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Date : 20130305

Dossier : IMM‑9484‑11

Référence : 2013 CF 231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2013

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

 

ABDIMALIK OMAR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision prononcée le 18 novembre 2011 par Mme Sabine Daher, déléguée du ministre [la déléguée], selon laquelle M. Abdirmalik Abdi Omar [le demandeur] peut être expulsé vers la Somalie malgré le paragraphe 115(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], aux motifs qu’il constitue un danger pour le public au Canada et que son renvoi ne porterait pas atteinte aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte].

 

[2]               Le demandeur soutient que la déléguée a fondé sa décision sur des conclusions erronées touchant ses chances de réadaptation, ainsi que les conséquences du renvoi du point de vue de sa santé et du fait de sa conversion au christianisme.

 

[3]               J’ai conclu que la décision de la déléguée sur chacune de ces questions appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », pour reprendre les termes de Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

[4]               Pour les motifs qui suivente, je serais d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Le contexte

 

[5]               Le demandeur, âgé de 31 ans, est citoyen somalien. Sa famille est originaire du Somaliland, région du Nord‑Ouest de la Somalie. Il est arrivé au Canada en 1992, à l’âge de 11 ans, avec sa mère et les autres enfants de celle‑ci. Mère et enfants ont obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention en 1993. Le demandeur est devenu en 1999 résident permanent au Canada, où il a eu deux enfants.

 

[6]               Le demandeur a été déclaré coupable de cinq infractions au Code criminel en tant qu’adolescent :

 

i.

Le 16 août 1996

1.   Introduction par effraction et vol : par. 348(1) du CC, 36 jours de garde fermée (temps crédité), 30 jours de garde ouverte et 12 mois de probation

2.   Défaut de comparaître : par. 145(5) du CC, 15 jours de garde ouverte

ii.

Le 26 mars 1997

3.   Voies de fait : art. 226 du CC, 3 mois de garde ouverte et 9 mois de probation

iii.

Le 15 décembre 1997

4.   Infliction de lésions corporelles : al. 267b) du CC, 3 mois de garde fermée et 12 mois de probation

iv.

Le 25 mars 1998

5.   Vol qualifié : art. 344 du CC, 6 mois de garde fermée, 6 mois de garde ouverte et 12 mois de probation.

 

[7]               Il a ensuite été déclaré coupable de 21 infractions au Code criminel en tant qu’adulte :

 

i.

Le 19 mars 2001

1.   Omission de se conformer aux conditions d’une promesse remise devant un fonctionnaire responsable : par. 145(5.1) du CC, amende de 150 $ majorée d’une suramende compensatoire

ii.

Le 29 juillet 2003

2.   Agression armée : al. 267a) du CC, 3 mois d’emprisonnement et 33 jours de détention présentencielle

3.   Défaut de se conformer à une ordonnance de probation : art. 733.1 du CC, 1 mois

4.   Défaut de se conformer à une ordonnance de probation : art. 733.1 du CC, 1 mois

iii.

Le 19 octobre 2005

5.   Omission de se conformer à un engagement : par. 145(3) du CC, 30 jours et 12 jours de détention présentencielle

6.   Omission de se conformer à un engagement : par. 145(3) du CC, 30 jours

iv.

Le 3 novembre 2006

7.   Méfait (moins de 5 000 $) : paragr. 430(4) du CC, 15 jours

8.   Méfait (moins de 5 000 $) : paragr. 430(4) du CC, condamnation avec sursis et 1 jour de probation

v.

Le 21 décembre 2006

9.   Introduction par effraction et vol : paragr. 348(1) du CC, 22 jours, 79 jours de détention présentencielle et 2 ans de probation

10. Omission de se conformer à un engagement : par. 145(3) du CC

11. Voies de fait : art. 266 du CC, 22 jours et 2 ans de probation pour (2) et (3)

vi.

Le 18 janvier 2007

12. Évasion d’une garde légale : al. 145(1)a) du CC, condamnation avec sursis et 1 jour de probation

13. Possession d’une substance inscrite à l’annexe II : par. 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, condamnation avec sursis et 1 jour de probation

vii.

Le 7 mars 2007

14. Menaces : al. 264.1(1)a) du CC, 3 mois d’emprisonnement et 65 jours de crédit pour détention avant jugement

15. Port d’arme : par. 88(1) du CC, 2 mois d’emprisonnement

16. Voies de fait : art. 266 du CC, 2 mois d’emprisonnement

17. Omission de se conformer à un engagement : par. 145(3) du CC, 1 mois

18. Harcèlement criminel : al. 264(3)a) du CC, 1 mois

19. Omission de se conformer à une condition d’une promesse : par. 145(3) du CC, 1 mois

20. Menaces : al. 264.1(1)a) du CC, peine concurrente de 3 mois avec sursis

21. Menaces : al. 264.1(1)a) du CC, peine concurrente de 2 mois avec sursis.

 

[8]               Le 22 janvier 2007, après ses déclarations de culpabilité, le demandeur a fait l’objet d’un constat d’interdiction de territoire pour grande criminalité sous le régime de l’article 44 de la Loi. Un deuxième constat d’interdiction de territoire a été prononcé contre lui sous ce même régime le 22 mars de la même année.

 

[9]               Le 4 juin 2007, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a décerné contre le demandeur un mandat d’immigration aux fins d’enquête. L’enquête a conclu à l’interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité sous le régime de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Une mesure d’expulsion a en conséquence été prononcée contre lui, et il a été mis en détention le 11 juin 2007.

 

[10]           Le demandeur est resté en détention jusqu’au 7 janvier 2008, date où il a été mis en liberté sous condition de suivre le programme Anchorage de traitement de la toxicomanie. Le 12 juin 2008, il a achevé ce programme avec succès et a été affranchi des conditions prescrites par l’Immigration.

 

[11]           Le 30 mars 2009, l’ASFC a présenté avec pièces à l’appui un avis de danger à l’administration centrale de Citoyenneté et Immigration Canada.

 

[12]           En septembre 2010, le demandeur a fait l’objet d’inculpations de la part de la Police provinciale de l’Ontario. Il a été acquitté de ces inculpations le 1er février 2011, et elles ne font pas partie de son casier judiciaire. Le 8 février 2011, l’ASFC a exécuté un mandat de l’Immigration au cours d’un contrôle de la détention du demandeur, celui‑ci ayant enfreint les conditions de sa mise en liberté. Il a alors été maintenu en détention aux motifs qu’il constituait un danger pour le public au Canada et qu’il présentait un risque de fuite.

[13]           Le 11 mars 2011, dans le cadre d’un autre contrôle de la détention du demandeur, le conseil de ce dernier a proposé qu’il suive encore une fois le programme Anchorage de traitement de la toxicomanie, mais cette proposition a été rejetée. Le 8 avril de la même année, un commissaire de la Section d’appel de l’immigration a autorisé la mise en liberté du demandeur afin qu’il puisse s’inscrire à un programme de traitement résidentiel de la toxicomanie d’inspiration chrétienne, le programme Jericho Road. Le demandeur a suivi ce programme, y compris en assistant aux services religieux et en participant aux séances d’études bibliques.

 

[14]           Le 18 novembre 2011, la déléguée a établi l’avis de danger qui fait l’objet de la présente demande.

 

La décision contrôlée

 

[15]           C’est sous le régime de l’alinéa 115(2)a) de la Loi que la déléguée a établi l’avis de danger considéré. Après avoir examiné l’ensemble du casier judiciaire du demandeur, ses perspectives de réadaptation et le risque qu’il représente pour la société canadienne, elle a conclu qu’il constitue un danger pour le public au Canada.

 

[16]           La déléguée commence par une récapitulation des dispositions légales et de la jurisprudence sur lesquelles repose son avis de danger. Elle examine les dispositions applicables, et cite également l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, concernant la question de la conformité à l’article 7 de la Charte.

 

[17]           La déléguée rappelle qu’il lui faut déterminer, sous le régime de l’alinéa 115(2)a) de la Loi, si le demandeur constitue un danger présent ou futur pour le public au Canada. Elle examine sa situation particulière afin de voir s’il est un récidiviste en puissance dont la présence au Canada ferait courir à notre société un risque inacceptable.

 

[18]           Elle récapitule d’abord le dossier d’immigration du demandeur, son casier judiciaire et la chronologie des événements, pour ensuite étudier les documents judiciaires et les dossiers du Service de police d’Ottawa, et examiner en détail les actes criminels du demandeur, après quoi elle procède à l’évaluation du danger qu’il représente, fondement de sa décision d’interdiction de territoire.

 

[19]           Elle constate que le demandeur fait preuve d’une propension à la violence, qu’il a participé à des activités de gang telles que des attaques collectives et des vols, qu’il a proféré des menaces de mort à l’endroit de son ex‑compagne et de la famille de cette dernière, et qu’il a été déclaré coupable de possession de crack. Elle fait observer que la gravité de ses crimes s’est accrue avec le temps et qu’il a fait une habitude d’enfreindre les ordonnances judiciaires.

 

[20]           La déléguée prend également acte que, après sa dernière période de détention, le demandeur a suivi le programme de traitement de la toxicomanie Jericho Road en exécution d’une condition de sa mise en liberté.

 

[21]           Elle examine la preuve provenant du Dr Philip Chiefetz, qui a traité le demandeur pour ses problèmes de toxicomanie. Le Dr Chiefetz a émis en 2008 un pronostic favorable de rétablissement complet de la toxicomanie et de la dépression clinique dont souffrait le demandeur. Cependant, constate la déléguée, le même médecin a établi en 2011 un pronostic peu favorable de rétablissement complet du trouble de stress post‑traumatique et de la dépression qui affligeaient M. Omar, [TRADUCTION] « à moins qu’il n’arrive à se libérer des sentiments relatifs au traumatisme subi dans son enfance, et à retrouver un comportement pleinement adapté et constructif ».

 

[22]           La déléguée constate que le demandeur ne s’est pas entièrement détaché de ses activités antérieures, à preuve sa rechute dans la toxicomanie après sa période de détention de 2008. Elle fait observer que la toxicomanie a contribué à ses activités criminelles. Étant donné le lien entre sa toxicomanie et ses activités criminelles, conclut la déléguée, le demandeur ne peut être considéré comme réadapté.

 

[23]           La déléguée examine ensuite les prétentions du demandeur selon lesquelles il sera exposé à la persécution en Somalie du fait de la situation qui règne dans ce pays, de son ascendance tribale, de l’absence de famille pour le protéger, de l’insuffisance des soins de santé mentale et du soutien médical, et de sa conversion au christianisme.

 

[24]           La déléguée, après examen de ces observations relatives aux risques de persécution, conclut que le Somaliland est une région relativement paisible et démocratique de la Somalie. Elle admet que les droits de la personne sont parfois violés en Somalie, mais, selon elle, le demandeur n’y courrait pas plus de risques que la population générale de la région.

 

[25]           Pour ce qui concerne l’ascendance tribale, la déléguée constate que le demandeur fait partie des Gadabursi, sous‑clan des Dir, lesquels entretiennent des relations pacifiques avec le clan dirigeant du Somaliland, de sorte que son appartenance tribale ne l’exposerait pas à la persécution. Elle ajoute que son appartenance tribale lui permettrait de s’assurer la protection du clan des Dir, soit au Somaliland, soit dans le Centre‑Sud de la Somalie, où les Dir sont aussi présents.

 

[26]           La déléguée reconnaît qu’il ne pourrait vraisemblablement pas bénéficier au Somaliland de soins médicaux d’un niveau comparable à ceux qui lui sont offerts au Canada. Cependant, ces difficultés sont partagées par la population générale de Somalie. Qui plus est, ajoute‑t‑elle, étant donné l’absence d’information précise sur l’état de santé du demandeur, on ne peut prévoir ce qui pourrait arriver s’il ne trouve pas de soins médicaux adéquats à son retour en Somalie.

 

[27]           Selon la déléguée, la participation du demandeur au programme de réadaptation d’inspiration chrétienne Jericho Road était motivée par la nécessité de sa réadaptation et non par une conversion religieuse. Le demandeur, observe‑t‑elle, n’a pas produit d’extrait de baptême ni aucun autre document de fond qui prouverait sa conversion au christianisme. La déléguée étudie ensuite le point de savoir si les chrétiens sont persécutés au Somaliland, pour constater qu’ils ne le sont pas. Ajoutant ce fait à l’insuffisance de pièces relatives aux convictions chrétiennes du demandeur, la déléguée conclut qu’il ne serait pas personnellement persécuté du fait de sa religion au Somaliland.

 

[28]           La déléguée conclut en dernière analyse à l’absence de preuve que le demandeur risquerait personnellement d’être persécuté à son retour en Somalie ou au Somaliland. Les risques auxquels il serait exposé en cas de renvoi vers la Somalie ou le Somaliland, explique‑t‑elle, ne dépassent pas ceux qu’y court la population générale de ladite région.

 

[29]           Selon la déléguée, le danger que le demandeur constitue pour le public au Canada l’emporte de beaucoup sur les faibles risques qu’il courrait au Somaliland ou dans une autre région de Somalie.

 

[30]           La déléguée étudie ensuite les facteurs d’ordre humanitaire à prendre en considération, notamment l’intérêt supérieur des enfants du demandeur. Cette analyse l’amène à conclure que celui‑ci n’a pas réussi à démontrer qu’il avait été suffisamment présent dans la vie de ses enfants pour qu’il y ait lieu de penser que son renvoi vers la Somalie serait contraire à leur intérêt supérieur.

 

[31]           La déléguée formule enfin la conclusion que le demandeur représente pour la société canadienne un danger tel qu’il doit être expulsé, malgré les risques, s’il en est, qu’il pourrait courir à son retour en Somalie.

 

Les dispositions légales applicables

 

[32]           Les dispositions applicables des articles 36 et 114 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, sont ainsi rédigées :

36.  (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

 

[…]

 

 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

 

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

36.  (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

 

(1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

La norme de contrôle judiciaire

 

[33]           La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable; voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Notre Cour a posé en principe que la norme de contrôle à laquelle il convient de soumettre l’avis de danger d’un délégué du ministre est aussi celle du caractère raisonnable; voir Alkhali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 976 [Alkhali].

 

La question en litige

 

[34]           Le demandeur et le défendeur soutiennent tous deux que la question en litige est celle de savoir si la décision de la déléguée portant que le demandeur constitue un danger pour le public et devrait être renvoyé en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR était raisonnable.

 

[35]           Je pense aussi que la question à trancher est celle de savoir si la décision de la déléguée est ou non raisonnable.

 

Analyse

 

[36]           En termes plus particuliers, l’analyse du caractère raisonnable doit répondre à trois questions. Premièrement, la déléguée a‑t‑elle commis une erreur en n’attribuant pas plus de poids au fait que cinq ans s’étaient écoulés depuis la dernière condamnation pénale du demandeur? Deuxièmement, la déléguée s’est‑elle trompée dans l’interprétation des rapports médicaux de 2008 et de 2011 signés par le Dr Chiefetz? Et troisièmement, la déléguée s’est‑elle trompée dans l’évaluation des risques que courrait le demandeur à son retour en Somalie du fait de son appartenance tribale, de sa santé ou de sa religion?

 

La déléguée a‑t‑elle omis de tenir compte du temps écoulé depuis les dernières condamnations pénales?

 

[37]           Le temps écoulé depuis les dernières condamnations pénales ne peut à lui seul permettre de déterminer le risque que le demandeur fait courir à la société canadienne; voir Fabian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 851, paragraphe 48. L’avis de danger que le délégué du ministre motive de manière transparente et raisonnable peut résister à l’examen judiciaire même si le demandeur n’a été déclaré coupable d’aucun crime depuis plusieurs années.

 

[38]           La déléguée a examiné la nature des crimes et délits du demandeur, rappelant qu’il avait été déclaré coupable d’infliction de lésions corporelles sous le régime de l’alinéa 267b) du Code criminel, infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et qui à ce titre entre dans la définition que donne de la « grande criminalité » l’article 36 de la LIPR. Elle a aussi pris en considération la violence attachée à un certain nombre des infractions dont le demandeur avait été déclaré coupable et elle a constaté une tendance à l’aggravation de cette violence.

 

[39]           La déléguée a exprimé l’inquiétude que lui inspirait le fait que le demandeur ait été trouvé en possession de crack en 2006. Elle a constaté l’existence d’un lien entre ses activités criminelles et ses problèmes de toxicomanie. Ayant aussi pris en considération la rechute qui avait suivi le premier programme de traitement et le pronostic le plus récent établi dans le deuxième rapport médical, elle a conclu que la toxicomanie du demandeur faisait toujours problème.

 

[40]           La déléguée a reconnu qu’il s’était écoulé cinq ans depuis la dernière condamnation pénale du demandeur, mais en ajoutant qu’il avait passé une grande partie de ce temps en détention.

 

[41]           Étant donné que la déléguée a pris en considération non seulement le temps écoulé depuis les dernières infractions pénales du demandeur, mais aussi la preuve factuelle y afférente, je conclus que son opinion selon laquelle ce dernier continue de présenter un risque pour la société canadienne appartient raisonnablement aux issues possibles; voir Dunsmuir.

 

La déléguée a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le pronostic de rétablissement complet du demandeur était passé de « favorable » à « peu favorable »?

 

[42]           La déléguée a examiné la preuve documentaire provenant du Dr Chiefetz, qui donnait un pronostic de rétablissement complet [TRADUCTION] « favorable » en 2008 et « défavorable » en 2011.

 

[43]           La première évaluation psychiatrique du Dr Chiefetz consiste en un courriel auquel est joint un rapport sur l’état de santé du demandeur. Dans ce courriel, le médecin émettait un pronostic favorable de rétablissement complet de la toxicomanie et de la dépression clinique. Il est à noter que le diagnostic psychiatrique formulé dans le rapport sur l’état de santé du demandeur comprenait non seulement la toxicomanie et la dépression, mais aussi le trouble de stress post‑traumatique. En 2011, le Dr Chiefetz a établi un pronostic défavorable de rétablissement de ce dernier trouble.

 

[44]           Comme le même psychiatre traitant avait établi les deux rapports ci‑dessus et qu’il avait diagnostiqué dans les deux cas un trouble de stress post‑traumatique, il était raisonnable de la part de la déléguée de conclure que la santé mentale du demandeur s’était détériorée.

 

La déléguée s’est‑elle trompée en concluant que le demandeur ne serait pas exposé à un risque particulier de persécution ou de préjudice du fait de son appartenance tribale, de sa santé mentale ou de sa religion s’il était refoulé vers la Somalie?

 

[45]           Le demandeur soutient qu’il serait persécuté du fait de son appartenance tribale et de sa religion, ou qu’il subirait un préjudice en raison des soins qu’exige sa santé mentale, s’il était renvoyé vers la Somalie.

 

[46]           Selon la déléguée, l’appartenance tribale du demandeur pourrait plutôt lui assurer un certain degré de protection au Somaliland ou dans le Centre‑Sud de la Somalie. À l’issue d’un examen des relations tribales qui ont cours en Somalie, elle a conclu de façon transparente que le demandeur ne courrait pas de risque particulier en tant que membre du clan des Gadabursi, puisque celui‑ci entretient des rapports pacifiques avec le clan dirigeant du Somaliland. Tout risque découlant de problèmes récents de sécurité, expliquait‑elle, s’étendait à la population générale et ne serait pas particulier au demandeur.

 

[47]           La déléguée a constaté une insuffisance de preuve concernant les conséquences qu’aurait pour le demandeur l’impossibilité de bénéficier des soins et des médicaments psychiatriques qui lui sont offerts au Canada.

 

[48]           La déléguée a pris en considération la situation des services de santé mentale et de ceux qui en ont besoin en Somalie. Bien que ces services comptent parmi les pires du monde, a‑t‑elle conclu, rien ne donne à penser que le demandeur courrait de risque particulier à cet égard s’il était renvoyé vers la Somalie : il serait bien exposé à un risque, mais pas plus grand que celui des autres Somaliens souffrant de troubles mentaux.

 

[49]           Concernant la conversion de fraîche date au christianisme invoquée par le demandeur, la déléguée a expliqué pourquoi elle doutait de son authenticité. S’il est vrai que plusieurs témoins ont déclaré que le demandeur pratiquait sincèrement le christianisme, elle a mis ces témoignages en parallèle avec la quasi‑absence d’autres éléments tendant à établir sa conversion.

 

[50]           La déléguée a reconnu que le demandeur suivait un programme de traitement d’inspiration religieuse, mais, selon elle, il était déterminé en cela plus par ses problèmes de toxicomanie que par des convictions religieuses. Enfin, elle a constaté qu’il y avait au Somaliland des chrétiens qui pratiquaient discrètement leur religion. Comme le demandeur ne faisait pas de prosélytisme, il était improbable qu’il fût persécuté en tant que chrétien en Somalie.

 

[51]           Le demandeur a produit des lettres tendant à confirmer qu’il s’était converti au christianisme. Cependant, je suis d’accord avec mon collègue le juge Pinard, selon qui « il serait absurde » d’accueillir une demande de contrôle judiciaire simplement parce que le demandeur a produit une lettre attestant sa conversion; voir Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595. Il était raisonnable de la part de la déléguée de n’accorder que peu de poids à ces preuves de conversion dans la présente espèce, étant donné la faiblesse des indices de pratique chrétienne chez le demandeur et le silence d’autres personnes, parmi les plus proches de lui, concernant sa foi chrétienne. En tout état de cause, la déléguée a bel et bien pris en considération le risque de persécution que le demandeur pourrait courir au Somaliland en tant que chrétien, pour conclure que ce risque était faible.

 

[52]           J’estime que la déléguée a agi raisonnablement en concluant que la conversion du demandeur au christianisme ne l’exposerait pas à un risque de persécution s’il était refoulé vers la Somalie.

 

[53]           Je considère comme raisonnable la conclusion de la déléguée voulant que le demandeur constitue effectivement un danger pour le public au Canada et que les risques auxquels il pourrait être exposé en cas de refoulement vers la Somalie ou le Somaliland ne porteraient pas atteinte aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte.

 

[54]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à la certification.

 

Conclusion

 

[55]           La déléguée a examiné de manière raisonnable le point de savoir si le demandeur constitue un danger présent ou futur pour le public au Canada. Elle a étudié la preuve, spécifié les faits sur lesquels elle se fondait et motivé ses conclusions. Elle a mis en parallèle, de manière raisonnable aussi, le risque que le demandeur représente pour la société canadienne et les risques qu’il courrait s’il était refoulé vers la Somalie. Son avis de danger donne un exposé transparent et raisonnable des motifs qui l’ont amenée à décider qu’il constitue un danger pour le public au Canada.

 

[56]           Je serais d’avis de ne pas modifier l’avis de la déléguée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑9484‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  ABDIMALIK OMAR c
CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 septembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Stieda

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ahmad‑Yousuf &Associates

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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