Date : 20130228
Dossier : IMM‑5123‑12
Référence : 2013 CF 207
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 28 février 2013
En présence de madame la juge Gleason
ENTRE :
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KENNER PERLAZA MONTANO (alias PERLAZA MONTANO)
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 11 mai 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a statué que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur n’a rien établi qui justifie l’intervention de la Cour face à la décision de la Commission; la demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.
[2] Le demandeur est un citoyen de la Colombie d’ascendance africaine. Il a travaillé avec son grand‑père dans l’exploitation de la ferme de ce dernier. À compter de la fin des années 1990, le demandeur et son grand‑père ont fait l’objet d’extorsion de la part des Forces armées révolutionnaires de Colombie [les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia ou FARC]. Le demandeur et son grand‑père ont versé de l’argent aux FARC pendant un certain temps mais, à un moment donné, ils n’ont plus été en mesure d’acquitter les sommes demandées et ils ont cessé d’effectuer tout paiement.
[3] À la fin de l’année 2000, huit membres armés des FARC sont venus à la ferme après que le demandeur et son grand‑père eurent ignoré les demandes faites de reprise des paiements. Ils ont frappé le demandeur du revers d’un pistolet et ils ont poussé son grand‑père, qui s’est cogné la tête et qui est décédé peu après. Le demandeur a fui aux États‑Unis, où il a vécu de 2001 à 2011 sans disposer d’un statut, puis il est venu au Canada, où il a présenté une demande d’asile. Plusieurs frères et sœurs et demi‑frères et demi‑sœurs du demandeur ont obtenu l’asile, mais leurs demandes n’avaient aucun lien avec la situation du demandeur ou le fondement de sa demande d’asile.
[4] La décision rendue par la Commission s’appuyait sur un certain nombre de motifs différents. La Commission a estimé le demandeur crédible, mais elle a conclu qu’aucun lien n’avait été établi avec l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la LIPR], vu que les FARC n’avaient pas pris le demandeur pour cible en raison de sa race ou de ses opinions politiques et que le simple fait d’avoir été victime d’extorsion ne suffisait pas, selon la jurisprudence, pour faire du demandeur le membre d’un certain « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR. Quant à l’article 97 de la LIPR, la Commission s’est fondée sur une jurisprudence plus ancienne pour conclure que le risque couru par le demandeur était généralisé, et ainsi statuer que ce dernier n’avait pas droit à la protection offerte par l’article. Enfin, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, en partie parce qu’il n’avait produit aucun élément de preuve crédible montrant que les FARC seraient toujours à sa recherche plus de dix ans après sa fuite hors de la Colombie, et en partie parce que la situation avait changé dans ce pays depuis 2000, le gouvernement colombien ayant réussi à traduire en justice un certain nombre de membres des FARC.
[5] Le demandeur conteste le raisonnement relatif à l’article 96 de la LIPR de la Commission, au motif qu’elle n’aurait aucunement examiné son allégation de risque de persécution fondée sur la race ou les opinions politiques, et découlant de la tentative qu’il avait faite pour que, de concert, les propriétaires terriens de sa région refusent collectivement de payer [traduction] « l’impôt de guerre » exigé par les FARC. Il avance également que l’analyse relative à l’article 97 de la SPR repose sur une jurisprudence obsolète et est par conséquent erronée. Quant à l’analyse concernant la protection de l’État, soutient le demandeur, la Commission n’a pas évalué de manière personnalisée si l’État colombien allait être en mesure de le protéger.
[6] Chacun de ces éléments, comme il met en cause des questions mixtes de fait et de droit, est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51; Hinzman (Re), 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 682, au paragraphe 12).
La conclusion de la Commission relative à l’article 96 est raisonnable
[7] Pour ce qui est de l’analyse concernant l’article 96, la Commission n’a pas omis, contrairement à ce que prétend le demandeur, d’évaluer son allégation de risque en raison de la race ou des opinions politiques imputées. La Commission avait bien conscience de cette allégation et, plusieurs fois dans sa décision, elle a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque prospectif du fait de sa race ou de ses opinions politiques. La Commission a par exemple conclu, au paragraphe 10 de la décision, que les FARC avaient pris le demandeur et son grand‑père pour cibles afin de leur extorquer de l’argent, et non à cause de leur race ou des efforts consentis par le demandeur pour faire agir les propriétaires terriens de concert. La Commission a de même conclu, au paragraphe 29, que le demandeur ne correspondait pas au profil d’un dirigeant communautaire afro‑colombien (une personne risquant d’être victime de violence).
[8] La Commission pouvait s’appuyer amplement sur la preuve pour tirer ces conclusions puisque, dans son témoignage, le demandeur avait lui‑même déclaré que sa crainte était liée au risque d’être extorqué par les FARC, mais n’avait jamais mentionné le risque d’être ciblé en raison de sa race ou des efforts déployés, sans succès, auprès des propriétaires terriens. Le demandeur n’avait jamais allégué non plus dans son Formulaire de renseignements personnels qu’il courait un risque quelconque en lien avec sa race ou ses opinions politiques (il n’y avait qu’une simple allusion à un commentaire raciste formulé par un des soldats des FARC qui avait participé à l’attaque). Les faits d’espèce diffèrent donc des faits de l’affaire Gonsalves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 648, invoquée par le demandeur, parce que dans cette affaire, contrairement à la nôtre, les demandeurs avaient soutenu à plusieurs reprises que les multiples agressions à leur endroit étaient motivées par l’intolérance raciale, et la preuve objective sur la situation dans le pays démontrait que les membres de leur groupe ethnique risquaient d’être persécutés sur tout le territoire.
[9] La situation en l’espèce est entièrement différente, et la preuve documentaire objective n’impose pas d’évaluer le risque couru par le demandeur du fait de sa race, tel qu’il pourrait être le cas pour le membre d’autres groupes ethniques, comme les Roms en Europe de l’Est ou les Indo‑Guyaniens en Guyane. La partie de la documentation sur le pays produite en l’espèce devant la SPR et traitant des risques rencontrés par les Afro‑Colombiens fait essentiellement état du risque d’être chassé de terres recherchées par les FARC à des fins stratégiques. Le demandeur, qui n’habite pas en Colombie depuis 2000, ne court pas un tel risque. Il était ainsi raisonnable que la Commission, au vu de la preuve qui lui était présentée, conclue que le demandeur courait un risque lié à l’extorsion et au refus de continuer de payer l’« impôt de guerre » aux FARC, et la Commission n’avait donc pas à évaluer de manière distincte un éventuel risque lié à la race. L’intéressé ne tombe pas sous le coup de l’article 96 de la LIPR du fait qu’il est ciblé pour de l’extorsion (voir, p. ex., D (EA) c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 785, aux paragraphes 16 et 17; Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 772, au paragraphe 9).
La conclusion de la Commission relative à l’article 97 est raisonnable
[10] La Commission n’a pas non plus commis d’erreur dans son analyse relative à l’article 97, puisqu’aucune preuve ne montrait qu’à l’avenir, les FARC étaient davantage susceptibles de cibler le demandeur que les autres Colombiens fortunés, qui tous risquent l’extorsion. Il a été conclu à maintes reprises qu’un tel risque ne suffisait pas pour fonder une demande de protection au sens de l’article 97 de la LIPR (voir, p. ex., Ponce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 181, aux paragraphes 2 et 3; Garcia Kanga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 482, au paragraphe 10; Innocent c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1019, aux paragraphes 49 et 68). La Commission a déclaré à cet égard qu’aucun « élément de preuve crédible ne montre que des membres des FARC l’ont cherché depuis les derniers échanges qu’il a eus avec elles en décembre 2000 » (décision, au paragraphe 44). Il était parfaitement loisible à la Commission de tirer pareille conclusion au vu du dossier, puisque le demandeur n’avait pas vécu en Colombie depuis 12 ans et n’avait produit aucun élément de preuve laissant croire à la probabilité que les FARC seraient à sa recherche s’il devait retourner dans ce pays.
[11] La situation du demandeur diffère entièrement de celle des demandeurs dans les affaires où la Cour a infirmé des décisions de la SPR portant sur le risque généralisé aux fins de l’article 97 (voir, par ex., Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678; Pineda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 493; Ponce Uribe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1164; Alvarez Castaneda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 724; Garcia Vasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 477; Cruz Pineda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 81; Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 62). Dans ces affaires, contrairement à celle qui nous occupe, une preuve avait été produite quant à la probabilité que les demandeurs soient davantage exposés à un risque à l’avenir qu’une grande partie de la population en général, parce que les FARC ou d’autres gangs de criminels les prendraient personnellement pour cibles. Comme nous l’avons souligné précédemment, le demandeur n’a présenté aucune preuve ni aucun argument dans la présente affaire quant à l’existence pour lui d’un tel risque. La Commission n’a donc commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsque, dans son analyse relative à l’article 97, elle a conclu que tout risque auquel le demandeur pouvait être exposé était un risque généralisé.
[12] Les conclusions raisonnables tirées par la Commission relativement aux articles 96 et 97 de la LIPR sont décisives, et il n’est ainsi pas nécessaire d’examiner les arguments du demandeur qui portent sur la protection de l’État.
[13] Compte tenu des conclusions qui précèdent, la présente demande doit être rejetée. L’affaire constituant un cas d’espèce, la certification d’aucune question de portée générale n’est justifiée aux fins de l’article 74 de la LIPR, et ni l’une ni l’autre partie n’a proposé la certification d’une telle question.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Mary J.L. Gleason »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑5123‑12
INTITULÉ : KENNER PERLAZA MONTANO
(alia PERLAZA MONTANO) c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 26 février 2013
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE GLEASON
DATE DES MOTIFS : Le 28 février 2013
COMPARUTIONS :
Sarah Boyd
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POUR LE DEMANDEUR
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Nadine Silverman
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman, Nazami and Associates Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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