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Date : 20130206

Dossier : T-1423-11

Référence : 2013 CF 127

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

 

ENTRE :

 

THE THYMES, LLC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

REITMANS (CANADA) LIMITÉE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

[1]               Le 30 mars 2005, la demanderesse (ou la requérante), The Thymes, LLC, a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce THYMES (la demande de Thymes) pour les marchandises suivantes :

Savon de toilette; shampoing pour les cheveux et le corps; produits de bain non médicamenteux, nommément du savon liquide, revitalisant pour le bain, gels, sels et désincrustants pour le corps; crème pour le corps; poudre pour le corps; huile pour le corps; lotion pour le corps; sachets; parfums; eau de toilette; parfums d’ambiance en aérosol et chandelles.

 

[2]               La demande de Thymes était fondée sur : a) l’emploi projeté de la marque et b) l’enregistrement de la marque aux États-Unis d’Amérique, sous le n° 3,308,432, et son emploi comme marque de commerce aux États-Unis d’Amérique. La date de priorité de la demande déposée par Thymes était le 7 mars 2005.

 

[3]               Le 23 juin 2008, la défenderesse (ou l’opposante), Reitmans (Canada) Limitée, a produit une déclaration d’opposition (l’opposition) à l’encontre de la demande de Thymes.

 

[4]               Le 28 août 2008, la requérante a produit une contre-déclaration niant l’opposition. Le 22 décembre 2008, l’opposante a produit sa preuve. La requérante a produit sa preuve le 22 avril 2009. J’examinerai la preuve de chacune ci-après. Les deux parties ont produit des observations écrites et ont comparu à l’audience.

 

[5]               La décision par laquelle le registraire des marques de commerce (le registraire) a rejeté la demande de Thymes a été communiquée par le Bureau des marques de commerce le 5 juillet 2011. Il est ici interjeté appel de cette décision. Conformément aux Règles des Cours fédérales, (DORS/98-106), l’appel est considéré comme une demande.

 

[6]               Selon l’avis de demande signifié dans la présente affaire, le registraire a commis une erreur en concluant que :

A.                l’emploi de la marque THYMES de la demanderesse aux États-Unis était requis à la date de production de la demande au Canada pour que la demande d’enregistrement soit valide aux termes du paragraphe 16(2) de la Loi sur les marques de commerce, (LRC 1985, c T-13) (la Loi);

B.                 il était probable que la marque THYME MATERNITÉ de la défenderesse (LMC611,775) (la marque de la défenderesse), enregistrée pour être employée en liaison, notamment, avec des lotions et crèmes pour le corps (les marchandises de la défenderesse), soit confondue avec la marque THYMES de la demanderesse.

 

[7]               Au soutien de son avis de demande, la demanderesse a produit une preuve additionnelle, à savoir un affidavit de Jill Gerard, daté du 7 novembre 2011 (l’affidavit de Mme Gerard). Mme Gerard a été contre-interrogée sur son affidavit le 14 février 2012 (le contre-interrogatoire de Mme Gerard).

 

[8]               En réponse, la défenderesse a produit un avis de comparution ainsi qu’un affidavit de Jonathan A. Plens, daté du 20 décembre 2011 (l’affidavit de M. Plens). M. Plens a été contre‑interrogé le 9 février 2012 (le contre-interrogatoire de M. Plens).

 

II.        Les points litigieux

[9]               En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

A.                Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant que l’emploi d’une marque de commerce enregistrée à l’étranger, ou faisant l’objet d’une demande d’enregistrement à l’étranger, était requis à l’étranger à la date de production de la demande au Canada pour que la demande d’enregistrement soit valide aux termes du paragraphe 16(2) de la Loi?

B.                 Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant qu’il existe une probabilité de confusion de la marque figurative THYMES and T de la demanderesse avec les marques de commerce et les noms commerciaux de la défenderesse?

 

III.       La norme de contrôle

[10]           Puisque l’opposante dans la présente affaire a produit de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été soumis à la Commission des oppositions, la Cour a toute latitude d’examiner l’affaire et d’arriver à sa propre conclusion sur la justesse de la décision de la Commission, si les nouveaux éléments de preuve sont substantiels et qu’ils sont susceptibles de modifier sensiblement la décision initiale (Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657 (la décision Bojangles), arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, aux paragraphes 35, 37 (l’arrêt Mattel)).

 

[11]           Cependant, lorsqu’aucun nouvel élément de preuve substantiel n’est produit en appel, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] ACF n° 159, [2000] 3 CF 145; arrêt Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, 2001 CAF 296).

 

[12]           Ainsi, la véritable question que la Cour doit trancher concerne la nature et la qualité des nouveaux éléments de preuve, et il faut se demander s’ils sont susceptibles de modifier sensiblement la décision de la Commission, de sorte que la Cour doive réexaminer la preuve pour trancher les points litigieux. En revanche, si les nouveaux éléments de preuve ne sont pas substantiels et ne sont pas susceptibles de modifier sensiblement la décision de la Commission, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et une déférence considérable doit être accordée à la décision de la Commission (décision Telus Corp c Orange Personal Communications Services Ltd, 2005 CF 590, aux paragraphes 23 et 24; confirmée par 2006 CAF 6).

 

[13]           Quoi qu’il en soit, mon examen des nouveaux éléments de preuve ne saurait écarter l’expertise de la Commission, ni même la décision de l’examinateur, comme facteurs pertinents (arrêt Mattel, précité, aux paragraphes 35 et 37) :

[35]  La Loi prévoit un droit absolu d’interjeter appel devant un juge de la Cour fédérale, qui est autorisé à admettre et à examiner de nouveaux éléments de preuve (par. 56(1) et (5)). Elle ne comporte aucune clause privative. Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. Voir en général Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), par. 46‑51; Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., [2000] A.C.F. no 1864 (QL) (C.A.F.), par. 4, et Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. no 1763 (QL) (1re inst.).

 

[…]

 

[37]  Cela signifie en pratique que la décision du registraire ou de la Commission [traduction] « ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles » : McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd., (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), p. 210, conf. par [1992] A.C.F. no 70 (QL) (C.A.). L’admission d’un nouvel élément de preuve pourrait évidemment (selon sa nature) affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission. Toutefois, le pouvoir dont dispose le juge des requêtes d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent : Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., [1977] 1 R.C.S. 517, p. 527‑528.

 

IV.       Les dates pertinentes

[14]           La date pertinente pour savoir s’il y a conformité ou non à l’article 30 de la Loi est la date de production de la demande.

 

[15]           La date pertinente pour savoir s’il y a confusion aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi est la date de la décision de la Commission des oppositions. Cependant, lorsque des éléments de preuve supplémentaires qui sont substantiels et concluants sont produits, la norme de contrôle étant alors celle qui contraint la Cour à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition, la date pertinente celle de la décision rendue en appel.

 

[16]           La date pertinente pour la question du caractère distinctif est la date de production de l’opposition.

 

V.        Le fardeau qui repose sur les parties

[17]           C’est à l’opposante qu’il appartient au départ d’établir le bien-fondé de son opposition, mais le fardeau ultime de prouver que la marque de commerce est enregistrable repose sur la requérante, selon la prépondérance de la preuve (décision John Labatt Ltée c Molson Co, [1990] ACF n° 533, 30 CPR (3d) 293, décision confirmée : [1992] ACF n° 525, 42 CPR (3d) 495 (CAF)).

 

VI.       Analyse

A.        L’emploi de la marque THYMES de la demanderesse aux États-Unis était-il requis à la date de production de la demande d’enregistrement au Canada?

[18]           J’examinerai d’abord le premier moyen d’appel avancé par la demanderesse. Il ne fait aucun doute que l’interprétation correcte du paragraphe 16(2) de la Loi requiert incontestablement que, à la date de production de la demande d’enregistrement, si le requérant invoque un enregistrement ou une demande d’enregistrement et un emploi de la marque à l’étranger conformément à cette disposition, il faut qu’il y ait eu emploi de la marque en date de la demande pour que puisse être invoquée cette disposition comme fondement valide à l’obtention d’un enregistrement au Canada.

 

[19]           Le paragraphe 16(2) de la Loi prévoit clairement que l’emploi de la marque dans le pays d’origine du requérant est une condition de l’enregistrement au Canada.

 

[20]           Par ailleurs, la dernière partie du paragraphe 16(2) de la Loi, c’est-à-dire « à moins que, à la date de la production de la demande, en conformité avec l’article 30 », confirme également que les exigences à la fois de l’article 16 et de l’article 30 doivent être observées et vérifiées à la date du dépôt de la demande.

 

[21]           Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que l’argument de la demanderesse repose sur une lecture et une interprétation erronées du paragraphe 16(2) de la Loi. Je rejette donc ce premier moyen d’appel.

 

B.        Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant qu’il existe une probabilité de confusion de la marque de commerce THYMES de la demanderesse avec la marque de commerce et les noms commerciaux de la défenderesse?

            i. La preuve soumise à la Commission des oppositions

[22]           La preuve présentée par l’opposante comprenait des copies certifiées conformes des enregistrements et demandes d’enregistrement de marques de commerce canadiennes de l’opposante, l’affidavit de Mme Kim Schumbert (l’affidavit de Mme Schumbert) et l’affidavit de Mme Angelina Liapis. La preuve de la requérante comprenait l’affidavit de M. Sanjukta Tole. Les déposants n’ont pas été contre-interrogés au sujet de leurs affidavits.

 

[23]           L’agente d’audience a exprimé plusieurs doutes sur la nature de la preuve que l’opposante lui avait soumise :

a)            la preuve de l’opposante évoquait treize enregistrements de marques de commerce et quatre demandes d’enregistrement de marques de commerce employant le mot THYME. Neuf des enregistrements de marques faisaient état de produits pour soins de la peau, parmi les marchandises concernées. Or, l’opposition ne mentionnait que cinq des marques enregistrées, en plus des quatre demandes d’enregistrement, dans les allégations de confusion faites par l’opposante;

b)            l’affidavit de Mme Schumbert, produit au nom de l’opposante, non seulement évoquait toutes les marques de l’opposante, et non seulement celles qui étaient invoquées, mais encore ne faisait pas état de ventes ou de factures se rapportant à l’emploi de la marque THYME MATERNITÉ de l’opposante en liaison avec ses marchandises et services au Canada, ni ne donnait de renseignements sur la quantité de documents publicitaires qu’elle distribuait au Canada.

 

[24]           L’agente d’audience a refusé d’autoriser l’opposante à modifier son opposition pour y inclure les enregistrements supplémentaires non mentionnés dans l’opposition.

 

[25]           L’agente d’audience a alors conclu que le premier motif d’opposition de l’opposante était valable, à savoir que la requérante n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’un enregistrement, ou d’une demande d’enregistrement et de l’emploi, à l’étranger, de sa marque de commerce à la date du dépôt de la demande au Canada, et que le fondement de l’obtention d’un enregistrement était donc invalide.

 

[26]           L’agente d’audience a ensuite examiné l’alinéa 12(1)d) de la Loi et la probabilité de confusion. Selon elle, l’argument de l’opposante était le plus convaincant quant à l’enregistrement n° 611,775 de sa marque de commerce THYME MATERNITÉ. Elle a estimé que, s’il n’y avait aucune probabilité de confusion avec cette marque de commerce, l’opposante devait être déboutée pour les marques revendiquées restantes, car elles étaient moins semblables dans leur présentation ou pour les marchandises et services visés dans les enregistrements.

 

[27]           L’agente d’audience a conclu que, globalement, la preuve produite par l’opposante suffisait pour démontrer que sa marque THYME MATERNITÉ était devenue très connue au Canada depuis 2003, grâce à des enseignes et à l’utilisation de cette marque dans ses magasins partout au Canada, en lien avec des marchandises, directement ou indirectement, de même que dans des catalogues, de 2002 à 2008, alors que la requérante n’avait prouvé aucun emploi de sa marque figurative THYMES & T. L’agente a ensuite conclu que les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, notamment la période d’emploi de la marque, le genre de marchandises (chevauchement), les moyens de commercialisation et le degré de ressemblance, favorisaient tous l’opposante. Un consommateur serait donc porté à croire, à partir de sa première impression, que les produits pour soins de la peau associés à la marque de commerce THYME MATERNITÉ de l’opposante, et à la marque figurative THYMES & T de la requérante, sont fabriqués ou vendus par la même personne.

 

[28]           L’agente d’audience a conclu aussi que la marque figurative THYMES & T de la requérante était susceptible d’être confondue avec les noms commerciaux employés antérieurement par l’opposante et que la marque de la requérante n’était pas distinctive et ne pouvait servir à distinguer les marchandises de la requérante des marchandises visées par les marques de commerce de l’opposante.

 

ii. Nouveaux éléments de preuve produits en appel

[29]           La demanderesse (la requérante) a produit l’affidavit de Mme Gerard, daté du 7 novembre 2011. La défenderesse (l’opposante) a produit l’affidavit de M. Plens, daté du 20 décembre 2011. Les deux déposants ont été contre-interrogés.

 

[30]           L’affidavit de Mme Gerard soulève les faits suivants, lesquels n’avaient pas été mis en preuve devant l’agente d’audience :

a)                  la marque figurative THYMES & T de la demanderesse a été employée au Canada dès le 21 juin 2005 en liaison avec des produits pour soins de la peau;

b)                 antérieurement, la demanderesse et ses prédécesseurs en titre avaient fait un emploi continu du mot THYMES au Canada, en liaison avec des produits pour soins de la peau, de 1989 à 2005, c’est‑à‑dire dans les expressions THE THYMES et THE THYMES LIMITED.

 

[31]           Le contre-interrogatoire de Mme Gerard a confirmé ce témoignage.

 

[32]           L’affidavit de M. Plens soulève les faits suivants, lesquels n’avaient pas été mis en preuve devant l’agente d’audience :

a)             des documents publicitaires distribués au Canada, attestant un emploi de la marque de commerce THYME MATERNITÉ de l’opposante depuis au moins 1998, en liaison avec des produits pour soins de la peau depuis 2003;

b)            des chiffres de vente de marchandises de l’opposante sous sa marque de commerce THYME MATERNITÉ, en liaison avec des produits pour soins de la peau au Canada depuis au moins 2003;

c)             un emploi sur Internet de la marque THYME MATERNITÉ de l’opposante, en liaison avec des produits pour soins de la peau depuis 2003;

d)            des dépenses publicitaires, de 2003 jusqu’à aujourd’hui, pour l’ensemble des marques THYME de l’opposante.

 

[33]           Le contre-interrogatoire de M. Plens n’a pas modifié la nature de son témoignage.

 

[34]           Les deux parties ont produit des éléments de preuve portant sur l’emploi et la notoriété de leurs marques respectives aux États-Unis, mais je n’accorde aucun poids à ces éléments, car ils ne sont pas pertinents aux fins de l’appel (arrêt Interstate Brands Co - Licensing Co c Becker Milk Co, [2000] ACF n° 358, 254 NR 360 (CAF).

 

VII.     Analyse et motifs

[35]           Après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve de la requérante et de l’opposante, je suis persuadé que ces nouveaux éléments de preuve sont substantiels et concluants pour les points en litige en l’espèce. Je trancherai donc la présente affaire d’après les faits qui m’ont été soumis et d’après les principes juridiques applicables, mais je ne ferai pas fi pour autant des connaissances spécialisées de l’agente d’audience.

 

[36]           En résumé, la requérante est d’avis que, vu la faiblesse de la preuve de l’opposante et compte tenu de ses propres nouveaux éléments de preuve qui attestent l’emploi par la requérante de marques antérieures comprenant le mot THYMES, de 1989 à 2005, et l’emploi de sa marque figurative THYMES & T depuis juin 2005, l’appel devrait être accueilli. Et cela d’autant plus que, durant l’une ou l’autre des deux périodes – que ce soit de 1998 à aujourd’hui ou de 2005 à aujourd’hui, il n’y a eu absolument aucune confusion avec l’une quelconque des marques de l’opposante qui sont invoquées, ni avec les noms commerciaux de cette dernière. En outre, l’emploi du mot THYMES depuis 1989 confère à la requérante une antériorité d’emploi et donc une antériorité de droits pour ce qui concerne l’emploi du mot THYMES dans une marque de commerce, avant tout emploi des marques de commerce ou des noms commerciaux de l’opposante (arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, aux paragraphes 35 et 36) :

35  Au départ, il me paraît important de faire un rappel sur le lien qui existe entre l’emploi et l’enregistrement d’une marque de commerce. L’enregistrement d’une marque de commerce ne confère pas en soi un droit prioritaire sur la marque. En common law, c’était l’emploi de la marque de commerce qui conférait le droit exclusif sur celle‑ci. Bien que la Loi sur les marques de commerce confère au titulaire d’une marque de commerce déposée des droits autres que ceux dont il pouvait se prévaloir en common law, la personne qui cherche à faire enregistrer une marque de commerce doit d’abord établir qu’elle a un droit sur celle‑ci parce qu’elle l’emploie. Le juge en chef Ritchie a affirmé ce qui suit dans Partlo c. Todd, (1888), 17 R.C.S. 196, p. 200 :

 

[traduction] Ce n’est pas l’enregistrement qui rend la partie propriétaire d’une marque de commerce; la marque doit lui appartenir pour qu’elle puisse l’enregistrer...

 

36  Ce principe, que les premières lois canadiennes en matière de marque de commerce ont établi, a été repris dans la Loi, qui confère des droits de deux façons au premier utilisateur d’une marque de commerce. D’une part, selon l’art. 16, la partie qui est la première à employer la marque de commerce obtient normalement un droit prioritaire de l’enregistrer. D’autre part, l’utilisateur de la marque de commerce peut s’opposer aux demandes d’enregistrement d’autres personnes ou encore demander la radiation d’enregistrements au motif qu’il emploie déjà une marque de commerce créant de la confusion. Cela explique pourquoi Masterpiece Inc. peut, pour contester la demande d’Alavida, invoquer le fait qu’elle employait déjà une certaine marque de commerce non déposée au moment où cette dernière a présenté sa demande. Le paragraphe 16(3) de la Loi reconnaît à l’utilisateur d’une marque de commerce le droit de s’opposer à toute demande d’enregistrement d’une marque qui crée de la confusion avec la sienne, au motif qu’il employait déjà sa marque au moment du dépôt de la demande. Le paragraphe 17(1) garantit ce droit, sous réserve de certaines limites qui ne nous nous intéressent pas ici, dans les cas où la marque de commerce a été enregistrée.

 

[37]           La requérante met aussi en doute la qualité des éléments de preuve produits par l’opposante, qu’il s’agisse de ceux qui ont été présentés à l’agente d’audience ou à la Cour.

 

[38]           La principale difficulté, selon l’avocat de la requérante, est que l’affidavit de Mme Schumbert – qui a été produit dans la procédure d’opposition et sur lequel la Commission des oppositions s’est fondée – et l’affidavit de M. Plens – qui est produit comme nouvel élément de preuve dans le présent appel – mélangent tous deux les marques de commerce de l’opposante invoquées dans son opposition avec des marques abusivement déposées en preuve, mais non alléguées. Ces marques de l’opposante, non alléguées, ont été jugées irrecevables par l’agente d’audience, mais elles figurent encore dans les éléments de preuve invoqués par l’opposante en appel. La requérante soutient qu’il a été tenu compte à tort de l’ensemble des enregistrements et demandes d’enregistrement de l’opposante, et que l’opposante a produit une preuve de l’emploi des mots THYME MATERNITÉ sans préciser quelles marques se rapportent précisément à l’emploi de ces mots en liaison avec des produits pour soins de la peau. Cette preuve est donc au mieux équivoque et la Cour devrait lui accorder peu de poids, voire aucun.

 

[39]           La requérante invoque aussi la conclusion de l’examinateur, qui avait publié la demande d’enregistrement de sa marque figurative THYMES & T au-dessus de la mention de la marque THYME MATERNITÉ de l’opposante et qui avait estimé que le caractère distinctif inhérent du mot THYME était faible. Selon la requérante, ces conclusions devraient être convaincantes et autoriser la conclusion selon laquelle de petites différences devraient suffire à distinguer sa marque figurative THYME & T des marques de commerce et noms commerciaux THYME MATERNITÉ de l’opposante, de sorte qu’il n’existe aucune probabilité de confusion (décision Advance Magazine Publishers Inc c Farleyco Marketing Inc, 2009 CF 153, au paragraphe 104). En l’espèce, je ne suis pas persuadé par les arguments de la requérante.

 

[40]           La défenderesse soutient avoir clairement établi une probabilité de confusion et une absence de caractère distinctif de la marque figurative THYMES & T de la demanderesse, en raison non seulement des éléments de preuve qu’elle avait présentés à l’agente d’audience, mais également en raison de ses nouveaux éléments de preuve portant sur ses campagnes publicitaires et ses ventes depuis 1998 en général et depuis 2003 s’agissant des produits pour soins de la peau, comme on peut le lire dans l’affidavit de M. Plens. La défenderesse affirme que la preuve relative à l’emploi du mot THYME par la demanderesse ou par ses prédécesseurs de 1989 à 2005 n’est pas pertinente et que la Cour devrait considérer uniquement l’année 2005 comme date à laquelle la demanderesse a commencé d’employer sa marque, c’est-à-dire la marque figurative THYMES & T, car c’est la seule marque de commerce et le seul emploi à prendre en compte. Cet emploi est postérieur à l’emploi par l’opposante de ses marques de commerce, ainsi qu’elle l’a allégué, un emploi qui profite à l’opposante depuis 1998 et au moins depuis 2003 s’agissant des produits pour soins de la peau, années qui sont clairement antérieures à l’année 2005, moment où la requérante a commencé à employer sa marque figurative THYMES & T. Par ailleurs, les nouveaux éléments de preuve ne modifient en rien la question de la probabilité de confusion, c’est‑à‑dire que :

a)      il y a chevauchement des voies de commercialisation des produits pour soins de la peau vendus par les deux parties; il ne s’agit pas de savoir par l’intermédiaire de quels points de vente l’opposante vend manifestement ses marchandises, mais plutôt de savoir si elle peut offrir et vendre ses marchandises par les mêmes voies de commercialisation – aucune limite ne figure dans l’enregistrement;

b)      la nature des produits (produits pour soins de la peau) est la même;

c)      le degré de ressemblance entre les marques est élevé, le mot THYME ou THYMES étant la caractéristique dominante de chacune des marques;

d)     si j’admettais que seule l’année 2005 est pertinente pour l’emploi par la requérante de sa marque de commerce, la période d’emploi ou l’emploi antérieur favoriserait là encore l’opposante.

 

[41]           La défenderesse rétorque aussi que, peu importe les références à toutes ses marques de commerce dans la preuve qu’elle a produite, l’élément commun THYME MATERNITÉ, qui figure dans toutes les marques, et dans son nom commercial, a pour effet de rendre peu important, voire insignifiant, l’argument de la requérante sur le « mélange » des marques de commerce de l’opposante, car l’agente d’audience a conclu à une probabilité de confusion. En tout état de cause, l’opposante fait valoir que ses nouveaux éléments de preuve établissent, conjointement avec l’affidavit de Mme Schumbert, le fondement nécessaire d’une probabilité de confusion avec ses marques de commerce et noms commerciaux, en montrant clairement l’emploi de THYME MATERNITÉ pour des produits pour soins de la peau et l’emploi, par la requérante, de la marque figurative THYME & T pour les mêmes produits ou sensiblement les mêmes produits, que ce soit à la date de l’opposition ou à la date du présent jugement en appel. Je souscris aux arguments de la défenderesse.

 

[42]           La demanderesse pourrait fort bien être en mesure de prouver l’emploi du mot THYMES avant les dates de premier emploi invoquées dans les enregistrements de marques de l’opposante, tels qu’ils ont été allégués, ou pour les noms commerciaux de l’opposante, mais cela ne modifie pas la nature des problèmes fondamentaux de la demanderesse concernant l’enregistrabilité de sa marque figurative THYMES & T, pour laquelle la demande d’enregistrement 1,252,795 a été produite le 30 mars 2005 sur le fondement 1) d’un emploi projeté de la marque et 2) d’un enregistrement et d’un emploi de la marque aux États-Unis.

 

[43]           Le deuxième fondement de l’enregistrement a été jugé invalide. Le premier fondement requiert que la marque figurative THYMES & T de la demanderesse permette de distinguer les marchandises de la demanderesse à la date de l’opposition (23 juin 2008) et qu’elle ne soit pas susceptible de créer de la confusion avec les marques de commerce et les noms commerciaux THYME MATERNITÉ de l’opposante à la date de la décision de la Commission des oppositions (25 juin 2011) ou à la date du présent jugement, compte tenu des nouveaux éléments de preuve produits par les deux parties. Pour les motifs invoqués par la défenderesse et exposés ci‑dessus, la demanderesse doit être déboutée, parce que la preuve qu’elle a présentée à la Cour montre qu’il existe une probabilité de confusion avec les marques de commerce et les noms commerciaux de l’opposante à la date pertinente, à savoir la date de l’opposition ou la date du présent jugement, celle que je tiens pour pertinente. Par ailleurs, la marque figurative THYMES & T de la demanderesse n’est pas distinctive pour un emploi de cette marque en liaison avec des produits pour soins de la peau à la date de l’opposition, étant donné que la marque de commerce et le nom commercial THYME MATERNITÉ de l’opposante, ainsi que ses noms commerciaux THYME, étaient employés par l’opposante et jouissaient d’une notoriété avant le 30 mars 2005.

 

[44]           La demanderesse dispose peut-être de moyens de contester, par d’autres actes de procédure, la validité de l’un ou plusieurs des enregistrements de marques de l’opposante sur le fondement d’un emploi antérieur possible du mot THYMES, mais cela ne règle pas les difficultés que pose sa marque figurative THYMES & T faisant l’objet de sa demande produite le 30 mars 2005, les difficultés en cause étant l’absence de caractère distinctif et la probabilité de confusion.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel de la demanderesse est rejeté et les dépens sont accordés à la défenderesse.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1423-11

 

 

INTITULÉ :                                      The Thymes, LLC c Reitmans (Canada) Limitée

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 janvier 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenneth McKay

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sandra Mastrogiuseppe

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SIM LOWMAN ASHTON & McKAY LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

DAVIS WARD PHILLIPS & VINEGERG S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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