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Date : 20130219

Dossier : IMM-4528-12

Référence : 2013 CF 173

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 février 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

ZHAN CONG CAO

SHU FEN WEN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La conclusion du commissaire selon laquelle les témoignages présentés de vive voix par les demandeurs, l’exposé circonstancié du formulaire de renseignements personnels (FRP) et la preuve documentaire concernant leur traitement par les représentants de la planification familiale en Chine n’étaient ni vraisemblables ni crédibles, et qu’ils n’étaient donc pas exposés à un risque objectif de subir une stérilisation, reposait sur un examen microscopique de la preuve des demandeurs de même que sur des hypothèses et une conclusion sans fondement. Par conséquent, la décision est déraisonnable.

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont mariés et ils sont des citoyens de la Chine. En juillet 2007, ils ont eu leur premier enfant – un fils.  Après son accouchement, déclare Mme Wen, le couple n’avait plus le droit d’avoir d’autres enfants, et elle a dû porter un dispositif intra-utérin (DIU) afin d’empêcher toute grossesse future.

 

[3]               En septembre 2008, Mme Wen s’est présentée à un rendez-vous pour faire vérifier son DIU par des représentants de la planification familiale. Malgré le DIU, elle était enceinte. Les représentants de la planification familiale l’ont immédiatement conduite à l’hôpital pour subir un avortement forcé; ils voulaient aussi qu’elle subisse une stérilisation. Mme Wen n’étant pas d’accord, les représentants ont accepté qu’elle continue de porter un DIU, mais si elle devait se retrouver à nouveau enceinte, ont-ils dit, elle devrait subir une stérilisation.

 

[4]               Le 2 mars 2009, Mme Wen s’est rendue à un autre rendez-vous de vérification de son DIU par des représentants de la planification familiale et ils ont découvert qu’elle était enceinte encore une fois. Elle a de nouveau été immédiatement conduite à l’hôpital pour y subir un avortement forcé, mais cette fois-ci, les représentants ont insisté pour qu’elle subisse aussi une stérilisation. Les médecins ont toutefois conclu qu’elle ne pouvait pas subir une stérilisation à ce moment-là puisqu’elle a eu des problèmes d’hémorragie à la suite de l’avortement. Ce jour-là, les représentants de la planification familiale ont donc plutôt décidé que M. Coa devait subir une stérilisation, et ils se sont immédiatement rendus à son domicile.


[5]               Lorsque les représentants de la planification familiale sont arrivés, M. Coa n’était pas chez lui. Ils lui ont laissé un avis lui indiquant de se présenter au bureau de contrôle des naissances le 6 mars 2009. Selon le FRP des demandeurs, le couple est entré dans la clandestinité le 4 mars 2009. Puisque M. Coa ne s’est pas présenté au bureau de contrôle des naissances tel qu’exigé, les représentants se sont de nouveau rendus à leur domicile. Ils ont confisqué des biens familiaux, endommagé la résidence et interrompu l’approvisionnement de services publics. Les demandeurs ont présenté une liste d’articles confisqués, censément émise par les représentants de la planification familiale, en date du 7 mars 2009.

 

[6]               Le 8 mai 2009, craignant de ne plus être en mesure de demeurer en Chine en toute sécurité, les demandeurs sont partis, avec l’aide d’un passeur de clandestins, à destination du Canada, et ils ont revendiqué le statut de réfugié peu après leur arrivée.

 

[7]               En janvier 2011, Mme Wen a mis au monde le deuxième enfant des demandeurs, une fille. Les demandeurs affirment qu’ils [traduction] « craignent toujours une stérilisation puisque les représentants de la planification familiale ont continué à [les] chercher à la résidence de l’oncle de [M. Coa] et chez [leurs] parents proches, plus récemment une fois tous les deux mois. » Lors de chacune de ces visites, les représentants n’ont donné que des avertissements verbaux.

 

[8]               À l’audience concernant le statut de réfugié, Mme Wen a témoigné au nom des deux demandeurs. La Commission disposait de certains documents qu’il importe de souligner : la liste d’articles confisqués susmentionnée, [traduction] « un livret relatif au DIU, un avis de stérilisation à l’intention de M. Coa, deux documents concernant des avortements effectués en septembre 2008 et en mars 2009, ainsi qu’un document attestant d’un diagnostic d’une maladie en date du 3 mars 2009 ».

 

[9]               Au moment de rejeter la demande d’asile, la Commission a tiré les conclusions négatives suivantes en ce qui concerne la crédibilité :

(i)                 La Commission a conclu que la réglementation sur la planification familiale de la province du Guangdong prévoit une amende de frais sociaux, qui s’accroît avec le nombre d’enfants nés hors du cadre de planification, en guise de sanction pour un enfant [traduction] « né hors du cadre réglementaire régissant la planification familiale », et qu’« aucun élément de preuve [n’indique] que les femmes sont stérilisées de force en Chine parce qu’il y aurait une possibilité de grossesse future ». La Commission a conclu que l’explication fournie par Mme Wen quant à la raison pour laquelle les représentants tenteraient de lui faire subir une stérilisation, malgré ces règles et le fait qu’elle n’avait eu qu’un seul enfant à ce moment-là, n’était « ni vraisemblable ni crédible ». [Non souligné dans l’original.]

(ii)               Selon le livret relatif au DIU de Mme Wen, son témoignage et son FRP, son deuxième avortement forcé a eu lieu le 2 mars 2009; mais deux documents d’établissement hospitalier présentés en preuve étaient datés du 3 mars 2009. La Commission a estimé insuffisante l’explication de Mme Wen selon laquelle « ce document avait été fourni le jour où elle a quitté l’hôpital, et elle a passé une nuit à l’hôpital » puisque « deux documents émanant de l’hôpital ont été présentés. L’un deux concerne particulièrement l’avortement et est daté du 3 mars 2009. L’autre porte sur les problèmes de santé de la demandeure d’asile après l’avortement et précise que, en raison de ces problèmes, elle n’a pas pu être stérilisée. Ce document est également daté du 3 mars 2009 ». La Commission a conclu que Mme Wen n’a pas fourni d'explication crédible relativement à la divergence.

(iii)             Le document du 3 mars 2009 indiquant qu’un avortement chirurgical avait été effectué, indiquait aussi que la patiente « se portait bien » après la chirurgie. Toutefois, le deuxième document d’établissement hospitalier daté du 3 mars 2009, indiquait qu’il y avait eu saignement après la chirurgie et qu’il ne pouvait y avoir de stérilisation.

(iv)             Si les représentants de la planification familiale ont consigné leur demande à l’effet que le demandeur devait subir une stérilisation, il était « raisonnable de supposer que l’exigence voulant que la demandeure d’asile soit stérilisée soit également mise par écrit ».

(v)               La demande de stérilisation de M. Coa était datée du 2 mars 2009, mais les documents médicaux concernant Mme Wen étaient datés du 3 mars 2009.  Mme Wen n’a pas fourni d’explication crédible relativement à la divergence.

(vi)             Aucune documentation des représentants de la planification familiale n’a été présentée relativement aux deux avortements forcés de Mme Wen.

(vii)           À l’exception de la demande du 2 mars 2009 demandant à M. Coa de se présenter au bureau de contrôle des naissances, aucun document n’a été émis par les représentants de la planification familiale depuis que le couple est entré dans la clandestinité, si ce n’est des demandes présentées de « vive voix » à partir de ce moment-là.

 

[10]           La Commission a aussi conclu que la preuve documentaire, en général, étayait une conclusion selon laquelle l’imposition d’amendes, ainsi qu’il est souligné ci-dessus, et non pas la stérilisation forcée, constituait la norme dans la province du Guangdong, et que les demandeurs seraient tout au plus assujettis à une amende s’ils devaient retourner en Chine avec leur deuxième enfant né au Canada.

 

[11]           En résumé, la Commission a conclu que les documents présentés étaient frauduleux et que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient persécutés ou seraient personnellement exposés à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture par une autorité quelconque en Chine; elle a donc rejeté leurs demandes d’asile.

 

Les questions en litige

[12]           Voici les questions soulevées par les demandeurs :

1.         la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la crainte des demandeurs de subir une stérilisation n’était pas crédible;

2.         la question de savoir si la Commission a commis une erreur en évaluant le fondement objectif de la demande des demandeurs.

 

Analyse

[13]           La décision de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité reposait en grande partie sur son point de vue selon lequel les deux documents d’établissement hospitalier datés du 3 mars 2009 indiquaient que l’avortement a eu lieu à cette date, un jour après que l’époux ait reçu un document l’enjoignant de subir une stérilisation. Je souscris à l’avis des demandeurs selon lesquels ces documents n’indiquaient rien de ce genre.

 

[14]           Ces deux documents sont [traduction] « estampillés » par l’hôpital en date du 3 mars 2009, mais aucun n’indique que l’avortement a eu lieu à cette date. Le commissaire a conclu, de façon déraisonnable, que la date à laquelle le document a été estampillé correspondait à la date à laquelle avait eu lieu l’avortement. Le témoignage de Mme Wen voulant qu’elle ait dû subir un avortement le 2 mars 2009 et que les représentants de la planification familiale ont décidé ce jour-là que son époux subirait une stérilisation n’est pas incompatible avec ces documents, ainsi que l’a conclu le commissaire.

 

[15]           Les demandeurs affirment aussi que le commissaire n’a pas été raisonnable en estimant qu’il existait une contradiction avec la description de l’état de santé de Mme Wen dans le document à la suite de l’avortement. Selon ce qu’ils affirment, elle ne se portait pas « bien » tout de suite après la chirurgie le 2 mars, mais bien ou assez bien pour obtenir un congé le 3 mars 2009.

 

[16]           Voici ce qui est indiqué sur le certificat de chirurgie de contrôle des naissances :

[Traduction] État de santé après la chirurgie : bon.

Voici ce qui est indiqué sur le certificat de diagnostic de maladie :

[Traduction] Notre département d’obstétrique et de gynécologie a diagnostiqué la maladie suivante :

 

1.  Début de la grossesse, avortement

2.  saignement après la chirurgie, faible anémie.

                        [sic]

Selon le FRP des demandeurs, Mme Wen a eu une hémorragie durant l’avortement, faisant ainsi en sorte qu’elle n’a pu subir une stérilisation à ce moment-là. Selon le témoignage de celle-ci à l’audience, elle a eu [traduction] « une hémorragie grave après l’avortement ».

 

[17]           Dans ses motifs, la Commission a tiré une conclusion défavorable en raison de la divergence des descriptions de l’état de santé de Mme Wen après l’avortement – un  bon état de santé par rapport à l’hémorragie. Même si l’on reconnaît que le certificat de chirurgie de contrôle des naissances a été délivré le 3 mars 2009, cela n’explique pas de manière satisfaisante la raison pour laquelle il aurait été indiqué que Mme Wen « se portait bien » après sa chirurgie le jour précédent. Son état de santé n’était pas bon; à ses dires, elle avait une hémorragie grave. De plus, la personne, quelle qu’elle soit, qui a rempli l’autre document d’établissement hospitalier daté du 3 mars 2009 qui a été remis à Mme Wen – le certificat de diagnostic de maladie – a indiqué qu’elle saignait après la chirurgie.

 

[18]           Cependant, une question a été soulevée à l’audience quant à l’exactitude ou la précision des traductions fournies par les demandeurs – une question que la Commission elle-même a soulevée à l’audience lorsque le traducteur présent a traduit différemment certaines parties des documents d’établissement hospitalier, après quoi le commissaire a formulé l’observation suivante : [traduction] « Cher conseil, vous feriez mieux de vous trouver un autre traducteur. »

 

[19]           Je souscris à l’avis du commissaire selon lequel le certificat de chirurgie de contrôle des naissances contredit au sens littéral le certificat de diagnostic de maladie et il était justifié pour la Commission de s’arrêter et d’examiner la question. En revanche, il faut se questionner au sujet de la force de la conclusion qui peut en être tirée. Est-ce que « se portait bien » aurait pu vouloir dire « stable »? La Commission avait déjà relevé certaines erreurs de traduction dans ces documents d’établissement hospitalier. Cette conclusion défavorable est valide, mais elle n’est pas particulièrement solide, et il serait déraisonnable, en se fondant sur elle seule, de rejeter l’ensemble de la preuve présentée par les demandeurs.

 

[20]           La Commission a aussi conclu que, à la lumière de la preuve documentaire fourni, il [était] raisonnable de présumer qu’il existerait des documents fournis par le centre de planification familiale au sujet du fait qu’il aurait été nécessaire que [Mme Wien] [...] soit stérilisée ».

 

[21]           Cette hypothèse est formulée sans aucun fondement. Il n’est fait renvoi à aucune preuve documentaire qui permet d’étayer cette hypothèse, et le commissaire ne déclare exercer aucune compétence spécialisée particulière dans ce domaine. Je souscris à l’observation des demandeurs selon laquelle l’absence de documentation des représentants exigeant que Mme Wen subisse une stérilisation cadre avec ce qu’elle a dit qui s’était produit le 2 mars 2009 – que les représentants de la planification familiale l’ont directement conduite à l’hôpital après l’examen de son DIU et qu’elle a parlé directement aux médecins au sujet de sa stérilisation. Dans ces circonstances, aucune documentation n’était requise. M. Coa, par contre, n’était pas à la maison lorsque les représentants sont allés le chercher – ils lui ont donc laissé une note écrite lui demandant de se présenter.

 

[22]           Dans ses motifs, la Commission a aussi examiné la réglementation officielle en matière de planification familiale dans la province du Guangdong et la preuve documentaire relative à l’incidence des avortements et de la stérilisation forcés. Elle a conclu que les avortements et la stérilisation forcés, tels qu’ils semblent s’être produits dans la ville de Puning, constituaient une exception dans la province du Guangdong et que les demandeurs n’étaient pas personnellement exposés à un risque de subir une stérilisation forcée ou qu’ils seraient poursuivis à cette fin. La Commission a conclu par ailleurs à l’absence de vraisemblance dans le récit des demandeurs compte tenu de la réglementation en place au Guangdong.

 

[23]           Les demandeurs prétendent que malgré l’existence de la réglementation officielle au Guangdong, [traduction] « les références du pays sont bien documentées au sujet de mesures coercitives ». Ils soulignent de nombreux extraits de la preuve documentaire présentée à la Commission énonçant que le gouvernement dans la province du Guangdong s’attaquait au problème de population, que la campagne massive de stérilisation dans la ville de Puning (province du Guangdong) n’était pas un cas isolé et que des couples qui enfreignaient les politiques de planification familiale étaient [traduction] « couramment forcés de subir des avortements et/ou des stérilisations forcés ». Dans une situation où le DIU s’était avéré inefficace non pas une, mais bien deux fois, soutiennent-ils, leurs craintes avaient un fondement objectif et leurs allégations de tentative de stérilisation forcée sont tout à fait vraisemblables.

 

[24]           Je conclus que la conclusion de la Commission était déraisonnable. Selon la preuve versée au dossier, le récit des demandeurs est certainement vraisemblable. Mais le plus important c’est que la Commission tire sa conclusion par rapport à la preuve documentaire, « à la lumière des constatations et des conclusions défavorables susmentionnées ». [Non souligné dans l’originale.]  Étant donné ma conclusion selon laquelle certaines de ces conclusions ont été tirées de manière déraisonnable, il faudrait aussi conclure que la conclusion de la Commission était déraisonnable vu l’importance de la preuve documentaire.

 

[25]           La décision de la Commission est déraisonnable. Elle n’a pas fourni de motifs valables permettant de rejeter le témoignage sous serment et les documents présentés par Mme Wen, et elle s’est appuyée sur des conclusions de vraisemblance inadéquates. La décision doit être annulée.

 

[26]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. La demande d’asile des demandeurs est renvoyée à la Commission pour qu’un autre commissaire statue et aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge


 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4528-12

 

INTITULÉ :                                      ZHAN CONG CAO ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lindsey Weppler

POUR LES DEMANDEURS

Melissa Mathieu

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BLANSHAY & LEWIS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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