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Date: 20130129

Dossier : T-639-12

Référence : 2013 CF 87

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

ENTRE :

 

Dans l’affaire de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

et

 

Dans l’affaire d’une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu,

 

Contre :

 

RÉGINALD DESCHÊNES

3699, De l’Alsace

Jonquière (Québec)

G7X 9R3

 

DIANE BRASSARD

3699, De l’Alsace

Jonquière (Québec)

G7X 9R3

 

SERGE DESCHÊNES

4081, Marc-Aurèle

Jonquière (Québec) 

G7Z 1H4

 

9099-5374 QUÉBEC INC.

4081, Marc-Aurèle, C.P. 117

Jonquière (Québec) 

G7X 7W4

 

 

 

 

Débiteurs-intimés

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Il s’agit d’une requête présentée en vertu du paragraphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR], visant à obtenir la révision et l’annulation d’une ordonnance de recouvrement compromis, rendue ex parte par la Juge Tremblay-Lamer en date du 29 mars 2012. Aux termes de cette ordonnance, la Cour a accueilli la requête de Sa Majesté la Reine du Canada [Sa Majesté], agissant pour le compte du ministre du Revenu national, l’autorisant à prendre immédiatement les mesures visées aux alinéas a) à g) du paragraphe 225.1(1) de la LIR afin de percevoir et/ou de garantir le paiement des cotisations établies à l’égard de Réginald Deschênes, Serge Deschênes, Diane Brassard et 9099-5374 Québec Inc. [9099] (collectivement appelés les requérants).

 

[2]               Au moment de l’audition de la requête ex parte, les dettes fiscales résultant des avis de cotisation émis à l’égard des requérants s’élevaient à:

  239 505,93$ résultant de cinq avis de cotisation émis contre Réginald Deschênes, le 28 avril 2010, pour les années 2002 à 2006. (Ce montant s’élevait à 341 477,67$ et a été réduit en date du 17 février 2012, suite à l’opposition de Réginald Deschênes);

  20 045,69$ résultant de quatre avis de cotisation émis contre 9099, le 31 mars 2010, pour les années 2004 à 2006 et 2009;

  101 602,25$ résultant de quatre avis de cotisation émis contre Serge Deschênes, le 17 février 2012, pour les années 2003 à 2006;

  150 000$ résultant d’un avis de cotisation émis contre Serge Deschênes, en date du 14 mars 2012; et

  30 000$ résultant d’un avis de cotisation émis contre Diane Brassard, en date du 14 mars 2012.

 

[3]               L’avis de cotisation contre Diane Brassard (conjointe de Réginald Deschênes) et l’avis de cotisation au montant de 150 000$ contre Serge Deschênes (frère de Réginald Deschênes) résultent de l’application à leur égard de l’article 160 de la LIR qui se lit comme suit :    

 (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

 

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance, les règles suivantes s’appliquent :

 

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

 

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[...]

 

(2) Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour toute somme payable en vertu du présent article. Par ailleurs, les dispositions de la présente section s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux cotisations établies en vertu du présent article comme si elles avaient été établies en vertu de l’article 152.

 (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

 

 

(a) the person’s spouse or common-law partner or a person who has since become the person’s spouse or common- law partner,

 

(b) a person who was under 18 years of age, or

 

(c) a person with whom the person was not dealing at arm’s length, the following rules apply:

 

(d) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay a part of the transferor’s tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted therefor, and

 

 

 

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

 

 

 

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

 

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

 

 

 

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

 

 

 

 

. . .

 

(2) The Minister may at any time assess a taxpayer in respect of any amount payable because of this section and the provisions of this Division apply, with any modifications that the circumstances require, in respect of an assessment made under this section as though it had been made under section 152.

 

[4]               Aux termes des paragraphes 225.2(8) et (11) de la LIR, la Cour doit maintenant statuer sur la requête de façon sommaire et peut « confirmer, annuler ou modifier l’autorisation et rendre toute autre ordonnance qu’[elle] juge indiquée ». Les requérants s’appuient également sur la règle 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], qui prévoit qu’en principe toute ordonnance rendue ex parte peut être annulée ou modifiée « si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue ». Les requérants ont donc le fardeau de démontrer soit que la Couronne n’a pas rempli son obligation de faire une divulgation franche et complète des faits pertinents devant la juge Tremblay-Lamer, ou encore que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) de la LIR pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis, n’était pas rencontré (Canada (MRN) c Services ML Marengère Inc, [1999] ACF 1840, [2000] 1 CTC 229 [Services ML Marengère Inc]).

 

[5]               Ce critère consiste à établir l’existence de « motifs raisonnables de croire » que l’octroi d’un délai aux contribuables compromettra le recouvrement de la créance fiscale; il s’agit d’un fardeau de preuve moins lourd que celui de la prépondérance de probabilités (Canada c Golbeck (CAF), [1990] ACF no 852, 90 DTC 6575; Canada (MRN) c 514659 BC Ltd, [2003] ACF 207 au para 6, 2003 DTC 5150). La jurisprudence a précisé certains facteurs pouvant être considérés dans l’application de ce critère, dont un comportement frauduleux de la part du contribuable, la liquidation ou le transfert de ses actifs, le fait qu’il ait éludé ses obligations fiscales, ou encore qu’il détienne des actifs qui sont susceptibles de diminuer en valeur par l’effet du temps, de se détériorer ou d’être facilement transférables (Canada (MRN) c Cormier-Imbeault ̧ 2009 CF 499 au para 7, [2009] ACF no 618). Il a également été jugé que le fait pour un contribuable de ne pas gérer ses affaires «de façon orthodoxe» peut être considéré comme un motif justifiant l’émission d’une autorisation en vertu du paragraphe 225.2(2) de la LIR (Canada (MRN) c Rouleau, [1995] ACF 1209 aux para 8-9, 95 DTC 5597).

 

[6]               Dans la présente cause, ayant pris connaissance de l’ensemble de la preuve, des arguments des requérants et des affidavits versés au soutien de leur demande, j’en arrive à la conclusion qu’il n’y a pas lieu d’annuler ni de modifier l’ordonnance contestée. Pour les motifs qui suivent, la présente requête est donc rejetée.

 

a)         Contexte factuel

Faits invoqués au soutien de la requête ex parte de Sa Majesté

[7]               Selon la preuve présentée devant la juge Tremblay-Lamer, Réginald Deschênes accusait un retard dans la production de ses déclarations de revenus pour les années 2009 à 2010 et s’était vu imposer des pénalités pour production tardive de ces déclarations. Il était également en défaut de paiement d’une dette fiscale de 2 995,12$ pour l’année d’imposition 2008, bien qu’un avis d’opposition ait été transmis à l’Agence du Revenu du Canada [ARC] par son comptable, en juillet 2010. De plus, l’ARC avait déjà entrepris des mesures de recouvrement contre Réginald Deschênes à l’égard d’une partie de sa dette fiscale pour l’année 2005 et son comptable, M. Sylvain Gravel, avait indiqué à l’ARC que Réginald Deschênes ferait faillite si les cotisations étaient maintenues.

 

[8]               La preuve établissait que même si la division d’appel de l’ARC réduisait le montant des cotisations émises contre Réginald Deschênes, sa dette fiscale se chiffrerait néanmoins à plus de 230 000$, alors qu’il est à la retraite et qu’il n’a pour revenu qu’une rente annuelle de 51 377,22$, son seul actif saisissable. Sa Majesté prétendait que la majorité des actifs de valeur de Réginald Deschênes étaient grevés de plusieurs charges, laissant une valeur nette pratiquement nulle. D’autres créanciers avaient déjà entrepris des mesures de recouvrement de leurs créances contre Réginald Deschênes, alors qu’il avait cédé la moitié indivise d’un immeuble à sa conjointe, Diane Brassard, et un immeuble à son frère Serge Deschênes.

 

[9]               Le seul actif saisissable de Diane Brassard, soit la moitié indivise de la résidence familiale située à Jonquière, était grevé de deux hypothèques, une hypothèque légale et une hypothèque conventionnelle en faveur de la Caisse populaire. Sa Majesté prétendait que Réginald Deschênes n’avait que de faibles revenus et était pour ainsi dire insolvable, alors que Diane Brassard avait déclaré des revenus variant entre 4 096$ et 21 007$ pour les années d’imposition 2002 à 2008 (aucune déclaration n’ayant été produite pour les années 2005, 2009 et 2010).

 

[10]           En ce qui concerne Serge Deschênes, Sa Majesté prétendait qu’il avait adopté un comportement peu orthodoxe en dissimulant à l’ARC un compte bancaire dans lequel 9099 (dont il est seul actionnaire et administrateur) déposait ses revenus, alors que cette dernière était en défaut de déclarer ses revenus d’entreprise pour les années d’imposition 2003 à 2006. Serge Deschênes et sa conjointe, Lynne Mimeault, avaient tous les deux déjà fait faillite et leur revenu familial était insuffisant pour rembourser la dette fiscale de 250 000$ de Serge Deschênes. Selon la preuve, un certain nombre de créanciers avaient déjà entrepris des mesures de recouvrement à l’encontre des biens de Serge Deschênes. Presque tous les actifs de valeur de 9099 étaient grevés de plusieurs charges et ses créanciers avaient entrepris des mesures de recouvrement contre elle. Par ailleurs, Lynne Mimeault et Serge Deschênes avaient fait de fausses déclarations de revenus pour les années 2002 à 2010. Lynne Mimeault avait déclaré à l’ARC des revenus variant de 1$ (pour les années 2002, 2003, 2007, 2009 et 2010) à 20 166$ alors qu’elle avait obtenu un financement de 620 000$ suite au transfert en sa faveur de la moitié indivise d’un immeuble appartenant à Serge Deschênes.

 

[11]           De plus, Sa Majesté prétendait dans sa demande qu’elle avait des doutes quant à la crédibilité de Réginald et Serge Deschênes. Alors que ce dernier avait mentionné, lors d’une conversation avec Thérèse Gauthier, en date du 20 février 2012, que son frère Réginald agissait à titre de prête-nom pour lui et 9099 et qu’il servait de caution pour l’obtention de financements, Serge Deschênes a refusé de répondre aux questions du vérificateur Bruce Aziz à ce sujet et Réginald Deschênes n’a fait nulle mention de ce fait dans son avis d’appel portant sur ses nouvelles cotisations. Selon Sa Majesté, Réginald et Serge Deschênes ont manqué de transparence en refusant de collaborer avec le vérificateur et de divulguer tous les faits pertinents, ce qui a affecté leur crédibilité.

 

Exécution de l’ordonnance de recouvrement compromis

[12]           Suite à l’ordonnance du 29 mars 2012, l’ARC a entrepris des procédures d’exécution contre chacun des requérants. Elle a obtenu deux certificats en vertu de l’article 223 de la LIR dans les dossiers ITA-3531-12 et ITA-3532-12, pour des réclamations de 150 000$ et 101 602,25$ contre Serge Deschênes, et a enregistré un avis d’hypothèque légale sur deux immeubles dont il est propriétaire, y compris sa résidence familiale située à Jonquière.

 

[13]           L’ARC a également obtenu un certificat contre Réginald Deschênes dans le dossier ITA-3531-12, pour une somme de 239 505,93$, et a enregistré un avis d’hypothèque légale sur quatre immeubles dont il est propriétaire, incluant sa résidence familiale située à Jonquière. Des demandes formelles de paiement ont été transmises à des tiers (principalement des locataires) ainsi qu’aux institutions financières avec lesquelles Serge et Réginald Deschênes transigent.

 

[14]           En ce qui concerne Diane Brassard, l’ARC a obtenu un certificat dans le dossier ITA-3529-12 pour la réclamation de 30 000$, et a saisi une somme de 5 738,59$ détenue auprès de la Caisse populaire Desjardins de Jonquière.

 

[15]           L’ARC a obtenu un dernier certificat contre 9099 dans le dossier ITA-3528-12, pour une somme de 20 522,44$, et a enregistré un avis d’hypothèque légale sur neuf terrains vacants et deux immeubles dont elle est propriétaire. Elle a également transmis des demandes formelles de paiement auprès d’institutions financières, y compris une demande de paiement et saisie d’une somme de 16 260,53$ détenue au compte bancaire de 9099 auprès de la Banque de Montréal [BMO], en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, LRC (1985), c E-15.

 

[16]           Depuis l’émission de l’ordonnance de recouvrement compromis, l’ARC a recouvré 11 670,62$ à l’encontre de la dette de Réginald Deschênes, incluant 7 336,08$ recouvrés à même les actifs de sa conjointe Diane Brassard; 1 951,44$ à l’encontre de la dette de Serge Deschênes; et 2 211,53$ à l’encontre de la dette de 9099 (voir l’affidavit de Thérèse Gauthier, agente de cas complexes à l’ARC).

 

[17]           Par leur requête, les requérants demandent essentiellement à la Cour d’annuler l’ordonnance de recouvrement compromis rendue contre eux par la Juge Tremblay-Lamer, y compris la condamnation aux dépens, d’annuler tous les avis de cotisation qui en font l’objet ainsi que les certificats émis en application de l’article 223 de la LIR. Ils demandent également à la Cour d’ordonner à l’ARC de retirer toutes les mesures de perception prises en vertu du paragraphe 225.1(1) de la LIR et de réserver leur recours personnel en dommages et intérêts contre les deux agents de l’ARC responsables de leur dossier, Thérèse Gauthier et Bruce Aziz.

 

b.                  Questions en litige

[18]           Dans le cadre d’une requête en révision fondée sur le paragraphe 225.2(8) de la LIR, la Cour doit répondre aux questions suivantes et pour ce faire, doit considérer l’ensemble de la preuve soumise de part et d'autre :

                    i.                        Les requérants se sont-ils acquittés de leur fardeau initial de démontrer soit que l’ARC n’a pas fait une communication franche et complète des éléments factuels dont elle disposait, ou encore qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis n’a pas été rencontré ? 

 

Si la réponse à ces deux questions est négative, l’analyse s’arrête ici et la requête des requérants doit être rejetée.

 

                  ii.                        Si la réponse à l’une ou l’autre des questions précédentes (ou aux deux) est positive, Sa Majesté a-t-elle démontré qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le recouvrement de la dette fiscale des requérants serait en péril par l’octroi d’un délai pour l’exercice des mesures prévues aux alinéas 225.1 (1) a) à g) de la LIR ?

 

[19]           Les requérants soulèvent une question additionnelle, soit celle de savoir si les nouveaux avis de cotisation émis contre eux l’ont été en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [Charte], ou s’ils résulteraient d’une preuve obtenue en violation de leurs droits garantis par la Charte?

 

c.         Analyse

Révision de la requête en recouvrement compromis

[20]           Les parties s’entendent sur le droit applicable à la présente cause. Les requérants contestent plutôt la présentation des faits rapportés dans les affidavits de Thérèse Gauthier et Bruce Aziz sur la foi desquels l’ordonnance contestée a été émise. Ils allègent que Sa Majesté n’a pas réussi à établir qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le recouvrement de sa créance était en péril et que le ministre ne s’est pas acquitté de son obligation de communication franche et complète des faits au moment de la présentation de la requête ex parte. Les requérants contestent également la validité des nouvelles cotisations établies par l’ARC et ils prétendent que le vérificateur Bruce Aziz se trouve en position de conflit d’intérêts, qu’il a mené sa vérification dans le dessein que des accusations criminelles soient portées contre les requérants, et que l’agente de recouvrement Thérèse Gauthier a agi de manière intempestive et arbitraire dans l’exécution de mesures de recouvrement entreprises contre eux.

 

[21]           Les requérants prétendent finalement que puisque l’ordonnance du 29 mars 2012 n’est assortie d’aucune condition, elle ne respecte pas l’exigence du paragraphe 225.2(2) de la LIR qui prévoit que « le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant d’une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu’il estime raisonnables dans les circonstances ».

 

[22]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les requérants ne se sont pas acquittés de leur fardeau initial de démontrer soit que l’ARC n’a pas fait une communication franche et complète des éléments factuels dont elle disposait, ou encore qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis n’a pas été respecté. Ainsi, il n’est pas nécessaire de passer au second volet du test, à savoir si Sa Majesté a réussi à démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le recouvrement de sa créance serait en péril par l’octroi d’un délai de paiement, et ce, bien que les arguments des requérants visent essentiellement à démontrer qu’ils ne sont pas insolvables (Canada (MRN) c Fiducie Dauphin, 2010 CF 1144 au para 23, [2010] ACF no 1430 [Fiducie Dauphin]).

 

 

[23]           Tant dans leur argumentation écrite que dans le cadre des représentations faites devant la Cour, les requérants ont passé en revue l’ensemble des allégations contenues dans l’affidavit de Thérèse Gauthier et tenté de démontrer leur fausseté. Tout au plus, ont-ils réussi à préciser certains faits ou à en rectifier d’autres qui n’étaient pas à la connaissance de l’ARC au moment de la présentation de la requête ex parte. Ils n’ont toutefois pas réussi à démontrer que si les faits, tels que précisés ou rectifiés, avaient été soumis à la juge Tremblay-Lamer, l’ordonnance de recouvrement compromis aurait été différente.

 

Réginald Deschênes

[24]           Les requérants soumettent que contrairement aux prétentions de l’ARC, Réginald Deschênes a soumis ses déclarations de revenus pour les années 2009 à 2011; qu’il n’a jamais reçu d’avis de cotisation ni de projet explicatif quant à sa dette fiscale pour l’année d’imposition 2005, pour laquelle il a fait l’objet d’une mesure de recouvrement préalable, et que si tel avait été le cas, il aurait déposé une opposition tout comme il l’a fait pour l’année 2008. Réginald Deschênes prétend qu’il n’a jamais reçu de lettre lui expliquant les cotisations émises contre lui pour les années 2002 à 2006. Il nie avoir eu connaissance des détails des cotisations qui totalisaient 431 350,38$ en date du 7 septembre 2010, qu’il qualifie d’arbitraires et prétend ne pas avoir été avisé des correctifs considérables apportés subséquemment, comme le retrait d’un montant de 134 550$ de gains en capital de ses revenus de l’année 2004.

 

[25]           Contrairement à ce que prétendent les requérants, l’ordonnance de recouvrement contestée est limitée à la somme de 236 770,20$, plus les intérêts à compter du 25 novembre 2011 (soit le montant des cotisations préalablement établies, moins une réduction de 218 878,92$ se rapportant aux années 2002 à 2006). Tous les faits relatifs aux modifications apportées par l’ARC ont été mis en preuve devant la Cour et rien ne permet de douter que Sa Majesté n’en ait pas fait une communication franche et complète. Quant au certificat obtenu dans le dossier ITA-3531-12 pour le montant de 239 505,93$, celui-ci ne correspondait à aucun avis de cotisation mais plutôt à une évaluation sommaire de la dette fiscale totale de Réginald Deschênes selon le calcul effectué par la division de la vérification. Il appartient à la division des appels de suivre ou non cette recommandation même si Réginald Deschênes maintient son opposition à l’égard de sa dette fiscale actuelle de 236 770,20$. En tout état de cause, le fait que Réginald Deschênes se soit opposé aux avis de cotisation émis contre lui n’empêche pas Sa Majesté de protéger sa créance, ni ne l’empêchait d’obtenir une ordonnance de recouvrement compromis.

 

[26]           D’autre part, Réginald Deschênes soumet qu’il n’est pas insolvable. Même si la preuve devant moi ne me permet pas de trancher cette question, elle démontre qu’en date du 5 octobre 2012, la BMO a publié, sur un des immeubles lui appartenant, un préavis d’exercice du recours hypothécaire de prise en paiement. Réginald Deschênes soumet également que son comptable n’a jamais mentionné à l’ARC qu’il entendait faire faillite si la cotisation était maintenue. Or, contrairement à Mme Thérèse Gauthier, il n’a pas une connaissance personnelle de ce fait et le témoignage de Mme Gauthier sur ce point devrait être privilégié.

 

[27]           Réginald Deschênes prétend que la cession de la moitié indivise d’un immeuble à sa conjointe a eu lieu en janvier 2006, alors que les vérifications de l’ARC n’avaient pas encore été entamées ni annoncées, et que de toute façon, cette transaction n’aurait aucun impact sur l’ARC qui pourra se fonder sur l’article 160 de la LIR pour suivre le bien dans le patrimoine de sa conjointe.

 

[28]           D’abord, la preuve démontre que la première communication adressée à Réginald Deschênes, par le vérificateur Bruce Aziz, date du 8 décembre 2005 (affidavit supplémentaire de Bruce Aziz du 27 juin 2012). Par ailleurs, la jurisprudence établit que « la liquidation ou le transfert des actifs par le contribuable, peu importe son intention » est un des facteurs pouvant justifier une ordonnance de recouvrement compromis (Fiducie Dauphin, précitée au para 24; Services ML Marengère inc, précitée, au para 63; Canada (MRN) c Delaunière, 2007 CF 636 au para 6).

 

Serge Deschênes, 9099 et Diane Brassard

[29]           Serge Deschênes prétend qu’il n’a eu aucun comportement pouvant être qualifié de peu orthodoxe, qu’il n’a jamais dissimulé un compte bancaire au nom de 9099 auprès de BMO, que le vérificateur Bruce Aziz avait accès à toute la comptabilité de 9099 et que somme toute, la réclamation fiscale contre cette dernière ne s’élève qu’à 20 045,69$ et ne nécessite aucune mesure de recouvrement compte tenu des revenus de l’entreprise. Serge Deschênes soumet que 9099 possède des terrains en phase de développement à Jonquière, Kénogami et Arvida, qu’elle a investi dans la construction de 132 unités résidentielles valant 75 500$ chacune, que ces terrains ne sont à peu près pas grevés et qu’ils ont une valeur de revente largement suffisante pour couvrir la créance fiscale de Sa Majesté.

 

[30]           Lors des interrogatoires tenus le 18 juillet 2012, le comptable de 9099 a mentionné que cette dernière ne détenait aucun compte auprès de BMO, ou à tout le moins, qu’un tel compte n’apparaissait pas dans les actifs de 9099 et qu’aucune de ses déclarations n’en faisait mention. Ce témoignage confirme les soupçons de l’ARC à l’effet que 9099 tenait une « double comptabilité » qui lui servait à garder une partie de ses revenus à l’abri du fisc (Canada (MRN) c Robarts, 2010 CF 875 au para 61, [2010] ACF 1082; Services ML Marengère, précitée, au para 67).

 

[31]           Les requérants prétendent que Serge Deschênes reçoit de la Société de l’Assurance Automobile du Québec, par période de 14 jours, une indemnité de remplacement de revenu non imposable, qu’il détient la totalité des actions de 9099 et que l’ARC n’a pas établi qu’il serait insolvable si les cotisations contestées étaient maintenues. Ils prétendent également que la résidence familiale dont il est copropriétaire avec sa conjointe a une valeur marchande de 470 000$ et une équité nette de plus de 90 000$. Ils ajoutent que l’immeuble de Jonquière, que Serge Deschênes détient en copropriété avec son frère, a une valeur de 362 500$ au rôle d’évaluation de la Ville de Saguenay et qu’il n’est grevé que d’une hypothèque de 250 000$ en faveur de Sécure Capital MIC, laquelle grève également deux autres immeubles.

 

[32]           En ce qui concerne les poursuites judiciaires engagées contre Serge Deschênes par ses créanciers, les requérants soumettent que le seul créancier susceptible de préoccuper l’ARC devrait être la Caisse populaire d’Arvida-Kénogami qui bénéficie d’un jugement au montant de 115 000$ en capital, intérêts et dépens. Serge Deschênes allègue que cette dette a été réglée depuis l’ordonnance de recouvrement compromis.

 

[33]           Enfin, en ce qui concerne la dette fiscale de Diane Brassard, les requérants soumettent qu’il s’agit, comme pour une partie de la dette de Serge Deschênes, d’une cotisation fondée sur l’article 160 de la LIR et non d’une dette distincte de celle de Réginald Deschênes et qu’elle devrait plutôt réduire la crainte que la créance de Sa Majesté ne soit en péril.

 

[34]           Plusieurs prétentions des requérants sont contestées par Sa Majesté et il est loin d’être certain que les requérants aient réussi à démontrer qu’ils ont la solvabilité nécessaire pour acquitter leurs dettes fiscales à l’endroit de Sa Majesté si les avis de cotisation étaient maintenus. Quoi qu’il en soit, la solvabilité n’est qu’un facteur à considérer parmi d’autres et il n’est pas déterminant en soi. Le fait de tenir une double comptabilité, le fait de ne pas déclarer l’ensemble de ses revenus, le fait d’avoir un style de vie qui ne correspond pas aux revenus déclarés (fait invoqué à l’égard de Serge Deschênes et de Lynne Mimeault) et de faire de fausses déclarations sont davantage déterminants en l’espèce.

 

Responsabilité des représentants de l’ARC

[35]           En ce qui concerne les allégations des requérants contre Bruce Aziz et Thérèse Gauthier, la Cour estime qu’elles sont non fondées et peu crédibles au regard de la preuve au dossier. Les requérants prétendent que dans le cadre de ses longues vérifications, Bruce Aziz a perdu ou égaré des documents leur appartenant (copies d’états de comptes bancaires, de chèques, de relevés de marges de crédit, etc.) les empêchant ainsi de contester adéquatement les cotisations émises contre eux. Selon l’affidavit de Serge Deschênes, certains de ces documents ont été retrouvés chez le comptable Sylvain Gravel, alors que selon Bruce Aziz, tous les documents ayant fait l’objet d’une vérification ont été remis à Serge Deschênes en mains propres en date du 20 février 2009 et du 14 mai 2009. À tout évènement, tous les documents pertinents sont disponibles au dossier toujours pendant devant la division des appels de l’ARC et, compte tenu de la nature de ces documents, je ne suis pas convaincue qu’ils soient indispensables pour comprendre les cotisations émises contre les requérants, ni pour les contester.

 

[36]           De même, rien ne m’indique que le vérificateur ait indûment retardé ou prolongé ses vérifications. Les faits de ce dossier ne sont pas particulièrement complexes, mais ils ont été complexifiés par les requérants qui en ont fourni plusieurs versions. Par exemple, il est très difficile de savoir à qui appartiennent les différents immeubles en cause dans cette affaire ou si en tout temps pertinent, Réginald Deschênes agissait comme prête-nom pour son frère. Il est également difficile de savoir si, avant la vente de février 2006, Réginald Deschênes a détenu les actions de 9099 comme prête-nom pour son frère ou s’il en était réellement propriétaire. Les requérants sont également responsables d’une partie des délais et de la durée de la vérification puisqu’ils ont tardé à donner suite à plusieurs demandes de l’ARC. Quoi qu’il en soit, l’argument des requérants à l’effet que le recouvrement de la créance de l’ARC ne peut être compromis par l’octroi d’un délai pour payer si ce délai est dû à une longue vérification ne peut être retenu. Le délai encouru avant l’émission des avis de cotisation et l’envoi d’une mise en demeure de payer n’a que peu de pertinence.

 

[37]           L’allégation des requérants selon laquelle Thérèse Gauthier serait animée d’un esprit de vengeance et aurait agi de manière arbitraire et abusive suite à l’ordonnance contestée est également non fondée. La preuve devant moi démontre plutôt que l’ARC n’a réussi à percevoir que des sommes minimales par rapport aux montants des certificats émis. Mme Gauthier a donné mainlevée des saisies sur deux comptes bancaires de Diane Brassard et sur trois comptes bancaires de Réginald Deschênes et n’a entamé aucune démarche subséquente à l’inscription d’hypothèques légales sur les différents immeubles appartenant aux requérants.

 

[38]           Les requérants prétendent que les mesures de recouvrement entreprises leur causent préjudice en ce qu’elles les empêchent d’honorer les ententes de paiement que 9099 a conclues avec l’Agence de revenu du Québec [RQ]. Même si un tel préjudice pouvait justifier la révision de l’ordonnance de recouvrement compromis, ce qui à mon avis n’est pas le cas, la preuve démontre que les défauts de 9099 envers RQ précédaient à la fois les mesures de recouvrement prises par Sa Majesté et l’ordonnance contestée.

 

La légalité des vérifications fiscales effectuées par l’ARC

[39]           Les requérants prétendent que le vérificateur Bruce Aziz a dérogé aux principes de l’arrêt R c Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 RCS 757 [Jarvis], en ce que ses démarches avaient pour objectif d’éventuelles accusations criminelles contre les requérants; qu’il a vérifié les antécédents criminels de Serge Deschênes; qu’en cours de vérification, il a transmis le dossier des requérants au département des Enquêtes Spéciales sans les aviser et il a collaboré avec ses représentants; le tout alors qu’il a fait défaut de fournir les mises en garde formelles aux requérants et de les informer de leurs droits.

 

[40]           Dans Jarvis, la Cour suprême du Canada était appelée à fixer une ligne de démarcation entre les vérifications fiscales, d’une part, et les enquêtes criminelles visées au paragraphe 231.2(1) de la LIR, d’autre part. La Cour suprême a retenu qu’en raison d’une relation de nature contradictoire entre le contribuable et l’ARC exerçant ses pouvoirs d’enquête, et en raison des protections offertes par la Charte, il devait y avoir une certaine séparation entre les fonctions de vérification et d’enquête au sein de l’ARC.

 

[41]           En l’instance, la preuve établit que même si le vérificateur Bruce Aziz a constaté dans le cadre de ses vérifications qu’il existait des faits pouvant potentiellement donner lieu à des poursuites criminelles contre les requérants (tels que la preuve de revenus non déclarés ou l’utilisation par 9099 d’une double comptabilité) et qu’il a consulté le département des Enquêtes Spéciales à cet égard, aucune telle mesure n’a été entreprise par l’ARC. Les requérants pourraient invoquer la protection de la Charte et l’application des principes dégagés par l’arrêt Jarvis s’ils faisaient face à des poursuites criminelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[42]           Je conclus qu’aucun des faits allégués par les requérants ne constitue une dérogation aux principes de l’arrêt Jarvis et que les requérants n’ont pas établi qu’une atteinte quelconque a été portée à leurs droits garantis par l’article 8 de la Charte.

 

[43]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de révision de l’ordonnance de recouvrement compromis du 29 mars 2012 est rejetée.

 

[44]           Compte tenu de l’issue de la cause, les dépens seront adjugés en faveur de Sa Majesté.

 

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

 

i)                    la requête visant à faire annuler l’ordonnance de recouvrement compromis rendue le 29 mars 2012 est rejetée;

 

ii)                  le tout avec dépens en faveur de Sa Majesté.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-639-12

 

INTITULÉ :                                      Dans l’affaire de la Loi de l’impôt sur le revenu

                                                            et

                                                            Dans l’affaire d’une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

                                                            CONTRE :

 

                                                            RÉGINALD DESCHÊNES

                                                            DIANE BRASSARD

                                                            SERGE DESCHÊNES

                                                            9099-5374 QUÉBEC INC   

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              QUÉBEC (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 26 NOVEMBRE 2012

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 JANVIER 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Martin Lamoureux / Me Maude Breton-Voyer

 

POUR LA CRÉANCIÈRE-SAISISSANTE

 

Me Claude Desbiens / Me Réjean Beaudoin

POUR LES DÉBITEURS-REQUÉRANTS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA CRÉANCIÈRE-SAISISSANTE

 

 

Desbiens et Lévesque

Chicoutimi (Québec)

POUR LES DÉBITEURS-REQUÉRANTS

 

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