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Date : 20130215

Dossier : IMM-6325-12

Référence : 2013 CF 155

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), 15 février 2013

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

FEI ZHU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, M. Fei Zhu, demande le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (LIPR), de la décision datée du 17 mai 2012 par laquelle une agente des visas du consulat du Canada à Hong Kong a rejeté sa demande d’immigration au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Le demandeur demande à la Cour de rendre une ordonnance, en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, pour annuler la décision et renvoyer l’affaire au tribunal avec la directive de permettre au demandeur de parfaire sa demande.

 

I. LES FAITS

[2]               Le 5 septembre 2006, Citoyenneté et immigration Canada (CIC) a reçu la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (catégorie des TQF) du demandeur. Celui-ci requérait que sa demande soit évaluée relativement à sa profession d’« agent en valeurs, agent en placements et négociateur en valeurs – CNP 1113 ».

 

[3]               Le 13 février 2012, une agente des visas du bureau des visas de Hong Kong a envoyé au demandeur une lettre pour l’aviser qu’il devait fournir des formulaires de demande mis à jour et des documents d’appui au plus tard le 13 juin 2012 (120 jours à compter de la date de la lettre). La lettre indiquait que le bureau était prêt à commencer l’examen de la demande et avertissait le demandeur que sa demande pourrait être rejetée s’il ne soumettait pas la documentation demandée avant l’expiration du délai imparti.

 

[4]               Le législateur a proposé une modification à la LIPR le 29 mars 2012, dans le projet de loi C‑38, qui avait trait au budget. La modification proposée ajouterait l’article 87.4 à la LIPR, lequel mettrait fin aux demandes au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) antérieures au 27 février 2008 n’ayant pas fait l’objet d’une décision de sélection au 29 mars 2012. Le paragraphe 87.4(5) proposé visait à empêcher quiconque d’obtenir un recours ou une indemnité relativement à une demande à laquelle il serait ainsi mis fin.

 

[5]               Le 4 avril 2012, CIC a publié le bulletin opérationnel 400, lequel mentionnait que le législateur devait adopter le projet de loi C‑38 pour qu’il entre en vigueur et donnait aux agents la directive de suspendre le traitement de toute demande reçue avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie des TQF et n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision en date du 29 mars 2012.

 

[6]               Une agente des visas du bureau des visas à Hong Kong a envoyé au demandeur une lettre datée du 16 avril 2012, dans laquelle on l’avisait que sa demande ne serait pas traitée et qu’il ne devait tenir aucun compte de la requête qui lui avait été récemment expédiée de présenter des formulaires de demande remplis et les documents à l’appui.

 

[7]               Le 27 avril 2012, CIC a publié le bulletin opérationnel 413, lequel donnait aux gestionnaires locaux la directive de poursuivre le traitement des demandes au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) présentées avant le 27 février 2008 et n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision en date du 29 mars 2012.

 

[8]               Au début du mois de mai 2012, le demandeur a appris, dans un salon de bavardage sur Internet, que les demandes étaient traitées et qu’il devait parfaire sa demande. Le demandeur a rassemblé les documents qu’il avait déjà préparés et, le 7 mai 2012, bien avant l’expiration de son délai de 120 jours, les a transmis à la hâte au bureau des visas de Hong Kong, afin d’éviter les conséquences des modifications éventuelles à la LIPR.

 

[9]               Le 17 mai 2012, l’agente des visas a envoyé une « lettre de décision » rejetant la demande.

 

[10]           Le demandeur n’a pas été avisé du traitement de sa demande avant la décision du 17 mai 2012 et l’occasion ne lui a pas non plus été donnée de parfaire sa demande en sachant que l’on procédait au traitement de sa demande. Dans une lettre portant la même date que la lettre de la décision, mais rédigée après la décision, le demandeur a été avisé que l’on procédait au traitement de sa demande en raison du fait que le projet de loi C‑38 n’était pas encore entré en vigueur.

 

[11]           L’article 87.4 de la LIPR est entré en vigueur le 29 juin 2012 et a mis fin aux demandes au titre de la catégorie des TQF qui n’avaient pas fait l’objet d’une décision au 29 mars 2012. Selon le bulletin opérationnel 442 de CIC, les décisions rendues par les agents après le 29 mars 2012 relativement aux demandes réglées au 29 juin 2012 sont valides.

 

II. LA DÉCISION

[12]           Dans une lettre datée du 17 mai 2012, l’agente des visas Yvonne Tsang (l’agente) a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pour immigrer au Canada au titre de la catégorie des TQF en raison de son incapacité à réussir son établissement économique au Canada conformément au paragraphe 12(2) de la LIPR et au paragraphe 75(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). L’agente a fondé sa décision sur les exigences et les critères minimaux énoncés aux paragraphes 75(2) et 76(1) du Règlement relativement à la profession pour laquelle le demandeur requérait une évaluation.

 

[13]           Le demandeur a reçu des notes élevées au titre des facteurs de l’âge et de l’expérience, mais des notes basses au titre des études, de la compétence dans les langues officielles, de l’exercice d’un emploi réservé et de la capacité d’adaptation. L’agente a donné le raisonnement suivant pour justifier des notes basses au titre des études et de la capacité d’adaptation.

 

[14]           Appliquant les définitions d’études à « temps plein » et d’« équivalent temps plein » données au paragraphe 78(1) du Règlement, l’agente a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve fiable selon lequel il aurait achevé un programme d’études secondaires au mois de juillet 1993. Cependant, l’agente a donné au demandeur le bénéfice du doute et lui a accordé des points pour avoir achevé un tel programme.

 

[15]           L’agente note que le demandeur a soumis une [traduction] « attestation d’études », selon laquelle il avait achevé un programme de premier cycle en comptabilité par correspondance à l’université Renmin, de 2000 à 2003, ainsi qu’un diplôme qui le confirmait. Elle relève également que le demandeur n’a présenté aucun relevé de notes correspondant ou aucun autre document officiel de l’université indiquant la période qui aurait été requise à temps plein pour achever le programme de cours par correspondance ouvrant droit à un diplôme. Par conséquent, l’agente est incapable de déterminer si le demandeur a terminé le programme de 2000 à 2003. L’agente ajoute que, même si elle lui donnait le bénéfice du doute et lui accordait des points d’appréciation pour l’obtention d’un diplôme équivalent à trois ans à temps plein de 2000 à 2003, le demandeur n’obtiendrait pas les points suffisants pour se qualifier pour l’immigration au Canada.

 

[16]           À l’appui du facteur d’adaptabilité, l’agente note que le demandeur a présenté des certificats notariés faisant état d’un lien entre son épouse à charge et sa tante, madame Gao, une citoyenne canadienne. Il a également présenté l’avis de cotisation établi par l’Agence du revenu du Canada pour l’année d’imposition 2011 de sa tante ainsi que l’état bancaire canadien des mois de février et mars 2012 de celle-ci, lequel n’indiquait aucune transaction.

 

[17]           L’agente reconnaît que le demandeur a démontré que sa tante est une citoyenne canadienne et a un compte bancaire au Canada, mais elle n’est pas convaincue que la documentation présentée suffit à démontrer de manière satisfaisante que la tante du demandeur [traduction] « résidait normalement » au Canada. En conséquence, l’agente n’a accordé aucun point au titre de l’adaptabilité pour le fait d’avoir un parent admissible au Canada.

 

[18]           En résumé, l’agente a attribué au demandeur un total de 49 points, soit moins que les 67 points nécessaires, et elle n’a pas accordé au demandeur un visa en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR.

 

[19]           Plus tôt dans la journée du 17 mai 2012, c’est-à‑dire le jour même où la décision a été datée et rendue, l’agente a envoyé une autre lettre au demandeur pour l’informer que la lettre qui lui avait été expédiée le 16 avril 2012 – dans laquelle on l’avisait que, le 29 mars 2012, le ministre avait mis fin au traitement de sa décision et qu’il n’avait pas à mettre sa demande en état – était incorrecte. La lettre du 17 mai informait le demandeur que la proposition du ministre de mettre fin à certaines demandes au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés était sans effet juridique, parce que la loi habilitante (la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, c 19, art 707) n’était pas entrée en vigueur. L’agente informait le demandeur qu’en conséquence, jusqu’à l’entrée en vigueur de la proposition relative aux TQF, le bureau continuerait de prendre des décisions en matière de sélection sur les demandes antérieures au projet de loi C‑50. Enfin, l’agente avisait le demandeur que l’on avait procédé au traitement de sa demande et qu’une décision de sélection avait été prise le même jour.

 

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]           Les questions suivantes sont soulevées dans la demande de contrôle judiciaire :

            1.         Le défaut de l’agente d’aviser le demandeur que l’on procédait au traitement de sa demande et de lui donner l’occasion de parfaire sa demande constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

            2.         Le traitement tardif de la demande du demandeur constitue‑t-il un manquement à l’équité procédurale?

            3.         L’agente a-t-elle omis d’exercer le pouvoir que lui confère la loi de traiter la demande?

            4.         La décision de l’agente était-elle raisonnable?

            5.         Les paragraphes 87.4(1) et 87.4(2) de la LIPR excluent-ils la réparation sollicitée?


V. LA NORME DE CONTRÔLE

[21]           Il n’y a aucun différend quant aux nomes de contrôle applicables.

 

[22]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir Singh v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 855, au paragraphe 24).

 

[23]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas sur une demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est celle de la décision raisonnable. Il s’agit d’une décision qui fait entrer en jeu des conclusions de fait et de droit pour lesquelles l’agent des visas a une expertise particulière justifiant un haut degré de déférence (voir Singh, précité, aux paragraphes 22 et 23, et Chen c Canada (MCI), 2011 CF 1070 au paragraphe 7).

 

VI. QUESTION PRÉLIMINAIRE

[24]           Le demandeur veut présenter à la Cour un nouvel élément de preuve, dont l’agente ne disposait pas. Plus précisément, le demandeur veut présenter son attestation d’études et un relevé de notes de son programme de cours pour jeunes adultes ouvrant droit à un diplôme de l’université de Tianjin, qu’il a obtenu en 1995.

 

[25]           Il est bien établi qu’un contrôle judiciaire doit être fondé sur la preuve dont disposait le décideur ayant rendu la décision qui fait l’objet du contrôle. Les faits de l’espèce ne justifient pas qu’il soit dérogé à cette règle générale. Le nouvel élément de preuve ne sera ni reçu, ni considéré relativement à la demande (voir Smith c Canada, 2001 CAF 86).

 

VII. ANALYSE

[26]           Je me pencherai maintenant sur les questions en litige énoncées ci-dessus.

 

[27]           Les deux premières questions en litige portent sur l’équité procédurale. Le demandeur soutient que la période de plus de cinq ans qui s’est écoulée entre la date de la demande et celle où il a été avisé du traitement de la demande est déraisonnable et lui a causé un préjudice. Il soutient en outre que l’agente a failli à son obligation d’équité procédurale en ne l’informant pas que sa demande particulière serait traitée et qu’il lui fallait la parfaire. Cet avis a été donné seulement après que la décision eut été rendue.

 

[28]           Le défendeur fait valoir que l’agente n’a pas manqué à l’équité procédurale. Il soutient que l’obligation d’équité qui incombe à un agent des visas dans le cadre d’une demande de résidence permanente n’est pas très élevée et qu’il est facile d’y satisfaire. Tout en reconnaissant que la lettre du 16 avril 2012 informant le demandeur que sa demande ne serait pas traitée était [traduction] « regrettable », le défendeur fait remarquer que le demandeur avait néanmoins parfait sa demande bien avant l’expiration du délai de 120 jours. Il fait valoir que le demandeur, malgré qu’il ait été avisé des formulaires requis bien avant le temps, n’a jamais demandé plus de temps pour fournir des documents.

 

[29]           Dans le contexte d’une demande de bref de mandamus, il est probable que la période de plus de cinq ans qui s’est écoulée avant le traitement de la demande serait jugée déraisonnable, en l’absence de toute explication satisfaisante de ce retard par le ministre. Le dossier qui m’a été présenté ne contient aucune telle explication. Quoi qu’il en soit, il ne serait pas loisible au demandeur de solliciter à ce stade une ordonnance de mandamus, car la demande a déjà été traitée. De plus, la Cour n’a pas à faire des conjectures sur les éléments de preuve et les observations écrites que le ministre aurait présentés si la présente instance avait porté sur une demande de bref de mandamus.

 

[30]           Je ne suis pas disposé à conclure que le demandeur a subi le préjudice allégué en raison du retard de traitement de sa demande. Les modifications apportées au régime législatif applicable, qui avaient pour but de remédier à un arriéré important des demandes au titre de la catégorie des TQF, ne peuvent pas constituer le fondement d’une pratique inéquitable du ministre et d’un préjudice consécutif pour le demandeur. Je rejette par conséquent l’argument du demandeur selon lequel [traduction] « le fait que la demande a été mise en attente à cause d’un retard déraisonnable et qu’une disposition législative a ensuite été adoptée pour mettre fin à la demande revenait à destiner le demandeur à l’échec ». Cette allégation n’est étayée par absolument aucune preuve.

 

[31]           Bien qu’il soit possible que la période de plus de cinq ans qui s’est écoulée avant le traitement de la demande ait été déraisonnable, cela ne justifie pas une conclusion de manquement à l’équité procédurale. Cependant, pour les motifs qui suivent, je conclus que les circonstances inhabituelles qui ont entouré le traitement de la demande de M. Zhu ont constitué un processus inéquitable.

 

[32]           La teneur de l’obligation d’équité incombant à un agent des visas relativement à une demande de résidence permanente se trouve à l’extrémité inférieure du registre (voir Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297 (CA). L’agent des visas est néanmoins assujetti à l’obligation d’équité. Au paragraphe 35 de l’arrêt Chiau, la Cour d’appel fédérale a déclaré que cette obligation requérait « de donner à l’auteur de la demande une occasion raisonnable de prendre connaissance des renseignements sur lesquels l’agent entend se fonder pour rendre sa décision, ainsi qu’une occasion raisonnable d’y répondre. Pour savoir si cette occasion raisonnable a été refusée à l’appelant, il faut analyser les contextes factuel, administratif et juridique de la décision ».

 

[33]           En l’espèce, le manquement à l’équité n’a pas consisté dans le défaut d’informer le demandeur des documents qu’il était tenu de présenter avec sa demande. Le demandeur avait accès à la liste de contrôle des documents qui étaient requis relativement à sa demande et il lui incombait de présenter ces documents. Le manquement à l’équité a plutôt découlé de la nature des renseignements communiqués au demandeur relativement au processus et du moment où ils lui ont été communiqués.

 

[34]           Le 16 avril 2012, le demandeur a été informé par l’agente que sa demande ne serait pas traitée. On l’a avisé de [traduction] « [...] ne pas tenir compte de notre requête récente de présenter tous les formulaires de demande les documents d’appui demandés ». Il n’est nullement contesté que la lettre du 16 avril 2012 a été envoyée par erreur. Cette lettre est la dernière communication de l’agente ou du bureau des visas de Hong Kong que le demandeur ait reçue avant de recevoir la lettre de rejet du 17 mai 2012. La lettre informant le demandeur des nouvelles directives données à l’agente, c’est‑à‑dire de procéder au traitement de la demande, a été envoyée le même jour que la lettre de la décision, et le demandeur l’a reçue après avoir été informé de la décision défavorable.

 

[35]           Dans les circonstances, le fait que l’agente n’ait pas informé adéquatement le demandeur des directives modifiées qu’elle avait reçues relativement au traitement de la demande a privé le demandeur d’une occasion raisonnable de répondre. L’argument selon lequel le demandeur n’a subi aucun préjudice du fait qu’il a de toute façon déposé ses documents est sans valeur. Le demandeur n’a appris que par hasard, en participant à un salon de bavardage sur Internet, que l’on procédait au traitement des demandes au titre de la catégorie des TQF. Il n’avait reçu aucune information portant précisément sur sa demande. Il a envoyé les renseignements qu’il avait rassemblés, croyant erronément qu’il était urgent de le faire [traduction] « parce qu’il pourrait être mis fin aux demandes à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ». Selon son témoignage incontesté, il a présenté ses éléments de preuve [traduction] « même s[’il] n’avai[t] pas tous les formulaires et les documents parce qu[’il] avait cessé de les préparer et de les rassembler ».

 

[36]           Le demandeur aurait dû être informé que l’on procédait de nouveau au traitement de sa demande et on aurait dû lui donner suffisamment de temps pour rassembler et présenter ses éléments de preuve. La lettre informant le demandeur du traitement de sa demande aurait dû être envoyée immédiatement après la réception par l’agente, le 27 avril 2012, de la directive de CIC, selon laquelle elle devait traiter la demande. Une occasion raisonnable aurait dû être donnée au demandeur de présenter des formulaires et des documents à l’appui de sa demande, selon ce qu’il jugeait approprié. Même à l’extrémité inférieure du registre, l’obligation qui incombait à l’agente incluait le fait d’accorder cette occasion au demandeur. Le demandeur a subi un préjudice, parce qu’on ne lui a pas accordé une occasion raisonnable de parfaire sa demande avant qu’une décision soit rendue. En conséquence, le processus ayant mené à la décision sur la demande était inéquitable. La conduite de l’agente a constitué un manquement à l’équité procédurale.

 

[37]           Pour qu’il y ait manquement à l’équité procédurale, l’erreur doit avoir des conséquences sur le résultat du processus (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 CAF 55, au paragraphe 6). En l’espèce, le manquement à l’équité procédurale a eu pour conséquence de priver le demandeur de l’occasion de présenter des documents supplémentaires avant que la décision soit prise. Comme la décision défavorable de l’agente relativement à la demande reposait, dans une grande mesure, sur le caractère adéquat de la documentation présentée par le demandeur, les circonstances ayant entraîné le manquement à l’équité procédurale ont eu des conséquences et ont causé un préjudice au demandeur. Ayant conclu à un manquement important à l’équité procédurale, la Cour ne peut pas confirmer la décision. La décision de l’agente sera annulée.

 

[38]           Comme ma conclusion ci-dessus est décisoire quant à la demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions en litige, notamment les questions ayant trait au caractère raisonnable de la décision. Cependant, je me pencherai sur la réparation demandée par le demandeur.

 

VII. LA RÉPARATION

[39]           Le défendeur fait valoir que le nouveau régime législatif modifie la LIPR de manière à mettre fin aux demandes présentées avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie des TQF, si un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à leur conformité aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie. Le défendeur soutient que le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de traiter des demandes auxquelles il a été mis fin. Il fait en outre valoir que les nouvelles dispositions prévoient également que toute ordonnance définitive rendue par la Cour à compter du 29 mars 2012 relativement aux demandes auxquelles il a été mis fin sera rendue nulle par l’application de la loi, ce qui empêche la Cour d’accorder la réparation sollicitée.

 

[40]           Le défendeur fait valoir qu’une décision en matière de sélection a été rendue par l’agente le 17 mai 2012 et qu’il serait donc mis fin, par l’application du paragraphe 87.4(1) de la LIPR, à la demande du demandeur au titre de la catégorie des TQF.

 

[41]           Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous les dispositions pertinentes de la LIPR :

87.4 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

 

 

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

...

 

(5) Nul n’a de recours contre sa Majesté ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin en vertu du paragraphe (1).

87.4 (1) An application by a foreign national for a permanent resident visa as a member of the prescribed class of federal skilled workers that was made before February 27, 2008 is terminated if, before March 29, 2012, it has not been established by an officer, in accordance with the regulations, whether the applicant meets the selection criteria and other requirements applicable to that class.

 

(2) Subsection (1) does not apply to an application in respect of which a superior court has made a final determination unless the determination is made on or after March 29, 2012.

...

 

(5) No person has a right of recourse or indemnity against Her Majesty in connection with an application that is terminated under subsection (1).

 

[42]           Le demandeur soutient que l’article 87.4 de la LIPR ne s’applique pas à sa demande. Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec la position du demandeur.

 

[43]           Le facteur qui complique les choses en l’espèce est que, au moment où la décision a été prise relativement à la demande, l’article 87.4 n’était pas encore en vigueur. Par conséquent, au moment où la décision a été prise, il n’avait pas encore été mis fin à la demande. Lorsque le bulletin opérationnel 442 a été publié, le ministre a donné la directive de traiter la demande. La demande a été traitée et a fait l’objet d’une décision. Au moment de l’entrée en vigueur de l’article 87.4, la demande n’était plus une demande n’ayant pas fait l’objet d’une décision, à laquelle il aurait pu être mis fin, mais une demande ayant fait l’objet d’une décision conformément à la loi, quoiqu’après le 29 mars 2012.

 

[44]           À mon avis, le paragraphe 87.4(1) ne s’applique pas en l’espèce. La disposition ne peut pas servir à radier une décision de l’agente des visas rendue de manière valide. La disposition porte expressément sur les demandes n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision, et non sur les décisions. Il est vrai que la demande de M. Zhu n’avait pas encore été tranchée en date du 29 mars 2012, mais l’agente a pris une décision le 17 mai 2012, c’est-à‑dire avant l’entrée en vigueur de la disposition. Si la demande n’avait pas fait l’objet d’une décision avant l’entrée en vigueur du paragraphe 87.4(1), il aurait alors été mis fin à la demande. Au moment où la décision a été prise, la loi n’était pas encore en vigueur et la décision était valide.

 

[45]           L’article 87.4 de la LIPR ne prévoit pas les circonstances particulières de la demande de M. Zhu. Il n’y a aucune disposition transitoire qui porte sur les demandes ayant fait l’objet d’une décision après le 29 mars 2012, mais avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, le 29 juin 2012. La disposition porte sur les demandes n’ayant pas fait l’objet d’une décision et ne prévoit pas l’annulation des décisions des agents des visas rendues conformément à la loi. Le législateur aurait expressément prévu un tel résultat dans la législation modifiée.

 

[46]           Le défendeur concède que le paragraphe 87.4(5) n’exclut pas le contrôle judiciaire de la décision de l’agente, mais il soutient qu’aucune réparation ne peut être accordée dans le cadre d’un contrôle judiciaire en raison de l’application de l’article 87.4 de la LIPR. À mon avis, cette position est incohérente et intenable. Le contrôle judiciaire implique nécessairement d’accorder une réparation appropriée lorsqu’une erreur susceptible de contrôle est décelée dans le processus décisionnel. À mon avis, si le législateur avait voulu limiter les réparations possibles dans de tels cas dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il l’aurait fait en modifiant expressément le cadre législatif. Les paragraphes 87.4(2) et 87.4(5) n’excluent, ni l’un ni l’autre, une réparation dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans des circonstances où le paragraphe 87.4(1) ne s’applique pas.

 

VII. CONCLUSION

[47]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le processus ayant mené à la décision de l’agente était inéquitable et qu’il a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un agent des visas différent pour nouvel examen fondé sur un dossier révisé devant être parfait par le demandeur. Il sera accordé un délai raisonnable au demandeur pour préparer et soumettre les formulaires est les documents à l’appui de sa demande.

 

[48]           De plus, l’article 87.4 ne s’applique pas aux circonstances précises de l’espèce.

 

VIII. QUESTION À CERTIFIER

 

[49]           Les parties auront l’occasion de soulever des questions graves de portée générale, comme le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR. Les observations écrites sur toute question de portée générale qui sera soulevée devront être signifiées et déposées au plus tard le 22 février 2013. Les observations données en réponse, le cas échéant, devront être signifiées et déposées au plus tard le 27 février 2013.

 

 


LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision de rejeter la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) de M. Zhu est annulée.

3.         M. Zhu doit parfaire sa demande de résidence permanente dans un délai raisonnable et la transmettre à un agent des visas différent pour nouvel examen.

4.         Les observations écrites sur toute question de portée générale qui sera soulevée devront être signifiées et déposées au plus tard le 22 février 2013. Les observations données en réponse, le cas échéant, devront être signifiées et déposées au plus tard le 27 février 2013.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6325-12

 

INTITULÉ :                                      FEI ZHU c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 février 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

Masao Morinaga

 

POUR LE DEMANDEUR

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawrence Wong & Associates

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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