Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130131

Dossier : T‑811‑12

Référence : 2013 CF 104

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

HAN LIN ZENG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, visant une demande adressée au premier ministre du Canada dans une lettre datée du 27 février 2012 pour qu’il exprime au gouvernement chinois ses préoccupations au sujet des poursuites criminelles intentées contre le demandeur en Chine. Le demandeur sollicite un bref de mandamus enjoignant au premier ministre du Canada, au ministre des Affaires étrangères ou au ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme de prendre une décision au sujet de sa demande.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il n’est pas et n’a jamais été un citoyen ou un résident permanent canadien. Il est entré au Canada à titre de visiteur le 4 novembre 1999 après l’échec d’une opération commerciale en Chine qui lui avait valu deux accusations de fraude contractuelle.

[3]               Il a demandé l’asile au Canada le 12 janvier 2004 après avoir été arrêté pour avoir prolongé indûment la durée de séjour autorisée par son visa. Il fondait sa demande d’asile sur le fait que les accusations criminelles portées contre lui l’exposeraient à un procès injuste, à la torture, à des conditions de détention inhumaines et à la peine de mort s’il était renvoyé en Chine.

[4]               Le 16 mai 2007, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande d’asile du demandeur et a déclaré qu’il était exclu du statut de réfugié parce qu’il existait des raisons sérieuses de croire qu’il avait commis un crime grave de droit commun avant d’entrer au Canada.

[5]               Le demandeur a obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Le juge John O’Keefe a rejeté sa demande (Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 956). Le juge O’Keefe a notamment estimé que la décision d’exclure le demandeur du statut de réfugié ne faisait pas entrer en jeu l’article 7 de la Charte.

[6]               Le demandeur a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et, le 31 mars 2010, un agent d’ERAR a estimé que le demandeur n’était pas exposé à un risque en Chine. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. La demande a été accueillie avec le consentement des parties et la demande d’ERAR a été examinée par un autre agent le 21 janvier 2011. Là encore, l’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque. L’agent d’ERAR a notamment conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui permettait de penser que le demandeur serait victime d’un verdict décidé à l’avance, que ses conditions de détention en Chine ne constitueraient pas une peine cruelle et inusitée et qu’il ne serait pas exposé au risque d’être condamné à la peine de mort.

[7]               Le 10 février 2011, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la seconde demande d’ERAR. Sa demande a été rejetée. Il a présenté, le 14 février 2011, une requête en sursis à l’exécution de son renvoi et, le 16 février 2011, sa requête a été rejetée. L’avocat du demandeur a écrit au juge en chef de la Cour fédérale pour lui demander de réexaminer la décision par laquelle la requête en sursis avait été rejetée. La Cour a informé le demandeur dans les quelques heures qui ont suivi de son refus de réexaminer la requête en sursis.

[8]               Le demandeur a été renvoyé du Canada le 16 février 2011 et sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la seconde décision d’ERAR a été rejetée le 11 avril 2011.

[9]               À son retour en Chine, le demandeur a été jugé et reconnu coupable de fraude contractuelle. Il affirme qu’au cours de sa détention avant le procès, on lui a interdit de communiquer avec sa famille, qu’on lui a refusé ses médicaments pour le diabète et qu’il n’a eu que des contacts limités avec son avocat. Il n’a été informé de la date de son procès et des éléments de preuve qui seraient invoqués contre lui que neuf jours avant l’ouverture du procès. Le demandeur affirme qu’il n’a été possible de contre‑interroger aucun des témoins et qu’un d’entre eux a rétracté son témoignage après le procès.

[10]           Le demandeur a également produit une lettre intitulée [traduction] « Opinion juridique » rédigée par 21 professeurs de droit chinois. Cette lettre se trouve à la page 48 du dossier du demandeur. On y mentionne une foule de facteurs qui démontreraient la bonne foi du demandeur avant d’arriver finalement à la conclusion que rien ne permet légitimement de conclure sur le plan juridique que le demandeur s’est rendu coupable de fraude contractuelle.

[11]           Le 20 janvier 2012, le demandeur a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de 15 ans par la Cour populaire intermédiaire de la ville de Chengdu, dans la province de Sichuan. Le 21 janvier 2012, le demandeur a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité devant la Cour populaire supérieure du Sichuan, qui l’a débouté de son appel le 13 février 2012. Le demandeur a formé un pourvoi de cette décision devant la Cour populaire suprême de Beijing le 22 mai 2012.

[12]           Le 27 février 2012, Daniel Kingwell, l’ancien avocat du demandeur, a adressé au premier ministre Stephen Harper une lettre dans laquelle il demandait au gouvernement canadien d’exprimer au gouvernement chinois ses préoccupations au sujet des poursuites criminelles intentées contre le demandeur. Cette lettre se trouve à la page 59 du dossier du demandeur. On y affirme que le demandeur se voit privé de ses droits de la personne fondamentaux. M. Kingwell déclare qu’il y a eu, relativement au demandeur :

                     Refus de contacts avec sa famille;

                     Refus de soins médicaux;

                     Refus de consulter un avocat;

                     Court préavis de procès;

                     Procès tenu à huis clos;

                     Décision rendue à huis clos;

                     Décision illégale;

                     Suppression de l’avis des professeurs;

                     Entrave au déroulement de l’appel;

                     Rétractation du témoignage des témoins à charge.

[13]           Le 29 février 2012, l’agent de la correspondance de la haute direction du Cabinet du Premier ministre a répondu à la lettre de M. Kingwell pour lui expliquer que ses observations avaient été examinées et transmises au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme pour qu’ils soient mis au courant de l’intérêt soutenu du demandeur à cet égard.

[14]           Le 5 mars 2012, soit sept jours après avoir adressé sa première lettre au Cabinet du Premier ministre, le demandeur a présenté une demande visant à obtenir un bref de mandamus en vue d’obtenir une réponse à la lettre de M. Kingwell. Le demandeur affirme qu’il n’a reçu aucune communication des deux ministres ou du Cabinet du Premier ministre depuis sa lettre du 29 février 2012 et que, compte tenu du caractère urgent de la présente affaire, il cherche à les contraindre à répondre par voie de bref de mandamus.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur soulève la question suivante dans la présente demande :

                       i.                     Le demandeur a‑t‑il satisfait à toutes les conditions à respecter pour pouvoir obtenir un bref de mandamus?

[16]           Le défendeur soulève la question préliminaire suivante à examiner avant celle formulée par le demandeur :

                       i.                     L’exercice de la prérogative en question peut‑il faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

[17]           Le demandeur affirme que les conditions à respecter pour que la Cour puisse prononcer un bref de mandamus ont été énoncées dans Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33 (1re inst) :

a)                  il existe une obligation légale à caractère public;

b)                  l’obligation doit exister envers le demandeur;

c)                  il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment,

1.         le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

2.         il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable; et

d)         il n’existe aucun autre recours.

 

Obligation légale à caractère public

[18]           Le demandeur souligne que le Canada a signé et ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, RT Can 1976 no 47 (le Pacte), dont l’article 7 est ainsi libellé : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». De plus, on trouve ce qui suit dans l’Observation générale no 20 du 3 octobre 1992 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies :

 

De l’avis du Comité les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. Les États parties devraient indiquer dans leurs rapports les mesures qu’ils ont adoptées à cette fin.

 

 

[19]           Le demandeur affirme qu’il a subi des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants en Chine par suite de son refoulement. Il souscrit également qu’un procès inéquitable qui s’est soldé par une peine d’emprisonnement de 15 ans et au cours duquel on a refusé de le traiter pour son diabète constitue une peine arbitraire ainsi qu’un traitement cruel, inhumain et dégradant.

[20]           L’article 14 du Pacte dispose :

1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.

 

2. Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

 

3. Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

 

a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle;

 

b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix;

 

c) À être jugée sans retard excessif;

 

d) À être présente au procès et à se défendre elle‑même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer;

 

e) À interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

 

f) À se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience;

 

g) À ne pas être forcée de témoigner contre elle‑même ou de s’avouer coupable.

 

4. La procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de l’intérêt que présente leur rééducation.

 

5. Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.

 

[21]           Le demandeur déclare que, dans le cas qui nous occupe, toutes les dispositions de l’article précité ont été violées d’une manière ou d’une autre, ainsi qu’il est précisé dans la lettre de M. Kingwell. Il soutient que le Canada a l’obligation de ne pas permettre qu’une personne subisse des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que le Canada est tenu envers le demandeur d’intervenir et d’atténuer les conséquences de la violation de l’article en question.

[22]           Le demandeur affirme également que l’article 7 de la Charte des droits et libertés [la Charte], qui garantit la vie, la liberté et la sécurité de la personne, s’applique également aux étrangers qui sont exposés au risque de subir des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’ils sont renvoyés à l’étranger (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh], États‑Unis d’Amérique c Burns, 2001 CSC 7 [Burns]). Le demandeur affirme qu’il a droit à la protection de l’article 7 de la Charte et que son retour en Chine lui confère le droit de réclamer des autorités canadiennes qu’elles cherchent à atténuer les conséquences de la violation de ses droits.

Obligation envers le demandeur

[23]           Le demandeur souligne que le Canada a également signé et ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Rés. A.G. 2200A (XXI), 21 N.U. GAOR, suppl. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966)). 999 R.T.N.U. 216 qui est entré en vigueur le 23 mars 1976 et dont voici quelques extraits :

Article premier

 

Tout État partie au Pacte qui devient partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant un État partie au Pacte qui n’est pas partie au présent Protocole.

 

Article 2

 

Sous réserve des dispositions de l’article premier, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu’il l’examine.

 

[…]

 

Article 4

 

1. Sous réserve des dispositions de l’article 3, le Comité porte toute communication qui lui est présentée en vertu du présent Protocole à l’attention de l’État partie audit Protocole qui a prétendument violé l’une quelconque des dispositions du Pacte.

 

2. Dans les six mois qui suivent, ledit État soumet par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

 

Article 5

 

1. Le Comité examine les communications reçues en vertu du présent Protocole en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui sont soumises par le particulier et par l’État partie intéressé.

 

2. Le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que :

 

a) La même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement;

 

b) Le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables.

 

3. Le Comité tient ses séances à huis clos lorsqu’il examine les communications prévues dans le présent Protocole.

 

4. Le Comité fait part de ses constatations à l’État partie intéressé et au particulier.

 

[…]

 

 

[24]           Se fondant sur ce qui précède, le demandeur fait valoir que le Canada est, sur le plan international, responsable devant lui de son renvoi qui a entraîné des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Canada a l’obligation d’atténuer le préjudice causé au demandeur en entreprenant les démarches demandées par M. Kingwell dans sa lettre. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, le demandeur affirme que le Canada a une obligation envers lui aux termes de l’article 7 de la Charte.

Conditions préalables à l’existence de l’obligation

[25]           Le demandeur affirme que la seule condition préalable à l’existence de l’obligation à son égard est l’existence d’une demande antérieure, et que cette demande a été formulée dans la lettre de M. Kingwell.

Délai raisonnable

[26]           Le demandeur n’a formulé sa demande d’intervention qu’assez récemment, mais il affirme que l’affaire est urgente. La déclaration de culpabilité du demandeur fait présentement l’objet d’un appel en Chine et le demandeur soutient qu’il est important que l’un des ministres canadiens intervienne auprès des autorités chinoises avant que le processus d’appel ne connaisse son dénouement. Le demandeur a également besoin de soins médicaux appropriés dans les plus brefs délais.

Refus implicite ou explicite

[27]           Bien qu’il n’ait pas essuyé de refus explicite, le demandeur affirme que le délai de réponse constitue un refus dans les faits, compte tenu de l’urgence de l’affaire et des délais applicables aux appels en instance en Chine.

[28]           Vu ce qui précède, le demandeur sollicite le prononcé d’un bref de mandamus enjoignant au premier ministre de faire part aux autorités chinoises de ses inquiétudes au sujet des poursuites criminelles en cours intentées contre le demandeur. Le demandeur ne sollicite pas de dépens.

Le défendeur

L’exercice de la prérogative ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en l’absence d’une violation de la Charte

[29]           Le 29 février 2012, l’agent de la correspondance de la haute direction du Cabinet du Premier ministre a répondu à la lettre de M. Kingwell pour lui expliquer que ses observations avaient été examinées et transmises au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme pour qu’ils soient mis au courant de l’intérêt soutenu du demandeur à cet égard.

[30]           Le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer que le gouvernement du Canada avait l’obligation de répondre à toute lettre adressée au Cabinet du Premier ministre. Le défendeur affirme que, compte tenu du fait que le demandeur a déjà reçu une réponse à sa lettre du 27 février 2012, sa requête en bref de mandamus en vue de contraindre les ministres à lui répondre devrait être rejetée purement et simplement, le tout avec dépens.

[31]           Suivant le défendeur, il ressort des observations écrites du demandeur que celui‑ci ne cherche pas à obtenir simplement une réponse à sa lettre du 27 février 2012, mais qu’il cherche en réalité à obtenir un bref de mandamus visant à forcer le gouvernement canadien à intervenir auprès du gouvernement chinois au sujet des poursuites criminelles dont il fait présentement l’objet en Chine.

[32]           Le défendeur affirme que le pouvoir des tribunaux de contrôler l’exercice de la prérogative est limité. À défaut de violation de la Charte ou d’autres normes constitutionnelles, la façon dont le gouvernement exerce sa prérogative échappe à tout contrôle (Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3 [Khadr], au paragraphe 35).

i)    Pas de violation de la Charte par le gouvernement canadien

[33]           Quiconque réclame une réparation fondée sur la Charte doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu une violation de la Charte. Pour démontrer que les droits que l’article 7 de la Charte lui garantit ont été violés, le demandeur doit démontrer que les autorités canadiennes ont porté atteinte à la liberté et à la sécurité de sa personne et que cette atteinte n’est pas compatible avec les principes de justice fondamentale (Khadr, aux paragraphes 21 et 22). Le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve démontrant que les autorités canadiennes ont violé la Charte en l’espèce.

[34]           Le défendeur affirme que l’expulsion du demandeur était parfaitement conforme aux principes de justice fondamentale. Le demandeur s’est prévalu d’une vaste gamme de recours dont il disposait en rapport avec sa demande d’asile et son renvoi, et les tribunaux ont jugé que les diverses décisions qui ont été rendues dans son cas étaient équitables. Rien ne permettait de penser qu’il serait exposé à la peine de mort ou qu’il risquerait d’être torturé à son retour en Chine et il n’a pas allégué qu’il est présentement exposé à l’un ou l’autre de ces risques. En ce qui concerne sa requête en suspension de son renvoi, il a été jugé que son renvoi ne violerait pas l’article 7 de la Charte. Les autorités canadiennes avaient le droit de donner suite à la décision rendue par la Cour et de renvoyer le demandeur du Canada, et c’est ce qu’ils ont fait.

[35]           De plus, la Cour suprême du Canada a jugé, dans Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 48, que le fait de renvoyer une personne dans un pays où elle est passible d’une longue peine d’emprisonnement ne constitue pas une violation de l’article 7 de la Charte. Le défendeur affirme par conséquent que le renvoi du demandeur était conforme aux principes de justice fondamentale.

ii)   Rien ne justifie l’application de la Charte après l’expulsion

[36]           À l’appui de son allégation qu’il y a eu violation de la Charte, le demandeur invoque Burns et Suresh. Le défendeur soutient que, dans ces deux affaires, il existait une preuve prima facie que l’intéressé serait exposé à la peine de mort ou au risque d’être torturé s’il était extradé, dans un cas, ou expulsé, dans l’autre cas. Dans les deux affaires, l’intéressé était sous le contrôle des autorités canadiennes au moment où la mesure avait été réclamée. Également dans les deux cas, des assurances pouvaient permettre de fournir à l’intéressé une protection efficace contre d’éventuelles violations de la Charte et le gouvernement gardait toute liberté pour décider si d’autres mesures devaient ou non être prises.

[37]           Dans le cas qui nous occupe, aucun risque de peine de mort ou de torture n’est allégué. Le demandeur n’est par ailleurs pas présentement sous le contrôle des autorités canadiennes. Le défendeur affirme qu’on élargirait singulièrement la portée de Burns et Suresh en laissant entendre que ces décisions s’appliquent lorsqu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Charte au moment de l’expulsion. Le fait d’apprendre après‑coup que le procès criminel qui s’est déroulé en Chine serait inéquitable ne rend pas le Canada partie à cette présumée iniquité. On ne peut prétendre qu’il y a eu violation de la Charte du fait que le demandeur reproche aux autorités chinoises leurs agissements envers lui après son expulsion, notamment le fait qu’il n’a pas eu accès à des soins médicaux et qu’il n’a pas pu communiquer avec sa famille, étant donné que la Charte ne s’applique pas à des matières ne relevant pas de la compétence du Parlement.

[38]           Dans R c Hape, 2007 CSC 26 [Hape], la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à deux volets permettant de déterminer si acte accompli à l’étranger tombe sous le coup du paragraphe 32(1) de la Charte et est, de ce fait, protégé par la Charte. La première étape consiste à se demander si l’acte considéré a été accompli par un acteur étatique canadien (Hape, au paragraphe 113), ce qui n’est de toute évidence pas le cas en l’espèce. En l’espèce, le demandeur s’est plaint – sans preuves à l’appui – d’avoir été privé de soins médicaux et d’avoir été victime d’un procès inéquitable. Ses reproches visent exclusivement les autorités chinoises. Aucun acteur étatique canadien n’a pris part aux actes dont il se prétend victime.

[39]           Il n’y a par ailleurs aucun lien entre les présumées violations survenues après son expulsion et le Canada. Pour pouvoir faire valoir un droit prévu à l’article 7 de la Charte, il faut établir l’existence d’un lien avec le Canada par sa présence au Canada, par l’existence de poursuites criminelles au Canada ou par sa citoyenneté canadienne (Slahi c Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 160, conf. par 2009 CAF 259 [Slahi], aux paragraphes 47 et 48). Dans l’affaire Slahi, M. Slahi avait séjourné au Canada à titre de résident permanent, ce qui ne constituait pas un lien suffisant pour lui permettre d’invoquer la protection de l’article 7 de la Charte (Slahi, aux paragraphes 39 à 48).

[40]           Dans le cas qui nous occupe, les présumées violations font suite à la détention du demandeur en Chine par les autorités chinoises par suite d’instances judiciaires introduites en Chine. Le défendeur affirme donc que, même s’il y a eu refus de soins médicaux ou procès inéquitable comme le prétend le demandeur  ce qui n’a pas été prouvé  , il n’y a pas de lien avec le Canada.

iii)  Absence de preuve démontrant les présumées violations de la Charte

[41]           Le défendeur affirme que, même si l’élargissement de la portée des principes établis dans Burns et Suresh proposé par le demandeur pouvait être établi, le demandeur n’a présenté aucun témoignage sous serment ou preuve admissible pour appuyer ses allégations. Les « éléments de preuve » qu’il a soumis à l’appui de sa demande sont presque exclusivement des déclarations inadmissibles constituant du double ouï‑dire. Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a été victime de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de la part des autorités chinoises.

[42]           Le seul témoignage sous serment que le demandeur a présenté est un affidavit de trois paragraphes souscrits par Mme Wu, la belle‑fille du demandeur. Le seul élément de preuve tangible que contient cet affidavit est le fait que le demandeur est un ressortissant chinois présentement détenu en Chine et le fait que l’avocat du demandeur a informé Mme Wu qu’on se prépare à interjeter un second appel de la déclaration de culpabilité du demandeur. Aucune des présumées violations de l’article 7 n’a été mise en preuve par d’autres témoins.

[43]           Un des documents soumis par le demandeur est une pétition signée par [traduction] « groupe d’experts juridiques chinois ». On ne dispose toutefois d’aucun témoignage direct de l’un de ces « experts juridiques » ni d’éléments de preuve sur leurs titres de compétence, leurs connaissances spécialisées, la façon dont ils ont été mis au courant du dossier du demandeur, la question de savoir s’ils ont été payés pour donner leur opinion, les éléments de preuve qu’ils ont examinés relativement au dossier du demandeur ou la façon dont ils les auraient obtenus. Suivant le défendeur, compte tenu des lacunes de la preuve du demandeur, il est impossible d’apprécier ou de vérifier la preuve.

[44]           Le défendeur souligne également que, dans la lettre qu’il a écrite au premier ministre, le demandeur mentionne une lettre qu’il avait écrite à sa famille et dans laquelle il [traduction] « réclamait des médicaments, une couverture et un avocat ». Cette lettre, qui était censée avoir été rédigée par le demandeur et dans laquelle ce dernier se serait plaint qu’on lui avait refusé des soins médicaux, n’a pas été présentée en preuve dans le cadre de la présente instance. La lettre adressée au premier ministre mentionne également le fait qu’on n’a pas permis au demandeur de consulter un avocat au cours de son procès au criminel; pourtant, aucun élément de preuve n’a été fourni par l’avocat représentant le demandeur dans le cadre du procès au criminel de ce dernier en Chine pour confirmer ces présumés refus. Qui plus est, aucun élément de preuve n’a été présenté par l’auteur de la lettre pour expliquer comment il avait obtenu les renseignements relatifs au demandeur en ce qui concerne les présumées violations mentionnées dans sa lettre et pourquoi il les croyait.

[45]           Selon le défendeur, le demandeur ne s’est nullement acquitté de la charge de preuve qui lui incombait. Étant donné cette absence de preuve, aucune violation de la Charte n’a été démontrée. À défaut de violation de la Charte, la Cour n’a pas compétence pour examiner ou commenter l’exercice de la prérogative royale en matière d’affaires étrangères ou pour donner des directives à ce sujet.

Les conditions préalables à la délivrance d’un bref de mandamus n’ont pas été respectées

i)    Critères applicables à la délivrance d’un bref de mandamus

[46]           Les critères à respecter pour obtenir la délivrance d’un bref de mandamus ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), conf. par [1994] 3 RCS 1100. Tous les critères énoncés au paragraphe 45 de cet arrêt doivent être respectés avant que la Cour puisse délivrer un bref de mandamus. En particulier, le défendeur affirme que les critères suivants n’ont pas été respectés dans le cas qui nous occupe :

1.         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public …

2.         L’obligation doit exister envers le demandeur …

3.         Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment:

a)         le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

 

b)         il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable […]

 

[…]

6.         L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique …

[…]

8.             Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

 

ii)   Absence d’obligation légale d’agir à caractère public

[47]           Comme nous l’avons déjà expliqué, suivant le défendeur, le demandeur cherche à obtenir l’accomplissement d’un acte qui relève carrément de la prérogative royale en matière d’affaires étrangères et qui échappe donc à tout contrôle (Khadr, au paragraphe 35). Suivant le demandeur, le Canada est tenu d’atténuer le présumé préjudice; toutefois, l’expulsion légitime du demandeur du Canada ne peut être invoquée pour justifier une obligation légale à caractère public impérative. Bien que le gouvernement ait incontestablement toute latitude pour faire des représentations en pareil cas, il n’existe aucun principe légal qui l’oblige à le faire.

[48]           Il y a deux obstacles que le demandeur doit surmonter pour pouvoir satisfaire à la première condition préalable à la délivrance d’un bref de mandamus. Premièrement, il doit démontrer que le gouvernement canadien a violé les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte. Deuxièmement, il doit démontrer que le fait que la réparation qu’il cherche à obtenir touche la prérogative royale en matière d’affaires étrangères fait obstacle à cette réparation.

[49]           Pour les motifs déjà exposés, le demandeur n’a pas démontré que les autorités canadiennes ont violé la Charte. Comme les autorités canadiennes n’ont pris aucune autre mesure et que la Charte n’a pas été violée, il n’y a aucun fondement qui permettrait d’établir l’existence de l’obligation légale requise.

[50]           De plus, la réparation que le demandeur sollicite empiète nécessairement sur la prérogative royale en matière d’affaires étrangères. Même la réparation restreinte sollicitée dans l’avis de demande – en l’occurrence, une ordonnance contraignant les ministres à répondre à la demande – empiète sur la prérogative royale en matière d’affaires étrangères, puisqu’elle vise une décision sur l’opportunité de faire des représentations en vertu de la prérogative royale en matière d’affaires étrangères (Khadr, au paragraphe 35).

[51]           Les tribunaux jouissent d’un pouvoir circonscrit « pour examiner les questions relatives aux affaires étrangères et intervenir à leur égard – de façon à s’assurer de la constitutionnalité de l’action de l’exécutif » (Khadr, au paragraphe 38). Comme nous l’avons déjà vu, à défaut de violation constitutionnelle, la Cour ne doit pas intervenir.

[52]           Tout comme dans l’affaire Khadr, le demandeur n’est pas sous le contrôle du gouvernement canadien, les probabilités que la réparation demandée soit efficace sont incertaines et la Cour ne peut correctement évaluer les répercussions de la mesure demandée sur les relations étrangères canadiennes. Le dossier donne un portrait nécessairement incomplet des diverses considérations dont le gouvernement doit tenir compte pour évaluer la demande du demandeur. Même dans l’affaire Khadr, dans laquelle il a été jugé que le Canada avait participé activement à la violation de droits que l’article 7 de la Charte garantissait à un citoyen canadien, la Cour suprême a refusé de donner des directives au sujet des démarches diplomatiques que le Canada devait entreprendre.

[53]           Ainsi, même si le demandeur avait démontré que la Charte avait été violée  ce qu’il n’a pas fait  le défendeur affirme qu’il ne conviendrait pas, dans ces conditions, d’empiéter sur la prérogative royale en matière d’affaires étrangères.

[54]           Le défendeur affirme que, comme il n’a pas démontré qu’il existait une obligation légale à caractère public, le demandeur n’a pas établi son droit à un bref de mandamus.

iii)  Aucune obligation envers le demandeur

[55]           Le demandeur prétend se fonder sur le Pacte pour démontrer que le Canada a une obligation légale à caractère public envers lui. Le paragraphe 2(1) du Pacte limite expressément les obligations du Canada aux individus se trouvant sur son territoire. Le demandeur ne fait de toute évidence pas partie de cette catégorie de personnes. De plus, le Canada s’est acquitté de toutes les obligations qu’il avait envers lui lorsqu’il se trouvait sur le territoire canadien dans le cadre du processus d’expulsion. Le défendeur affirme donc que le Canada n’a aucune obligation envers le demandeur en vertu du Pacte.

iv)  Absence du droit d’exiger l’exécution d’une présumée obligation

[56]           Dans la décision Conille, précitée, la Court explique, au paragraphe 23, que trois conditions s’imposent pour qu’un délai soit jugé déraisonnable :

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

 

2) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; et

 

3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

 

[57]           Le défendeur affirme qu’en l’espèce, la question du délai ne se pose tout simplement pas, étant donné qu’il n’existait aucune obligation légale à caractère public envers le demandeur et que l’exécution de cette obligation ne se pose manifestement pas. Toutefois, même si une telle obligation existait envers le demandeur, le « délai » qu’accusait le traitement de la demande du demandeur serait néanmoins raisonnable. Le Cabinet du Premier ministre a répondu deux jours après la présentation de la demande. Même si la Cour jugeait que le demandeur avait droit à une autre réponse, le délai écoulé depuis la première réponse n’était pas à première vue plus long que celui qui était raisonnablement exigé, compte tenu de la nature du processus. Étant donné qu’il n’y a eu aucun délai déraisonnable pour l’envoi de la réponse à la demande formulée par le demandeur, on ne peut conclure à un refus implicite subséquent de la part du défendeur.

v)   L’ordonnance sollicitée n’a aucune incidence sur le plan pratique

[58]           Comme je l’ai indiqué précédemment, le défendeur affirme que le demandeur a déjà reçu une réponse dans la lettre du 29 février 2012 de l’agent de la correspondance de la haute direction. En tout état de cause, comme il n’a aucune obligation de faire les représentations demandées, le gouvernement canadien pourrait se contenter de répondre « non » s’il était forcé de donner une réponse. Cette réponse n’aurait aucune incidence sur le plan pratique.

[59]           Qui plus est, comme le répète le défendeur, le demandeur est un ressortissant chinois relevant du contrôle des autorités chinoises. La présente affaire est différente de celles dans lesquelles le gouvernement canadien cherche à obtenir des assurances avant d’extrader ou d’expulser un individu. Vu les circonstances de la présente affaire, même si le gouvernement canadien décidait d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour faire des représentations auprès des autorités chinoises, les probabilités que ces représentations soient efficaces et qu’elles influent sur l’équité de la procédure dans le cas du procès intenté contre le demandeur demeurent incertaines.

vi)  La prépondérance des inconvénients milite contre l’octroi de la réparation demandée

[60]           Comme je l’ai déjà expliqué, le défendeur affirme que, même si la Cour enjoignait à la Couronne de donner une autre réponse à la lettre du 27 février 2012, une telle mesure constituerait une intrusion inacceptable dans les affaires étrangères. Le demandeur, qui est un ressortissant chinois, demande en fait au gouvernement du Canada d’intervenir dans son procès criminel en Chine. Le fait d’établir un tel précédent en accordant cette réparation, alors qu’aucune violation de la Charte n’a été commise et qu’il n’existe aucune obligation envers lui, porterait atteinte à la prérogative royale en matière d’affaires étrangères et à l’expertise du pouvoir exécutif, qui est chargé de prendre des décisions en matière d’affaires étrangères. Le défendeur affirme que l’ordre public, les limites inhérentes aux pouvoirs institutionnels de la Cour et l’importance de respecter la prérogative royale en matière d’affaires étrangères font en sorte que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur.

Conclusion

[61]           Pour tous ces motifs, le défendeur affirme que le demandeur n’a satisfait à aucun des critères auxquels il faut répondre avant que la Cour puisse prononcer un bref de mandamus. Le demandeur n’a pas droit à la réparation qu’il sollicite dans sa demande de contrôle judiciaire et la présente demande devrait par conséquent être rejetée avec dépens.

ANALYSE

[62]           La présente demande doit être rejetée pour plusieurs raisons.

[63]           En tout premier lieu, le demandeur sollicite un bref de mandamus visant à contraindre le premier ministre du Canada, le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme à [traduction] « répondre à la demande du demandeur qui souhaite que le premier ministre exprime au gouvernement chinois ses préoccupations au sujet des poursuites criminelles intentées contre lui en Chine ».

[64]           La « demande » adressée au gouvernement canadien par le demandeur se trouve dans la lettre du 27 février 2012 de M. Kingwell. Elle est ainsi libellée :

[traduction] Nous vous écrivons pour demander au gouvernement canadien d’exprimer ses préoccupations aux autorités chinoises au sujet du procès criminel en cours contre Han Lin Zeng.

 

 

[65]           La lettre ne contient pas de demande de « réponse à la demande ». La lettre demande au gouvernement du Canada d’exprimer ses préoccupations aux autorités chinoises et non de répondre et de confirmer au demandeur que le gouvernement est prêt ou non à entreprendre cette démarche. Pour ce qui est de la question de savoir si la lettre de M. Kingwell nécessitait ou non une réponse, celle‑ci se trouve dans la suite rapide que le Cabinet du Premier ministre y a donnée dans sa lettre du 29 février 2012 :

[traduction] Soyez assuré que nous avons bien pris connaissance de vos observations. Je me suis permis de transmettre votre lettre à l’honorable John Baird, ministre des Affaires étrangères, et à l’honorable Jason Kenney, ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, pour qu’ils soient mis au courant de votre intérêt soutenu à cet égard.

 

 

[66]           Il ne peut y avoir d’obligation légale d’agir à caractère public (dans le cas qui nous occupe, l’obligation de répondre à la demande de la part du gouvernement) lorsqu’aucune demande de réponse n’a été formulée. Le demandeur fait valoir que, dans sa lettre, M. Kingwell demandait implicitement au gouvernement de lui répondre pour lui dire s’il avait l’intention de s’adresser aux autorités chinoises en son nom. À mon avis, la lettre rappelle simplement au premier ministre ce qu’il a publiquement dit à ce sujet et l’exhorte à exprimer ses préoccupations au nom du demandeur. On informe le demandeur que sa lettre a été transmise aux ministres compétents. Il n’y a aucune demande implicite portant sur quelque autre question.

[67]           Il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles un bref de mandamus ne saurait être délivré vu l’ensemble des faits de l’espèce. Mais, essentiellement, je ne vois pas comment la Cour pourrait ordonner au gouvernement du Canada d’accomplir un acte que le demandeur ne lui a pas demandé de faire. Si le demandeur voulait une autre réponse que celle qui était précisée dans la lettre de M. Kingwell, rien ne l’empêchait de revenir à la charge plus tard. Or, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de penser qu’il a fait un suivi quelconque.

[68]           Si le demandeur cherche effectivement à obtenir un bref de mandamus pour forcer le gouvernement à faire des représentations en son nom auprès des autorités chinoises – ce qui ne ferait pas partie de sa demande, selon lui – ce n’est pas ce qui est formulé dans sa demande et le gouvernement n’a aucune d’obligation légale à caractère public d’agir en ce sens.

[69]           Le demandeur a prolongé illégalement la durée de séjour autorisée par son visa et les autorités canadiennes ont dû l’arrêter. Il s’est ensuite prévalu de toute la gamme de mesures de protection que le Canada accorde à toute personne craignant de retourner dans son pays d’origine, y compris le contrôle judiciaire devant la présente Cour. Avant de retourner en Chine, le dossier du demandeur a été examiné à fond par les autorités de l’immigration et par la Cour fédérale, et il a eu droit à l’application régulière de la Loi. Son renvoi était parfaitement légitime et il était conforme à la loi canadienne. Son renvoi n’était entaché d’aucune violation d’un droit garanti par la Charte ou de quelque autre droit de la part des autorités canadiennes, et il a été effectué conformément aux principes de justice fondamentale.

[70]           Le demandeur cherche à se prévaloir des droits garantis par les lois canadiennes et par la Charte en tant que ressortissant étranger se trouvant présentement en Chine. Il prétend à l’appui de cette demande qu’il est venu au Canada, qu’il s’est prévalu des protections des lois canadiennes et qu’il a ensuite été renvoyé en Chine. Je ne connais aucune autorité légale qui confère au demandeur les droits reconnus par les lois canadiennes en pareil cas. Le juge O’Keefe a déjà statué que l’article 7 de la Charte ne s’applique pas directement lorsqu’un demandeur est exclu du statut de réfugié (décision Zeng, précitée, aux paragraphes 69 à 74).

[71]           Le demandeur n’est pas différent des autres ressortissants étrangers vivant dans leur propre pays et faisant face à la justice dans leur pays. La loi ne lui accorde aucun recours à l’égard du Canada. Les arrêts Burns et Suresh ne s’appliquent pas en l’espèce parce qu’il s’agissait d’affaires portant sur des situations survenues avant l’expulsion et que les intéressés étaient sous le contrôle du Canada au moment où ils avaient demandé une réparation à la Cour. De plus, il n’y a pas d’acteur étatique canadien en l’espèce qui aurait était impliqué dans les mauvais traitements que le demandeur a pu subir de la part des autorités chinoises et qui les aurait tolérés (arrêt Hape, précité).

[72]           Ainsi que le défendeur le souligne, dans la décision, Slahi, précitée, le juge Edmond Blanchard a précisé clairement que, pour faire valoir un droit fondé sur l’article 7, le demandeur doit établir l’existence d’un lien avec le Canada, par sa présence au Canada, par le fait qu’il fait l’objet d’un procès au criminel au Canada ou par le fait qu’il a la citoyenneté canadienne. Le seul lien que le demandeur possède avec le Canada est le fait qu’il est venu ici comme visiteur, qu’il y est demeuré illégalement et qu’il s’est prévalu pleinement de notre système de protection des réfugiés, pour être ensuite expulsé légalement en Chine. En ce moment, il n’a aucun lien avec le Canada.

[73]           Par ailleurs, je ne dispose d’aucun élément de preuve acceptable me permettant de penser que le demandeur est traité par les autorités chinoises d’une façon qui constituerait une violation d’un droit garanti par la Charte, si tant est qu’un tel droit existe. Le demandeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait l’objet de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de la part des autorités chinoises. Le seul témoignage direct fait sous serment dont je dispose à ce propos est l’affidavit souscrit par Mme Wu, la belle‑fille du demandeur, qui ne dit rien au sujet de violations du principe de l’application régulière de la loi ou des mauvais traitements infligés au demandeur par les autorités chinoises. Le demandeur cherche à surmonter cette difficulté en laissant entendre qu’il n’est pas tenu à la même qualité de preuve que celle exigée dans le cas d’une violation des droits de la personne contre lui en Chine dès lors que la seule chose qu’il réclame est une réponse à sa demande du 27 février 2012. J’estime toutefois que la demande de réponse ne fait intervenir aucun des droits reconnus par la Charte vu les faits de l’espèce.

[74]           Il ressort de tout ce qui précède qu’indépendamment de ce que le demandeur cherche à obtenir comme réponse à sa lettre de la part du gouvernement canadien ou la démarche qu’il souhaite voir entreprendre en son nom par les autorités canadiennes auprès des autorités chinoises, il n’a pas démontré que les autorités canadiennes avaient une obligation légale à caractère public d’agir ni que des auteurs étatiques canadiens avaient violé la Charte. Ce que le Canada décidera de faire en son nom relève carrément de la prérogative royale en matière d’affaires étrangères et, lorsqu’il n’y a pas de violation de la Constitution ou de la Charte, la Cour ne peut intervenir (arrêt Khadr, précité, aux paragraphes 35 à 37).

J’estime par ailleurs que le demandeur n’a pas aidé sa cause en cherchant à invoquer la LIPR ou le Pacte. Le demandeur a été légalement expulsé en Chine et il ne relève plus de la LIPR. Par ailleurs, le Pacte ne s’applique au Canada qu’en ce qui concerne les « individus se trouvant sur [son] territoire et relevant de [sa] compétence », ce qui n’est manifestement pas le cas du demandeur. Rien ne permet de penser que le demandeur n’a pas eu droit au respect de tous les droits que lui garantit le Pacte pendant qu’il se trouvait sur le territoire du Canada et qu’il relevait de sa compétence. En tout état de cause, le demandeur affirme que tout ce qu’il revendique dans sa demande est le droit à une réponse à sa lettre de la part du gouvernement du Canada. Je ne vois pas comment ce présumé droit fait intervenir la LIPR, le Pacte, la Charte ou la constitution canadienne.Pour résumer, le fait que le demandeur n’a jamais demandé la réponse précise qu’il souhaite que la Cour ordonne au gouvernement de lui donner maintenant constitue un motif suffisant pour refuser d’ordonner le prononcé d’un bref de mandamus. De plus, le demandeur n’a pas démontré que les autorités canadiennes avaient violé la Charte ou la Constitution, et la décision du Canada de refuser d’intervenir au sujet de la situation du demandeur en Chine relève clairement de la prérogative royale, et aucune des exceptions au principe de non‑intervention de la Cour (violation de la Charte ou de la Constitution, violation d’une loi ou manquement à une attente légitime) n’a été établie.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑811‑12

 

INTITULÉ :                                                  HAN LIN ZENG

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 14 janvier 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 31 janvier 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharlene Telles‑Langdon

Beth Tait‑Milne

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.