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Date : 20130225

Dossier : IMM‑5184‑12

Référence : 2013CF 186

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2013

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

 

JAROMIR SARISSKY

VIOLA SARISSKA

PATRIK SARISSKY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs – deux conjoints et leur fils – sont citoyens tchèques. Ils demandent l’asile au Canada sur le fondement de leur crainte d’être persécutés en tant que Roms en République tchèque. Par décision en date du 2 mai 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention, sous le régime de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ni de personnes à protéger sous le régime de son article 97. La Commission a estimé les demandeurs crédibles, mais elle a jugé qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent l’annulation de cette décision, au motif que la Commission a commis l’erreur d’effectuer une analyse sélective de la preuve et de ne pas tenir compte de l’insuffisance de la réaction de la police aux actes de violence raciste dont ils ont été victimes.

 

[3]               La décision considérée de la Commission sur la question de la protection de l’État doit être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable (voir, par exemple, Ferko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1284, paragraphes 22 et 24, [2012] ACF no 1377 [Ferko]). La cour qui contrôle une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit déterminer si cette décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[4]               La protection de l’État est une notion fondamentale de l’étude des demandes d’asile, qui a fait l’objet d’analyses approfondies dans la jurisprudence. Il me paraît utile pour l’examen de la présente demande de contrôle judiciaire de mettre en lumière certains principes formulés dans la jurisprudence que m’ont présentée les deux parties à l’instance.

 

                     La Commission est présumée avoir examiné la totalité de la preuve et n’est pas tenue d’en citer chaque élément dans sa décision (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, paragraphes 14 à 17, [1998] ACF no 1425 [Cepeda‑Gutierrez]).

 

                     La Commission commet une erreur donnant lieu à révision si elle effectue une analyse sélective de la preuve documentaire, en acceptant les éléments qui étayent ses conclusions et en écartant sans explications ceux qui les contredisent (voir, par exemple, Manoharan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 356 (1re inst.), paragraphe 6 (QL)). La pertinence de la preuve contradictoire quant aux faits contestés doit être prise en considération; plus cette preuve est pertinente, plus il est probable que la cour de révision conclura du fait qu’on l’ait passée sous silence que la décision est déraisonnable (Cepeda‑Guttierrez, précitée, paragraphes 14 à 17). La Commission peut montrer qu’elle a pris en considération une pièce contradictoire déterminée en traitant la question de fond à l’égard de laquelle elle a été produite au lieu de citer explicitement le document même.

 

                     Pour être dite adéquate, la protection de l’État n’a pas à se révéler « parfaite », mais elle doit aller plus loin que des « efforts sérieux » (voir, par exemple, Ferko, précitée, paragraphes 44 et 52 à 56).

 

                     La Commission, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur le caractère adéquat de la protection de l’État, commet une erreur si elle ne tient pas compte de la situation individuelle du demandeur ou l’évalue mal (voir, par exemple, Ferko, précitée, paragraphe 62).

 

[5]               Il est également important de noter qu’on ne peut reprocher à la Commission de ne pas avoir répondu à des arguments que le demandeur n’a pas avancés à l’audience de sa demande d’asile. Il arrive souvent dans les demandes de contrôle judiciaire que l’avocat du demandeur, dans sa diligence et sa sagesse rétrospective, fasse valoir devant la Cour des moyens qu’on aurait pu et dû présenter à la Commission. Or, tout comme il est interdit au demandeur de verser au dossier des pièces qu’il n’a pas produites devant la Commission, il ne faut pas lui permettre d’enrichir ni de changer les arguments et observations qu’il a formulés devant elle.

 

[6]               Dans la présente instance, les demandeurs invoquent explicitement deux documents qu’ils affirment ne pas avoir été pris adéquatement en considération par la Commission. Le premier est un rapport d’Amnistie Internationale faisant état d’une manifestation du Parti ouvrier pour la justice sociale où la police n’a pas rempli son obligation de protéger les Roms. Ce rapport signale aussi des violences commises par la police à l’endroit des contre‑manifestants. Le second document est un rapport du Centre européen des droits des Roms (le CEDR) qui déplore l’insuffisance de la réaction de l’État à la violence dirigée contre les Roms. Le CEDR y explique que l’État se targue d’avoir [TRADUCTION] « accompli un certain progrès dans la lutte contre la violence raciste », mais que les statistiques invoquées se rapportent seulement aux agresseurs identifiés et poursuivis en justice, et que les peines prononcées sont relativement légères. En outre, les autorités de l’État, selon le même rapport, ne connaissent pas l’existence des instruments méthodologiques relatifs aux crimes haineux dont ils pourraient tirer parti.

 

[7]               La Commission cite explicitement trois documents produits par les demandeurs, dont le rapport d’Amnistie Internationale et le rapport du CEDR susdits, pour ensuite formuler les observations suivantes :

Le conseil donne de nombreux [...] exemples de racisme, de discrimination et, dans certains cas, de persécution à l’endroit des Roms en République tchèque. Ces faits ne sont pas mis en doute. La question qui doit être tranchée est celle de savoir si la République tchèque offre une protection suffisante aux demandeurs d’asile en l’espèce.

 

[8]               La Commission prend acte non seulement de la production de ces rapports, mais aussi de leur contenu. Elle reconnaît que les Roms en général sont en butte à des problèmes en République tchèque : « les Roms sont victimes de discrimination », admet‑elle, et « les préjugés sociaux contre la population rom du pays se traduisent parfois par des actes de violence ». Elle relève l’existence de contradictions dans le dossier documentaire et explique que certains documents pourraient donner à penser que tous les Roms ne bénéficient pas de la protection, ou en tout cas d’une protection suffisante, de la police. Elle a donc ainsi pris en considération la question de fond à propos de laquelle les demandeurs invoquent ces rapports.

 

[9]               Je souscris à l’idée qu’il faut plus que des « efforts sérieux » pour que la protection de l’État soit dite adéquate (voir par exemple Ferko, précitée). À ce sujet, l’examen des documents produits devant la Commission révèle que la police a réagi comme on pouvait l’espérer à un bon nombre des incidents qui y sont énumérés. Il apparaît qu’elle a pris des mesures concrètes et procédé à des inculpations dans bien des cas. Cette mobilisation policière témoigne certainement d’une protection qui dépasse le niveau des « efforts sérieux ».

 

[10]           En outre, la Commission a tenu compte de la situation personnelle des demandeurs. Elle a examiné chacun des deux incidents de violence dont ils ont été victimes. Dans le premier cas, où le demandeur a été agressé dans une boucherie, la police est intervenue et a emmené les deux agresseurs, vraisemblablement au commissariat. Lorsqu’on a mis le feu à l’appartement des demandeurs, les pompiers sont arrivés sans délai, et ils ont posé des questions au demandeur et aux voisins. Même si l’enquête policière sur l’incendie de l’appartement ne paraît pas avoir été approfondie, le fait que la police soit intervenue immédiatement et ait essayé de mener une certaine enquête incite à conclure que sa réaction, quoiqu’imparfaite, était adéquate.

 

[11]           En résumé, la Commission a pris en considération le fait que les Roms ne peuvent pas toujours compter sur la protection de l’État tchèque et l’a mis en parallèle avec d’autres éléments de preuve tendant à établir : a) que les demandeurs ont pu bénéficier d’une protection adéquate (bien qu’imparfaite), et b) que la protection accordée par la République tchèque à ses citoyens roms dépasse en général le niveau des « efforts sérieux ».

 

[12]           Selon le dossier dont je dispose, la décision de la Commission appartient nettement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, paragraphe 47). Je ne vois par conséquent aucune raison pour notre Cour d’infirmer cette décision.

 

[13]           Aucune des parties n’a proposé de question à la certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5184‑12

 

INTITULÉ :                                                  JAROMIR SARISSKY ET AL. c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 20 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aurina Chatterji

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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