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Date : 20130111

Dossier: T-1111-10

T-669-11

Référence: 2013 CF 18

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

ENTRE :

 

CHANTAL RENAUD

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               La demanderesse, Mme Chantal Renaud, est une ex-employée de la Direction des finances et des services administratifs du Commissariat à la protection de la vie privée [le Commissariat ou l’employeur]. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de Mme Jennifer Stoddart, Commissaire à la protection de la vie privée [la Commissaire], rendue le 18 mars 2011, par laquelle elle rejette deux griefs au dernier palier, logés par la demanderesse en vertu de la procédure interne de règlement de grief adoptée conformément à l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch 22 [la LRTFP].

 

[2]               Suite à une longue procédure d’enquête, il a été conclu, aux termes de la décision contestée, que deux plaintes de harcèlement en milieu de travail déposées par la demanderesse à l’encontre de deux employés de direction dont la demanderesse relevait dans l’exercice de ses fonctions – soit Mme Patricia Garand, Directrice de la gestion des finances et de l’administration, et M. Tom Pulcine, Directeur général de la gestion intégrée – étaient non fondées. La demanderesse ne conteste pas les conclusions du décideur sur le fond, mais fait plutôt valoir le non respect des principes d’équité procédurale à différentes étapes du processus d’enquête et du traitement de ses griefs.

[3]               Après avoir pris connaissance de la preuve au dossier et des représentations orales et écrites des parties, et après avoir délibéré sur les différentes questions soulevées par les parties, j’arrive à la conclusion que l’intervention de la Cour n’est pas requise en l’espèce, bien que je sois d’avis que le traitement accordé à l’enquête sur les plaintes de harcèlement de la demanderesse présente certaines irrégularités. Je m’explique.

II.        Le contexte factuel

[4]               La demanderesse a été embauchée en octobre 2007 à titre d’agente financière au sein de la Direction des finances et des services administratifs du Commissariat. Son supérieur immédiat était  alors M. John McKinley, qui lui relevait de M. Pulcine.

 

[5]               La demanderesse est atteinte d’une polyarthrite juvénile déformante chronique depuis l’âge de 12 ans. En juin 2008, elle a dû s’absenter de son travail à cause de problèmes liés à ses genoux, absence qui s’est transformée en congé de maladie longue durée du 30 juin au 30 septembre 2008.

 

[6]               Durant son absence, M. McKinley a démissionné et son poste est demeuré vacant jusqu’au 8 octobre 2008, moment auquel il a été comblé par Mme Garand. Dans l’intérim, M. Pulcine semble s’être impliqué davantage dans la gestion des finances et des services administratifs; il a retenu les services d’une consultante, Mme Pamela Grochot, pour superviser les employés jusqu’à l’entrée en fonction de Mme Garand et certains employés ont dû accepter de nouvelles tâches.

 

[7]               De retour au travail le 1er octobre 2008, la demanderesse a soumis à M. Pulcine une demande de remboursement de droits de scolarité pour un programme de CMA/MBA suivi à temps partiel conformément, selon elle, à une entente verbale conclue avec M. McKinley lors de son embauche. M. Pulcine lui a demandé d’attendre l’entrée en fonction de Mme Garand pour lui soumettre le tout. C’est également à ce moment que la demanderesse a appris que la Direction des finances et des services administratifs ferait l’objet d’une restructuration et que certains changements seraient apportés à sa description de tâches.

 

[8]               À son arrivée, Mme Garand avait pour mandat de restructurer la Direction des finances et des services administratifs du Commissariat et de régler certains problèmes opérationnels et relationnels qui semblent avoir fait surface suite au départ de M. McKinley.

 

[9]               Avant même l’entrée en fonction de Mme Garand, la demanderesse avait exprimé son mécontentement du fait de ne pas retrouver exactement la même description de tâches à son retour de congé, incluant la supervision d’employés, et du fait qu’une employée du groupe, Mme Caroline Moloughney, effectuait maintenant certaines tâches qui lui étaient auparavant attribuées et que cette même employée avait été promue du niveau AS-3 au niveau F1-1 (la demanderesse était une employée de niveau F1-2). La demanderesse a même communiqué avec le bureau du vérificateur général pour vérifier si certaines tâches maintenant assignées à Mme Moloughney pouvaient être exécutées par une employée de niveau F1-1.

 

[10]            Dès son entrée en fonction le 8 octobre 2008, Mme Garand a tenu une réunion avec tous les employés dans le but de se présenter et de leur communiquer la nature de son mandat. Elle a alors informé les employés que jusqu’à nouvel ordre,  le statu quo serait maintenu et que tous relèveraient d’elle.

 

[11]            Dès les premiers contacts entre la demanderesse et Mme Garand, il a été question du remboursement des droits de scolarité de la demanderesse. Mme Garand a questionné la demanderesse à ce sujet et s’est informée auprès du service de la comptabilité pour constater que cette dépense n’avait pas été préalablement approuvée par écrit contrairement à la politique en vigueur. Malgré le refus initial de Mme Garand, la demanderesse a reçu le 24 décembre 2008 un remboursement des droits universitaires relatifs à la session d’automne 2008, dont elle avait fait la demande le 1er octobre 2008. Toutefois, en décembre 2008, Mme Garand a convoqué la demanderesse pour l’informer que l’employeur entendait appliquer la politique en vigueur et ne plus fournir l’appui financer à sa formation, ni accorder les congés d’études dont la demanderesse bénéficiait jusqu’alors. 

 

 

 

[12]           Par ailleurs, lors d’une réunion du personnel tenue le 30 octobre 2008, en marge du mandat de restructuration confié à Mme Garand, la demanderesse a appris que certains changements organisationnels seraient introduits au sein de la direction, entraînant une nouvelle description de tâches pour elle et pour les employés qui relevaient auparavant d’elle. La demanderesse aurait exprimé assez ouvertement son mécontentement, ce qui aurait surpris Mme Garand et l’aurait amenée à répliquer que si certains employés n’étaient pas satisfaits, ils pouvaient lui remettre leur curriculum vitae, elle les aiderait à se trouver un autre emploi au sein de la fonction publique (nous reviendrons plus loin sur cet évènement).

 

[13]           La demanderesse est de nouveau partie en congé de maladie du 14 janvier au 13 février 2009. En son absence, un nouveau groupe de communication « Finance Accounting Operations » a été mis sur pied par Mme Garand.  La demanderesse a appris d’une de ses collègues que son nom ne figurait pas sur la liste d’envoi de courriels de ce groupe. Le 25 janvier 2009, elle a transmis un courriel à Mme Garand lui mentionnant que, compte tenu de ses tâches variées, elle devait également faire partie de ce nouveau groupe. Mme Garand n’aurait pas donné suite à ce courriel, de sorte que la demanderesse a communiqué avec les services de l’informatique et demandé que son nom soit ajouté à la liste en question. Elle s’est aperçue peu de temps après qu’il avait été à nouveau retiré de la liste.

[14]           Au cours du mois de février 2009, Mme Garand a invité la demanderesse à lui fournir certaines précisions au sujet de sa formation et de ses diplômes universitaires. Elle a également informé la demanderesse que ses vérifications lui avaient permis de constater que la demande de remboursement des droits de scolarité de la demanderesse incluait des frais d’intérêts encourus à cause d’un retard de paiement.

 

[15]           Le 4 mars 2009, une réunion du groupe de finance a eu lieu sans que la demanderesse ne soit invitée à y participer. Une employée aurait questionné Mme Garand sur la raison de l’absence de la demanderesse, ce à quoi elle aurait répondu que la demanderesse était trop occupée pour y être.

 

[16]           L’environnement de travail est devenu de plus en plus conflictuel et difficile pour la demanderesse qui ne communiquait plus que par courriel avec Mme Garand et refusait de la rencontrer en personne. Vers la fin du mois de février 2009, elle a demandé à M. Pulcine de l’éloigner de Mme Garand, ce qui lui a été refusée. M. Pulcine a dû rappeler à quelques reprises à la demanderesse que Mme Garand était toujours sa supérieure immédiate.

 

[17]           En date du 11 mars 2009, la demanderesse a déposé une première plainte de harcèlement psychologique contre Mme Garand.  Dès le mois de mars 2009, la demanderesse a reçu un avertissement de la part de M. Pulcine à l’effet qu’il était important qu’elle conserve la confidentialité des échanges entourant cette plainte de harcèlement. La demanderesse a réitéré a quelques reprises sa demande d’être séparée de Mme Garand jusqu'à ce qu’elle quitte à nouveau en congé de maladie le 2 avril 2009. Le 7 avril 2009, elle a remis un billet de médecin recommandant qu’elle soit séparée de Mme Garand et à son retour le 15 avril 2009, un bureau lui a été assigné au deuxième étage et on l’a informée qu’elle relevait maintenant de M. Pulcine.

 

[18]           Le 4 mai 2009, la demanderesse a déposé une seconde plainte de harcèlement psychologique contre M. Pulcine, dans laquelle elle allègue essentiellement qu’elle a subi de sa part un abus de pouvoir, des remarques dégradantes par rapport à la qualité de son travail et des menaces répétitives de mesures disciplinaires.

 

[19]           Le 29 juin 2009, la firme Quintet Consulting Corporation [Quintet] a été mandatée par l’employeur pour faire une analyse des plaintes et allégations de la demanderesse en relation avec la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail [la Politique]; le 2 novembre 2009, elle a été mandatée pour enquêter sur les allégations jugées recevables. Quintet a soumis deux rapports préliminaires le 1er mai 2010 et ses rapports finaux le 30 septembre 2010. Elle conclut au rejet de toutes les plaintes et allégations de la demanderesse.

 

[20]           Le 8 mai 2009, la demanderesse est repartie en congé de maladie de longue durée et le 6 août 2010, à la demande de l’employeur, son état a été évalué par un médecin en santé au travail de Santé Canada. À l’issue de cette évaluation, Santé Canada a informé l’employeur que pour des raisons purement médicales, la demanderesse n’était pas en mesure « de réintégrer le marché du travail au sein de son ancien milieu de travail... » mais qu’elle pouvait occuper un autre poste équivalent (lettre du Dr John Given, 15 octobre 2010). Au jour de l’audition devant la Cour, la demanderesse occupait un autre poste dans la fonction publique depuis plus de deux ans, lequel semblait la satisfaire pleinement.

 

 

 

 

[21]           Cependant, avant de quitter son emploi, la demanderesse a déposé plusieurs griefs individuels contre son employeur suivant le sous-alinéa 208(1)a)(i) de la LRTFP, notamment les deux griefs au dernier palier, dont elle demande à présent le contrôle judiciaire.

 

[22]           Les autres griefs concernent une plainte contre la nouvelle description des tâches qui lui a été imposée dès son retour du congé de maladie en octobre 2008 (déposée le 8 décembre 2008), une plainte contre le refus initial de l’employeur de rembourser ses droits de scolarité en novembre 2008 (déposée le 11 mars 2009), et une plainte contre une mesure disciplinaire dont la demanderesse a fait l’objet le 1er avril 2009 (déposée le 24 avril 2009), au motif que la mesure disciplinaire traduisait une discrimination fondée sur son handicap. Ce dernier grief a été porté devant cette Cour pour contrôle judiciaire après avoir été rejeté par l’employeur. Suite à l’audition sur le mérite en décembre 2010, la demanderesse s’est désistée de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[23]           Avant de procéder à l’examen de la procédure qui s’est soldée par le rejet des griefs sous étude, il convient d’exposer brièvement le régime législatif encadrant la procédure de griefs individuels dans la fonction publique et les politiques applicables en l’espèce.

 

III.         Le régime législatif gouvernant les griefs dans la fonction publique

La LRTFP

[24]           Sous le régime particulier de la LRTFP, seuls les griefs découlant d’une décision arbitrale, de l’interprétation ou de l’application d’une convention collective ou entraînant une suspension, une sanction pécuniaire, un licenciement ou une rétrogradation peuvent être renvoyés à l’arbitrage (article 209 de la LRTFP). Cependant, son paragraphe 208(1) définit la vaste portée du droit des employés de la fonction publique de présenter un grief individuel concernant toute autre décision ou action de l’employeur ayant trait à leurs conditions de travail, sous réserve de certaines exceptions non applicables en l’espèce. Voici son libellé :

 

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

 

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

 

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale

 

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi

 

208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

 

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment

 

 

 

 

 

[25]           Comme je l’ai mentionné, les plaintes déposées contre Mme Garand et M. Pulcine l’ont été sous l’alinéa 208(1)a)(i) de la LRTFP. Elles résultent du fait que la demanderesse s’estimait lésée par l’application à son égard d’un document de l’employeur concernant ses conditions d’emploi, soit l’application de la Politique, laquelle n’est pas visée par la convention collective qui liait la demanderesse à l’époque.

 

[26]           Selon la jurisprudence de la Cour, on parle d’une « ligne de démarcation très nette entre les affaires qui peuvent être soumises à l’arbitrage et celles qui ne peuvent l’être sous le régime de la Loi » (Boudreau c Canada (Procureur général), 2011 CF 868 au para 20 [Boudreau]). Les griefs individuels déposés sous le paragraphe 208(1) de la LRTFP sont entendus et tranchés conformément aux procédures établies par les politiques de l’employeur en vigueur. Il s’agit d’une procédure de règlement des griefs entièrement interne qui aboutit à une décision « définitive et obligatoire » rendue au dernier palier, sans qu’aucune autre mesure ne puisse être prise sous le régime de la LRTFP. L’article 214 de la LRTFP prévoit que :

 Sauf dans le cas du grief individuel qui peut être renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 209, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause.

 If an individual grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 209 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken on it.

 

 

 

[27]           Dans Vaughan c Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 RCS 146 [Vaughan], la Cour suprême a servi une certaine mise en garde contre le recours aux tribunaux pour court-circuiter la procédure de grief sans renvoi à l’arbitrage qui y est prévue. Elle a également statué que l’absence de recours devant un décideur indépendant sous le régime de l’ancien article 91 (l’actuel article 208 de la LRTFP) est insuffisante en soi pour justifier l’intervention des tribunaux, autre que dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[28]           Au paragraphe 37 de la décision, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité, rejette l’idée que ce type de procédure interne puisse soulever des préoccupations quant à l’impartialité institutionnelle du décideur, qui était en l’occurrence un cadre supérieur de l’employeur :

 

[...] Les tribunaux nuisent à l’efficacité des relations de travail lorsqu’ils se placent en concurrence avec le mécanisme prévu par la loi (St. Anne Nackawic, p. 718; Weber, par. 41; Regina Police, par. 26). Je ne puis accepter que l’appelant suggère de façon générale, quoique indirectement, que la procédure ministérielle sent le conflit d’intérêts. À preuve que ce n’est pas le cas en pratique, l’appelant a eu gain de cause dans son grief présenté en 1995. La proposition voulant que les hauts fonctionnaires du ministère aient intérêt à refuser les PRA à un employé qui satisfait aux critères applicables, et qu’il faille y voir une sorte de préjugé institutionnel, n’est tout simplement pas plausible. Si, dans une autre instance, les faits devaient révéler un problème de conflit plus particulier et individualisé (comme dans les cas de dénonciateurs), d’autres considérations entreront en jeu.

 

 

 

 

[29]           La Cour d’appel fédérale a également abordé cette question de l’impartialité dans Canada (Procureur général) c Assh, 2006 CAF 358, alors qu’elle était appelée à déterminer les critères à retenir pour trancher les conflits d’intérêts potentiels découlant de l’application de certaines politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor. Sous la plume du juge Evans, la Cour d’appel fédérale a statué que c’est par l’application d’une norme de contrôle moins déférente que la Cour de révision doit palier aux injustices éventuelles causées à un fonctionnaire du fait que son grief est tranché par l’employeur plutôt que par une tierce partie :

[...] J’ai déjà dit dans l’arrêt Vaughan (au paragraphe 139) [Vaughan c Canada, [2003] 3 CF 645 (CA)] qu’en raison de la nature informelle de la procédure de grief prévue à l’article 91 [l’actuel article 208 de la LRTFP], et du fait qu’il ne s’agit pas d’une procédure indépendante de l’employeur, il semble qu’une cour supérieure n’est pas tenue d’accorder une grande déférence au comité interne de règlement des griefs en ce qui a trait aux questions qui ne sont pas de pur fait. Comme on l’a déjà signalé, M. Assh n’avait nullement le droit de saisir un arbitre indépendant de son grief aux termes de l’article 92 [l’actuel article 209 de la LRTFP].

 

Par ailleurs, à mon avis, il est approprié que la Cour donne toute l’importance qui convient à l’évaluation factuelle qu’a faite le ministère des caractéristiques de sa clientèle et de la nature des rapports qu’ils ont avec les employés des Affaires des anciens combattants.

 

Tout bien pondéré, vu ce facteur, la décision correcte est la norme de contrôle appropriée quant à l’interprétation des dispositions du Code relatives au conflit d’intérêts apparent et, sous réserve de la précision apportée au paragraphe précédant, quant à leur application aux faits d’une cause donnée.

[mes soulignements]

 

 

[30]           L’observation de Me Christopher Rootham à ce sujet n’est pas sans intérêt. Dans son ouvrage Labour and Employment Law in the Federal Public Service, Toronto: Irwin Law (2007), aux pages 308-309, l’auteur note qu’en matière d’accès à l’information, la Cour suprême a déjà retenu l’approche du juge Evans de la Cour d’appel fédérale selon laquelle les hauts fonctionnaires des institutions fédérales « sont susceptibles d’avoir un parti-pris institutionnel les incitant à restreindre le droit d’accès du public et à interpréter libéralement les exceptions » (voir Macdonell c Québec (Commission d’accès à l’information), 2002 CSC 71 au para 8). Ceci soulève la question à savoir pour quelle raison de tels partis pris institutionnels seraient moins probables dans un contexte de règlement interne de griefs où certains intérêts institutionnels plus ou moins considérables seraient en jeu.

 

[31]           À ce chapitre, je note avec égard qu’il me semble que l’efficacité et la légitimité de la procédure de grief interne prévue à l’article 208 de la LRTFP ne seront garanties que si la Cour de révision exerce sa compétence résiduelle en gardant à l’esprit les particularités du mécanisme législatif, notamment l’absence d’un décideur indépendant, bien qu’il s’agisse d’un facteur plus ou moins décisif selon les circonstances (Vaughan, précitée, au para 22).

 

[32]           Il y a enfin lieu de noter qu’une certaine jurisprudence récente de cette  Cour et de la Cour d’appel fédérale souligne que l’article 214 de la LRTFP constitue une clause privative relativement faible, et que le manque d’indépendance du décideur au dernier palier de la procédure doit être interprété comme un facteur militant en faveur d’une retenue moindre (voir Appleby-Ostroff c Canada (Procureur général), 2010 CF 479 aux para 15-16, confirmée sur ce point dans 2011 CAF 84 aux para 20-23; Backx c Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), 2010 CF 480 au para 22).

 

[33]           En matière de harcèlement psychologique, le défendeur soumet que l’employeur est un tiers par rapport au plaignant et à l’employé ou aux employés faisant l’objet de la plainte, l’objectif ultime de l’employeur étant plutôt de fournir un milieu de travail serein et exempt de harcèlement. Bien que cet argument puisse avoir un certain fondement théorique, il doit être nuancé lorsque, comme dans le cas de M. Pulcine, le niveau hiérarchique de l’employé qui fait l’objet de la plainte est à proximité de celui des hauts fonctionnaires du Ministère ou de l’organisme concerné.

La procédure de règlement des griefs en vertu de la Politique en matière de harcèlement

 

[34]           Depuis le 1er juin 2002, le Conseil du Trésor, en sa qualité d’employeur de la fonction publique fédérale, a mis en place un processus de règlement visant à assurer un milieu de travail libre de harcèlement. La définition et les exemples de comportements susceptibles de constituer du harcèlement aux termes de la Politique visent une notion de harcèlement plus large que les motifs de discrimination prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H6, et impose des exigences précises visant à favoriser la prévention et la résolution efficace des plaintes liées au harcèlement au sein de la fonction publique.

 

 

 

[35]           Le processus de résolution des plaintes comprend six étapes devant être entreprises sans délai excessif, soit normalement à l’intérieur d’une période de moins de six mois : (1) dépôt de la plainte écrite au gestionnaire délégué, qui est un cadre supérieur désigné comme responsable de la gestion de la plainte; (2) accusé de réception et évaluation des formalités de la plainte par le gestionnaire délégué; (3) étude du contenu de la plainte par le gestionnaire délégué pour s’assurer qu’elle porte réellement sur des allégations de harcèlement; (4) proposition de médiation par le gestionnaire délégué; (5) à défaut de médiation ou de règlement à l’issue d’une médiation, conduite d’une enquête et rédaction d’un rapport d’enquête par un enquêteur indépendant, lequel fait état des constatations et des conclusions proposées et; (6) prise de décision ou de mesures de redressement  par le gestionnaire délégué ou l’employeur.

 

[36]           Considérant leur rôle crucial tout au long du processus, la Politique prévoit que les gestionnaires délégués « doivent être impartiaux dans tout processus de plainte auquel ils participent » et « doivent suivre les étapes définies dans le processus de plainte ». En ce qui concerne l’enquête, la Politique prévoit que le gestionnaire délégué doit « assigner un mandat aux enquêteurs et veiller à ce que ces derniers satisfassent aux critères du Profil de compétence pour enquêteurs interne et externe sur le harcèlement, qu’ils soient impartiaux, n’aient pas de relation hiérarchique avec les parties et ne soient pas en situation de conflit d’intérêts. »

 

[37]           Les enquêteurs doivent « se conformer au mandat qui leur est assigné » et « appliquer les principes d’équité procédurale. » Une autre obligation pertinente pour les fins de la présente cause est celle qui incombe à l’enquêteur d’obtenir des plaignants, des mis en cause et des témoins qu’ils revoient « leur déclaration telle qu’elle est enregistrée par l’enquêteur, pour en confirmer l’exactitude, avant la présentation du rapport final. » Il incombe donc à l’enquêteur de recevoir la confirmation écrite de l’exactitude des témoignages et de faire les modifications nécessaires dans la rédaction du rapport final.

[38]           L’enquête est soumise aux exigences énoncées dans le Guide d’enquête en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail [Guide d’enquête]. Ce dernier définit les cinq critères permettant de conclure à l’existence de harcèlement en milieu de travail:

Pour justifier les allégations, l’enquête doit prouver que selon la prépondérance des probabilités, il y a eu violation de la politique en ce sens où :

 

i.        la partie mise en cause a manifesté un comportement inopportun et injurieux, constituant soit des actes, des propos ou des exhibitions, soit des actes d’intimidation ou des menaces, soit encore des actes, des propos ou des exhibitions relativement à un des motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

 

ii.      le comportement visait directement la partie plaignante;

 

iii.    la partie plaignante a été offensée ou victime de préjudice, c’est à dire qu'elle s’est sentie diminuée, rabaissée, humiliée, embarrassée, intimidée ou menacée;

iv.    la partie mise en cause savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pouvait offenser ou causer un préjudice;

 

v.      le comportement s’est produit en milieu de travail ou à un endroit ou dans une situation liée au travail, y compris pendant un déplacement, aux conférences dont la participation est parrainée par l’employeur, aux activités/séances de formations parrainées par l’employeur, aux événements, dont les événements sociaux, parrainés par l’employeur.

 

[39]           Le Guide d’enquête prévoit sept étapes à suivre dans la conduite de l’enquête. Il établit l’échéancier applicable à chacune des étapes et permet aux parties de réagir au fur et à mesure que l’enquête se déroule. Au cours des différentes étapes de l’enquête, l’enquêteur doit :

i)     recevoir le mandat de l’employeur et « mener une enquête indépendante de façon rigoureuse, prompte, impartiale, objective, discrète et sensible »;

ii)   lors d’une étape préliminaire, obtenir l’information, examiner les allégations, les clarifier, confirmer l’information auprès des parties, et préparer un plan d’enquête;

iii) mener une entrevue avec chacune des parties et avec les témoins et déterminer les faits pertinents. Dans cette tâche, la Politique prévoit que l’enquêteur est soumis aux principes d’équité procédurale décrits à la section II du Guide d’enquête. L’enquêteur est notamment tenu au respect du droit d’être entendu et de présenter une preuve, le droit de revoir sa déclaration pour en confirmer l’exactitude et le droit d’avoir accès aux constatations et de les réfuter;

iv) après avoir validé les faits jugés pertinents auprès des parties, préparer et présenter au gestionnaire délégué et aux parties un sommaire préliminaire des faits incluant un résumé des allégations et une description du contexte et des éléments de preuve recueillis au sujet de chaque allégation;

v)   recueillir tous les « renseignements additionnels » fournis par les parties et les intégrer dans le rapport;

vi) déterminer si, sur la base de la « version finale des faits » et selon la prépondérance des probabilités, le comportement reproché a eu lieu et, le cas échéant, s’il répond à la définition de harcèlement énoncée dans la Politique;

vii)    rédiger le rapport final à partir des renseignements provenant de la  version finale des faits et faire ses recommandations au gestionnaire délégué à l’égard de la plainte et des allégations.

 

 

IV.         La procédure suivie suite aux plaintes de harcèlement de la demanderesse

[40]           Conformément à la procédure mise en place par la Politique, Mme Maureen Munhall, Directrice de la Gestion des ressources humaines, a été désignée responsable de la gestion du processus des plaintes de harcèlement de la demanderesse. C’est elle qui a mandaté Quintet pour enquêter sur les deux plaintes.

 

i.                     Le début de l’enquête : évaluation de la recevabilité des allégations

[41]           L’examen initial des plaintes a été confié à M. Morissette de Quintet. Une première rencontre a eu lieu en août 2009 entre M. Morissette, la demanderesse et son représentant syndical. Cette rencontre visait à évaluer les principaux éléments des deux plaintes en vue de déterminer la concordance des allégations avec la définition de harcèlement que l’on retrouve dans la Politique.

 

[42]           En date du 22 octobre 2009, une synthèse et une évaluation des allégations des plaintes de harcèlement ont été transmises à la demanderesse. À l’égard de la plainte formulée contre Mme Garand , il a été décidé qu’il y avait matière à enquête sur les allégations relatives à l’impact négatif de la réorganisation des Services financiers du Commissariat, aux difficultés liées au remboursement des droits de scolarité de la demanderesse, aux difficultés liées aux demandes de congés d’études et autres congés et à la violation d’une prétendue entente verbale visant la formation CMA/MBA de la demanderesse.

 

[43]           En ce qui concerne la plainte de harcèlement contre M. Pulcine, la demanderesse reprochait à ce dernier d’avoir pris différentes mesures de représailles contre elle suite à sa plainte contre Mme Garand, notamment en ne respectant pas ses horaires de travail, en faisant des remarques négatives au sujet de sa plainte, en modifiant ses tâches et fonctions, en refusant de la soustraire de la supervision immédiate de Mme Garand et en refusant de lui rembourser certains frais de stationnement ou de taxi.

 

[44]           Dans les deux cas, certaines allégations ont été jugées non recevables et bien que la demanderesse ait à prime abord exprimé son insatisfaction, elle a suivi la recommandation de son représentant syndical d’attendre la suite de l’enquête avant de déposer un grief.  

 

ii.         Les rapports préliminaires d’enquête

[45]           Le 19 mai 2010, la demanderesse a reçu copie des rapports préliminaires d’enquête préparés par Mme Paradis, portant respectivement sur ses plaintes contre Mme Garand et M. Pulcine. Les questions en litige relatives à la plainte contre Mme Garand sont formulées par Quintet comme suit :

1.         Mme Garand a-t-elle harcelé Mme Renaud lors de la restructuration en l’excluant du processus de consultation et en lui enlevant certaines de ses responsabilités?

2.         Mme Garand a-t-elle harcelé Mme Renaud en ne respectant pas les conditions de l’entente verbale entre elle et M. Kinley dans le cadre de son programme CMA/MBA?

3.         Mme Garand a-t-elle harcelé Mme Renaud en ne respectant pas ses absences et demandes de congés dans le cadre de son programme CMA/MBA?

4.         Mme Garand a-t-elle harcelé Mme Renaud en l’intimidant et en ne respectant pas, par gestes répétés, l’entente de formation?

 

[46]           Les questions en litige relatives à la plainte contre M. Pulcine sont formulées comme suit :

1.         M. Pulcine a-t-il harcelé Mme Renaud en la convoquant à une réunion ne tenant pas compte de ses heures de travail et d’un rendez-vous qu’elle avait et en lui disant qu’il déciderait du sort de sa plainte et qu’elle ne gagnerait pas?

2.         M. Pulcine a-t-il harcelé Mme Renaud en tardant à la soustraire de la supervision de Mme Garand?

3.         M. Pulcine a-t-il harcelé Mme Renaud en changeant ses fonctions et autres actes découlant de ce changement tels, restrictions quant aux heures supplémentaires, rappel à la confidentialité, défense de communiquer avec le personnel des finances pour conseils?

4.         M. Pulcine a-t-il harcelé Mme Renaud en lui refusant un remboursement de frais de stationnement et un congé pour se préparer à un examen?

 

 

[47]           Par lettre jointe aux rapports préliminaires, Mme Munhall a invité les parties ainsi que leurs témoins à présenter leurs commentaires écrits sur le contenu des rapports directement à Mme Paradis.

 

[48]           Les deux rapports ne contiennent aucune conclusion ni commentaire de l’enquêteuse. Ils ne font que résumer la preuve testimoniale et certains extraits pertinents de la preuve documentaire présentés par la plaignante, les mis en cause et les témoins.

 

[49]           En date du 14 juin 2010, la demanderesse a remis à l’enquêteuse ses commentaires sur les rapports préliminaires, lesquels sont contenus dans un document de 38 pages pour le rapport préliminaire sur la plainte contre Mme Garand et dans un document de 50 pages pour le rapport préliminaire sur la plainte contre M Pulcine. Elle y soulève le fait que l’enquêteuse n’aurait pas été impartiale, qu’une partie de son témoignage aurait été omis, que la preuve soumise par l’employeur serait constituée de ouï-dire et ne serait pas appuyée par une preuve documentaire, que l’enquêteuse aurait donné trop d’importance aux témoignages de deux consultants externes qui ne seraient pas personnellement témoins des évènements et dont le témoignage porte davantage sur ses compétences que sur les faits entourant ses plaintes de harcèlement.

 

[50]           Par la même occasion, la demanderesse demande qu’une copie signée des déclarations de quatre témoins appelés par elle, soit Mesdames Lise Fecteau et Marielaine Hang (collègues de travail), Johanne Séguin (Agente de soutien, Gestion de technologie) et Julie Latour (Agente de Santé et sécurité au travail) lui soient transmises. Selon elle, leur version des faits, telle que reprise dans les rapports préliminaires, n’était pas fidèle aux témoignages rendus. La demanderesse a réitéré sa demande par écrit le 3 octobre, puis le 10 octobre 2010, pour finalement se faire dire qu’elle ne pourrait avoir accès aux déclarations écrites des témoins avant la fin de l’enquête, au motif que le dossier d’enquête appartient à l’employeur.

 

[51]           Au cours des mois de juin à décembre 2010, la demanderesse n’a pas réussi à obtenir copie des déclarations de ses témoins malgré ses efforts et demandes répétées auprès de l’enquêteuse et de l’employeur. C’est finalement en réponse à une demande formelle d’accès à l’information que la demanderesse a été informée que ses témoins n’avaient pas signé leur déclaration et que Mesdames Fecteau et Hang avaient plutôt demandé par courriel que des corrections y soient apportées, après avoir pris connaissance des rapports préliminaires.  

 

iii.       Le rejet des griefs portant sur les rapports préliminaires

[52]           Les 14 et 20 juin 2010, la demanderesse a déposé deux griefs contre Mme Paradis portant respectivement sur les rapports préliminaires d’enquête. Les deux griefs ont été rejetés aux premier et second paliers par Mme Munhall au motif que le processus d’enquête n’était pas encore terminé et qu’aucune décision n’avait encore été prise. Mme Munhall ajoute que l’envoi des rapports en question avait simplement pour but de permettre aux parties d’émettre des commentaires au sujet de la preuve présentée par elles.

 

[53]           La demanderesse n’a pas attendu l’issue de la procédure d’enquête. Par une demande de contrôle judiciaire, présentée le 13 juillet 2010, elle a sollicité l’intervention de cette Cour à l’égard des décisions de Mme Munhall de refuser de recevoir ses griefs (dossier T-1111-10).

 

[54]           Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse invoque les mêmes motifs que ceux rejetés par Mme Munhall. Elle a confirmé lors de l’audience que cette demande était toujours d’actualité puisque ni les rapports finaux ni la décision rendue au troisième palier n’ont corrigé les problèmes soulevés au sujet des rapports préliminaires.

 

iv.       Les rapports finaux d’enquête et le rejet des griefs

[55]           Les rapports finaux d’enquête ont été complétés le 30 septembre 2010. Par lettre du 19 octobre 2010, la Commissaire Stoddart a informé la demanderesse que ses plaintes étaient rejetées sur la base des conclusions des rapports finaux de Quintet.

 

[56]           Aux termes de ces rapports, Quintet conclut que les allégations principales de la demanderesse contre Mme Garand et M. Pulcine étaient non fondées, soit que la preuve n’établissaient pas la probabilité de l’existence du comportement allégué ou que le comportement allégué n’était pas constitutif de « harcèlement » au sens de la Politique. L’enquêteuse précise à ce sujet que seules les observations factuelles faites par les parties et témoins, et non leurs analyses hypothétiques ou conclusions recherchées, ont été prises en considération dans les rapports finaux.

 

v.         La décision de la Commissaire Stoddart rendue au troisième palier

[57]           Le 22 novembre 2010, la demanderesse a déposé un autre grief individuel en vertu du sous-alinéa 208(1)a)(i) de la LRTFP à l’encontre de la décision de la Commissaire Stoddart de rejeter ses plaintes de harcèlement, se fondant sur les rapports finaux. Elle s’estime lésée par une mauvaise application de la Politique à son égard. Elle soumet notamment que l’enquêteuse n’a pas été impartiale et équitable, qu’elle n’a pas respecté les principes d’équité procédurale, qu’elle est biaisée et qu’elle n’a pas veillé à ce que chaque personne soit entendue et ait une juste possibilité de présenter sa position conformément à la Politique. Elle ajoute que l’enquêteuse ne satisfait pas aux critères énoncés dans le Profil des compétences pour enquêteurs internes et externes en matière de harcèlement, auquel la Politique fait référence.

 

[58]           La demanderesse plaide que sa plainte a été rejetée sur la foi de témoignages erronés, l’enquêteuse ayant refusé de corriger les déclarations de Mesdames Fecteau, Hang et Latour qu’elle a consignées. Au soutien de cette prétention, la demanderesse produit des affidavits de Mesdames Fecteau, Hang et Latour, assermentés en décembre 2010, et dont copie aurait été remise en main propre à la Commissaire Stoddart dans le cadre de l’audition du grief.

 

[59]           Les témoignages de Mesdames Fecteau, Hang et Latour concernent essentiellement la réunion tenue le 30 octobre 2008, au cours de laquelle Mme Garand aurait dit que si les employés n’étaient pas contents de leurs nouvelles tâches, ils pouvaient lui soumettre leur curriculum vitae pour qu’elle les aide à se trouver un autre emploi dans la fonction publique. La demanderesse alléguait dans sa plainte de harcèlement contre Mme Garand que cette remarque la visait personnellement.

 

[60]           Selon les rapports préliminaire et final portant sur la plainte contre Mme Garand, aucun des témoins ne se souvenait précisément des propos de Mme Garand. Or, Mesdames Fecteau, Hang et Latour affirment plutôt dans leurs affidavits qu’elles se souviennent parfaitement de la réunion en question et des propos de Mme Garand et que suite à la réception du rapport préliminaire, elles ont transmis leurs commentaires à l’enquêteuse lui demandant de modifier leur version sur ce point. Le rapport final ne reflète pas les modifications demandées.

 

[61]           La demanderesse ajoute que l’enquêteuse a censuré et falsifié le témoignage de Mme Latour, et qu’elle a omis de tenir compte du témoignage de Mme Séguin, favorable à la demanderesse. Nous reviendrons plus loin sur le contenu et la pertinence de ces témoignages.

 

[62]           L’audience du grief au dernier palier a eu lieu le 8 février 2011 devant la Commissaire Stoddart. Aux termes de son grief au dernier palier, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse contestait les conclusions des deux rapports finaux d’enquête, sur la foi desquels la Commissaire a rejeté ses plaintes de harcèlement le 19 octobre 2010. La demanderesse alléguait essentiellement que l’enquêteuse n’a pas fait preuve d’impartialité et d’équité à son égard et qu’elle a contrevenu aux principes d’équité procédurale.

 

[63]           Le grief a été rejeté dans sa totalité par lettre datée du 18 mars 2011. Cette décision est très peu motivée, mais la Commissaire Stoddart mentionne qu’elle a examiné tous les documents soumis par la demanderesse et que les représentants de Quintet ont été consultés pour fournir un complément d’information sur les questions soulevées par le grief. En ce qui concerne la nouvelle version des témoignages de Mesdames Fecteau, Hang et Latour, les représentants de Quintet affirment qu’elle n’a pas d’impact sur les conclusions de l’enquête. La Commissaire Stoddart ajoute qu’après avoir examiné les documents soumis, elle est convaincue que l’enquête s’est déroulée conformément à la Politique et que l’enquêteuse n’a pas violé les principes d’équité procédurale. Elle maintient donc sa décision du 19 octobre 2010.  

 

 

[64]           Le 18 avril 2011, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commissaire de rejeter son grief au dernier palier (dossier T-669-11). Le 16 mai 2011, Madame la protonotaire Tabib a ordonné que les deux demandes de contrôle judiciaire (dossiers T-1111-10 et T-669-11) soient entendues conjointement. Les présents motifs contiennent les faits pertinents, l’analyse et la décision de la Cour sur les deux demandes de contrôle judiciaire formulées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

 

V.          Questions en litige

[65]           Bien qu’elles soient formulées différemment par les parties, les questions soulevées par le présent litige peuvent se résumer comme suit:

1.                   Sur quelle(s) décision(s) doit porter le présent contrôle judiciaire?

2.                   Quelle est la norme de contrôle applicable?

3.                  Le processus d’enquête était-il conforme aux exigences contenues dans la Politique en matière de harcèlement?

4.                  La Commissaire a-t-elle contrevenu aux principes d’équité procédurale en rejetant le grief de la demanderesse au troisième palier?

5.                  Question préliminaire: sur quelle(s) décision(s) doit porter le présent contrôle judiciaire ?

 

 

 

 

 

[66]           La demanderesse se représente seule. Convaincue du bien fondé de ses plaintes de harcèlement, elle demande à la Cour de nommer un nouvel enquêteur qui fera une nouvelle enquête en respectant les principes d’équité procédurale de façon impartiale, équitable et compétente. Elle demande aussi que son dossier soit remis à un gestionnaire délégué nommé par la Commission des relations de travail. Elle demande enfin une indemnité en argent pour les manquements allégués de l’enquêteuse de respecter les principes d’équité procédurale, en plus de son salaire et avantages sociaux s’y rattachant pour la période où elle a été sans revenu.

 

[67]           La cause d’action de la demanderesse se limite à des manquements à l’équité procédurale. Elle reproche à la Commissaire d’avoir fait défaut d’observer les exigences de la Politique et de ne pas avoir tenté de corriger les vices procéduraux survenus aux différentes étapes de l’enquête, mais elle conteste plus généralement les conclusions des rapports finaux d’enquête ainsi que le récit des témoignages et la formulation des questions en litige. La demanderesse prétend que dès le début de la procédure d’enquête M. Morissette a refusé d’entendre tous les évènements chronologiques de la plainte dans le but, selon elle, de protéger les mis en cause.  Par ailleurs, elle prétend que Mme Munhall n’a pas été impartiale dans son travail de gestionnaire déléguée, en refusant d’entendre son grief contre les rapports préliminaires d’enquête, et maintient que Mme Paradis à manqué à plusieurs égards aux obligations d’équité procédurale qui incombent à tout enquêteur aux termes de la Politique et du Guide d’enquête.

 

 

 

[68]            Le défendeur est d’avis que les conclusions des rapports d’enquête ne devraient pas être directement attaquées par voie d’une demande de contrôle judiciaire considérant que celles-ci pouvaient être attaquées par voie d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTFP et qu’elles l’ont été.

 

[69]           L’argument du défendeur qu’en principe la Cour doit se limiter dans sa révision aux décisions rendues par le décideur administratif au dernier palier de grief est bien fondé.

 

[70]            En ce sens, les décisions de Mme Munhall selon lesquelles les griefs du 14 juin et du 21 juin 2010 de la demanderesse, à l’égard des rapports préliminaires, étaient irrecevables tant qu’une décision finale n’avait pas été rendue, ne sont pas directement sujettes au contrôle judiciaire. À cette étape du processus, la demande de contrôle judiciaire était clairement prématurée.

 

[71]            C’est donc la décision de la Commissaire Stoddart rejetant le grief de la demanderesse au dernier palier qui doit être examinée. Toutefois, puisque la Commissaire et la gestionnaire déléguée semblent s’en remettre essentiellement à la procédure et aux conclusions des rapports d’enquêtes dans leur prise de décision, et compte tenu de la brièveté des motifs fournis par la Commissaire, je suis d’avis qu’il revient à la Cour d’examiner plus soigneusement la procédure suivie, y compris la conduite de l’enquête ayant mené au rejet des plaintes de harcèlement de la demanderesse.

 

[72]           L’objet du grief individuel présenté devant la Commissaire visait l’application à son égard  de la Politique et du Guide d’enquête et c’est ce qui doit faire l’objet de révision par la Cour. Il serait impossible pour la Cour de réviser la décision finale de la Commissaire indépendamment du processus d’enquête et de ses conclusions, alors que la décision n’est pas motivée et que la Commissaire souscrit pour l’essentiel aux conclusions de Quintet.

 

VI.         Norme de contrôle applicable

[73]           La question à savoir quelle norme de contrôle devrait s’appliquer aux conclusions de fond de la décision contestée ne se pose pas en l’espèce puisque, tel que mentionné précédemment, les arguments de la demanderesse se limitent à des manquements à l’équité procédurale.

 

[74]           Les parties conviennent que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c Canada, 2005 CAF 404 aux para 46 et 111; Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au para 28 [Hagel]). Elles n’ont toutefois pas abordé la question de la nature et de l’étendue de l’obligation d’équité qui s’applique dans le contexte d’un grief de harcèlement en milieu de travail.

 

[75]           Il est bien établi depuis Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] que l’obligation d’équité procédurale est souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation des circonstances spécifiques à chaque cas. La Cour suprême du Canada énonce les facteurs suivants, lesquels ne sont pas exhaustifs: (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

 

[76]           En soupesant les facteurs les plus pertinents au présent cas, je suis d’avis que la teneur de l’obligation d’équité procédurale exigée d’un décideur dans le contexte d’un grief qui comporte des allégations de harcèlement est de haut niveau. Premièrement, il ne fait aucun doute qu’une décision prise en réponse à une plainte de harcèlement en milieu de travail est susceptible d’entraîner des conséquences sérieuses pour toutes les personnes concernées (non seulement la prétendue victime mais également les mis en cause) et de compromettre leurs intérêts respectifs tant sur le plan professionnel que personnel. Sur ce point, je fais miennes les remarques suivantes du juge Gibson dans Puccini v Canada (Director General, Corporate Administrative Services, Agriculture Canada) (TD), [1993] 3 FC 557 (disponible seulement en anglais), au para 28 :

The laying of an harassment complaint is a serious matter. It exposes the complainant to serious prejudice. The laying of the complaint will inevitably become known in the workplace. The atmosphere there will inevitably become difficult. Sides will be taken. Relationships will be strained. [...] In each case of abuse of authority there is by definition a power imbalance. The complainant risks further abuse, however subtle, of that imbalance. On the other side, the alleged harasser will also suffer in terms of prestige, reputation, possible loss of authority and respect. It is therefore important that steps be taken to mitigate the negative effects and to deal with the complaint quickly. But it is at least equally important that the complaint be dealt with fairly, both in terms of the complainant and the alleged harasser.

 

 

[77]           Plusieurs caractéristiques du régime législatif régissant les griefs individuels non référables à l’arbitrage, tels le caractère peu élaboré des garanties procédurales conférées par la LRTFP dans ce type de grief, l’absence de décideur indépendant et le caractère « définitif et obligatoire » de la décision, sous réserve d’une possibilité de contrôle judiciaire, militent également dans le même sens (voir Hagel, précitée, au para 34).

 

[78]           Bien que le processus prévu par la Politique soit un processus administratif informel, il n’est pas concevable que l’obligation d’équité soit de la même intensité qu’il s’agisse d’un grief de classification ou d’un grief de harcèlement en milieu de travail (voir Hagel, précitée, au para 35). La Politique décrit en détail les diverses étapes et les règles applicables lors de la présentation d’une plainte de harcèlement alors qu’un gestionnaire délégué de l’employeur gère la plainte et le suivi de l’enquête selon le mécanisme de règlement des griefs de l’article 208 de la LRTFP. Tout cela crée, à mon sens, une attente légitime (en termes d’équité et de transparence du processus décisionnel) chez le plaignant, qui est en droit de s’attendre à ce que la procédure mise en place par l’employeur soit respectée en tous points.

 

[79]           Je passe maintenant aux arguments de la demanderesse qui concernent, directement ou indirectement, la décision de la Commissaire de rejeter les griefs sous étude.

 

VII.       Le processus d’enquête était-il conforme aux exigences contenues dans la Politique en matière de harcèlement ?

 

[80]           La demanderesse conteste à plusieurs égards la procédure suivie dans le traitement de ses plaintes de harcèlement. Ayant entendu les représentations orales de la demanderesse, je suis d’avis que dans l’ensemble, l’enquête a été menée de façon impartiale et équitable mais que la procédure suivie revêt un certain nombre de lacunes au niveau des exigences précises de la Politique et que l’enquêteuse et l’employeur ont fait preuve d’un certain manque de transparence.

 

[81]           Pour suivre la chronologie des évènements, les arguments de la demanderesse sont les suivants.

 

L’enquête et les rapports d’enquête

[82]           La demanderesse soumet que dès la première étape de l’enquête, la firme Quintet a refusé d’enquêter sur les quinze allégations qu’elle a formulées avec l’aide de son représentant syndical. Elle mentionne aussi que Mme Munhall et la Commissaire Stoddart ont toutes deux refusé de l’entendre lorsqu’elle leur a écrit à ce sujet. Même si ces décisions ne font pas l’objet de la présente révision judiciaire, je suis d’opinion qu’il n’y a pas eu manquement au niveau de l’évaluation préliminaire des allégations. Le fait que les nombreuses allégations de la demanderesse aient été réduites à quatre allégations principales contre chacun des mis en cause ne signifie pas que la demanderesse n’a pas eu l’occasion de se faire entendre. Le but de sa rencontre avec M. Morissette était de vérifier toutes les allégations et de déterminer leur concordance avec la définition de harcèlement contenue dans la Politique. Tout ceci est parfaitement conforme à la procédure instaurée par la Politique et le Guide d’enquête. À la lecture des décisions du 22 octobre 2009 de Mme Munhall, il me semble que de nombreux faits allégués aient été regroupés sous d’autres allégations plutôt qu’ignorés comme le prétend la demanderesse. De plus, ces conclusions sont claires et exhaustives sur le manque d’éléments factuels et l’absence d’une preuve prima facie donnant matière à enquête. Cet argument est à mon sens non fondé.

 

[83]           La demanderesse soumet que l’enquêteuse ne rencontrait pas les critères énoncés dans le Profil des compétences pour enquêteurs internes et externes en matière de harcèlement, sans préciser quels critères auraient fait défaut à Mme Paradis, ni présenter de preuve pour soutenir cette allégation. Cet argument est également non fondé.

 

[84]           La demanderesse a soulevé plusieurs questionnements au sujet des témoignages de Mesdames Fecteau, Hang et Latour, tels que repris dans le rapport d’enquête concernant la plainte contre Mme Garand et le fait pour l’enquêteuse de ne pas avoir tenu compte du témoignage de Mme Séguin. Pour résumer, la demanderesse reproche à l’enquêteuse:

 

1.                  De ne pas s’être assurée que ses témoins aient accès à un compte rendu de leur témoignage pour en certifier l’exactitude en signant et datant une copie écrite des déclarations prises (voir section II, étape 2 du Guide d’enquête). L’enquêteuse a obtenu la signature des témoins des mis en cause, elle aurait dû faire de même pour les témoins de la demanderesse;

2.                  De ne pas avoir incorporé les modifications demandées par Mesdames Fecteau, Hang et Latour dans le rapport d’enquête final;

3.                  D’avoir omis d’incorporer une partie du témoignage de Mme Latour dans le rapport d’enquête, alors que ce témoignage était pertinent et favorable à la demanderesse;

4.                  D’avoir omis de faire état du témoignage de Mme Séguin dans le rapport d’enquête final, alors que ce témoignage était pertinent et favorable à la demanderesse;

5.                  D’avoir omis de communiquer à la demanderesse les renseignements pertinents qu’elle lui a demandés;

6.                  De ne pas s’être assurée que M. McKinley témoigne dans le cadre de l’enquête, comme le demandait la demanderesse.

 

 

[85]           La demanderesse soumet qu’un certain nombre des commentaires qu’elle avait formulés à l’enquêteuse après avoir pris connaissance des rapports préliminaires n’auraient pas été intégrés dans les rapports finaux. Tel que mentionné plus haut, la demanderesse a soumis deux documents totalisant 88 pages de commentaires. À la lecture de ces documents, il est évident que les commentaires de la demanderesse ne sont pas restreints à la version des faits qu’elle a fournie mais qu’elle y commente la version des faits des mis-en-cause et des autres témoins. Il est également évident que ces documents contiennent davantage d’arguments que d’éléments factuels pertinents. La demanderesse semble vouloir contrôler la preuve administrée par l’enquêteuse, ce qu’elle ne pouvait évidemment faire.

 

[86]           En ce qui concerne le témoignage de Mme Séguin, l’enquêteuse explique qu’elle n’y fait pas référence puisqu’il n’avait aucun rapport avec les allégations de la demanderesse. Cette explication me semble raisonnable compte tenu que ce témoignage était en lien avec une allégation jugée non recevable.

 

[87]           En ce qui concerne le fait que M. McKinley n’ait pas témoigné dans le cadre de l’enquête, la demanderesse allègue qu’après avoir appris qu’il n’avait pas répondu aux appels téléphoniques de l’enquêteuse, elle a insisté pour que l’enquêteuse persiste dans ses démarches puisque son témoignage était clé pour établir le bien fondé d’un certain nombre d’allégations concernant l’entente verbale de remboursement de ses droits de scolarité.

 

 

 

 

[88]           L’enquêteuse avait l’obligation d’interroger tous les témoins concernés (voir Guide d’enquête, étape 4), de faire une enquête exhaustive et de vérifier les lacunes ou inexactitudes auprès des témoins (voir annexe 7 du Guide d’enquête). Toutefois, le témoignage de M. McKinley n’aurait servi qu’à confirmer une entente verbale entre lui et la demanderesse concernant le remboursement des droits, les congés d’études, etc. Puisque je suis d’avis que l’existence ou non d’une telle entente verbale n’est pas déterminante dans les circonstances, je ne peux conclure que l’enquêteuse a manqué à son obligation de mener une enquête exhaustive, même s’il est évident qu’aucun autre témoin ne pouvait corroborer le témoignage de la demanderesse à ce sujet. En d’autres termes, la demanderesse aurait pu avoir fait l’objet de harcèlement même en l’absence d’une telle entente verbale, mais ce n’est pas parce qu’une telle entente aurait existé que le fait de la répudier parce que non conforme à la politique de l’employeur, doive nécessairement être considéré comme du harcèlement en milieu de travail. C’est davantage l’ensemble des circonstances qui doit être considéré.

 

[89]           La demanderesse soumet que l’enquêteuse n’a pas respecté le Guide d’enquête en interrogeant Mesdames Simoneau et Grochot, deux consultantes externes qui n’ont pas été témoins des faits allégués par la demanderesse. La demanderesse prétend que leurs témoignages contiennent des faussetés et des commentaires dénigrants sur ses compétences et qu’ils n’auraient pas dû être retenus par l’enquêteuse.

 

 

 

[90]           Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse que l’enquêteuse a manqué à son devoir de distinguer entre les faits et les opinions et de mettre l’accent sur la preuve directe des faits pertinents  et non sur du ouï-dire (voir annexes 6-7 du Guide d’enquête). Je ne suis pas d’accord non plus que les témoignages des consultantes devaient être retirés du rapport pour absence de lien direct avec les allégations de la demanderesse (voir section II, étape 2 du Guide d’enquête). À la lecture de la partie « analyse » du rapport final, rien n’indique que l’enquêteuse a basé sa conclusion sur la première question sur le témoignage des consultants. Ces témoignages ont plutôt servi à situer l’analyse dans le contexte des évènements d’octobre 2008, notamment le changement des tâches attribuées à la demanderesse, dont les consultantes avaient une connaissance personnelle et directe. Les compétences de la demanderesse, de même que le degré de satisfaction de l’employeur à l’égard de son rendement, sont certainement des faits pertinents qui peuvent justifier certaines mesures administratives de la part de l’employeur. Ces éléments étaient d’autant plus pertinents dans le contexte du mandat confié à Mme Garand de restructurer le service et de le rendre plus harmonieux et efficace.

 

[91]           Compte tenu des affidavits assermentés qui ont été déposés au dossier de la Cour (et devant la Commissaire Stoddart), il semble évident que le rapport final concernant la plainte contre Mme Garand ne reprend pas fidèlement les versions de Mesdames Fecteau, Hang et Latour, et que l’enquêteuse a manqué à son obligation de valider les faits en faisant signer une copie écrite de leur déclaration par tous les témoins. L’enquêteuse a refusé d’apporter les modifications requises par les témoins concernés au motif qu’elle doutait de leur crédibilité. Elle a pris des notes lors des entrevues avec les témoins et a préféré s’en remettre à celles-ci plutôt qu’à une version approuvée par les témoins. Or, le Guide d’enquête est clair. Il s’agit d’une enquête informelle, les témoins ne prêtent pas serment et leurs dépositions ne sont ni enregistrées ni prises par un sténographe officiel. L’enquêteuse avait le choix entre faire approuver et signer ses notes d’entrevue ou transmettre une déclaration pour approbation et signature. Elle ne pouvait substituer sa propre appréciation de la version des faits des témoins à une version approuvée.

 

[92]           Toutefois, les corrections dont l’enquêteuse n’aurait pas tenu compte concernaient essentiellement les propos tenus par Mme Garand lors de la réunion du 30 octobre 2008. Or, Mme Garand a elle-même confirmé avoir mentionné, suite aux commentaires négatifs de certains employés, que « s’ils n’étaient pas heureux qu’ils pouvaient lui donner leur CV et qu’elle s’occuperait de le faire circuler parmi ses confrères et consœurs dans le milieu financier au gouvernement fédéral. » (rapport final sur la plainte de harcèlement contre Mme Garand, à la p 11 de 37). Puisque Mme Garand a admis avoir tenu les propos en question, le fait que la version des autres témoins à ce sujet ait été corrigée ou non n’a que peu d’impact.

 

[93]           On peut toutefois s’interroger sur la raison pour laquelle la demanderesse a eu tant de difficulté à obtenir de l’enquêteuse et de l’employeur les commentaires formulés par ses témoins à l’égard du rapport préliminaire sur la plainte contre Mme Garand et à être informée qu’ils n’avaient pas approuvé et signé leur déclaration comme le veut le Guide d’enquête. Sur une période de plusieurs mois, la demanderesse a tenté d’obtenir un éclairage à ce sujet, sans succès. Il lui a fallu formuler une demande d’accès à l’information et un commissaire « ad hoc » a dû être nommé pour qu’elle ait finalement accès à une information à laquelle elle avait droit.

 

[94]           Ce manque de transparence, bien que n’ayant pas d’impact sur l’issue de la présente cause, a certainement contribué à convaincre la demanderesse que l’enquêteuse et la gestionnaire déléguée pouvaient manquer d’impartialité.

 

La gestionnaire déléguée

[95]           La demanderesse soumet que Mme Munhall était en situation de conflit d’intérêts lorsqu’elle a accepté de témoigner pour les fins de l’enquête alors même qu’elle était la gestionnaire déléguée. Elle ajoute qu’en tant que directrice des ressources humaines, la gestionnaire déléguée avait une relation hiérarchique avec les mis-en-cause et n’était pas impartiale. Elle soumet enfin que Mme Munhall ne s’est pas assurée de l’impartialité dans l’enquête lorsqu’elle a refusé de recevoir les plaintes de la demanderesse sans faire les vérifications qui s’imposaient suite à la réception des rapports préliminaires.

 

[96]           Pour les motifs exposés ci-après, je trouve qu’aucune de ces prétentions n’est fondée en l’espèce.

 

[97]           Premièrement, Mme Munhall n’avait pas d’intérêt personnel dans les plaintes de la demanderesse. Ce serait le cas, par exemple, si la gestionnaire déléguée avait été personnellement impliquée, directement ou indirectement, dans l’un des évènements qui sont à l’origine des allégations de la demanderesse. Il n’y a pas non plus de motif permettant de soupçonner qu’elle avait un intérêt institutionnel dans le fait que les plaintes de la demanderesse soient rejetées. Par ailleurs, la gestionnaire déléguée ne prend pas de décision sur le fond des plaintes dont elle est responsable. Son rôle se limite à la gestion de la plainte (voir le Règlement des plaintes de harcèlement du Conseil du Trésor, Rôle des gestionnaires délégués et attentes à leur égard), ce qui réduit davantage la possibilité d’un quelconque conflit d’intérêts dans les circonstances.

 

[98]           La demanderesse met en doute l’impartialité de la gestionnaire déléguée étant donné la relation étroite qui existe entre la direction de la gestion des ressources humaines et M. Pulcine. Toutefois, il n’y a tout simplement pas de preuve devant la Cour, autre que les reproches généraux de la demanderesse, pour soutenir une impartialité institutionnelle ou un quelconque manque d’indépendance.

 

[99]           Ceci est par ailleurs reflété dans le témoignage de Mme Munhall tel qu’il apparaît dans les rapports d’enquête. Mme Munhall s’est exprimée sur les faits dont elle, et elle seule, avait connaissance. En ce qui concerne la plainte contre Mme Garand, elle a témoigné qu’elle a contacté M. McKinley en février 2009 pour lui demander des précisions au sujet de l’entente de formation de la demanderesse, et que ce dernier a confirmé avoir accepté de prolonger une entente existante que la demanderesse avait avec son ancien employeur. Ce témoignage confirmait la position de la demanderesse.

 

[100]       En ce qui concerne la plainte contre M. Pulcine, Mme Munhall a témoigné qu’elle n’avait reçu qu’une seule demande de remboursement de frais de stationnement de la part de la demanderesse, soit celle du 24 avril 2009. Alors que la demanderesse reprochait à M. Pulcine de l’avoir harcelée en lui refusant le remboursement de ses frais de stationnement, M. Pulcine prétendaient plutôt ne pas avoir été impliqué puisque le remboursement des frais de stationnement de la demanderesse avaient été préalablement autorisé par Mme Munhall. Il me semble donc que le témoignage de Mme Munhall à ce sujet favorise plutôt la demanderesse.

 

[101]       Dans l’ensemble, la demanderesse n’a pas démontré en quoi le témoignage de Mme Munhall aurait été plus favorable à la position des mis en cause. Au regard des obligations qui incombent aux gestionnaires délégués, j’estime que le devoir d’impartialité n’est pas incompatible avec le fait de rendre un témoignage sur les faits dont un gestionnaire délégué a une connaissance personnelle, sauf évidemment s’il démontre un parti pris en faveur de l’une ou l’autre des parties. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

V11I.     La Commissaire a-t-elle contrevenu aux principes d’équité procédurale en rejetant le grief de la demanderesse au troisième palier?

 

[102]       Malgré l’existence d’une procédure de grief à plusieurs paliers, il a été décidé que le grief de la demanderesse, suite au rejet de ses plaintes, soit référé directement au dernier palier. Aucune explication n’a été fournie à la Cour par le décideur ou le défendeur pour justifier ce choix.

 

[103]       Il est important de noter que la demanderesse ne reproche pas à la Commissaire Stoddart de ne pas avoir respecté les principes d’équité procédurale dans le traitement de son grief au troisième palier. Elle lui reproche essentiellement de ne pas avoir remédié aux irrégularités de l’enquête et aux manquements aux obligations de l’enquêteuse dans le cadre de la conduite de l’enquête. Plus spécifiquement, elle prétend que la Commissaire aurait dû faire les vérifications nécessaires auprès des employées concernées (soit les témoins de la demanderesse) pour s’assurer que leurs témoignages soient fidèlement repris dans les rapports finaux plutôt que de mettre en doute leur crédibilité.

 

[104]       Pour ces motifs, je suis d’avis qu’il n’y a rien dans la preuve qui établit que les irrégularités procédurales auraient pu avoir une incidence quelconque sur l’issue des plaintes de la demanderesse sur le fond. Par conséquent, même si la Commissaire avait pris les mesures nécessaires pour remédier aux lacunes de l’enquête, sa décision rendue au troisième palier à l’égard des griefs de la demanderesse demeurerait bien fondée. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sera donc rejetée.

 

IX.       Dépens

[105]       Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et particulièrement du manque de transparence de l’enquêteuse et de l’employeur, aucun frais ne sera accordé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que:

1.        Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-1111-10 et T-669-11 sont rejetées.

2.        Le tout sans frais.

 

"Jocelyne Gagné"

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                         T-1111-10 et T-669-11

 

INTITULÉ:                                       Chantal Renaud c Procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE:               Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE:              Le 6 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT &

JUGEMENT :                                   L’HONORABLE JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Madame Chantal Renaud

 

Se représentant elle-même

Me Martin Desmeules

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Madame Chantal Renaud

 

Se représentant elle-même

Justice Canada

Me Martin Desmeules

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

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