Date : 20130227
Dossier : IMM‑2994‑11
Référence : 2013 CF 199
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 février 2013
En présence de monsieur le juge Mandamin
ENTRE :
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LATHEEPAN JEYALOLIPAVAN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Monsieur Latheepan Jeyalolipavan demande le contrôle judiciaire de la décision du 3 février 2011 par laquelle un conseiller en immigration a rejeté sa demande de résidence permanente parce que l’agent n’était pas convaincu qu’il n’était pas interdit de territoire.
[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.
Les faits
[3] Le demandeur est un jeune Tamoul originaire de Jaffna, au Sri Lanka. Les autres membres de sa famille se sont enfuis sans lui du Sri Lanka. Le 17 décembre 2007, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accordé à ses parents le statut de réfugiés.
[4] Le 4 mars 2008, les parents du demandeur ont présenté une demande de résidence permanente. Ils ont intégré le demandeur dans leur demande, à titre de membre de la famille. Le Centre de traitement des demandes de Vegreville a demandé à la section d’Immigration du Haut‑commissariat du Canada à Colombo [le HCC] de vérifier l’existence d’un lien entre les parents et le demandeur et de procéder aux vérifications d’usage à l’égard de ce dernier. Le 23 mars 2008, le HCC a invité le demandeur à remplir divers formulaires, dont une demande de résidence permanente au Canada.
[5] Le 8 juillet 2008, le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente dûment remplie. Selon les notes du STIDI, le demandeur n’avait pas de représentant, il était âgé de 19 ans et il ne maîtrisait pas l’anglais.
[6] Le 6 avril 2009, le HCC a écrit au demandeur pour qu’il fournisse davantage d’information, y compris le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) de son père. Le demandeur a déclaré dans sa réponse : [traduction] « […] [V]ous trouverez ci‑joint les renseignements personnels relatifs à mon répondant, c.‑à‑d. mon père. » On fait état de documents reçus dans les notes du STIDI, mais d’aucun FRP. Le demandeur a transmis le FRP et le récit mentionné dans celui‑ci après qu’on lui eut demandé de les produire le 9 avril 2009.
[7] Le FRP du père du demandeur est véritablement clair et précis. Il fait état de l’arrestation du père et du demandeur à deux reprises, le 22 avril 2006 et le 5 juin 2006, par des cadres de l’EPDP et par des militaires. Le père a été remis en liberté les deux fois, mais il a dû payer une rançon pour que le demandeur soit aussi relâché. Ce dernier vivait alors dans la maison familiale. L’extrait pertinent du récit du FRP est reproduit ci‑après :
[traduction]
12. J’étais en grand danger. Je ne pouvais pas vivre à Manipay, ni m’installer à un autre endroit. La sécurité de mon fils était mon principal souci. Je ne pouvais rien faire pour qu’il habite en lieu sûr.
13. Le matin du 22 avril 2006, un groupe de cadres de l’EPDP et de militaires ont fait une descente chez moi et ils ont arrêté mon fils. Je suis allé visiter le camp de l’EPDP immédiatement après l’arrestation, par suite de quoi on m’a aussi détenu et interrogé. Je n’ai pas pu voir mon fils, mais on a demandé que je verse 100 000 roupies si je voulais qu’il soit libéré. On m’a permis de rentrer chez moi ce soir‑là, à la condition que je fournisse la rançon.
14. Je suis retourné au camp le lendemain, muni de 50 000 roupies, et j’ai promis de remettre le reste de la rançon dans les deux semaines à venir. On a alors libéré mon fils. J’ai versé les 50 000 roupies restants dans le délai convenu pour éviter tout problème. Je croyais alors ne plus rencontrer de problèmes de leur part. J’envisageais néanmoins de quitter Manipay. J’avais conscience que de plus en plus chaque jour les forces de sécurité et les groupes paramilitaires commettaient des meurtres. Un plan était en voie de réalisation, qui visait l’assassinat d’au moins cinq civils à Jaffna. Il y avait aussi de plus en plus de disparitions de personnes arrêtées. J’ai songé à quitter le Qatar tout en installant mon fils et mon épouse en un autre lieu.
15. L’incident du 5 juin 2006 a mis un terme à tous mes préparatifs. Les forces de sécurité et des membres de l’EPDP ont fait une descente chez moi ce soir‑là et ils nous ont arrêtés, mon fils et moi. On m’a relâché le lendemain, à la condition que je verse 500 000 roupies pour obtenir la libération de mon fils.
16. La nuit même, ces gens ont de fait une nouvelle descente chez moi; ils ont emporté mon passeport avec eux et dit qu’ils savaient que je prenais des dispositions pour me rendre à l’étranger. J’en étais rendu à prendre de très graves décisions. Je suis allé visiter le camp environ cinq fois au cours des trois jours suivants, j’ai offert de payer 50 000 roupies et j’ai supplié pour qu’on libère mon fils. On a finalement convenu de libérer mon fils pour 100 000 roupies, puis de me remettre mon passeport pour la même somme. J’ai versé 100 000 roupies, pour d’abord obtenir la libération de mon fils. J’ai promis de payer le reste dans le mois à venir. J’ai toutefois fait le nécessaire pendant cette période pour que nous puissions nous rendre à Colombo.
17. Je craignais qu’on nous arrête en chemin si nous devions tous quitter la maison en même temps. J’ai donc fait en sorte que mon épouse se rende d’abord chez un parent à elle. Le lendemain, soit le 27 juin 2006, j’ai envoyé au même endroit mon fils, qui avait revêtu le matin son uniforme d’école. J’ai finalement rejoint mon épouse et mon fils, puis nous sommes partis ensemble à destination de Colombo.
18. À Colombo, je suis resté au Island Lodge, où j’avais l’habitude de séjourner, et j’ai communiqué avec l’agent de voyage, qui a organisé mon voyage à destination du Canada. Nous voulions tous quitter le Sri Lanka ensemble, mais l’agent ne pouvait prendre les arrangements requis. Il m’a fait partir le premier, en promettant que mon épouse et mon fils suivraient peu après. L’agent savait que j’étais inquiet pour la sécurité de mon épouse et de mon fils à Colombo, et il a dit qu’il les ferait me rejoindre sans délai ou sinon qu’il les ferait aller dans un pays sûr.
[8] Disposant du FRP exigé, l’agent de réexamen a fait remarquer le 2 juin 2009 que le demandeur semblait avoir été détenu et il a dit avoir certaines préoccupations en matière de sécurité.
[9] Le 9 juillet 2009, on a mentionné dans les notes du STIDI qu’il manquait les pages 1 et 2 de l’annexe 1. On semble avoir trouvé plus tard ces pages manquantes mais, le 15 juillet 2009, on a envoyé au demandeur une nouvelle annexe 1 à remplir. On a également fait parvenir au demandeur des lettres requérant qu’il fournisse des renseignements additionnels. Une lettre du 13 septembre 2010 du HCC renfermait le passage suivant :
[traduction]
1. Pourquoi n’avez‑vous pas retourné l’annexe 1 qu’on vous a envoyée par la poste le 15/07/09?
2. Pourquoi n’avez‑vous pas répondu à la demande faite le 29/01/10 de nous transmettre vos résultats aux épreuves de l’Ordinary Level Examination et une attestation d’études postsecondaires?
Pour que nous puissions continuer de traiter votre dossier, veuillez fournir dans la section sur les antécédents personnels les renseignements vous concernant depuis votre dix‑huitième année à ce jour, sans omettre aucune période. Veuillez indiquer votre historique d’adresses depuis votre naissance. Vous devez aussi nous fournir vos résultats aux épreuves de l’Ordinary Level Examination et une attestation d’études postsecondaires.
3. Où avez‑vous vécu depuis que votre père et votre mère ont quitté le pays? Qui prenait soin de vous?
4. Exposez les problèmes qui ont conduit vos parents à fuir le Sri Lanka et à demander l’asile au Canada. Veuillez préciser en quoi ces problèmes vous ont vous‑même touché.
5. Une autorité quelconque vous a‑t‑elle déjà arrêté? Dans l’affirmative, veuillez donner des précisions.
[10] Je dois relever, en passant, que les questions sont quelque peu imprécises. On demande au demandeur de faire part de ses antécédents personnels depuis sa dix‑huitième année et de son historique d’adresses depuis sa naissance. On lui demande d’exposer les problèmes qui ont conduit ses parents à s’enfuir et à demander l’asile au Canada (lui‑même ayant été laissé au Sri Lanka), puis en quoi ces problèmes l’avaient touché. Il me semble que ces questions appellent des réponses que le demandeur n’est pas en mesure de donner.
[11] Le demandeur a répondu à la lettre du HCC le 21 décembre 2010, après avoir été informé de son existence par l’avocat de ses parents au Canada. Il a expliqué qu’il n’avait pas reçu les lettres précédentes. Il a répondu aux questions posées. Il a transmis une nouvelle annexe 1. Il a fourni des attestations d’études. Il a décrit ce qui lui était arrivé depuis le départ de ses parents, reprenant là où avait pris fin le récit de son père dans son FRP (son père avait dit qu’il avait laissé son fils aux soins d’un agent de voyage). Le demandeur débute son récit au moment où il est demeuré chez l’agent de voyage après le départ de ses parents. Le demandeur a renvoyé le HCC au FRP de ses parents pour obtenir un résumé des problèmes vécus par lui et ces derniers avant leur départ. Il a décrit les deux occasions où on l’a arrêté avec son père, tel que celui‑ci l’avait relaté dans son FRP, et fait allusion à de brèves détentions par des forces de sécurité au moment du départ de ses parents et par la suite. Il a écrit ce qui suit dans sa réponse :
[traduction]
3. Événements postérieurs au départ des parents – Après le départ du Sri Lanka de mes parents, je suis demeuré quelques semaines chez l’agent de voyage. Comme j’étais seul à Colombo, et que la situation n’incitait pas à y séjourner, l’agent a craint que les forces de sécurité ne m’arrêtent dans cette ville et il m’a donc envoyé à Vavuniya, où j’ai habité chez mon oncle paternel Umapathysivam Apputhurai. Mon oncle a pris soin de moi pendant mon séjour à Vavuniya. Comme toutefois les conditions de sécurité s’y sont détériorées et le nombre d’assassinats et d’enlèvements systématiques y a augmenté, ma famille a décidé de me renvoyer à Colombo, où l’on était désormais plus en sécurité qu’à Vavuniya. Une fois de retour à Colombo, c’est ma tante (la sœur de mon père) Raveenthirarani Sothiraja qui a pris soin de moi. Elle continue toujours de s’occuper de moi.
4. Raisons du départ de mes parents – Vous trouverez ci‑joint le Formulaire de renseignements personnels soumis par mes parents à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. On résume dans le Formulaire et le récit qu’il contient les problèmes rencontrés par mes parents et moi avant le départ de ces derniers. Je vous prie donc de consulter ce récit.
5. Arrestation et détention – En tant que jeune Tamoul de Jaffna, j’ai fait l’objet de deux détentions, ainsi que de nombreuses brèves détentions de la part des forces de sécurité et de groupes paramilitaires au moment du départ du Sri Lanka de mes parents et par la suite. On m’a arrêté lorsque j’habitais à Manipay, Jaffna.
Première arrestation − La première arrestation a eu lieu aux environs du 22 avril 2006, après le départ de ma sœur vers le Canada pour y rejoindre son époux.
Deuxième arrestation – La deuxième arrestation a eu lieu aux environs du 5 juin 2006, alors que j’étais chez moi, à Manipay, Jaffna.
[12] L’agent d’immigration a procédé à l’examen de la demande le 30 décembre 2010, et mis en évidence la réponse du demandeur. Il a mis en question le changement apporté par le demandeur à l’annexe 1 : alors qu’aucune arrestation ni détention n’avait auparavant été mentionnée, le demandeur répondait désormais que des membres des forces de sécurité et de l’EPDP l’avaient détenu. Il a fait ressortir certaines dates mentionnées par le demandeur dans sa chronologie des événements et la description de ses antécédents scolaires. Il a aussi mis en cause le fait que, pour décrire les problèmes rencontrés, le demandeur avait transmis le FRP de ses parents plutôt que d’en faire lui‑même le récit. L’agent a fait largement cas, enfin, du défaut du demandeur de faire état d’arrestations dans sa formule de demande initiale.
[13] Le dossier a fait l’objet d’un réexamen. Tout en déclarant que de légères incohérences pouvaient toujours se comprendre, l’agent de réexamen a statué que le demandeur, comme il avait modifié la déclaration faite dans son annexe 1 et n’avait pu dissiper aisément toute confusion, n’avait pas démontré qu’il n’était pas interdit de territoire.
Dispositions législatives
[14] La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) dispose :
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage. |
11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.
(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.
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Norme de contrôle
[15] La Cour suprême du Canada a statué qu’il n’y avait que deux normes de contrôle : la décision correcte pour les questions de droit, et la raisonnabilité pour les questions de fait et mixtes de fait et de droit. La Cour suprême a également statué que, si la norme applicable était déjà établie, il n’était pas nécessaire de procéder à nouveau à une analyse relative à la norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).
[16] La Cour d’appel fédérale a déclaré que les décisions des agents d’immigration étaient de nature discrétionnaire et reposaient sur l’évaluation de faits (Jang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312, 278 NR 172, au paragraphe 12). La retenue judiciaire est de mise à leur égard lorsque le processus décisionnel possède les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Analyse
[17] Il incombe au demandeur de fournir les renseignements requis pour démontrer à l’agent qu’il n’est pas interdit de territoire. Cette obligation est prescrite au paragraphe 11(1) de la LIPR. Pour y satisfaire, le demandeur devait fournir en l’espèce certains renseignements précis qu’on lui avait demandés. Il s’agissait notamment de renseignements sur sa situation personnelle depuis l’âge de 18 ans, de documents attestant les études qu’il aurait faites, des motifs de la fuite au Canada de ses parents et de précisions quant à son éventuelle arrestation par les autorités.
[18] La question dominante dans le cadre de la présente demande me semble être celle de la sécurité. Cela a été établi très tôt et cette question importe le plus lorsqu’il s’agit d’établir si le demandeur est interdit de territoire.
[19] La décision Sinnathamby c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1421 [Sinnathamby] rendue par le soussigné semble à première vue s’appliquer et être déterminante pour décider de la présente affaire. Dans Sinnathamby, le demandeur principal n’avait pas divulgué que des membres de la Marine du Sri Lanka l’avaient arrêté et interrogé, et ce fait avait été révélé lorsque son fils avait remis puis corrigé son FRP. J’ai souligné dans cette décision que l’agent d’immigration était chargé de soupeser les éléments de preuve produits par les demandeurs et d’en arriver à une décision raisonnable fondée sur ces éléments de preuve. J’en suis ensuite venu à la conclusion que la décision de l’agent était raisonnable dans cette affaire.
[20] Généralement, les demandeurs doivent divulguer dans leur demande de résidence permanente tous les renseignements jugés pertinents par l’agent d’immigration qui procède au réexamen, dont l’évaluation appelle la déférence. Dans la décision Asuncion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1002, le juge Rouleau a ainsi déclaré :
18 Le juge Kelen a statué dans Guzman (précitée), en se fondant sur Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595, une décision dans laquelle le juge Strayer a écrit qu’il était convaincu que l’alinéa 117(9)d) du Règlement avait pour objet la bonne administration de la législation canadienne en matière d’immigration, qu’il est raisonnable que la législation en matière d’immigration exige qu’un demandeur de résidence permanente divulgue tous les renseignements pertinents.
Il y a toutefois des exceptions à cette règle, et je conclus que tel est le cas en l’espèce.
[21] La différence qui existe entre notre affaire et l’affaire Sinnathamby est que, dans celle‑ci, le demandeur principal était un adulte en pleine maturité que la Marine du Sri Lanka avait arrêté et interrogé, et qui avait ensuite obtenu sa liberté en versant un pot‑de‑vin. L’agent avait cru comprendre que le demandeur était capable de communiquer en anglais. En l’espèce, le demandeur était un adolescent deux fois détenu et pris en otage pour l’échange de rançons. Lorsqu’il a présenté sa demande initiale, il avait 19 ans, il n’avait pas de représentant, ses parents étaient partis sans lui et, si l’on en croit l’observation vraisemblablement éclairée du HCC, il ne maîtrisait pas l’anglais.
[22] Or, l’agent d’immigration a insisté sur les points suivants dans son évaluation finale :
[traduction]
Je peux toujours comprendre qu’une légère confusion accompagne le récit d’une histoire complexe, mais nos questions sont claires. La personne à charge n’est pas un enfant. Il s’agit d’un homme de 22 ans d’un niveau de scolarité raisonnable. En décembre 2009, il a retenu les services d’un avocat pour qu’il l’aide dans le cadre de sa demande. Depuis lors, ses antécédents me semblent encore plus confus. […] Il nous déclare maintenant qu’on l’a arrêté et détenu à plusieurs reprises, ce qui contredit directement ses déclarations antérieures. Je ne vois tout simplement pas comment on pourrait estimer que ce demandeur s’est acquitté de l’obligation que la loi lui impose de démontrer qu’il n’est pas interdit de territoire.
[Non souligné dans l’original.]
[23] Le problème du résumé ainsi fait, c’est qu’au moment où le demandeur avait fait sa première déclaration, il n’avait pas 22 ans, il n’était pas représenté par un mandataire, et encore moins par un avocat, ses parents étaient partis sans lui et le HCC avait reconnu qu’il ne maîtrisait pas l’anglais. L’agent n’a pas évalué si, lorsqu’a été faite la première déclaration, le demandeur était mature et bien informé ou si plutôt, comme cela arrive parfois aux jeunes hommes, il faisait abstraction des instructions données.
[24] En outre, le demandeur avait fourni tôt dans le processus le FRP de son père, qui décrivait en détail les deux détentions dont il avait lui‑même fait état dans son formulaire de demande. L’agent n’a jamais mentionné dans son réexamen final la communication par le demandeur du récit contenu dans le FRP qui exposait clairement les deux détentions de ce dernier, et ce, bien que les notes du STIDI permettent de savoir que cette information avait été tôt disponible.
[25] Dans Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, le juge O’Keefe a écrit ce qui suit au paragraphe 25 :
L’alinéa 40(1)a) est libellé de manière très large, en ce sens qu’il s’applique à n’importe quelle fausse déclaration, directe ou indirecte, quant à un objet pertinent, laquelle entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Je suis d’avis que la Cour se doit de respecter le libellé de la Loi et de lui donner l’interprétation large que sa formulation impose. Rien dans le libellé de cette disposition ne dénote qu’elle ne devrait pas s’appliquer à une situation dans laquelle on adopte une fausse déclaration pour ensuite la clarifier avant qu’une décision soit rendue.
Comme la principale préoccupation de l’agent était que le demandeur puisse constituer une menace pour la sécurité, il semble moins pertinent que ce dernier n’ait pas dévoilé dès le départ qu’on l’avait détenu en vue de rançon.
[26] Le recours par l’agent à l’article 11 pour fonder sa décision défavorable pose problème si celle‑ci repose sur une évaluation purement subjective. L’agent doit énoncer des motifs compatibles avec l’information dont il dispose et qui se rattachent à la décision à rendre pour que celle‑ci soit raisonnable.
[27] L’agent d’immigration n’a pas examiné si le défaut du demandeur de dévoiler initialement les deux détentions avait une incidence sur la question de la sécurité ou de l’interdiction de territoire. Rien ne laisse entendre que le FRP du père ne décrit pas fidèlement dans quelles circonstances ce dernier et le demandeur ont été détenus, compte tenu du fait particulièrement que les parents du demandeur ont obtenu l’asile au Canada. Selon son rapport sur la sécurité, la police du Sri Lanka n’a jamais eu affaire au demandeur. En quoi la détention du demandeur en vue de rançon importe‑t‑elle en regard des préoccupations en matière de sécurité exprimées en premier lieu?
[28] Dans Wang c Canada (MCI), 2005 CF 1059, le juge O’Keefe a pris en compte l’analyse explicative article par article du projet de loi C‑11 (maintenant la LIPR), où l’on peut lire ce qui suit, au paragraphe 57 :
L’article est semblable aux dispositions de la Loi actuelle portant sur les fausses déclarations des résidents permanents ou des résidents temporaires, mais les modifie en renforçant les outils d’exécution de la Loi destinés à éliminer les abus.
[Non souligné dans l’original.]
À mon avis, le demandeur ne tentait pas d’abuser de la procédure canadienne en matière d’immigration.
[29] Tout en reconnaissant qu’une certaine confusion puisse être compréhensible, l’agent fait état d’autres éléments qu’il estime être confus.
[30] L’agent étant revenu sans arrêt sur le défaut du demandeur de divulguer initialement les deux détentions, sans évaluer la situation de ce dernier à ce moment‑là, je ne puis conclure qu’il a procédé à une évaluation raisonnable. S’il en était autrement, toute omission dans une demande initiale pourrait être considéré constituer un abus au sens de Wang, précitée. À mon avis, la Cour doit plutôt examiner si l’agent a apprécié les circonstances entourant le défaut de divulgation et l’importance relative de l’information en cause.
[31] Le demandeur a fourni des renseignements au sujet de ses arrestations et ceux‑ci n’étaient contredits par aucun élément de preuve quelconque. L’agent a commis une erreur en se fondant sur ces renseignements pour en arriver à une décision défavorable. Il était déraisonnable pour l’agent de compter parmi ses motifs de rejet la communication de renseignements non contestés.
[32] Le demandeur a proposé des questions en vue de leur certification, mais le défendeur s’est opposé à cette certification. J’estime qu’en l’espèce la question en litige est tributaire des faits, sans viser des sujets très importants ou d’application générale, et ainsi je ne certifierai aucune question.
[33] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration et un autre conseiller du HCC pour qu’ils rendent une nouvelle décision, le demandeur devant fournir les renseignements additionnels qui pourront être requis.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. L’affaire est renvoyée à des agents d’immigration différents pour qu’ils rendent une nouvelle décision, le demandeur devant fournir les renseignements additionnels qui pourront être requis.
3. Aucune question de portée générale n’a été certifiée.
« Leonard S. Mandamin »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑2994‑11
INTITULÉ : LATHEEPAN
JEYALOLIPAVAN c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 24 janvier 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MANDAMIN
DATE DES MOTIFS ET
DU JUGEMENT : Le 27 février 2013
COMPARUTIONS :
Barbara Jackman
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POUR LE DEMANDEUR
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Ada Mok
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman & Associates Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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