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Date : 20130301

Dossier : T-1288-12

Référence : 2013 CF 212

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

MOHAMED RICHI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

SI SEULEMENT

 

[1]               Si seulement le premier juge de la citoyenneté avait vu juste. M. Richi aurait aujourd’hui la citoyenneté canadienne. La liberté de circulation et d’établissement garantie à l’article 6 de notre Charte canadienne des droits et libertés lui permettrait d’aller et de venir comme bon lui semble. Or, lorsqu’il s’est présenté devant un second juge de la citoyenneté, il se trouvait déjà sous le coup d’une mesure de renvoi, faute d’avoir conservé son statut de résident permanent. La juge de la citoyenneté a précisé qu’autrement elle aurait, dans son rapport au ministre, indiqué que le demandeur remplissait toutes les conditions prévues pour l’obtention de la citoyenneté. La mesure de renvoi l’empêchait cependant de procéder ainsi. C’est de cette décision qu’il est fait appel en l’espèce.

 

[2]               M. Richi, qui assurait sa propre représentation, s’est fort bien acquitté de cette tâche. Il est à la fois consterné et frustré par la lourdeur bureaucratique et les tracasseries administratives auxquelles il s’est heurté, et on peut le comprendre. Sans doute sera-t-il encore plus contrarié lorsque j’indiquerai, dans le cadre de ces motifs, que je fais moi-même partie de ce système et que je ne peux lui être d’aucun secours.

 

FAITS

 

[3]               M. Richi est arrivé au Canada le 19 septembre 2003, se voyant accorder le même jour la résidence permanente. Il a demandé la citoyenneté canadienne en juin 2007. En mai 2010, un juge de la citoyenneté a rejeté sa demande au motif qu’il ne répondait pas à la condition à laquelle il était soumis en matière de résidence, à savoir au moins trois années de résidence au Canada au cours des quatre années précédant le dépôt de sa demande. Cette décision ne lui a été communiquée qu’en août 2010.

 

[4]               Il a fait appel devant la Cour. À sa surprise, l’avocate du ministre lui fit savoir qu’elle entendait déposer une requête en annulation de la décision du juge de la citoyenneté, décision rendue [traduction] « sans tenir dûment compte des documents versés au dossier », et demander que l’affaire soit renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté. Une ordonnance sur consentement fut, en décembre 2010, portée au dossier numéro T-1519-10.

 

[5]               M. Richi s’est présenté devant un autre juge de la citoyenneté en novembre 2011. Selon ce juge, s’il ne répondait pas aux exigences prévues dans la Loi, c’était uniquement parce qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi. Un fonctionnaire de l’immigration avait en effet pris à son encontre une mesure d’interdiction de séjour en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour non-respect des conditions de résidence auxquelles sont soumis les résidents permanents, à savoir une présence effective au Canada pendant au moins deux des cinq années précédentes.

 

DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[6]               Selon l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, LRC, 1985, c C-29, le ministre accorde la citoyenneté à toute personne qui, à la fois, en fait la demande, est âgé d’au moins 18 ans, est un résident permanent qui a, dans les quatre ans précédant la date de sa demande, résidé au Canada au moins trois ans en tout, qui a une connaissance suffisante de l’une de nos langues officielles, et qui a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté. M. Richi répondait à toutes ces conditions.

 

[7]               L’alinéa 5(1)f) de la Loi ajoute cependant ceci :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

 

[8]               M. Richi conteste la mesure d’interdiction de séjour, qui est une mesure de renvoi, mais comprend que sa cause ne sera pas entendue avant un an. Il fait valoir qu’il travaillait à l’étranger pour une entreprise canadienne. Aux termes de la LIPR, le temps passé à l’étranger à travailler pour une entreprise canadienne est pris en compte pour calculer la période de résidence au Canada. Il travaillait pour Cansult Ltd. Selon les notes consignées par le fonctionnaire, il s’agissait effectivement d’une entreprise canadienne immatriculée en Ontario, mais qui s’est par la suite établie dans les Émirats arabes unis, puis a été rachetée par une entreprise américaine. J’ai dû faire remarquer à M. Richi que la juge de la citoyenneté n’était pas appelée à se prononcer sur le bien‑fondé de la mesure de renvoi et qu’il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question. Ajoutons que la juge de la citoyenneté était tenue de remettre sa décision dans les 60 jours. Bien que, selon le paragraphe 14(1.1) de la Loi, la procédure puisse être interrompue, une telle interruption ne peut intervenir que dans le cas d’un résident permanent faisant l’objet d’une enquête (Hadaydoun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 995, aux paragraphes 27 et 28). Or, M. Richi ne fait pas l’objet d’une telle enquête.

 

THÈSE DE M. RICHI

 

[9]               M. Richi a soulevé une question d’ordre constitutionnel. Je lui ai expliqué que le Parlement peut adopter toute mesure législative qu’il juge bonne, aussi déraisonnable qu’elle puisse être, pour peu que soit respectée la répartition des pouvoirs législatifs entre le Parlement et les législatures provinciales prévue aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3 (R.-U.), et par la Charte. En fait, il conteste les retards qui ont eu lieu et la manière dont la Loi est interprétée et non la constitutionnalité de la loi. Il n’y a, par conséquent, aucune question constitutionnelle à trancher.

 

[10]           M. Richi fait en deuxième lieu valoir qu’il n’a pas été répondu à ses attentes légitimes. Ce concept est lié à celui d’équité procédurale. Il peut très bien arriver qu’un décideur se trompe. Cela n’a rien à voir avec l’équité. Le ministre a corrigé la situation en faisant droit à l’appel de M. Richi. On ne pouvait que renvoyer l’affaire devant un autre juge de la citoyenneté pour réexamen. Les retards en cause sont inhérents au système. Cela est indéniable. Il y a eu de longs retards, mais de tels retards n’ont rien d’inhabituel. Les attentes de M. Richi n’étaient pas réalistes.

 

[11]           Son troisième argument repose sur l’interprétation qu’il donne de l’alinéa 5(1)f) de la Loi sur la citoyenneté. Selon lui, le mot « et » a une fonction conjonctive. Étant donné qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi, mais qu’il n’était pas visé par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20 de la Loi, c’est à tort selon lui que la juge de la citoyenneté a décidé qu’il ne répondait pas aux exigences de la Loi.

 

ANALYSE

 

[12]           Bien que l’alinéa 5(1)f) puisse être interprété littéralement, comme le propose M. Richi, une telle interprétation serait déraisonnable. La Cour suprême du Canada a, à de nombreuses reprises, jugé que dans son ouvrage Construction of Statutes, 2e édition, 1983, Elmer Driedger avait, à la page 87, tranché une fois pour toutes la question :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur

 

Voir, par exemple, comment la Cour suprême s’est prononcée dans l’arrêt Bell ExpressVu c Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, aux paragraphes 26 et suivants.

 

[13]           Comme le rappelle cet arrêt, lorsque le texte en question fait partie d’un cadre législatif plus large, il doit être interprété de manière à être en harmonie, en cohérence et en conformité avec les autres textes de loi. Cela étant, les dispositions en matière de résidence inscrites dans la LIPR et dans la Loi sur la citoyenneté doivent être examinées harmonieusement.

 

[14]           Selon moi, le mot « et » inscrit dans la disposition en cause doit être interprété comme ayant une fonction disjonctive, c’est-à-dire comme divisant l’alinéa f) en deux parties distinctes. L’on peut se retrouver sous le coup d’une mesure de renvoi pour des raisons très diverses n’ayant rien à voir avec la criminalité, par exemple, comme ce serait, semble-t-il, le cas en l’espèce, l’inobservation d’une condition de résidence. L’article 20, qui se réfère lui-même à l’article 19, s’applique pourtant lorsque le gouverneur en conseil déclare qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne constitue une menace pour la sécurité du Canada, ou fait partie d’organisations criminelles. Il serait illogique de fondre dans un seul bloc les mesures de renvoi et les déclarations faites au titre de l’article 20.

 

[15]           Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par l’article 11 de la Loi concernant les demandes de réintégration dans la citoyenneté. Dans cet article, les déclarations prévues à l’article 20 et les mesures de renvoi sont deux choses distinctes traitées respectivement aux alinéas b) et c).

 

[16]           La question a été évoquée dans deux décisions récentes. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, j’ai fait observer en passant la prise d’une mesure de renvoi fait obstacle à l’octroi de la citoyenneté. Dans cette affaire, la question de l’interprétation, invoquée par M. Richi, n’avait pas été soulevée.

 

[17]           Dans la décision Hadaydoun, précitée, le juge De Montigny est parvenu à la même conclusion. Rien, dans les motifs de sa décision, n’indique cependant que se soit posée la question soulevée en l’espèce par M. Richi.

 

[18]           Et enfin, il n’existe aucune raison de penser que M. Richi ne ferait pas un très bon citoyen canadien.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR ORDONNE :

1.                  L’appel est rejeté.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1288-12

 

INTITULÉ :                                     MOHAMED RICHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 20 FÉVRIER 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           LE 1er MARS 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mohamed Richi

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Daniel Baum

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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