Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 


Date : 20120524

Dossier : IMM-6049-11

Référence : 2012 CF 632

[Traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

HOOVER SIERRA RIANO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE MOSLEY

 

[1]               Le demandeur est un ressortissant de la Colombie âgé de 47 ans. Il demande la protection du Canada contre les partisans des FARC en Colombie, où son épouse et sa fille vivent toujours.

 

[2]               Il s’agit d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, de contrôle judiciaire d’une décision datée du 8 août 2011, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[4]               Lorsqu’il vivait à Cali, en Colombie, le demandeur faisait partie d’une organisation non gouvernementale affiliée au Parti de l’Alliance sociale indigène. Il a contribué à des projets visant à améliorer le sort des démunis. En 2002, des membres des FARC l’ont abordé et accusé de travailler avec le gouvernement colombien. Le demandeur est parti pour Bogotá, mais est rentré à Cali moins de deux semaines plus tard. Un dirigeant de l’organisation pour laquelle il travaillait a été enlevé puis tué par les FARC. En 2003, pendant qu’il participait à la campagne électorale d’un candidat à une charge municipale, le demandeur a reçu des appels téléphoniques de menaces.

 

[5]               Le demandeur est parti pour les États-Unis en 2006. Après avoir passé cinq mois dans ce pays en vertu d’un visa de touriste, il est rentré en Colombie. Une personne prétendant faire partie des FARC lui a téléphoné en mars 2007 et lui a fait savoir que les FARC le considéraient comme un objectif militaire en raison de ses activités politiques. Le demandeur a continué de recevoir des appels téléphoniques de menaces jusqu’en 2010.

 

[6]               En février 2010, il a reçu un nouvel appel téléphonique de menaces au cours duquel il a discuté avec son interlocuteur de l’allégation voulant qu’il ait travaillé pour le gouvernement. Le demandeur n’a pas contacté la police ni d’autres autorités pour demander leur protection. Son épouse et lui ont décidé qu’ils devraient quitter la Colombie. Ils ont convenu que le demandeur partirait le premier et s’établirait ailleurs, et que son épouse et sa fille iraient le rejoindre.

 

[7]               Le demandeur s’est rendu aux États-Unis en mai 2010. Il n’a pas demandé l’asile dans ce pays. Il a quitté les États-Unis pour le Canada au début de juillet 2010 et a demandé l’asile le 12 juillet 2010. La Commission a entendu sa demande le 29 juillet 2011.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

 

[8]               La Commission a conclu que les actes du demandeur n’étaient pas compatibles avec une crainte subjective de persécution en Colombie. Cependant, après avoir examiné sa demande de la manière la plus favorable, elle a conclu qu’il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Bogotá.

 

[9]               La Commission a relevé que le demandeur était rentré en Colombie après sa visite aux États-Unis, en 2006. Elle a rejeté les deux explications fournies par le demandeur pour son retour au pays : son épouse était enceinte et sa grossesse était considérée comme à risque, et il ne voulait pas prolonger indument le séjour autorisé par son visa aux États-Unis. S’il craignait vraiment de subir la persécution ou des préjudices en Colombie, la Commission a estimé qu’il ne serait pas retourné dans ce pays et aurait plutôt tenté de rester aux États-Unis. La Commission a conclu qu’il était déraisonnable pour lui de ne pas avoir examiné la possibilité d’obtenir une protection aux États‑Unis lorsqu’il était dans ce pays en 2006 et en 2010.

 

[10]           La Commission s’est documentée sur le critère appliqué dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF). La Commission a conclu que le demandeur n’était exposé qu’à une simple possibilité d’être pris pour cible par les FARC à Bogotá. La Commission a fait référence aux membres de la famille élargie du demandeur comme des personnes placées dans la même situation en Colombie et a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve voulant que l’un d’eux a reçu des menaces ou subi des préjudices de la part des FARC en l’absence du demandeur. Elle a aussi conclu qu’il n’y avait aucune preuve documentaire convaincante montrant que les FARC s’intéressaient à des gens comme le demandeur.

 

[11]           En ce qui concerne le premier volet du critère applicable à une PRI, la Commission a conclu que le demandeur pouvait vivre à Bogotá sans crainte de persécution, sans risque pour sa vie ou sans risque de traitements ou peines cruels et inusités. Au sujet du second volet, la Commission a noté que le demandeur avait pu s’adapter avec succès à la vie au Canada. Elle a conclu qu’il lui serait plus facile de se réinstaller à Bogotá parce qu’il connaissait la langue et la culture locales. Cela signifiait, selon la Commission, qu’il n’était pas objectivement déraisonnable de s’attendre à ce qu’il se réinstalle à Bogotá, où vivaient sa femme et sa fille. Étant donné que les deux volets du critère étaient à son avis remplis, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           La seule question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la conclusion de la Commission voulant que le demandeur a une possibilité de refuge intérieur à Bogotá est raisonnable.

 

ANALYSE

            Norme de contrôle

[13]           Les parties et la Cour conviennent que la norme de contrôle applicable à une décision relative à une PRI est la raisonnabilité (voir Gonzalez Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 5, au paragraphe 8; Barbosa Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1360, au paragraphe 13; et Trevino Zavala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 370, au paragraphe 5.

 

La conclusion de la Commission relative à une PRI est‑elle raisonnable?

 

[14]           La Commission a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile aux États-Unis et du fait qu’il s’est réclamé à nouveau de la protection de la Colombie. Elle a estimé que cela jetait un doute sur sa crédibilité et sur sa crainte subjective de persécution. Cependant, la Commission a tenu pour acquis que les événements énoncés dans son récit sont arrivés comme il l’a décrit.

 

[15]           Le demandeur fait valoir que l’analyse de la Commission sur la question de savoir s’il avait une PRI est déraisonnable parce qu’elle reposait sélectivement sur des extraits d’un rapport du Conseil canadien pour les réfugiés qu’il avait produit. Le rapport indique que, au cours des dernières années, une proportion considérable de personnes déplacées ayant perdu la vie en Colombie avaient été tuées à Bogotá. Il règne une impunité exceptionnellement élevée pour les crimes de cette nature à Bogotá. Le rapport indique que les personnes qui rentrent en Colombie après un séjour à l’étranger seraient traitées comme des personnes déplacées. Le demandeur soutient que la Commission a interprété le contenu du rapport de sorte qu’il se conforme à sa conclusion.

 

[16]           La Commission s’est reportée à des rapports publiés par l’International Crisis Group pour 2008 et 2009 indiquant que les FARC s’étaient affaiblies pendant les neuf années suivant la première fois où le demandeur a reçu des menaces et que le soutien dont elles jouissaient en zone urbaine avait diminué considérablement. Même si un rapport du Département d’État des États-Unis indiquait que des personnes présentant certains profils particuliers risquaient de subir des préjudices aux mains des FARC, la Commission a conclu que le demandeur ne correspondait pas aux profils en question.

 

[17]           Le demandeur soutient que les rapports en question ont été contredits par un rapport de 2010 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) indiquant que la société civile et les défenseurs des droits de la personne risquaient des préjudices aux mains des FARC et qu’il entrait dans ces catégories. La Commission n’a pas reconnu une conclusion du rapport du HCNUR voulant qu’une PRI n’est généralement pas disponible.

 

[18]           Je conviens avec le défendeur que la décision de la Commission fondée sur son appréciation de la preuve documentaire en l’espèce appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les motifs énoncés pour la décision sont transparents, intelligibles et justifiés. Il est loisible à la Commission de choisir les éléments de preuve qu’elle préfère, et celle‑ci n’est pas tenue de mentionner chaque élément dont elle dispose. Cela ne veut pas dire que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve ou a dénaturé les éléments de preuve fournis par le demandeur. La conclusion de la Commission reposait sur la prépondérance des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[19]           La Commission ne s’est pas fondée sur le rapport du Conseil canadien pour les réfugiés uniquement pour étayer ses conclusions. Elle a également renvoyé à des opinions exprimées dans le rapport contredisant ses conclusions. Cependant, il était loisible à la Commission de préférer d’autres éléments de preuve, comme une déclaration d’un conseiller politique à l’ambassade du Canada à Bogotá citée dans le rapport, selon qui la sécurité s’était améliorée considérablement dans les zones urbaines au cours des huit dernières années. Ce n’est pas non plus parce qu’elle n’a pas conclu que le demandeur correspondait à l’un des profils de risque décrits dans le rapport du HCNUR que la Commission n’a pas examiné avec le sérieux voulu ce rapport. Selon le rapport, une PRI [traduction] « […] peut être disponible dans certaines circonstances et conformément au cadre du critère de pertinence et de raisonnabilité […] »

 

[20]           Comme dans l’affaire Ramos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 15, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur avait une PRI sur la foi d’éléments de preuve offrants des opinions différentes quant à la sécurité à Bogotá. Voir aussi Guevara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 242; Rodriguez Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1273; et Ruiz Hurtado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 634.

 

[21]           La Commission a bien énoncé et appliqué le critère relatif à une PRI. Il lui était loisible d’analyser l’information qu’elle avait devant elle et de tirer une conclusion quant à la disponibilité d’une PRI pour le demandeur, et elle a fait. En l’espèce, la Commission n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve clairement pertinents se rapportant au risque allégué. Il lui était loisible de conférer un poids différent aux éléments de preuve. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre opinion sur la conclusion qui aurait dû être rendue : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61.

 

[22]           La décision était raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme
Line Niquet

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6049-11

 

INTITULÉ :                                      HOOVER SIERRA RIANO c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.