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Date : 20130213

Dossiers : T-332-12

T-333-12

 

Référence : 2013 CF 152

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

CANADIANMAGICJACK.CA LTD,
THEMAGICJACK.CA INC

 

appelantes

 

et

 

MAGICJACK LP
(UNE SOCIÉTÉ EN COMMANDITE, CONSTITUÉE
AU DELAWARE; LA COMMANDITÉE EST
YMAX HOLDINGS CORPORATION,
CONSTITUÉE AU DELAWARE)

 

intimée

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               L’Office de la propriété intellectuelle du Canada a accueilli la demande de magicJack LP, relativement à l’enregistrement des marques de commerce « magicJack » et « magicJack & Design », en dépit de l’opposition de Canadianmagicjack.ca Ltd. et Themagicjack.ca Inc.

 

[2]               Les appelantes ont présenté une demande de contrôle judiciaire concernant soit ces décisions, soit la décision par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce a radié leur opposition. Ceci est une question de forme, mais il aurait fallu que l’acte introductif d’instance s’intitule comme suit : Avis d’appel conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce.

 

[3]               En novembre 2012, le juge en chef a délivré un avis d’examen de l’état de l’instance dans le cadre de chacune des instances, conformément au paragraphe 380(2) des Règles des Cours fédérales (les Règles) car il s’était écoulé plus de 180 jours depuis la délivrance de l’acte introductif d’instance et aucune demande de date d’audience n’avait été déposée. Le protonotaire Aalto a considéré que la réponse des appelantes était tout à fait inadéquate et, le 20 décembre 2012, il a ordonné le rejet des deux instances pour cause de retard.

 

[4]               Il s’agit de l’appel interjeté contre ces décisions.

 

[5]               Les instances ont été marquées dès le départ par des difficultés d’ordre procédural. Pour commencer, ce sont les mauvaises intimées qui ont été nommées. Les appelantes sont des personnes morales, mais leur président et chef de la direction, Neil Adams, a dit qu’il les représentait, même s’il n’est pas avocat. L’article 120 des Règles exige qu’une personne morale soit représentée par un avocat, sauf si la Cour, en raison de circonstances particulières, l’autorise à se faire représenter par un de ses dirigeants. Aucune requête de cette nature n’a été déposée avec succès, mais M. Adams a déposé une requête visant à l’autoriser à intervenir personnellement.

 

[6]               Il a systématiquement refusé de signifier des documents au représentant de l’intimée, jusqu’à ce qu’on lui ordonne expressément de le faire, et il a souvent été incapable de déposer des actes de procédure parce qu’ils étaient clairement erronés. En réponse aux avis d’examen de l’état de l’instance, il a déclaré, notamment, que les appelantes tentaient encore d’obtenir une prorogation de délai en vertu de l’article 8 des Règles.

 

[7]               Les motifs pour lesquels le protonotaire Aalto a rejeté les demandes sont fort succincts :

[traduction] Au stade de l’examen de l’état de l’instance, la Cour doit être convaincue que les motifs invoqués pour le retard à faire avancer l’affaire sont justifiés et, en outre, que les mesures que propose la partie en défaut en vue de faire avancer l’affaire sont appropriées. Les observations reçues en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance sont tout à fait inadéquates, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, aucun avocat ne représente l’appelante, même si Neil Adams, qui n’est pas avocat et qui dit la représenter, a été avisé que l’article 120 des Règles exige qu’un avocat représente une personne morale. Deuxièmement, aucune requête autorisant l’appelante à être représentée par un non-avocat n’a été déposée. Les observations censément déposées pour le compte de l’appelante ne devraient ni être reçues par la Cour ni examinées. Troisièmement, même si la Cour en venait à examiner les observations déposées pour le compte de l’appelante, ces observations ne sont pas conformes aux dispositions du paragraphe 382(1) des Règles. Rien n’explique pourquoi il ne faudrait pas rejeter l’instance pour cause de retard. Il n’y a pas de calendrier pour procéder aux étapes suivantes et faire entendre l’affaire. De ce fait, conformément au paragraphe 382.1(2) des Règles, il n’existe aucune raison impérieuse, ni aucune raison soumise à la Cour, qui convainc cette dernière que l’instance doit se poursuivre. L’instance est donc rejetée.

 

[8]               Sa décision était de nature discrétionnaire. Elle pouvait mettre un terme aux instances, et c’est effectivement ce qu’elle a fait. La Cour d’appel me recommande dans ce cas d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo (Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 CF 459, [2003] ACF no 1925 (QL)).

 

[9]               À l’audience qui s’est déroulée devant moi, M. Adams était de nouveau prêt à représenter ses personnes morales. Dans une combinaison d’observations et de ce qui était, en réalité, un témoignage, il a déclaré que les personnes morales étaient sans ressources. J’ai fait remarquer qu’il ne suffit pas de le dire; il faut le démontrer. Même là, il ne s’ensuit pas automatiquement que les personnes morales peuvent être représentées par un dirigeant. La constitution en société a ses avantages et ses désavantages, et l’un de ces derniers est que la personne morale, contrairement à une personne en chair et en os, ne peut pas se représenter elle-même.

 

[10]           Pour traiter du bien-fondé de l’appel, j’ai spécialement autorisé M. Adams à représenter les personnes morales à seule fin d’interjeter appel contre les ordonnances du protonotaire Aalto. Dans les circonstances, j’ai ajourné sine die ses requêtes en vue de pouvoir intervenir personnellement.

 

[11]           Le texte de l’article 8 des Règles des Cours fédérales est le suivant :

8. (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

 

(2) La requête visant la prorogation d’un délai peut être présentée avant ou après l’expiration du délai.

 

(3) Sauf directives contraires de la Cour, la requête visant la prorogation d’un délai qui est présentée à la Cour d’appel fédérale doit l’être selon la règle 369.

 

8. (1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.

 

 

(2) A motion for an extension of time may be brought before or after the end of the period sought to be extended.

 

(3) Unless the Court directs otherwise, a motion to the Federal Court of Appeal for an extension of time shall be brought in accordance with rule 369.

 

[12]           J’ai demandé à M. Adams à quoi il faisait référence lorsqu’il a cité l’article 8 des Règles, car la réponse aux avis d’examen de l’état de l’instance était silencieuse sur ce point. En réponse à ma question, il a fait mention de directives que le protonotaire Lafrenière avait données en août 2012 et contre lesquelles il souhaitait interjeter appel, mais il était hors délai. Il s’agissait de directives, et non d’ordonnances. Les directives ne peuvent pas faire l’objet d’un appel.

 

[13]           Pour faire avancer les affaires, il était nécessaire de déposer des dossiers, comme l’indique l’article 309 des Règles. M. Adams est d’avis qu’aucun dossier ne doit être déposé car il ressort de façon évidente du dossier du tribunal que les décisions relatives aux marques de commerce sont erronées. Cela est peut-être évident pour M. Adams, mais certainement pas pour moi. Quoi qu’il en soit, il a ensuite dit qu’il avait un dossier prêt à être déposé.

 

[14]           M. Adams semble avoir mémorisé chacun des articles de la Loi sur les marques de commerce, chacun des articles de la Loi sur les Cours fédérales et chacune des dispositions des Règles des Cours fédérales. Il est toutefois incapable de les mettre ensemble.

 

[15]           Dans l’arrêt Rosen c Canada, [2000] 2 CTC 422, [2000] ACF no 415 (QL) (autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée), la Cour d’appel fédérale a décrit au paragraphe 5 les facteurs dont il faut tenir compte pour décider s’il y a lieu de rejeter une instance conformément à l’alinéa 382(2)a) :

Les facteurs qui appuient habituellement une requête en prorogation de délai, à savoir l’intention d’intenter l’action dans le délai prescrit, l’existence d’une cause défendable, la cause et la durée réelle du retard et la question de savoir si le retard a causé un préjudice, n’ont pas été allégués.

 

[16]           Les appelantes étaient tenues de traiter des motifs de leur défaut de faire avancer l’affaire, ainsi que des mesures qu’elles proposaient de prendre pour remédier à la situation. (Netupsky c Canada, 2004 CAF 239, [2004] ACF no 1073 (QL), au paragraphe 11 : « [U]ne partie qui reçoit un avis d’un examen de l’état de l’instance est tenue de s’occuper de deux questions, à savoir : (1) Y a‑t‑il une justification pour l’omission d’avoir fait avancer l’affaire? (2) Quelles mesures la partie a-t-elle l’intention de prendre pour faire avancer l’affaire? ») Cela n’a pas été fait.

 

[17]           Dans l’arrêt Xu c Murphy., 2010 CAF 140, [2010] ACF no 706 (QL), au paragraphe 2, la Cour d’appel fédérale a conclu que les omissions de l’appelant, qui ne s’était pas conformé aux exigences de la règle relative à l’examen de l’état de l’instance et n’avait pas entrepris la première mesure pour donner suite à son appel, constituaient un motif suffisant pour rejeter ce dernier :

Un appelant devant répondre à un examen de l’état de l’instance doit exposer les raisons du retard dans la marche de son appel et proposer un échéancier indiquant les mesures nécessaires pour faire avancer l’appel : voir le paragraphe 382.3(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Dans la présente affaire, M. Xu n’a rien fait de tout cela. En fait, il n’a pas entrepris la première étape pour donner suite à son appel, qui consiste à arrêter le contenu de son dossier d’appel, par voie d’accord ou de requête. Ces omissions constituent des motifs suffisants pour rejeter l’appel pour cause de retard.

 

[18]           En faisant abstraction du fait que les personnes morales ne sont pas représentées par un avocat, ces dernières ont été incapables de démontrer qu’elles étaient en mesure de poursuivre les instances dans les délais prescrits. Comme l’a déclaré le juge Hugessen, au paragraphe 5 de la décision Baroud c Canada, 160 FTR 91, [1998] ACF no 1729 (QL), une affaire mettant en cause un plaideur profane :

[…] si aucune raison valable n’est invoquée pour justifier le retard, le demandeur devrait être disposé à démontrer qu’il reconnaît avoir envers la Cour l’obligation de faire avancer son action. De simples déclarations de bonne intention et du désir d’agir ne suffit clairement pas.

 

[19]           Les causes et la durée des retards subis semblent être imputables aux difficultés que M. Adams a eues à saisir les règles applicables et à s’y conformer.

 

[20]           De plus, je ne vois pas de cause défendable sur le bien-fondé de son opposition à l’enregistrement des marques de commerce. À plusieurs occasions, son opposition a été considérée comme incomplète ou irrégulière. Malgré qu’on lui ait donné du temps pour parfaire ses oppositions, il n’a pas été en mesure de le faire ou ne l’a pas voulu. En fait, la Commission des oppositions des marques de commerce a considéré que ses oppositions étaient retirées pour cause de non-conformité aux règles. Cette décision n’était pas déraisonnable. M. Adams s’était vu donner largement l’occasion de rectifier la situation et on lui avait même donné des conseils sur la Loi sur les marques de commerce, mais il a tout simplement omis de fournir les éléments de preuve requis.

 

[21]           Les appels seront rejetés, mais sans frais, car l’intimée n’a pas comparu dans le cadre des requêtes.

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  Les appels sont rejetés sans frais.

2.                  Une copie des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance doit être versée dans le dossier de la Cour portant le numéro T-333-12 et s’y appliquer.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-332-12
T-333-12

 

INTITULÉ :                                      CANADIANMAGICJACK.CA LTD ET AL c
MAGICJACK LP (UNE SOCIÉTÉ EN COMMANDITE, CONSTITUÉE AU DELAWARE; LA COMMANDITÉE  EST YMAX HOLDINGS CORPORATION, CONSTITUÉE AU DELAWARE)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 28 JANVIER 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           LE 13 FÉVRIER 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Adams

 

POUR LES APPELANTES

Nul n’a comparu

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

POUR LES APPELANTES

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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