu’il n’a surgi qu’au cours de la présente demande de contrôle judiciaire. Si le SCFP avait véritablement des réserves au sujet de la délégation à un organisme extérieur des responsabilités de la Commission en matière d’enquête, il a eu de nombreuses occasions d’en faire part à celle‑ci lorsqu’elle était saisie de l’affaire. Or, il n’en a rien fait.

 

[31]           Il est vrai que, dans sa lettre du 26 août 2009, la Commission explique qu’elle se proposait de retenir les services du cabinet Kapel and Associates Inc. pour qu’il lui [traductionprêt[e] assistance relativement à la plainte ». La lettre fixe toutefois ensuite un délai pour la présentation des observations pour le cas où le SCFP aurait [traduction] « une objection à ce que Kapel and Associates Inc. enquête sur la présente plainte ». Il était donc tout à fait clair que c’était Kapel and Associates Inc. qui mènerait l’enquête.

 

[32]           Il convient de signaler que je ne dispose non seulement d’aucun élément de preuve démontrant de la confusion de la part du SCFP à cet égard, mais également que, si le syndicat avait des doutes quant au rôle que le cabinet Kapel and Associates Inc. jouerait au cours du processus d’enquête, il n’a jamais fait d’effort pour faire clarifier la portée du mandat confié à ce consultant par la Commission.

 

[33]           Je tiens par ailleurs à faire observer que la lettre de juillet 2008 dans laquelle la Commission proposait d’engager un consultant d’Opus Mundi Canada expliquait dans les termes les plus nets que la Commission avait l’intention de confier à un consultant extérieur l’examen de la plainte en matière de droits de la personne du SCFP et que le SCFP n’a exprimé aucune réserve à cet égard.

 

[34]           Les rencontres que les représentants du SCFP ont eues avec ceux de Kapel and Associates Inc. auraient par ailleurs permis aux premiers de constater que ces derniers menaient effectivement l’enquête au nom de la Commission. Toutefois, bien que le SCFP ait soulevé de nombreuses réserves au sujet du déroulement de l’enquête, le rôle joué par Kapel and Associates Inc. au cours de l’enquête n’en faisait pas partie.

 

[35]           Je suis également d’accord avec Air Canada pour dire qu’une fois que le SCFP avait reçu le rapport Kapel, il ne pouvait y avoir le moindre doute quant au rôle joué par Kapel au cours de l’enquête et que, malgré tout, le SCFP n’a formulé aucune objection au sujet de la participation de Kapel dans le présent dossier.

 

[36]           Cela étant dit, je ne suis pas convaincue que l’omission du SCFP de s’opposer à la désignation de Kapel and Associates Inc. en temps utile devrait l’empêcher de formuler ses arguments au sujet de la portée du pouvoir de la Commission de déléguer son obligation légale d’enquêter sur les plaintes en matière de discrimination.

 

[37]           Pour arriver à cette conclusion, je tiens à signaler que la décision Sherman citée par Air Canada portait sur le présumé défaut de se conformer à des lignes directrices, et non avec les dispositions d’une loi. Cette distinction est importante.

 

[38]           Il est clair en droit que les parties au litige ne peuvent conférer une compétence à un tribunal par simple consentement. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une partie ne peut être déclarée irrecevable à contester la compétence d’un tribunal administratif parce qu’elle n’a pas soulevé cette objection dans une instance antérieure (voir, par exemple, Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1998] 1 CF 433, [1997] 1 A.C.F. no 1117. Voir également Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Succession Reisinger, 2004 CF 893, [2004] A.C.F. no 1092).

 

[39]           La question en litige dans le cas qui nous occupe est celle de savoir si la Commission a outrepassé les pouvoirs que lui confère la Loi en déléguant à un consultant ses obligations en matière d’enquête. Même si le SCFP aurait assurément dû faire part à la première occasion des réserves qu’il avait, je suis néanmoins disposée à aborder cette question dans le cadre de la présente instance.

 

La Commission avait‑elle le pouvoir de déléguer l’enquête à un tiers?

[40]           Suivant le SCFP, cette question porte sur la compétence de la Commission. Il affirme donc que les agissements de la Commission devraient être contrôlés en fonction de la norme de la décision correcte. En revanche, Air Canada affirme que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’interprétation que la Commission a faite des pouvoirs que lui confère sa loi habilitante.

 

[41]           Comme je l’ai déjà indiqué, la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la Commission avait le pouvoir légal de déléguer à un tiers ses responsabilités en matière d’enquête. Bien que cette question implique l’interprétation de la portée du pouvoir légal de la Commission de recourir à de l’aide extérieure, il ne s’agit pas d’une « véritable question de compétence » au sens où l’entendent des affaires comme Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654).

 

[42]           Je suis d’accord avec Air Canada pour dire que le litige tourne autour de l’interprétation par la Commission de la portée des pouvoirs que lui confère sa loi habilitante. Cette question est analogue à celle à laquelle la Cour suprême du Canada était appelée à répondre dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471 [Mowat], dans laquelle la Cour a jugé que c’était la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’appliquait à une telle question.

 

[43]           Bien que l’affaire Mowat portât sur une décision du Tribunal canadien des droits de la personne plutôt que sur une décision de la Commission, je suis d’avis que le raisonnement suivi par la Cour suprême devrait néanmoins s’appliquer en l’espèce.

 

[44]           Lorsqu’elle contrôle une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).

 

[45]           Je tiens toutefois à signaler que la réponse à cette question ne dépend pas de la norme de contrôle, étant donné que je suis convaincue que c’est à bon droit que la Commission a estimé qu’elle avait le pouvoir de retenir les services d’un enquêteur extérieur pour faire enquête sur la plainte du SCFP.

 

[46]           Les articles 32 et 43 sont les articles de la LCDP qui sont en cause en l’espèce. L’article 32 traite de l’embauche de personnel et d’experts par la Commission. En voici le texte :

 (1) Le personnel nécessaire à l’exécution des travaux de la Commission est nommé conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.
 
 
(2) La Commission peut, pour des travaux déterminés, engager à contrat des experts compétents dans des domaines relevant de son champ d’activité et leur verser à cette occasion la rémunération et les indemnités fixées par règlement administratif.

 

 (1) Such officers and employees as are necessary for the proper conduct of the work of the Commission shall be appointed in accordance with the Public Service Employment Act.
 

(2) The Commission may, for specific projects, enter into contracts for the services of persons having technical or specialized knowledge of any matter relating to the work of the Commission to advise and assist the Commission in the exercise of its powers or the performance of its duties and functions under this Act, and those persons may be paid such remuneration and expenses as may be prescribed by by‑law of the Commission.

 

 

[47]           Le SCFP affirme que Kapel et Associates Inc. n’a pas été engagé pour [traduction] « conseiller et assister » la Commission [« advise and assist the Commission » dans la version anglaise du paragraphe 32(2) de la Loi]. Kapel a plutôt été désigné comme « enquêteur » en vertu de l’article 43. Le SCFP souligne d’ailleurs que, bien que la lettre du 26 août 2009 de la Commission laissait entendre que le rôle de Kapel consisterait simplement à lui [traduction] « prêter assistance relativement à la plainte », c’est Kapel qui a en fait mené l’enquête.

 

[48]           Je n’accepte pas cet argument.

 

[49]           Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] A.C.F. no 2, [1998] 1 R.C.S. 27, la Cour suprême du Canada a expliqué dans les termes suivants la méthode qu’elle privilégiait en matière d’interprétation des lois : « [traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (au paragraphe 21, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1983) à la page 87; voir également Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 27.

 

[50]           Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, la Cour suprême a fait observer que « [l]’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la loi dans son ensemble » (au paragraphe 10).

 

[51]           Il ressort clairement de la lecture du paragraphe 32(2) que la Commission est expressément habilitée à retenir les services d’experts compétents pour l’aider à s’acquitter des obligations que la LCDP met à sa charge. Ces personnes peuvent être engagées pour des « travaux déterminés » (« specific projects » dans la version anglaise de la Loi). L’expression « travaux déterminés » n’est pas définie dans la Loi, mais, suivant le sens ordinaire de cette expression, il y a lieu de penser qu’elle englobe le déroulement d’une enquête déterminée portant sur une plainte en matière de droits de la personne.

 

[52]           Ce sont les commissaires qui constituent la Commission qui sont chargés par la loi de décider si les plaintes portées en matière de droits de la personne doivent être rejetées, déférées ou renvoyées au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu’il tienne une audience (article 44 de la Loi). Rien ne permet de penser que les commissaires ne se sont pas acquittés des obligations que la loi met à leur charge à cet égard. Le paragraphe 32(2) permet explicitement à la Commission d’engager des experts pour la conseiller et l’aider à exercer ses pouvoirs. C’est bien ce qui s’est passé en l’espèce.

 

[53]           Le paragraphe 43(1) porte sur la nomination des enquêteurs. Il dispose :

 (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte

 (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an “investigator”, to investigate a complaint.

 

 

[54]           Rien dans le libellé de cette disposition ne limite le choix de l’enquêteur de la manière suggérée par le SCFP. Qui plus est, bien que le paragraphe 43(4) envisage la prise de règlements régissant la manière dont les enquêtes sur les plaintes se déroulent, aucun règlement n’a encore été pris.

 

[55]           Il vaut la peine de signaler que le paragraphe 43(1) de la Loi prévoit que la Commission peut charger une personne d’enquêter sur une plainte. Il ne déclare pas que la Commission doit désigner un employé de la Commission pour le faire. Il n’établit pas non plus de distinction entre les personnes physiques et les personnes morales et, conformément aux dispositions de l’article 35 de la Loi d’interprétation, R.S.C. 1985, ch. I‑21, on entend par « personne » une personne physique ou morale.

 

[56]           Je tiens par ailleurs à signaler qu’une enquête portant sur une plainte en matière d’équité salariale est une entreprise majeure, une tâche complexe susceptible d’avoir des conséquences importantes sur les ressources de la Commission. La Commission doit pouvoir être en mesure de gérer ses ressources comme elle le juge bon et de recourir à de l’aide et à des experts extérieurs lorsqu’elle le juge nécessaire. C’est ce qu’elle a fait en l’espèce et le SCFP ne m’a pas convaincue que la Commission avait outrepassé des pouvoirs que la Loi lui confère en signant un contrat avec Kapel and Associates Inc. pour que ce cabinet mène une enquête sur la plainte en matière de droits de la personne que le SCFP a présentée.

 

Les arguments relatifs à l’équité procédurale

[57]           Le SCFP affirme également avoir été privé de ses droits à l’équité procédurale en l’espèce, étant donné que l’enquête sur sa plainte n’était pas suffisamment rigoureuse et que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision.

 

[58]           Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la tâche de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur satisfaisait au degré d’équité exigé compte tenu de l’ensemble des circonstances (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 79).

 

[59]           Avant de passer à l’examen des arguments formulés par le SCFP à cet égard, il est utile de commencer par examiner les principes régissant le déroulement des enquêtes de la Commission, le degré d’exhaustivité exigé et l’obligation de la Commission de motiver ses décisions.

 

Principes généraux régissant le déroulement des enquêtes de la Commission

[60]           Le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne a été examiné par la Cour suprême du Canada dans Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] A.C.S. no 115, [1996] 3 R.C.S. 854. Dans cet arrêt, la Cour a fait observer que la Commission n’était pas un organisme décisionnel et que c’était au Tribunal canadien des droits de la personne qu’il revenait de trancher les plaintes en matière de droits de la personne.

 

[61]           La Commission exerce plutôt des fonctions d’administration et d’examen préalables. Son rôle consiste « à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » (arrêt Cooper, précité, au paragraphe 53; voir également Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] A.C.S. no 103, [1989] 2 R.C.S. 879 [SEPQA]).

 

[62]           La Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet de décider si, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte », la poursuite de l’enquête est justifiée (Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, aux paragraphes 26 et 46; Mercier c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, [1994] 3 A.C.F. no 361 (C.A.F.)). 

 

[63]           D’ailleurs, dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609 [Bell Canada], la Cour d’appel fédérale a fait observer que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête » (au paragraphe 38).

 

[64]           Dans la décision Slattery c. Canada (Condition canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. no 181, conf. par [1996] A.C.F. no 385, 205 N.R. 383 (C.A.F.), la Cour a analysé le contenu de l’obligation d’équité procédurale exigé dans le cadre des enquêtes menées par la Commission. La Cour a fait observer que, pour s’acquitter de l’obligation que la loi lui impose de faire enquête sur les plaintes de discrimination, la Commission doit mener des enquêtes à la fois neutres et exhaustives.

 

[65]           En ce qui concerne l’obligation d’exhaustivité, la Cour fédérale a fait observer dans la décision Slattery qu’« [i]l faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes ». Par conséquent, « [c]e n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose » (au paragraphe 56).

 

[66]           Au sujet de ce qui constitue une « preuve manifestement importante », la Cour a déclaré que « “le critère [de la preuve] manifestement importante” exige qu’il soit évident pour n’importe quelle personne rationnelle que la preuve qui, selon le demandeur, aurait dû être examinée durant l’enquête était importante compte tenu des éléments allégués dans la plainte » (Gosal c. Canada (Procureur général), 2011 CF 570, [2011] A.C.F. no 1147, au paragraphe 54; Beauregard c. Postes Canada, 2005 CF 1383, [2005] A.C.F. no 1676, au paragraphe 21).

 

[67]           L’exigence d’exhaustivité des enquêtes doit également être examinée en fonction des réalités administratives et financières de la Commission et de l’intérêt de la Commission « à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif » (Boahene‑Agbo c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 1611, 86 F.T.R. 101, aux paragraphes 79, citant la décision Slattery, précitée, au paragraphe 55).

 

[68]           Dans ce contexte, la jurisprudence a établi qu’il n’est pas nécessaire que les enquêtes de la Commission soient parfaites. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, [2005] A.C.F. no 543, au paragraphe 39 :

Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle‑ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. [Renvois omis.]

 

 

[69]           Suivant la jurisprudence, il est également possible de corriger certaines des lacunes de l’enquête en accordant aux parties le droit de formuler leurs observations au sujet du rapport d’enquête.

 

[70]           Par exemple, dans Slattery, la Cour a fait observer que lorsque, comme en l’espèce, elles ont eu la possibilité de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention de la Commission. Par conséquent, « ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier », ce qui comprendrait notamment « les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier ». L’intervention judiciaire peut également être justifiée en cas de « rejet explicite » d’une preuve de fond par la Commission (tous les passages précités sont tirés du paragraphe 57 de la décision Slattery,).

 

[71]           De même, dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056, la Cour d’appel fédérale a fait observer que les seules erreurs qui justifient l’intervention de la cour de révision sont les « erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier » (au paragraphe 38).

 

[72]           Lorsque, comme en l’espèce, la Commission adopte les recommandations formulées dans un rapport d’enquête et fournit peu de motifs à l’appui de sa décision, le rapport d’enquête est considéré comme constituant le raisonnement de la Commission lorsque cette dernière est appelée à prendre la décision prévue au paragraphe 44(3) de la Loi (arrêt SEPQA, précité, au paragraphe 35; arrêt Bell Canada, précité, au paragraphe 30).

 

[73]           Toutefois, la décision de la Commission de rejeter une plainte en se fondant sur une enquête comportant des lacunes sera elle‑même considérée déficiente parce que « si les rapports sont défectueux, il s’ensuit que la Commission ne disposait pas d’un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire » (Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, [2001] A.C.F. no 1012, au paragraphe 70; voir également l’arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 112).

 

[74]           Gardant à l’esprit cette conception du rôle et des obligations de la Commission canadienne des droits de la personne lorsqu’elle enquête sur les plaintes en matière de discrimination, je passe maintenant à l’examen des arguments formulés par le SCFP sur le manque d’exhaustivité de l’enquête qui a été menée en l’espèce.

 

L’enquête menée par la Commission au sujet de la plainte présentée par le SCFP était‑elle suffisamment approfondie?

 

[75]           Bien qu’il ne conteste pas la neutralité de l’enquête menée par Kapel and Associates Inc., le SCFP mentionne trois points sur lesquels il affirme que l’enquête n’était pas suffisamment approfondie.

 

[76]           Avant d’examiner les arguments formulés par le SCFP à cet égard, je tiens à signaler d’entrée de jeu que le SCFP se contente de formuler dans son mémoire une série de simples affirmations sur les présumées lacunes de l’enquête sans réellement expliquer en quoi ces présumées lacunes ont pu avoir une incidence sur l’exhaustivité de l’enquête ou sur l’équité du processus (voir le paragraphe 63).

 

[77]           Bien qu’il ait donné, lors de son plaidoyer, quelques précisions au sujet de ces affirmations, comme il sera expliqué plus loin, le SCFP ne m’a pas convaincue qu’il avait été traité injustement par la Commission.

 

Processus suivi par Kapel and Associates Inc.

[78]           Pour bien situer les arguments du SCFP dans leur contexte, il est utile de commencer par un bref survol du processus suivi par Kapel and Associates Inc. pour enquêter sur la plainte présentée par le SCFP en matière de droits de la personne.

 

[79]           Kapel and Associates Inc. a commencé par définir les emplois, les facteurs et les variables qu’il examinerait lors de l’enquête en fonction de la plainte du SCFP. Il a ensuite recueilli des renseignements auprès du SCFP et d’Air Canada en ce qui concerne les emplois visés par la plainte et les éventuels postes de comparaison.

 

[80]           Un plan d’évaluation des emplois « par points et facteurs » a ensuite été dressé en vue d’être utilisé au cours du processus d’analyse. Ce plan d’évaluation des emplois a ensuite été utilisé pour déterminer la valeur des emplois pertinents et pour identifier les emplois comparatifs applicables. Enfin, une comparaison des salaires payés pour les postes à prédominance masculine et pour les postes à prédominance féminine a été effectuée en tenant compte de la valeur relative de ces emplois.

 

[81]           Le SCFP conteste certains des choix effectués par les enquêteurs au cours de l’enquête et les conclusions auxquelles ils sont arrivés. Toutefois, comme il sera expliqué plus loin, certains des arguments du SCFP se rapportent manifestement à l’équité du processus suivi par la Commission alors que d’autres concernent en réalité le caractère raisonnable de la décision de la Commission plutôt que l’équité du processus suivi. Comme je l’ai déjà indiqué, le SCFP ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision de la Commission.

 

Présumées lacunes du processus suivi pour recueillir les renseignements

[82]           Le premier aspect à l’égard duquel le SCFP affirme que l’enquête n’était pas suffisamment approfondie concerne la procédure qui a été suivie pour recueillir des renseignements ainsi que le fait que l’enquête menée par Kapel était un examen « sur dossier ».

 

[83]           Le SCFP souligne que, bien que des représentants de Kapel and Associates Inc. aient rencontré des représentants d’Air Canada à 18 ou 19 reprises au cours de l’enquête, ils n’ont rencontré les représentants du SCFP qu’à deux reprises, la première fois au début de l’enquête et une autre fois au milieu de celle‑ci. Je signale qu’Air Canada affirme, dans ses observations, qu’il y a eu en fait 21 rencontres avec ses représentants. Le nombre exact de rencontres ne tire toutefois pas à conséquence.

 

[84]           Air Canada souligne également que la plainte du SCFP obligeait le syndicat à fournir des renseignements au sujet des deux groupes d’employés visés par la plainte, en l’occurrence les agents de bord et les directeurs du service, qui faisaient tous les deux parties du même syndicat. En revanche, Air Canada devait fournir aux enquêteurs des renseignements concernant les 152 postes différents visés par deux syndicats différents. Air Canada affirme que, dans ces conditions, il était parfaitement raisonnable de la part des enquêteurs de devoir passer beaucoup plus de temps avec les représentants d’Air Canada qu’avec ceux du SCFP.

 

[85]           Bien que l’argument d’Air Canada soit parfaitement logique, la difficulté plus fondamentale que soulève l’argument du SCFP est le fait que ce dernier n’a pu signaler aucun renseignement qu’il n’avait pas pu soumettre aux enquêteurs soit au cours des rencontres en personne que ses représentants avaient eues avec les enquêteurs soit au cours de l’échange de correspondance entre le SCFP et les enquêteurs lors de l’enquête.

 

[86]           Le SCFP souligne que, bien qu’ils aient parlé avec des gestionnaires d’Air Canada qui avaient déjà travaillé comme agents de bord, les enquêteurs n’ont jamais interrogé d’individus travaillant présentement comme agents de bord. Il convient toutefois de signaler qu’il ne semble pas que les entrevues aient eu lieu avec des membres de l’un ou l’autre des groupes d’employés en litige visés par l’enquête.

 

[87]           Le SCFP affirme par ailleurs avoir été traité injustement étant donné qu’il avait demandé aux enquêteurs d’« observer » les agents de bord pendant qu’ils exécutaient leurs fonctions pour se faire une idée plus précise de leur travail et de leurs fonctions, mais que les enquêteurs avaient refusé de le faire.

 

[88]           Mme Weiner a déclaré dans son rapport que l’observation en situation de travail ne faisait pas normalement partie du processus de collecte de renseignements dans le cadre de l’analyse de la parité salariale. Elle a passé en revue les diverses étapes que les enquêteurs devaient suivre lorsqu’ils recueillent des renseignements sur les groupes d’employés visés en l’espèce, déclarant qu’à son avis le processus suivi était [traduction] « solide, professionnel et approprié ».

 

[89]           L’enquêteur n’est nullement tenu d’interroger chacune des personnes suggérées par les parties (décision Slattery, précitée, au paragraphe 69; voir également Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (affaire Goldberg), [1996] A.C.F. no 735, 112 F.T.R. 195, au paragraphe 10). Dans le cas qui nous occupe, le SCFP n’a pas démontré la raison pour laquelle il était essentiel d’interroger les agents de bord en personne ou de les observer pendant qu’ils s’acquittaient de leurs fonctions.

 

[90]           En particulier, le SCFP n’a pas réussi à mentionner d’éléments de preuve manifestement cruciaux concernant les fonctions d’emploi ou les conditions de travail des agents de bord ou des directeurs du service qu’il n’avait pas pu soumettre aux enquêteurs au cours de l’enquête. En fait, le SCFP n’a pas démontré qu’il avait été entravé ou empêché de quelque façon que ce soit de soumettre lors de l’enquête aux enquêteurs quelque information que ce soit qu’il jugeait appropriée.

 

[91]           Le défaut d’agir du SCFP est particulièrement préoccupant, compte tenu de la quantité importante de renseignements fournis aux enquêteurs concernant les attributions et les conditions de travail des agents de bord et des directeurs du service, y compris les renseignements contenus dans les questionnaires conjoints sur l’analyse des emplois fournis aux enquêteurs par le SCFP.

 

[92]           En fait, au cours de l’enquête, les enquêteurs ont obtenu les résultats d’une enquête menée par le SCFP auprès de ses agents de bord. Le SCFP a lui‑même qualifié de « détaillés » les résultats conjoints des questionnaires relatifs à l’analyse des emplois, en faisant valoir qu’ils [traduction] « correspondent aux attributions réelles du personnel de cabine » (voir la lettre du 9 août 2010 de l’avocat du SCFP adressée au cabinet de Kapel and Associates Inc.).

 

[93]           Le fait que Kapel qualifie son enquête d’examen « sur dossier » plutôt que d’analyse en bonne et due forme des emplois ne permet pas selon moi de conclure que l’enquête n’était pas suffisamment approfondie.

 

[94]           En premier lieu, il est évident que Kapel and Associates ne s’est pas contenté d’examiner les documents soumis. Par exemple, les enquêteurs ont observé les agents de bord en train d’utiliser des simulateurs d’entraînement et ont été témoins d’un exercice d’évacuation. Ils ont vu les outils de formation physiques utilisés par les agents de bord d’Air Canada, tels que les divers types de portes d’aéronef, les rampes d’évacuation et les extincteurs d’incendie. Ils ont également visionné des DVD de formation destinés aux agents de bord. Le SCFP a également été invité à fournir des renseignements concernant les exigences des postes des agents de bord et des directeurs du service et il a accepté cette invitation. Par ailleurs, on a demandé au syndicat de fournir des renseignements sur les types de documents qu’il estimait que les enquêteurs devaient obtenir d’Air Canada.

 

[95]           De plus, comme le rapport Kapel le souligne, l’enquête avait pour objet de déterminer s’il existait des éléments de preuve sur la question de la parité salariale; ce rapport n’était pas censé être une évaluation complète des emplois. Ce mandat est évidemment parfaitement compatible avec le rôle d’examen préalable que joue la Commission.

 

[96]           Par conséquent, le SCFP ne m’a pas convaincue qu’il avait été privé de son droit à l’équité procédurale à cet égard.

 

Défaut de communiquer le plan d’évaluation des emplois

[97]           Le SCFP affirme également qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale en ce qui concerne le plan d’évaluation des emplois utilisé par Kapel and Associates Inc. Le SCFP soutient essentiellement dans son mémoire qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale étant donné que [traduction] « les enquêteurs ont élaboré et utilisé un plan d’évaluation des emplois qu’ils n’ont communiqué au demandeur qu’après la publication du rapport final » (mémoire du SCFP, alinéa 63c)).

 

[98]           Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je ne puis accepter cet argument.

 

[99]           La première raison est que, lors de leur première rencontre avec le SCFP, les enquêteurs ont expressément invité le SCFP à leur fournir un plan d’évaluation des emplois dont ils pourraient éventuellement se servir pour évaluer les postes en cause au cours de l’enquête. Le SCFP a fourni aux enquêteurs un plan d’évaluation des emplois, mais il convient de signaler que ce n’est pas celui qui était utilisé chez Air Canada.

 

[100]       Il était expressément signalé dans le rapport Kapel que le plan d’évaluation des emplois du SCFP était utilisé [traduction] « comme point de départ » de l’analyse, bien que certaines modifications y aient été apportées, chacune étant soigneusement expliquée dans le rapport. De plus, le rapport de Mme Weiner confirme que le plan d’évaluation des emplois effectivement utilisé par les enquêteurs s’inspirait dans une large mesure du plan du SCFP.

 

[101]       Bien qu’il nie que ce soit le cas, le SCFP n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de cet argument, ce qui pose problème, compte tenu du fait qu’il aurait été loisible au SCFP de traiter la question dans un affidavit présenté à l’appui de sa demande et de produire une copie du plan qu’il avait fourni aux enquêteurs, puisque des éléments de preuve supplémentaires peuvent être admis dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire pour régler des questions d’équité procédurale (Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331, au paragraphe 30).

 

[102]       Il convient également de signaler qu’il n’y a pas eu inégalité de traitement des parties à cet égard et qu’Air Canada n’a pas non plus reçu de copie du plan d’évaluation des emplois au cours de l’enquête.

 

[103]       Le SCFP a de toute évidence attendu après avoir reçu le rapport Kapel pour contester l’utilisation par Kapel and Associates Inc. du plan d’évaluation des emplois. Le SCFP a soigneusement articulé ses réserves dans les observations longues et détaillées qu’il a formulées à l’attention de la Commission après avoir reçu le rapport Kapel et, une fois de plus, dans sa réponse aux observations formulées par Air Canada à la Commission.

 

[104]       Bien que le SCFP puisse être en désaccord avec les choix effectués par les enquêteurs relativement au plan et avec les conclusions auxquelles ils sont arrivés, je suis d’accord avec Air Canada pour dire que la question porte en réalité sur le caractère raisonnable de la décision plutôt que sur l’équité du processus. Comme je l’ai déjà signalé, le SCFP ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision de la Commission.

 

[105]       Enfin, et sous réserve des observations formulées dans la section suivante des présents motifs, le SCFP n’a pas donné d’explication satisfaisante quant à la raison pour laquelle il n’avait pas pu examiner à fond les présumées lacunes du plan d’évaluation des emplois dans les deux séries détaillées d’observations qu’il a fournies à la Commission avant qu’une décision soit prise au sujet de sa plainte. Par conséquent, on ne m’a pas convaincue que le SCFP a été privé de son droit à l’équité procédurale en raison du défaut de Kapel de lui communiquer, avant le dépôt de son rapport d’enquête final, son plan d’évaluation des emplois utilisé lors de son analyse.

 

Taux salarial utilisé par les enquêteurs pour les agents de bord et les directeurs du service

[106]       Le SCFP affirme également qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale en ce qui concerne les taux salariaux utilisés pour les agents de bord et les directeurs du service lors du processus d’évaluation des emplois. L’argument formulé par le SCFP sur ce point dans son mémoire revient à dire qu’il a été traité injustement étant donné que [traduction] « les enquêteurs se sont fiés aux feuillets T‑4 pour comparer la rémunération malgré le fait que ces renseignements ne constituaient pas une méthode juste de comparaison » (mémoire du SCFP, à l’alinéa 63d)).

 

[107]       Je suis d’accord avec Air Canada pour dire, encore une fois, que le SCFP semble contester en réalité le caractère raisonnable des choix faits par les enquêteurs au cours du processus d’évaluation des emplois plutôt que l’équité du processus suivi au cours de cette enquête. Compte tenu du fait que le caractère raisonnable de la décision de la Commission n’est pas contesté, on pourrait considérer que le débat est clos.

 

[108]       Je ferais toutefois remarquer que, bien qu’il puisse exister des divergences d’opinions légitimes sur la façon dont la rémunération des agents de bord et des directeurs du service devrait être calculée, le SCFP a eu l’occasion, tant au cours de l’enquête qu’après avoir pris connaissance du rapport Kapel, de faire valoir son point de vue devant la Commission à ce sujet.

 

[109]       Le SCFP affirme qu’il ne convient pas d’utiliser les feuillets T‑4 des agents de bord et des directeurs du service étant donné que ces documents ne correspondent pas au nombre d’heures travaillées pour gagner les revenus inscrits dans les documents. Suivant le SCFP, les agents de bord et les directeurs du service sont tenus de travailler un certain nombre d’heures pour lesquelles ils ne sont pas rémunérés ou ne sont pas rémunérés à leur plein taux horaire. Il s’agit notamment du temps qu’ils passent à l’aéroport avant les vols, du temps qu’ils passent en attente et du temps de « mise en place », c’est‑à‑dire le temps de se rendre par avion à un aéroport différent avant de commencer sur un autre vol.

 

[110]       Air Canada n’est pas d’accord pour dire que ces heures non calculées travaillées par les agents de bord et les commandants de bord ne sont pas rémunérées. Suivant Air Canada, elles font partie des ententes salariales négociées dans les conventions collectives entre l’entreprise et ses employés.

 

[111]       Les enquêteurs croyaient de toute évidence comprendre qu’il ne serait pas possible de procéder à une [traduction] « comparaison directe des échelles salariales » en l’espèce, étant donné que la méthodologie utilisée pour calculer le salaire des agents de bord et des directeurs du service était [traduction] « très différente » de celle utilisée pour les préposés d’escale et les chefs préposés d’escale, les groupes à prédominance masculine utilisés comme groupes de comparaison par Kapel and Associates Inc. (rapport Kapel, à la page 45).

 

[112]       Par conséquent, les enquêteurs ont cherché une méthode qui permettrait une comparaison juste quant aux modalités de rémunération applicables aux postes en question. Les enquêteurs ont conclu qu’une [traduction] « comparaison des gains réels constituerait la meilleure façon de déterminer s’il existe un problème de parité salariale », puisque, suivant les enquêteurs, cette méthode permettrait de se concentrer sur [traduction] « les résultats de la méthode de rémunération pour chacun des emplois en question et de créer un cadre d’analyse commun pour comparer la rémunération » (rapport Kapel, à la page 45, caractères gras dans l’original).

 

[113]       Utilisant cette méthodologie, les enquêteurs ont conclu que la rémunération des agents de bord et des directeurs du service était en fait supérieure à celle des employés du groupe de comparaison à prédominance masculine. Pour l’année en cause, les agents de bord gagnaient en moyenne 33 315,71 $ par année, par opposition à 30 767,62 $ dans le cas des préposés d’escale. De même, Kapel a conclu que les directeurs du service gagnaient en moyenne 54 437,92 $ par année, comparativement à 54 207,84 $ pour ce qui était des chefs préposés d’escale.

 

[114]       Mme Weiner a contesté dans son rapport la méthodologie employée par les enquêteurs. Elle a reconnu que les gains annuels avaient probablement été choisis par Kapel and Associates Inc. pour tenir compte des différences entre les structures de rémunération. Elle a toutefois estimé que cette méthode [traduction] « est incompatible avec les principes de parité salariale », compte tenu du fait que les postes à prédominance masculine et à prédominance féminine comportaient des semaines de travail de durée différente. Suivant Mme Weiner, il convenait d’utiliser les salaires hebdomadaires prévus par les conventions collectives respectives des employés pour procéder à des comparaisons pour obtenir [traduction] « un taux salarial représentatif ». (Toutes les citations sont tirées du rapport Weiner, à la page 9).

 

[115]       Cette méthodologie a toutefois conduit Mme Weiner à la même conclusion que celle tirée par Kapel and Associates Inc., c’est‑à‑dire que les postes à prédominance masculine composés d’agents de bord et de directeurs du service étaient en fait mieux rémunérés que ceux du groupe de comparaison à prédominance masculine.

 

[116]       Mme Weiner a fait observer que les agents de bord gagnaient un maximum de 48,27 $ l’heure l’année en cause tandis que le groupe des préposés d’escale à prédominance masculine gagnait un maximum de 22,80 $ l’heure. De même, les directeurs du service gagnaient un maximum de 66,59 $ l’heure, tandis que les chefs préposés d’escale gagnaient un maximum de 25,08 $ l’heure (rapport Weiner, à la page 10).

 

[117]       Le SCFP ne conteste pas dans la présente demande les groupes à prédominance masculine choisis par Kapel and Associates Inc. à des fins de comparaison. Bien que le SCFP ne conteste pas les taux salariaux utilisés par Kapel and Associates Inc. et par Mme Weiner, il n’en demeure pas moins qu’il a eu l’occasion, au cours de sa rencontre en personne avec les enquêteurs le 4 août 2010 et dans les observations écrites qu’il a présentées tant au cours de l’enquête qu’après avoir reçu le rapport Kapel, de faire valoir son point de vue sur la question devant la Commission.

 

[118]       Le SCFP s’est pleinement prévalu de ces occasions en présentant aux enquêteurs ses observations sur la question de la bonne méthodologie salariale dans la lettre du 9 août 2010 que son avocat a adressée à Kapel and Associates Inc., et, de nouveau, de façon plus détaillée dans ses observations du 29 juillet 2011 et du 15 septembre 2011 qu’il a fait parvenir à la Commission après avoir reçu le rapport Kapel.

 

[119]       Toutefois, à la différence d’Air Canada, le SCFP n’a jamais fourni à la Commission de preuve d’expert au sujet de la question du taux salarial approprié. Qui plus est, ses observations étaient en grande partie composées d’affirmations générales, sans renseignements concrets sur la façon dont de nombreuses heures supplémentaires auraient été effectuées par les agents de bord et les directeurs du service chaque semaine, chaque mois ou chaque année.

 

[120]       Les manquements à l’équité procédurale doivent avoir des conséquences importantes sur le résultat du processus (voir, p. ex., Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, [2002] A.C.F. no 178, aux paragraphes 5 et 6).

 

[121]       Dans le cas qui nous occupe, le SCFP n’a pas démontré en quoi les réserves qu’il a exprimées ont eu une incidence sur la validité des conclusions tirées par les enquêteurs. Ainsi qu’Air Canada l’a souligné, même si le salaire horaire effectif des agents de bord était réduit dans une proportion pouvant atteindre 50 % pour tenir compte des heures non rémunérées, le taux horaire des agents de bord serait quand même supérieur à celui des préposés d’escale, et les directeurs du service gagneraient encore plus que les chefs préposés d’escale.

 

[122]       À défaut d’éléments de preuve présentés par le SCFP au sujet de l’ampleur du problème, force est de constater que le SCFP n’a pas démontré que ce qu’il qualifie de manquements à l’équité procédurale avait eu des conséquences suffisamment graves sur l’issue du processus d’enquête.

 

[123]       En dernière analyse, ce contre quoi le SCFP s’insurge en réalité, c’est le choix de la méthodologie de rémunération retenue par Kapel and Associates Inc. pour conclure qu’il n’existait pas d’écart salarial en l’espèce. On peut s’interroger sur le caractère raisonnable de ce choix, mais la demande de contrôle judiciaire du SCFP ne repose pas sur ce motif, mais uniquement sur l’équité procédurale. Or, aucune iniquité n’a été démontrée à cet égard.

 

Présumé défaut de la Commission de fournir des motifs suffisants à l’appui de sa décision

[124]       Le dernier argument du SCFP porte sur le fait qu’il aurait été traité inéquitablement du fait que la Commission n’a pas motivé suffisamment sa décision de rejeter sa plainte en matière de droits de la personne.

 

[125]       Je ferais tout d’abord observer qu’il ne s’agit pas d’un des présumés vices de procédure énumérés dans le mémoire du SCFP

 

[126]       La difficulté plus fondamentale que soulève l’argument du SCFP tient toutefois au fait qu’à moins d’une absence complète de motifs dans des circonstances dans lesquelles des motifs sont exigés, la présumée insuffisance des motifs ne constitue plus un moyen distinct permettant de demander le contrôle judiciaire pour des raisons d’équité (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708).

 

[127]       Or, la Commission a bel et bien motivé sa décision en l’espèce. Ainsi que le SCFP l’a lui‑même souligné aux paragraphes 57 à 59 de son mémoire, et comme je l’ai déjà indiqué dans les présents motifs, lorsque la Commission adopte les recommandations formulées dans un rapport d’enquête et fournit peu de motifs à l’appui de sa décision, le rapport d’enquête est considéré comme constituant le raisonnement de la Commission dans le cadre d’une décision fondée sur le paragraphe 44(3) de la Loi.

 

[128]       De plus, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait indiqué dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, lorsque des motifs ont été fournis, « [l]e raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci » (au paragraphe 22).

 

[129]       Le SCFP n’a pas contesté le caractère raisonnable de la décision de la Commission de rejeter sa plainte et, par conséquent, je ne suis pas disposée à retenir ce motif de contrôle.

 

Conclusion

[130]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Conformément à l’entente intervenue entre les parties, les dépens sont adjugés à Air Canada et sont fixés à 6 000 $, somme qui comprend les débours.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.         REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire et ADJUGE à Air Canada les dépens, qui sont fixés à 6 000 $.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


 

APPENDICE

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6

 

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

 

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite; [...]

 

 

 

 

 

 

 

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

 

 

[...]

 

 (1) Le personnel nécessaire à l’exécution des travaux de la Commission est nommé conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

 

 

(2) La Commission peut, pour des travaux déterminés, engager à contrat des experts compétents dans des domaines relevant de son champ d’activité et leur verser à cette occasion la rémunération et les indemnités fixées par règlement administratif.

 

[...]

 

 

 

 

 

 

 

 

 (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.

 

(2) L’enquêteur doit respecter la procédure d’enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4).

 

[...]

 

(4) Le gouverneur en conseil peut fixer, par règlement :

 

a) la procédure à suivre par les enquêteurs;

 

 

b) les modalités d’enquête sur les plaintes dont ils sont saisis au titre de la présente partie;

 

c) les restrictions nécessaires à l’application du paragraphe (2.1).

 

 (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

[...]

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié [...].

 It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) to establish or pursue a policy or practice, [...]

 

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

 

 (1) It is a discriminatory practice for an employer to establish or maintain differences in wages between male and female employees employed in the same establishment who are performing work of equal value.

 

[...]

 

 (1) Such officers and employees as are necessary for the proper conduct of the work of the Commission shall be appointed in accordance with the Public Service Employment Act.

 

(2) The Commission may, for specific projects, enter into contracts for the services of persons having technical or specialized knowledge of any matter relating to the work of the Commission to advise and assist the Commission in the exercise of its powers or the performance of its duties and functions under this Act, and those persons may be paid such remuneration and expenses as may be prescribed by by‑law of the Commission.

 

[...]

 

 (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an “investigator”, to investigate a complaint.

 

(2) An investigator shall investigate a complaint in a manner authorized by regulations made pursuant to subsection (4).

 

[...]

 

(4) The Governor in Council may make regulations

 

(a) prescribing procedures to be followed by investigators;

 

(b) authorizing the manner in which complaints are to be investigated pursuant to this Part; and

 

(c) prescribing limitations for the purpose of subsection (2.1).

 

 (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

[...]

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, [...].

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1908‑11

 

INTITULÉ :                                                  SYNDICAT CANADIEN DES EMPLOYÉS DE LA FONCTION PUBLIQUE (DIVISION DU TRANSPORT AÉRIEN) c. AIR CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 14 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas J. Wray

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thomas Brady

Gary Rosen

Fred Headon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CALEYWRAY

Avocats en droit du travail et de l’emploi

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

HEENAN BLAIKIE S.E.N.C.R.L., SRL

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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