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Date: 20130204

Dossier : T‑556‑11

Référence : 2013 CF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 4 février 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

PFIZER CANADA INC., ET

WARNER‑LAMBERT COMPANY LLC

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

PHARMASCIENCE INC. ET

LA MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

défenderesses

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, déposée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) (DORS/93‑133), et ses modifications (le Règlement AC), visant à empêcher la ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l’intention de Pharmascience Inc. à l’égard de ses capsules de PMS‑prégabaline dosées à 25 mg, 50 mg, 75 mg, 150 mg et 300 mg jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2 255 652 (le brevet 652). L’avis de demande original a été déposé le 1er avril 2011, ce qui signifie que la Cour doit statuer sur la présente affaire au plus tard le 1er avril 2013.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être rejetée avec dépens.

 

TABLE DES MATIÈRES

[3]               La table des matières qui suit renvoie aux numéros de paragraphe des présents motifs :

 

Paragraphes 4 à 8

 

LES PARTIES

 

Paragraphes 9 à 15

 

LE BREVET 652 DANS LES GRANDES LIGNES

 

Paragraphes 16 à 20

 

LA PREUVE

 

Paragraphes 21 à 23

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

Paragraphes 24 à 27

 

LE FARDEAU DE LA PREUVE

 

Paragraphes 28 à 35

 

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

 

Paragraphes 36 à 58

 

Paragraphes 36 à 58

 

LE BREVET 652 DANS LES DÉTAILS

 

a) Le mémoire descriptif

 

Paragraphes 59 à 62

 

LA REVENDICATION 3

 

Paragraphes 63 à 82

 

INTERPRÉTATION DE LA REVENDICATION 3 – DOULEUR

 

Paragraphes 83 à 95

 

REVENDICATIONS AYANT UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE L’INVENTION RÉALISÉE OU DIVULGUÉE

 

Paragraphes 96 à 163

 

 

Paragraphes 102 à 105

 

Paragraphes 106 à 111

 

Paragraphes 112 à 158

 

Paragraphe 159

 

Paragraphes 160 à 163

 

PRÉDICTION VALABLE – DIVULGATION DE L’UTILITÉ

 

Revendications pharmaceutiques

 

Invention

 

Historique de la jurisprudence

 

Où en sommes‑nous maintenant?

 

Le cas d’espèce

 

Paragraphes 164 à 185

 

 

Paragraphes 168 à 178

 

 

Paragraphes 179 à 185

UTILITÉ – PRÉDICTION VALABLE – REVENDICATION 3

 

  1. La prégabaline ne traite pas tous les types de douleurs.

 

  1. Le brevet ne révèle aucune utilité du racémate et n’autorise pas à faire une prédiction valable selon laquelle le racémate peut traiter tous les types de douleurs ou même certains types de douleurs.

 

Paragraphes 186 à 205

 

ÉVIDENCE

 

Paragraphes 206 à 215

 

DEMANDE DE REDÉLIVRANCE

 

Paragraphes 216 à 218

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

 

 

LES PARTIES

[4]               La demanderesse, la société Pfizer Canada Inc. (Pfizer), est une « première personne » au sens du Règlement AC. La demanderesse a inscrit le brevet 652 conformément à ce règlement. Pfizer a obtenu un avis de conformité de la part de la ministre de la Santé l’autorisant à vendre des capsules contenant de la prégabaline dosées à 25, 50, 75, 150 et 300 mg, sous le nom commercial LYRICA.

 

[5]               La demanderesse Warner‑Lambert Company LLC (Warner‑Lambert) prétend être la titulaire du brevet 652, ce qui n’est pas contesté dans la présente instance.

 

[6]               La défenderesse Pharmascience Inc. (Pharmascience) est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Elle souhaite vendre une version générique du LYRICA de Pfizer. À cette fin, elle doit obtenir un avis de conformité auprès de la ministre de la Santé. Le 11 février 2011, elle a signifié à Pfizer un avis d’allégation conformément au Règlement AC.

 

[7]               Pharmascience allègue dans cet avis que les revendications 4, 6 à 12, 14 et 15 du brevet 652 ne sont pas contrefaites, que le brevet est invalide pour cause d’anticipation, d’évidence, d’inutilité, d’absence de prédiction valable, et d’ambiguïté, et parce que les revendications ont une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée. Tous ces motifs sont développés dans la déclaration détaillée ci‑jointe.

 

[8]               Le Règlement AC confie diverses responsabilités à la ministre de la Santé défenderesse, notamment la délivrance d’un avis de conformité à une « seconde personne » comme Pharmascience, lorsque les circonstances le justifient. La ministre n’a pas participé activement à la présente instance.

 

LE BREVET 652 DANS LES GRANDES LIGNES

[9]               Le brevet d’invention canadien no 2 255 652 (le brevet 652) a fait l’objet d’une demande réputée avoir été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 16 juillet 1997. Il est donc régi par les dispositions de la « nouvelle » Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P‑4, qui s’applique aux demandes de brevets présentées après le 1er octobre 1989.

 

[10]           La demande a été déposée aux termes des dispositions du Traité de coopération en matière de brevet (PCT) et son auteur revendique la priorité à l’égard d’une première demande soumise au bureau américain des brevets le 24 juillet 1996. C’est en fonction de cette date que les questions d’évidence et d’anticipation seront tranchées.

 

[11]           En vertu du PCT, la demande de brevet est réputée avoir été déposée au Bureau canadien des brevets le 16 juillet 1997. Cette date sert de point de départ pour le calcul de la durée du brevet et de référence pour la question de la prédiction valable.

 

[12]           La demande a été mise à la disponibilité du public, conformément au Traité de coopération en matière de brevet, le 29 janvier 1998. C’est la date dont nous nous servirons aux fins d’interprétation du brevet et de ses revendications.

 

[13]           Le brevet 652 désigne un certain Lakhbir Singh de Grande‑Bretagne comme l’inventeur. Ce dernier a déposé un affidavit dans la présente instance et a été contre‑interrogé.

 

[14]           Le brevet 652 a été délivré et concédé à Warner‑Lambert Company des États‑Unis le 13 juillet 2004. Le brevet, à moins qu’il ne soit déclaré invalide dans une action en bonne et due forme, expire vingt (20) ans après la date à laquelle la demande a été déposée au Canada, à savoir le 16 juillet 2017.

 

[15]           Il est convenu que seule la revendication no 3 du brevet 652 est contestée en l’espèce. Il sera question de l’interprétation de cette revendication et du brevet plus loin dans ces motifs.

 

LA PREUVE

[16]           Comme il est d’usage lors de telles procédures, la preuve était composée d’affidavits, de transcriptions de contre‑interrogatoires et des pièces annexées aux contre-interrogatoires. La Cour n’a pas eu le loisir de voir ou d’entendre les témoins ni d’observer leur comportement.

 

[17]           Les demanderesses ont déposé les affidavits, et leurs pièces jointes, des personnes suivantes :

 

                     Kenneth E. McCarson : Professeur agrégé de pharmacologie à l’University of Kansas Medical Center, à Kansas City (Kansas). Il revendique une expertise relativement le test à la formaline, le test à la carragénine et au modèle post‑chirurgical mentionnés dans le brevet 652. Il a déposé un affidavit principal et un affidavit en réponse, et il a été contre‑interrogé.

 

                     Stephen McMahon : Professeur de physiologie au King’s College London, et directeur du London Pain Consortium. Il revendique une expertise dans les domaines des neurosciences, de la neurobiologie somatosensorielle et, en particulier, de la douleur. Monsieur McMahon a déposé un affidavit principal et un affidavit en réponse, et il a été contre‑interrogé.

 

                     Dr Roman Jovey : Docteur en médecine formé en médecine générale, directeur médical des CPM Centres for Pain Management à Mississauga, en Ontario, et médecin‑directeur de l’Addictions & Concurrent Disorders Centre au Credit Valley Hospital à Mississauga. Il revendique une expertise, en tant que médecin, dans les domaines de la gestion de la douleur chronique et de la toxicomanie. Le Dr Jovey a déposé un affidavit et a été contre‑interrogé.

 

                     Lakhbir Singh : Personne désignée comme l’inventeur dans le brevet 652. Monsieur Singh a déposé un affidavit et a été contre‑interrogé.

 

                     Ann G. Hayes : Pharmacologue agissant à titre de consultante pharmaceutique indépendante pour l’industrie pharmaceutique, plus particulièrement dans le domaine des maladies du système nerveux central. Son affidavit a été déposé en réponse à l’affidavit de M. Jamali (que je mentionnerai ultérieurement). Elle a été contre‑interrogée.

 

                     Dianne Zimmerman : Auxiliaire judiciaire aux bureaux des avocats des demanderesses. Son affidavit a servi à verser au dossier un grand nombre de documents. Elle n’a pas été contre‑interrogée.

 

[18]           Pharmascience a contesté l’étendue de l’expertise revendiquée par M. McCarson, M. McMahon et le Dr Jovey. Je crois que leur expertise est suffisante pour nous être utile en l’espèce.

 

[19]           La société Pharmascience défenderesse a déposé les affidavits, et leurs pièces jointes, des personnes suivantes :

 

                     Alan Cowan : Professeur de pharmacologie et d’anesthésiologie à la Temple University, en Pennsylvanie. Il revendique une expertise dans le traitement de la douleur et dans l’utilisation de divers modèles animaux de la douleur. Il a déposé un affidavit principal et un affidavit en réplique. Il a été contre‑interrogé.

 

                     Dr C. Peter Watson : Professeur adjoint de médecine, Division de neurologie, à l’Université de Toronto. Il est médecin et revendique une expertise dans le traitement et le diagnostic de la douleur neuropathique. Le Dr Watson a déposé un affidavit et a été contre‑interrogé.

 

                     Fakhreddin Jamali : Professeur à la Faculté de pharmacie et de services pharmaceutiques de l’Université de l’Alberta. Il revendique une expertise dans les domaines de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique, du délai d’apparition de l’effet analgésique, et de l’inflammation. Il a déposé un affidavit principal et un affidavit en réplique. Il a été contre‑interrogé.

 

                     Rebecca Hayley : Auxiliaire judiciaire aux bureaux des avocats de Pharmascience. Son affidavit a servi à verser au dossier certains documents. Elle n’a pas été contre‑interrogée.

 

[20]           La demanderesse conteste l’expertise revendiquée par le Dr Watson dans la mesure où il est médecin et non expert en modèles animaux. Je rejette son objection car, comme je l’expliquerai plus loin, le brevet s’adresse à des personnes versées dans l’art, notamment des médecins ayant de l’expérience dans le traitement de la douleur, comme le Dr Watson.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]           La principale question que la Cour doit trancher est celle de savoir si elle doit rendre une ordonnance interdisant à la ministre d’accorder un avis de conformité à Pharmascience relativement à ses comprimés génériques de prégabaline avant l’expiration du brevet 652. Pour cela, il faut d’abord déterminer si les diverses allégations de Pharmascience touchant la validité du brevet 652 sont fondées. Même si son avis d’allégation en contient un grand nombre, Pharmascience les a limitées dans ses observations écrites et orales aux arguments suivants :

 

                     revendications ayant une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée;

                     prédiction valable;

                     inutilité réelle;

                     évidence.

 

[22]           Bien qu’elle ait fait valoir des arguments concernant l’anticipation et l’ambiguïté dans son avis d’allégation, il est à noter que Pharmascience ne les a pas développés dans les observations écrites qu’elle a soumises à la Cour. L’avis d’allégation rappelle que Pfizer avait présenté une demande en vue de la redélivrance du brevet 652 en incluant un certain nombre de revendications très spécifiques, mais qu’elle y a finalement renoncé. Ce point n’a pas été repris dans les arguments écrits de Pharmascience, mais a été abordé dans ses observations orales. Pharmascience a soulevé un doute sur le caractère suffisant de l’affidavit de M. Cowan (paragraphes 105 à 107), sans rien mentionner à ce sujet dans l’avis d’allégation.

 

[23]           Avant de traiter des questions soulevées par la présente affaire, la Cour doit d’abord se pencher sur les éléments suivants :

 

                     le fardeau de preuve;

                     la personne versée dans l’art;

                     l’interprétation des revendications.

 

LE FARDEAU DE PREUVE

[24]           La principale question est celle de savoir si les allégations de Pharmascience concernant l’invalidité du brevet 652 sont fondées. La contrefaçon n’est pas en cause.

 

[25]           De nombreux jugements traitent de la question du fardeau de preuve dans les instances relatives aux avis de conformité dont l’enjeu est la validité du brevet. Je renvoie par exemple au jugement Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 26, aux paragraphes 9 et 12, et 2007 CAF 195, autorisation d’appel à la Cour suprême refusée; Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 767, au paragraphe 42, confirmé quant à l’issue par 2012 CAF 308.

 

[26]           Pour résumer, les brevets sont présumés valides en vertu du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets. Dans les instances relatives aux avis de conformité, la « seconde personne » doit présenter des éléments de preuve pour réfuter cette présomption. Après la présentation de ces éléments, la Cour doit se prononcer sur la question de la validité en fonction du fardeau de preuve habituel en matière civile, eu égard à toute la preuve pertinente.

 

[27]           En l’espèce, Pharmascience et Pfizer ont soumis des éléments de preuve concernant la validité. La question sera examinée en tenant compte du fardeau habituel en droit civil qui incombe à Pharmascience.

 

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[28]           La personne versée dans l’art, décrite aussi parfois comme la personne moyennement versée dans l’art, est fictive; elle peut désigner plusieurs individus, du point de vue desquels un brevet doit être interprété et l’art antérieur envisagé. Cette personne imaginaire peut jouer un rôle pertinent quant à d’autres questions touchant les brevets soumis à l’examen de la Cour.

 

[29]           En l’espèce, les parties s’entendent, dans une certaine mesure, sur les qualifications de la personne versée dans l’art. Elles s’accordent pour dire qu’il peut s’agir d’un scientifique ayant une formation et une expérience avancées relativement aux produits pharmaceutiques utilisés pour traiter la douleur. Pharmascience insiste sur le fait qu’une telle personne devrait également être un médecin qui traite des patients souffrant de douleur.

 

[30]           Reportons‑nous au libellé du brevet 652, dont le premier paragraphe se lit comme suit :

[traduction]

La présente invention concerne l’utilisation d’analogues de l’acide glutamique et de l’acide gamma‑aminobutyrique (GABA) pour le traitement de la douleur, ces composés ayant une activité analgésique/antihyperalgésique. Parmi les avantages associés à l’utilisation des composés, citons le fait que leur utilisation répétée n’entraîne pas de tolérance et qu’il n’y a aucun effet de tolérance croisée entre la morphine et ces composés.

 

 

[31]           Selon le brevet 652, aux lignes 9 à 15 de la page 1, les composés sont connus pour traiter certains troubles du système nerveux central et ont déjà été utilisés à cette fin.

 

[32]           La description du brevet traite essentiellement des essais effectués sur des rats dans le but de déterminer ou de prédire dans quelle mesure les composés peuvent soulager la douleur.

 

[33]           Je remarque que l’inventeur désigné dans le brevet, M. Singh, a indiqué, en répondant aux questions 79 à 82 lors de son contre‑interrogatoire, qu’il n’était pas chimiste, mais qu’il avait contribué à titre de pharmacologue.

 

[34]           J’estime que, par l’expression « personne versée dans l’art », on entend une équipe qui comprend un scientifique, comme un pharmacologue expérimenté dans l’étude de composés avec des modèles animaux, et un médecin expérimenté dans la sélection et l’utilisation de composés qui sont vraisemblablement efficaces, ou dont on croit qu’ils seront vraisemblablement efficaces, pour soulager la douleur.

 

[35]           Tous les témoins experts dont la preuve a été fournie dans le cadre de la présente instance me sont utiles à des degrés divers.

 

LE BREVET 652 EN DÉTAIL

a)         Mémoire descriptif

[36]           Le mémoire descriptif du brevet commence à la page 1 par un énoncé général portant sur l’invention, à savoir, l’utilisation de certains composés dans le traitement de la douleur parce qu’ils présentent une certaine activité. On affirme que ces composés présentent l’avantage de lne pas entraîner de tolérance ni de tolérance croisée avec la morphine.

 

[traduction]

La présente invention concerne l’utilisation d’analogues de l’acide glutamique et de l’acide gamma‑aminobutyrique (GABA) pour le traitement de la douleur, ces composés ayant une activité analgésique/antihyperalgésique. Parmi les avantages associés à l’utilisation des composés, mentionnons le fait que leur utilisation répétée n’entraîne pas de tolérance et qu’il n’y a aucun effet de tolérance croisée entre la morphine et ces composés.

 

 

[37]           Le paragraphe suivant à la page 1 précise qu’il s’agit de composés connus, qui ont déjà été utilisés pour traiter certains troubles du système nerveux central; on cite également un certain nombre de brevets divulguant les composés et une telle utilisation; il convient de noter le brevet WP 93/23383, car certains témoins experts y font référence :

 

[traduction]

Les composés visés par l’invention sont des agents connus, utilisés comme anticonvulsivants pour traiter des troubles du système nerveux central comme l’épilepsie, la chorée de Huntington, l’ischémie cérébrale, la maladie de Parkinson, la dyskinésie tardive et la spasticité. On a également indiqué que les composés peuvent être utilisés comme antidépresseurs, anxiolytiques et antipsychotiques. Voir WO 92/09560 (demande américaine déposée le 27 novembre 1990 portant le numéro de série 618 692) et WP 93/23383 (demande américaine déposée le 20 mai 1992 portant le numéro de série 886 080).

 

[38]           Apparaît ensuite à la page 1 un résumé de l’invention, à savoir l’utilisation d’un certain composé pour le traitement de la douleur, « en particulier de la douleur chronique », y compris, « sans s’y limiter », une longue liste de types de douleurs, dont un type de douleur « aiguë » :

 

[traduction]

SOMMAIRE DE L’INVENTION

 

            La présente invention concerne une méthode d’utilisation d’un composé de la formule I ci‑dessous pour le traitement de la douleur, et en particulier de troubles associés à de la douleur chronique. Ces troubles comprennent, sans s’y limiter, la douleur inflammatoire, la douleur post‑opératoire, la douleur arthrosique associée à un cancer métastatique, une névralgie essentielle du trijumeau, une névralgie zostérienne et une névralgie post‑zostérienne aiguës, une neuropathie diabétique, une causalgie, une avulsion du plexus brachial, une névralgie occipitale, une algodystrophie sympathique réflexe, la fibromyalgie, la goutte, l’algo‑hallucinose, la douleur à type de brûlure, ainsi que d’autres formes de syndromes douloureux névralgiques, neuropathiques et idiopathiques.

 

[39]           Au début de la page 2, on décrit le composé au moyen d’une formule générale désignée « formule I », laquelle est ensuite revendiquée à la revendication 1; on présente une série de composés privilégiés, revendiqués à la revendication 2, de même que deux composés plus privilégiés; ces deux derniers composés sont revendiqués à la revendication 3, à savoir la revendication en litige.

 

[traduction]

Un composé de la formule I

                                    Les

 

ou un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé, où :

R1 est un alkyle à chaîne droite ou ramifiée comptant de 1 à 6 atomes de carbone, un groupement phényle ou un groupement cycloalkyle comptant de 3 à 6 atomes de carbone;

R2 est un atome d’hydrogène ou un groupement méthyle; et

R3 est un atome d’hydrogène, un groupement méthyle ou un groupement carboxyle.

                Les diastéréomères et les énantiomères des composés de la formule I sont compris dans l’invention.

                Les composés privilégiés de l’invention sont ceux dans lesquels, conformément à la revendication 1, R3 et R2 sont des atomes d’hydrogène et R1 est un groupement ‑(CH2)0‑2‑iC4H9 en tant qu’isomère (R), (S) ou (R,S).

                Les composés plus privilégiés de l’invention sont l’acide (S)‑3‑(aminométhyl)‑5‑méthylthexanoïque et l’acide 3‑aminométhyl‑5‑méthylhexanoïque.

 

 

 

[40]           Je m’écarte quelque peu du sujet à ce stade‑ci pour aborder le concept des racémates, étant donné que la description précédente traite de diastéréomères et d’énantiomères. L’on peut trouver un bref examen des racémates et des énantiomères dans les affidavits de Mme Hayes et dans l’affidavit en réponse de M. Jamali. Je reprendrai donc les propos que j’ai tenus dans le jugement Janssen‑Ortho Inc c Novopharm Limited, 2006 CF 1234 (conf. par 2007 CAF 217), aux paragraphes 28 à 31 :

 

28     Les composés moléculaires sont souvent représentés à l’aide d’une série de lettres, de chiffres et de symboles ou encore représentés sur une feuille de papier plate, mais ils n’existent pas de cette manière en réalité. Les composés ont des structures à trois dimensions. Certains composés ne possèdent qu’une seule forme à trois dimensions, d’autres, tels que les composés racémiques, en possèdent plusieurs.

 

29     Les composés racémiques, appelés aussi des racémates, possèdent les mêmes atomes disposés dans le même ordre, mais ils contiennent des carbones asymétriques appelés des centres chiraux donnant lieu à deux configurations gauche (levo) et droite (dextro). Parfois, levo est simplement décrit comme (‑) et dextro comme (+). La configuration gauche est l’image miroir de la configuration droite.

 

30     On dit qu’un racémate contient un nombre égal de molécules gauches et droites. Parfois ce concept est décrit par (±), quoique cela ne soit pas nécessaire pour un chimiste compétent capable d’identifier un centre chiral.

 

31     Si l’on sait qu’un composé est racémique et ne comprend qu’un seul centre chiral, comme c’est le cas pour l’ofloxacine, on sait également qu’il existe sous deux formes, gauche et droite. Chaque forme peut être détectée optiquement au moyen d’un dispositif tel qu’un polarimètre. Ce dispositif permettra de déterminer la forme faisant tourner la lumière vers la gauche (levo ou ‑) et celle faisant tourner la lumière vers la droite (dextro ou +). Selon le contexte, différents chercheurs peuvent détecter les molécules différemment.

 

[41]           J’ajouterais à cela que, parfois, plutôt que d’utiliser (+) ou (‑), ou encore dextro ou levo, pour identifier l’un ou l’autre énantiomère, on utilise les lettres R et S.

 

[42]           Selon le brevet 652, les deux composés dont on dit qu’ils sont « plus privilégiés », le racémate (qui renferme les énantiomères S et R en parts égales) est présenté comme étant de l’« acide 3‑aminométhyl‑5‑méthylhexanoïque » et l’énantiomère d’intérêt, à savoir l’énantiomère « S », est présenté comme étant de l’« acide (S)‑3‑(aminométhyl)‑5‑méthylhexanoïque ». Cet énantiomère « S » est également identifié dans le brevet par l’appellation « CI‑1008 (S) ». Dans les preuves et les arguments présentés en l’espèce, et en langage scientifique général, l’énantiomère S est désigné par l’appellation « prégabaline ». Par conséquent, il serait plus simple de faire référence aux deux composés « plus privilégiés », présentés dans la description et la revendication 3, en utilisant l’expression « prégabaline et son racémate ».

 

[43]           Je remarque également que, dans certains articles scientifiques déposés en preuve, l’énantiomère R est désigné par l’appellation R‑isobutyl gaba.

 

[44]           Pour en revenir au libellé du brevet 652, de la fin de la page 2 jusqu’au début de la page 5, on décrit six essais effectués sur des rats, et on fait référence aux dessins joints à l’arrière du brevet. Bien que, dans la description, on fasse référence à l’acide 3‑aminométhyl‑5‑méthylhexanoïque (le racémate) comme étant l’un des composés utilisés dans le cadre de ces essais, les avocats des parties conviennent que l’on faisait en fait référence à l’énantiomère R et non au racémate.

 

[45]           Dans le premier essai, à la figure 1, on compare les effets de l’administration de gabapentine, de prégabaline (CI‑1008) et de l’énantiomère R à des rats dans ce que l’on décrit comme étant un test à la formaline. Dans les deuxième et troisième essais, aux figures 2 et 3, on compare l’administration de gabapentine et de prégabaline à des rats dans ce que l’on décrit comme étant un essai à la carragénine; dans un cas, on exerce une pression sur l’une des pattes des rats, et dans l’autre, on applique de la chaleur. Dans le quatrième essai, à la figure 4, on compare l’administration de morphine, de gabapentine et de prégabaline à des rats avant une chirurgie. Le cinquième essai, à la figure 5, est similaire, mais on y mesure l’allodynie, c’est‑à‑dire le fait de ressentir une douleur après un faible stimulus, comme le brossage. Le sixième et dernier essai dont on fait état, à la figure 6, ne porte que sur l’administration de prégabaline à des rats pour en mesurer les effets sur l’hyperalgésie thermique, une réponse accrue à un stimulus douloureux, et sur l’allodynie. Il est à noter que l’on ne mentionne aucun essai mené avec le racémate dans le brevet 652.

 

[46]           À la page 5 du brevet, on trouve une « Description détaillée » de l’invention, dans laquelle on réitère que l’invention est une méthode consistant à utiliser un composé de la formule I comme analgésique dans le traitement de la douleur. On y trouve également une liste de divers types de douleurs, laquelle liste ne correspond pas exactement à celle de la page 1; par exemple, les deux types de douleurs « aiguës » ne sont pas mentionnés. La mention relative à la douleur se limite à la douleur neuropathique. On présente une liste de douleurs de ce type, mais on précise que l’énumération « n’est pas limitée » aux types de douleurs cités. On trouve ensuite une phrase faisant un paragraphe complet qui comprend également la douleur associée à la fibromyalgie. Au paragraphe suivant, on précise que les analgésiques actuellement commercialisés (non identifiés) ne parviennent pas à bien soulager ce type de douleur, car leur efficacité est insuffisante, ou leurs effets secondaires sont limitants. Aucun énoncé n’affirme que les composés visés par l’invention sont meilleurs que les composés existants, et aucun résultat d’essai n’est fourni pour appuyer une revendication de supériorité.

 

[traduction]

DESCRIPTION DÉTAILLÉE

 

            La présente invention concerne une méthode consistant à utiliser un composé de la formule I ci‑dessus comme analgésique dans le traitement de divers types de douleurs énumérés ci‑dessus. La douleur inflammatoire, la douleur neuropathique, la douleur associée au cancer, la douleur post‑opératoire et la douleur idiopathique, à savoir une douleur d’origine inconnue comme l’algo‑hallucinose, sont visées de façon expresse. La douleur neuropathique est causée par une lésion ou une infection touchant un nerf sensitif périphérique. Elle englobe, sans s’y limiter, la douleur découlant d’un traumatisme subi par un nerf périphérique, une infection à herpesvirus, le diabète sucré, la causalgie, une avulsion du plexus, un neurome, l’amputation d’un membre et une vasculite. La douleur neuropathique est également causée par des lésions nerveuses résultant d’un alcoolisme chronique, d’une infection par le virus de l’immunodéficience humaine, d’une hypothyroïdie, d’une urémie ou d’une carence vitaminique. La douleur neuropathique comprend, sans s’y limiter, la douleur causée par des lésions nerveuses, comme la douleur dont souffrent les diabétiques.

 

            Les composés de la formule I sont également utiles pour le traitement de la douleur associée à la fibromyalgie.

 

            Il est reconnu que les analgésiques actuellement commercialisés, comme les narcotiques ou les anti‑inflammatoires non stéroïdiens (AINS), sont inadéquats pour traiter les atteintes et les affections énumérées ci‑dessus, car leur efficacité est insuffisante ou leurs effets secondaires sont limitants.

 

[47]           Le reste de la page 5, l’ensemble de la page 6 et le premier paragraphe de la page 7 du brevet 652 concernent des caractéristiques chimiques, lesquelles ne présentent aucun intérêt en l’espèce.

 

[48]           Les trois paragraphes suivants de la page 7 du brevet 652 concernent la préparation de compositions pharmaceutiques à partir des composés, le dosage de ces compositions et leur administration à des mammifères, y compris à l’humain.

 

[49]           Au bas de la page 7 et dans la première moitié de la page 8, on décrit un essai dans le cadre duquel on a mesuré les effets de la gabapentine, de la prégabaline et du racémate sur des rats à qui on avait injecté de la formaline.

 

[50]           De la seconde moitié de la page 8 jusqu’à la ligne 11 de la page 9, on décrit un essai dans le cadre duquel on a mesuré les effets de la gabapentine et de la prégabaline chez des rats à qui on avait injecté de la carragénine.

 

[51]           Aux lignes 13 et 14 de la page 9, il est précisé ce qui suit en ce qui concerne ces essais :

 

[traduction]

Ces données révèlent que la gabapentine et CI‑1008 (la prégabaline) sont efficaces pour le traitement de la douleur inflammatoire.

 

[52]           Aux lignes 14 à 19 de la page 9, il est question du test de Bennett et de celui de Kim, mais on ne fournit aucune donnée ni aucun résultat ou conclusion.

 

[53]           Aux lignes 20 et suivantes de la page 9, on décrit l’essai de Brennan dans le cadre duquel on a pratiqué une intervention chirurgicale sur l’une des pattes arrière d’un rat. À la suite de cette description, et jusqu’au bas de la page 11, figure une description détaillée de l’intervention chirurgicale et des essais subséquents qui ont été menés chez les rats.

 

[54]           Les deux premiers essais mentionnés à la page 12 consistent en l’administration de gababentine, de prégabaline et de morphine à des rats avant une intervention chirurgicale, et en l’évaluation de leur réaction après une exposition à la chaleur et après un brossage. Le troisième essai, décrit du bas de la page 12 à la page 13, concerne des essais qui ont été menés après une intervention chirurgicale sur des rats qui avaient reçu de la prégabaline.

 

[55]           Les conclusions qui ont été tirées à l’égard de ces résultats sont présentées à la page 13 :

 

[traduction]

La gabapentine et le S‑(+)‑3‑isoburylgaba n’ont eu aucun effet sur la latence du retrait des pattes dans le test d’hyperalgésie thermique ni aucun effet sur le score d’allodynie tactile de la patte controlatérale jusqu’à la dose la plus élevée utilisée dans les expériences. En revanche, la morphine (6 mg, s.c.) a augmenté la latence du retrait de la patte controlatérale dans l’essai d’hyperalgésie thermique (données non divulguées).

 

Les résultats présentés ici montrent que l’incision du muscle plantaire chez le rat induit une hyperalgésie thermique et une allodynie tactile durant au moins trois jours. Les principales observations réalisées dans le cadre de la présente étude sont que la gabapentine et le S‑(+)‑3‑isoburylgaba ont la même efficacité pour ce qui concerne le blocage des deux réponses nociceptives. En revanche, la morphine s’est révélée plus efficace contre l’hyperalgésie thermique que contre l’allodynie tactile. De plus, le S‑(+)‑3‑isoburylgaba a complètement bloqué l’induction et le maintien de l’allodynie et de l’hyperalgésie.

 

 

[56]           Les revendications et dessins sont présentés ci‑après.

 

[57]           On compte 16 revendications au total. Elles concernent toutes un composé destiné à être utilisé pour traiter la douleur chez les mammifères. La revendication 1 décrit le composé en des termes très généraux. La revendication 2 précise quelque peu ces termes. La revendication 3 limite les composés à deux molécules : la prégabaline et le racémate. Les revendications 4 à 16, inclusivement, dépendent toutes de la revendication 1, laquelle vise un très grand nombre de composés, et limitent les types de douleurs devant être traités par le composé de façon très précise : la revendication 4 traite de la douleur inflammatoire, la revendication 5, de la douleur neuropathique, la revendication 6, de la douleur associée au cancer, la revendication 7, de la douleur post‑opératoire, la revendication 8, de l’algo‑hallucinose, la revendication 9, de la douleur associée aux brûlures, la revendication 10, de la douleur associée à la goutte, la revendication 11, de la douleur arthrosique, la revendication 12, de la névralgie essentielle du trijumeau, la revendication 13, de la douleur zostérienne et de la douleur post‑zostérienne aiguës, la revendication 14, de la causalgie, la revendication 15, de la douleur idiopathique, et la revendication 16, de la douleur associée à la fibromyalgie.

 

[58]           La revendication 3 est la seule qui soit en litige en l’espèce.

 

REVENDICATION 3

[59]           La revendication 3 est une revendication dépendante. Elle dépend de la revendication 1. Les revendications 1 et 3 sont rédigées comme suit :

 

[traduction]

1.         Pour le traitement de la douleur, chez un mammifère, une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé de la formule I

 

 

 

Ou encore un énantiomère, un diastéréomère ou un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé

 

 

R1 est un alkyle à chaîne droite ou ramifiée comptant de 1 à 6 atomes de carbone, un groupement phényle ou un groupement cycloalkyle comptant de 3 à 6 atomes de carbone;

 

R2 est un atome d’hydrogène ou un groupement méthyle; et

 

R3 est un atome d’hydrogène, un groupement méthyle ou un groupement carboxyle.

 

. . .

 

3. Un composé, selon la revendication 1, qui est l’acide (S)‑3‑aminométhyl)‑S‑méthylhexanoïque ou l’acide 3‑aminométhyl‑5‑méthylhexanoïque.

 

[60]           Après incorporation de la revendication 1 dans la revendication 3, cette dernière se lit comme suit :

[traduction]

3.         Pour le traitement de la douleur, chez un mammifère, une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé, qui est l’acide (S)‑3‑(aminométhyl)‑5‑méthylhexanoïque ou l’acide 3‑aminométhyl‑5‑méthylhexanoïque.

 

[61]           En utilisant, pour ce qui concerne les composés, la terminologie employée dans la preuve et les arguments présentés en l’espèce, on peut simplifier la revendication 3 comme suit :

 

[traduction]

3.         Pour le traitement de la douleur, chez un mammifère, une quantité thérapeutiquement efficace de prégabaline ou de son racémate.

 

[62]           Il n’y a aucun litige entre les parties quant au fait que le terme « mammifère » englobe les humains (voir la ligne 8 à la page 7 du brevet) et que la revendication vise la prégabaline ou son racémate. Le litige entre les parties porte sur ce qu’englobe le terme « douleur ».

 

 

INTERPRÉTATION DE LA REVENDICATION 3 – DOULEUR

 

[63]           La revendication 3, telle qu’elle est énoncée ci‑dessus, concerne l’utilisation de la prégabaline ou de son racémate chez un mammifère, y compris l’humain, pour traiter la douleur. Contrairement aux revendications 5 à 16, on ne précise aucun type de douleur ni aucune classification de types de douleurs. Les parties se sont adressées à la Cour pour lui demander d’interpréter la revendication 3, et en particulier ce que l’on entend par « douleur ».

 

[64]           Les cours de justice ont formulé de nombreuses directives sur l’interprétation d’une revendication. Pour résumer :

 

                     il faut d’abord interpréter la revendication avant d’envisager les questions de validité et de contrefaçon;

 

                     sur le plan du droit, seule la Cour peut se charger de l’interprétation;

 

                     la Cour doit interpréter la revendication du point de vue de la personne versée dans l’art à qui le brevet est destiné;

 

                     la Cour peut se faire aider par des experts pour élucider le sens de phrases ou de mots particuliers, ou s’informer de l’état de la technique à la date à laquelle la revendication a été publiée;

 

                     la Cour doit lire la revendication dans le contexte général du brevet, ce qui inclut la description et les autres revendications;

 

                     la Cour doit éviter de faire siennes les prétentions trop avantageuses de la description;

 

                     la Cour ne doit pas limiter la revendication aux exemples spécifiques cités dans le brevet;

 

                     la Cour doit s’efforcer d’interpréter la revendication d’une manière qui donne corps à l’intention de l’inventeur;

 

                     la Cour doit s’efforcer d’appuyer une invention méritoire.

 

[65]           J’ai longuement analysé, à travers Merck & Co. Inc c Pharmascience Inc, 2010 CF 510, le développement des revendications depuis que les inventions ont commencé à être protégées par des brevets. À l’origine, il n’existait pas de revendications, puis sont apparues des déclarations générales telles que [traduction] « Je revendique l’invention de X, telle que décrite dans la présente ». Enfin, des exigences plus strictes, comme celles qu’on trouve énoncées à l’article 27 de la Loi sur les brevets, LRC 1987, c P‑4, ont vu le jour.

 

[66]           L’état actuel du droit est présenté dans les motifs unanimes rédigés par le juge Binnie pour la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c Électro‑Santé Inc., [2000] 2 RCS 1024; ce dernier y assimile les revendications à des clôtures et indique que la tâche de la Cour est de séparer l’essentiel du superflu. Il écrit, au paragraphe 15 :

 

15 En réalité, les « clôtures » sont souvent constituées d’une superposition complexe de définitions de différents éléments (ou « composants » ou « caractéristiques » ou « parties intégrantes ») dont la complexité, l’interchangeabilité et l’ingéniosité sont variables. Un ensemble de mots et d’expressions définit le monopole, met le public en garde et piège le contrefacteur. Dans certains cas, les éléments précis de la « clôture » peuvent être cruciaux ou « essentiels » au fonctionnement de l’invention revendiquée; dans d’autres, l’inventeur peut envisager que des variantes puissent aisément être employées ou substituées sans que cela ne modifie substantiellement le fonctionnement de l’invention, et la personne versée dans l’art qui prend connaissance de la teneur de la revendication peut le constater. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non‑essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide.

 

 

[67]           Aux paragraphes 33 et suivants, le juge Binnie examine deux écoles de pensées en ce qui concerne l’interprétation des revendications; le principe de revendication centrale et celui de revendication périphérique. D’après le second, le libellé des revendications permet de définir non pas l’idée technique sous‑jacente mais le cadre juridique du monopole conféré par l’État; c’est celui que les cours canadiennes privilégient. Le juge Binnie déclare, au paragraphe 33 :

 

33 La Loi sur les brevets exige que les lettres patentes accordant un monopole au titulaire du brevet renferment un mémoire descriptif qui « divulgue » avec exactitude et exhaustivité l’invention, c.‑à‑d. qui « décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur » (al. 34(1)a)). La divulgation est suivie d’« une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2)). C’est donc pour l’invention ainsi revendiquée que le breveté obtient « le droit, la faculté et le privilège exclusifs » d’exploitation (art. 44). Ces dispositions, et les dispositions apparentées d’autres pays, ont donné naissance à deux écoles de pensée. Pour l’une d’elles, la revendication renferme une idée d’ordre technique et son interprétation doit se fonder sur le fond et non sur la forme afin de protéger l’idée qui sous‑tend la teneur des revendications. Il s’agit de ce qu’on appelle parfois le « principe de revendication centrale » et qui est associé aux systèmes allemand et japonais de protection par brevet : T. Takenaka, « Doctrine of Equivalents after Hilton Davis : A Comparative Law Analysis » (1996), 22 Rutgers Computer & Tech. L. J. 479, aux pp. 491, 502 et 519. L’autre école de pensée, qui appuie ce qu’on appelle parfois le « principe de revendication périphérique », met l’accent sur la teneur des revendications en tenant pour acquis qu’elle définit non pas l’idée technique sous‑jacente, mais bien la portée juridique du monopole accordé par l’État. Pour des raisons d’équité et de prévisibilité, les tribunaux canadiens ont traditionnellement privilégié la seconde école de pensée.

 

 

[68]           Les conclusions sont énoncées aux paragraphes 42 et 43. L’interprétation discrétionnaire ou subjective doit être réduite au minimum. Les revendications doivent être interprétées de manière éclairée et en fonction de l’objet :

 

42 Le régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général. La réalisation de ces objectifs est cependant compromise lorsqu’un concurrent craint de marcher dans les plates‑bandes du titulaire d’un brevet dont la portée n’est pas raisonnablement précise et certaine. Le brevet dont la portée est incertaine devient [traduction] « une nuisance publique » (R.C.A. Photophone, Ld. c. Gaumont‑British Picture Corp. (1936), 53 R.P.C. 167 (C.A. Angl.), à la p. 195). Les concurrents éventuels sont dissuadés d’œuvrer dans des domaines qui, en fait, échappent à la portée du brevet même lorsque, à l’issue d’une longue et coûteuse instance (les frais de justice en la matière pouvant effectivement être très élevés, et la procédure très longue), un tribunal pourrait confirmer que ce qu’un concurrent projette de faire est parfaitement licite. Les sommes qui auraient pu être investies sont perdues ou affectées à autre chose. La concurrence est « gelée ». Le breveté jouit d’un monopole plus grand que celui que l’État a voulu lui accorder. L’incertitude se double d’un grave préjudice économique, et il convient que le droit des brevets s’efforce de réduire le plus possible ce préjudice.

 

43 Le breveté, les concurrents, les contrefacteurs éventuels et le public en général ont donc droit à des règles claires et précises définissant l’étendue du monopole accordé. Il s’ensuit que les éléments subjectifs ou discrétionnaires d’interprétation des revendications (p. ex. la recherche de l’insaisissable « esprit de l’invention ») doivent être tenus au minimum compatible avec l’octroi à l’inventeur de [traduction] « l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi » (Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574). La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l’équité résulte de l’interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l’objet.

 

 

[69]           L’interprétation téléologique exposée au paragraphe 50 a pour effet de resserrer l’interprétation de la substance de la revendication :

 

50 Je ne prétends pas que la démarche à deux volets mène nécessairement à un résultat différent par rapport à la démarche à un seul volet, ni qu’elle a donné lieu à des abus. Je crois cependant qu’il faut désormais reconnaître que plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher « l’esprit de l’invention » au‑delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes. L’« interprétation téléologique » supprime le premier volet correspondant à une interprétation purement textuelle, mais elle resserre l’interprétation de ce qui constitue l’« essentiel » ou la « substance » de l’invention, et ce, afin qu’un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. À mon sens, la Cour d’appel fédérale a eu raison de la privilégier dans l’arrêt O’Hara.

 

 

[70]           Je me pencherai donc à présent sur la revendication 3, et en particulier sur le terme « douleur », et m’efforcerai de l’interpréter dans ce contexte précis de manière éclairée et téléologique.

 

[71]           Tout d’abord, j’observe que les revendications 4 à 16 concernent chacune un type spécifique de douleur. Suivant une interprétation éclairée et téléologique, le terme « douleur » de la revendication 3 doit donc inclure à tout le moins les « douleurs » spécifiques dont il est question dans les revendications 4 à 16.

 

[72]           J’examinerai à présent la description. À la page 1, dans le SOMMAIRE DE L’INVENTION, on énumère une série de types de douleurs présentés comme pouvant être traités par les composés revendiqués. Cette énumération est plus large que les types de douleurs mentionnés dans les revendications 4 à 16. La portée de cette énumération est quelque peu limitée par l’expression « […] en particulier pour le traitement de troubles associés à une douleur chronique », mais sa portée est ensuite élargie par l’expression « sans s’y limiter » et par la mention d’au moins un type de douleur aiguë – « une névralgie zostérienne et une névralgie post‑zostérienne aiguës » –, laquelle est l’objet de la revendication 13.

 

[73]           La « douleur » est encore évoquée sous le titre DESCRIPTION DÉTAILLÉE à la page 5 du brevet. On y trouve l’expression « divers types de douleur énumérés ci‑dessus », ce qui renvoie clairement à la description de la page 1. Un certain nombre de types de douleur non énumérés à la page 1 sont inclus, d’autres pas. L’expression « sans s’y limiter » revient.

 

[74]           Le dessinateur de brevet semble vouloir tirer profit de deux mondes, celui de l’interprétation étroite et celui de l’interprétation générale. Dans les cercles académiques intéressés aux brevets, on parle parfois de la tactique du « chat Angora », comme le rappelle le lord juge Jacob dans le jugement European Central Bank v Document Security Systems Inc, [2008] EWCA Civ 192, où il déclarait, au paragraphe 5 du rapport :

 

[traduction

Le professeur Mario Franzosi compare le titulaire d’un brevet à un chat Angora. Lorsque la validité est contestée, le titulaire rétorque que son brevet a une portée très étroite : le chat à la fourrure lisse se montre câlin et somnolent. Mais lorsque le titulaire du brevet passe à l’attaque, la fourrure se hérisse, le chat double de taille, montre les dents et ses yeux lancent des éclairs.

 

[75]           L’explication complète de la métaphore du professeur Franzosi concernant les parties et les chats Angoras se trouve à l’adresse suivante :

 

http://ipkitten.blogspot.com‑uk/2010/01/more‑on‑that‑angora‑cat.html

 

[76]           Comme on pouvait s’y attendre, les experts sont divisés quant à l’interprétation à donner au terme « douleur ». Je cite à cet égard la réponse que M. McMahon a donnée lors de son contre‑interrogatoire, telle qu’elle figure dans le volume 4, page 859 du dossier :

 

[traduction]

[…]Encore une fois, je pense que les affidavits tentent tous de dissiper une partie de la confusion que peut créer la nomenclature dans ce domaine.

 

[77]           Aux paragraphes 16 à 19 de leur mémoire des faits et du droit, tel qu’il figure dans le volume 24 du dossier, les demanderesses reconnaissent qu’il existe de nombreuses formes de douleur, aiguë et chronique, que l’on ne peut aisément rattacher à une catégorie ou une autre.

 

[78]           Aux paragraphes 24 et 25 de son premier affidavit, tel qu’il figure dans le volume 3, page 505 du dossier, M. McMahon évoque quatre différents types de douleur et conclut :

 

[traduction]

Compte tenu de ces différentes classifications, il est évident que la douleur d’un patient donné ne peut pas être définie d’une seule manière.

 

[79]           À la page 82 de son affidavit, tel qu’il figure au volume 1, page 114 du dossier, M. McCarson indique ce qui suit :

 

[traduction]

Une personne versée dans l’art comprendrait de la revendication 3 du brevet qu’elle vise un grand nombre de types de douleurs chez l’humain, présentant des caractéristiques de douleur inflammatoire ou de douleur neuropathique, ou des deux.

 

[80]           Monsieur McMahon donne une définition relativement plus restreinte au paragraphe 58 de son affidavit, tel qu’il figure au volume 3, page 514 :

 

[traduction]

Une personne versée dans l’art aurait donc compris à la lecture de la revendication 3 du brevet 652 que la prégabaline serait utile pour traiter un grand nombre de types de douleurs ayant pour caractéristique commune une sensibilisation centrale, et plus particulièrement les types de douleurs énumérés à la page 1 du brevet.

 

[81]           Cette théorie ou ce caractère commun quant à la sensibilisation centrale n’est mentionné nulle part dans le brevet 652. Monsieur McCarson, dans son contre‑interrogatoire –volume 2, page 270 du dossier ‑, et M. Cowan ‑ au paragraphe 90 de son affidavit, volume 20, page 6001 du dossier ‑ précisent qu’aucun modèle animal n’existait en 1996, du moins en ce qui concerne la douleur idiopathique et la douleur associée à la fibromyalgie. Dans son affidavit en réponse, aux paragraphes 13 et 15, tels qu’ils figurent dans le dossier au volume 1, pages 194 et 195, M. McCarson affirme que la théorie de la sensibilisation centrale était largement acceptée en 1997, à l’exception de quelques personnes.

 

[82]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le terme « douleur », tel qu’il figure dans la revendication 3 du brevet 652, doit recevoir une interprétation générale. Il englobe tous les types spécifiques de douleurs visés par les revendications 4 à 16 ainsi que ceux qui sont mentionnés aux pages 1 et 5 du brevet. Si l’on s’autorise de l’expression « sans s’y limiter » pour élargir la portée des énumérations figurant aux pages 1 et 5, je suis d’avis que cela doit se limiter aux types de douleur raisonnablement susceptibles d’être liés, en date de janvier 1998, à celles qui sont mentionnées.

 

REVENDICATIONS AYANT UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE L’INVENTION RÉALISÉE OU DIVULGUÉE

 

[83]           Le premier motif d’invalidité de la revendication 3 du brevet 652 invoqué par Pharmascience a trait au fait que sa portée est plus large que l’invention réalisée ou divulguée.

 

[84]           L’énoncé du droit classique vient ici du juge Thurlow, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel dans Leithiiser c Pengo Hydra‑Pull of Canada Ltd, [1974] 2 CF 954, au paragraphe 21 :

 

La première est de savoir si les revendications du brevet de l’appelant sont plus larges que ce que qu’il a inventé. La seconde consiste à déterminer si les revendications sont plus larges que l’invention qui est décrite dans le mémoire descriptif. Si la réponse à l’une ou l’autre de ces questions est affirmative, selon mon interprétation des principes de droit applicables, les revendications sont invalides.

 

[85]           La source du droit sur cette question remonte à la déclaration de lord MacMillan dans Mullard Radio Valve Co v Phelan Radio & Television Corp of Great Britain Ltd (1936), 53 RPC 323 (HC), à la page 347 :

 

[traduction]

[…] Si un inventeur revendique comme invention un article donné, mais que celui‑ci ne réalise son objectif déclaré que grâce à une juxtaposition particulière, et que l’idée inventive était de découvrir que cette juxtaposition particulière aura un effet nouveau et utile, je ne pense pas que l’inventeur a le droit de revendiquer l’article en général, séparément de la juxtaposition essentielle à la réalisation de ces résultats.

 

[86]           Ces principes ont été entérinés dans de nombreux jugements de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, notamment : Amfac Foods Inc c Irving Pulp & Paper Ltd (1986), 12 CPR (3d) 193 (CAF), aux pages 202 à 204; Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 142, aux paragraphes 180 à 182; Biovail Pharmaceuticals Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2005 CF 9, aux paragraphes 59 à 61, pour ne nommer que celles‑là.

 

[87]           Le corollaire prévisible de cette proposition a été formulé par Thorson P dans Lovell Manufacturing Co c Beatty Bros Ltd (1962), 41 CPR 18 (C. de l’É.), à la page 66 :

 

[traduction]

Si les revendications correspondent assez bien avec les divulgations et les illustrations contenues dans le mémoire descriptif et les dessins […] elles n’ont pas de portée plus large que l’invention.

 

[88]           En ce qui concerne la revendication 3, selon mon interprétation, on y revendique que soit la prégabaline, soit son racémate peut être utilisé pour traiter divers types de douleurs énumérés dans la portion descriptive du brevet, y compris les types de douleurs qui, en 1997, auraient été considérés par une personne versée dans l’art comme étant raisonnablement liés à de telles douleurs chez un mammifère, y compris chez l’humain.

 

[89]           Dans leur mémoire, au paragraphe 85 du volume 24 du dossier, les demanderesses décrivent en ces termes le « concept inventif » du brevet 652 :

 

[traduction]

[…] la nouvelle utilité thérapeutique de la prégabaline dans le traitement de la douleur.

 

[90]           Il faut noter le fait que cette description ne tient pas compte de ce que la revendication 3 concerne non seulement la prégabaline, mais aussi le racémate. Nulle part dans la description du brevet (en tenant compte de l’erreur sur laquelle les parties s’entendent) ne trouve‑t‑on quelque référence que ce soit au racémate. Selon Pfizer, une « personne versée dans l’art » pourrait « déduire » que l’on fait référence au racémate. Je reviendrai sur cette affirmation ultérieurement.

 

[91]           En ce qui concerne la « douleur », les demanderesses font valoir, au paragraphe 68 de leur mémoire, que la « douleur » dont il est question à la revendication 3 concerne « les troubles associés à une douleur chronique ou à une douleur persistante, et en particulier les types de douleurs énumérés à la page 1 du brevet 652 ». Cette affirmation ne tient pas compte du fait que la description vise également une « névralgie zostérienne et une névralgie post‑zostérienne aiguës » (également revendiquées à la revendication 13); par conséquent, selon mon interprétation, il s’agit de l’un des types de « douleurs » visés par le terme général de « douleur » à la revendication 3.

 

[92]           J’examinerai à présent le témoignage de l’inventeur lui‑même, M. Singh. Au paragraphe 10 de son affidavit, il affirme clairement que son objectif était de tester la prégabaline dans le traitement de l’épilepsie, car la société pour laquelle il travaillait menait déjà des travaux sur ce composé. Il ne mentionne nulle part qu’il avait effectué des travaux avec le racémate ou qu’il avait même pensé à réaliser de tels travaux. Du paragraphe 10 au paragraphe 21 de son affidavit, M. Singh explique comment il a procédé pour tester l’utilisation de la prégabaline dans les cas de douleur chronique et de douleur persistante. Il ne fait aucune mention de la douleur aiguë. Qui plus est, lors de son contre‑interrogatoire, en réponse aux questions 125 à 147, il réitère que les essais qu’il avait effectués ne concernaient que la douleur chronique; plus important encore, en réponse à la question 147, il affirme ce qui suit :

 

[traduction]

La prégabaline ne bloque la douleur ou n’agit qu’en présence d’un stimulus sournois. Elle ne bloque pas la douleur aiguë.

 

[93]           Les preuves révèlent par conséquent que l’inventeur n’a jamais effectué de travaux avec le racémate ni jamais envisagé de mener de tels travaux. L’inventeur a indiqué que la prégabaline n’était utile que pour le traitement de la douleur chronique ou de la douleur persistante, et non contre la douleur aiguë.

 

[94]           Les demanderesses font valoir que l’on peut déduire l’efficacité du racémate à partir de la divulgation du brevet. Je ne suis pas du même avis pour des raisons que je préciserai lorsque j’aborderai le sujet de la prédiction valable. Les demanderesses n’avancent aucune argumentation en ce qui concerne la douleur aiguë mentionnée en page 1 et revendiquée à la revendication 13 du brevet.

 

[95]           Je conclus que l’allégation de Pharmascience selon laquelle la revendication 3 du brevet 652 est invalide car sa portée est plus large que l’invention réalisée ou divulguée, est fondée.

 

PRÉDICTION VALABLE – DIVULGATION DE L’UTILITÉ

 

[96]           Une grande partie des arguments présentés en l’espèce concernaient surtout la question de la prédiction valable. L’arrêt Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 (qu’on appelle l’arrêt Viagra) est l’arrêt le plus récent de la Cour suprême du Canada à ce chapitre. La manière dont nos cours de justice ont traité le problème de la prédiction valable semble donner matière à préoccupation, au Canada comme ailleurs.

 

[97]           L’article 2 de la Loi sur les brevets définit ainsi le terme « invention » :

 

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

 

 

 

[98]           Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets prévoit que le commissaire des brevets accorde un brevet si la demande présentée en ce sens « est déposée conformément à la présente Loi » et si « les autres conditions de celle‑ci sont remplies ». Aux termes du paragraphe 27(2), la demande de brevet doit être « accompagnée d’une pétition et du mémoire descriptif de l’invention ».

 

[99]           Le paragraphe 27(3) précise le contenu du mémoire descriptif :

 

Mémoire descriptif

 

(3) Le mémoire descriptif doit :

 

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

 

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

 

 

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

 

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

 

(5) Il est entendu que, pour l’application des articles 2, 28.1 à 28.3 et 78.3, si une revendication définit, par variantes, l’objet de l’invention, chacune d’elles constitue une revendication distincte.

 

(6) Si, à la date de dépôt, la demande ne remplit pas les conditions prévues au paragraphe (2), le commissaire doit, par avis, requérir le demandeur de la compléter au plus tard à la date qui y est mentionnée.

 

 

(7) Ce délai est d’au moins trois mois à compter de l’avis et d’au moins douze mois à compter de la date de dépôt de la demande.

 

Note marginale : Ce qui n’est pas brevetable

 

(8) Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

 

Specification

 

(3) The specification of an invention must

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

 

 

 

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

 

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

 

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject‑matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

 

 

(5) For greater certainty, where a claim defines the subject‑matter of an invention in the alternative, each alternative is a separate claim for the purposes of sections 2, 28.1 to 28.3 and 78.3.

 

 

(6) Where an application does not completely meet the requirements of subsection (2) on its filing date, the Commissioner shall, by notice to the applicant, require the application to be completed on or before the date specified in the notice.

 

(7) The specified date must be at least three months after the date of the notice and at least twelve months after the filing date of the application.

 

Marginal note: What may not be patented

 

(8) No patent shall be granted for any mere scientific principle or abstract theorem.

 

 

[100]       Il convient de souligner ce qui suit :

 

                     aux termes de l’alinéa 27(3)a), le mémoire descriptif doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

                     l’alinéa 27(3)b) exige que les diverses phases d’un procédé ou que le mode soient exposés clairement dans des termes complets et clairs;

 

                     s’il s’agit d’une machine, l’alinéa 27(3)c) exige que le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application soient expliqués clairement;

 

                     s’il s’agit d’un procédé, l’alinéa 27(3)d) exige que les diverses phases en soient expliquées.

 

[101]       Aux termes du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention.

 

Revendications pharmaceutiques

 

[102]       Dans le cas d’espèce, nous avons affaire à une substance pharmaceutique. Il ne s’agit ni d’un procédé, ni d’une méthode ni d’une machine. Par conséquent, les alinéas 27(3)b), c) et d) de la Loi sur les brevets n’ont aucune pertinence, seuls l’alinéa 27(3)a) et le paragraphe 27(4) trouvent à s’appliquer.

 

[103]       La loi indique clairement que lorsque l’invention concerne un nouveau composé, tel qu’une substance pharmaceutique, le mémoire descriptif doit en préciser l’utilité pour être conforme à la définition du mot « invention » prévue à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Cela ne signifie pas toutefois que l’utilité doit être nécessairement incluse dans la revendication : celle‑ci peut porter simplement sur le composé lui‑même. Toutefois, si l’invention consiste en une nouvelle utilisation d’un composé connu, celle‑ci doit être mentionnée dans la revendication (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2001] 1 CF 495 (CAF), au paragraphe 81; conf. par [2002] 4 RCS 153).

 

[104]       Lorsque l’invention repose sur le choix, parmi un groupe de composés connus, de certains d’entre eux parce qu’ils sont d’une utilité exceptionnelle aux fins de l’objectif établi, la revendication doit explicitement s’y rapporter, et tous les composés en question doivent présenter ces caractéristiques exceptionnelles (Re I.G. Farbenindustrie, ci‑après).

 

[105]       Enfin, lorsqu’une revendication vise un nombre important de composés, ils doivent tous, sauf peut‑être pour les cas de minimis, être utiles au sens du mémoire descriptif ou du contenu de la revendication, le cas échéant (Olin Matheson, ci‑après).

 

Invention

 

[106]       L’acte d’invention n’est pas défini dans la Loi sur les brevets. L’article 2 précise qu’une « invention » doit avoir « le caractère de la nouveauté et de l’utilité ».

 

[107]       Aux termes de l’article 28.1, la « date de la revendication » est celle du dépôt de la demande au Canada ou dans un pays étranger; une demande de priorité peut être présentée à l’égard de celle‑ci dans les douze mois qui suivent. En ce qui concerne la « nouveauté » de l’objet, l’article 28.2 prévoit que celui‑ci ne doit pas avoir été « divulgué » par un tiers avant la date de la revendication. D’après l’article 28.3, pour pouvoir être qualifié d’« invention », l’objet ne doit pas être « évident », à la date de la revendication.

 

[108]       Ainsi, en règle générale, l’acte d’invention ne donne pas lieu à une enquête sur les activités de l’inventeur. Tout ce qui importe est que l’objet n’ait pas déjà été divulgué, et qu’il ne soit pas évident, à la « date de la revendication ».

 

[109]       Cependant, dans certains cas, l’acte d’invention peut s’avérer pertinent en soi, notamment lorsque des individus autres que les inventeurs désignés veulent ajouter ou substituer leurs noms à ceux de ces derniers. Les activités des premiers et des seconds pourront alors être scrupuleusement examinées par le commissaire des brevets ou la Cour.

 

[110]       Les dispositions de la Loi sur les brevets, telle qu’elle existait avant les modifications du 1er octobre 1989, prévoyaient une autre exception. L’acte d’invention devenait pertinent au regard du caractère évident, puisque celui‑ci devait être envisagé à la « date de l’invention ». Bien qu’en l’absence d’autres éléments de preuve, cette date fût réputée être celle du dépôt de la demande au Canada – ou la date de priorité, le cas échéant –, il eût été loisible à un breveté d’invoquer une date antérieure, par exemple, pour qu’une publication parue entre‑temps n’ait plus de pertinence au regard du caractère évident. Dans ce cas, les tribunaux ont estimé que la « date de l’invention » était celle à laquelle l’idée a été concrétisée dans une forme définie et pratique, ou la façon dont elle serait concrétisée a été décrite en détail, en montrant que l’invention alléguée était utile (p. ex., Weatherford Canada Inc c Corlac Inc (2010), 84 CPR (4th) 237, au paragraphe 239, conf. par 95 CPR (4th) 101 (CAF), autorisation d’appel à la CSC refusée).

 

[111]       Un autre cas visé par les dispositions de la Loi sur les brevets antérieures au 1er octobre 1989 concernait les procédures contradictoires liées à l’octroi du brevet au « premier inventeur » (alors qu’en vertu des nouvelles dispositions, le brevet est accordé à la première personne qui dépose une demande en ce sens à l’égard de la même invention). Lorsqu’au moins deux personnes déposaient des demandes de brevet relativement à la même invention, le commissaire des brevets, puis les tribunaux, devaient déterminer lequel était le « premier inventeur », c’est‑à‑dire la personne ayant droit au brevet. La date de l’invention était établie en utilisant le même critère évoqué plus haut.

 

Historique de la jurisprudence

 

[112]       Cette mise en contexte étant faite, nous pouvons nous pencher sur la jurisprudence pertinente ayant trait aux brevets visant des composés pharmaceutiques et autres inventions de ce genre, et sur l’émergence de la notion de « prédiction valable ».

 

[113]       Le jugement prononcé par le juge Maugham de la Division de la Chancellerie anglaise dans In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patent, (1930), 47 RPC 289, est un bon point de départ. Dans cette affaire, Farbenindustrie avait obtenu un brevet pour la fabrication d’un colorant né du mélange d’un produit chimique A avec un produit chimique B. Une autre entreprise, Imperial Chemical, voulait faire invalider le brevet pour diverses raisons, notamment parce que les composés de la famille des produits chimiques A et B ne permettaient pas tous d’obtenir le colorant en question. Pour ce motif, et d’autres encore, le juge Maugham, a conclu que le brevet était invalide. Ses propos sont cités aux pages 322 et 323 :

 

[traduction]

            Cependant, trois propositions générales peuvent à mon sens être tenues pour exactes : premièrement, pour être valide, un brevet de sélection doit reposer sur un avantage substantiel obtenu grâce à l’utilisation des composés sélectionnés. (L’inconvénient substantiel que cette utilisation permet d’éviter doit évidemment être compris dans cette formulation.) Deuxièmement, l’ensemble des composés sélectionnés doivent posséder l’avantage en question. Troisièmement, la sélection doit se rapporter à une qualité spéciale dont on peut aisément convenir qu’elle est propre au groupe sélectionné. La première proposition est claire (voir la déclaration du juge Parker dans Clyde Nail Co. Ld. v. Russell, (1916) 33 R.P.C. 291, à la p. 306). J’ajouterai que cette condition ne doit pas être assimilée à la doctrine de l’utilité, telle qu’elle s’applique à un brevet d’origine, qui peut très bien concerner une invention sans utilité. Dans un brevet de sélection, la condition suivant laquelle l’utilisation des composés sélectionnés procure un avantage substantiel est inhérente à la prétendue invention.

 

La seconde proposition découle du cas hypothétique où la sélection se rapporterait à des composés qui ne possèdent pas les avantages allégués : la sélection est alors défectueuse, le brevet serait trompeur et donc invalide pour cause d’insuffisance et d’absence d’utilité. Cependant, cela ne revient pas à suggérer que quelques exceptions ici et là suffiront à invalider le brevet.

 

La troisième proposition commande quelques explications. Si le groupe comprend possiblement cinq mille composés et qu’une centaine d’entre eux ont été sélectionnés comme présentant un avantage nouveau et défini, cela ne veut pas dire qu’un tel brevet de sélection serait défectueux si des recherches subséquentes démontraient qu’une autre centaine de composés possédaient le même avantage. En revanche, s’il était établi qu’un millier de composés non sélectionnés présentent le même avantage, je doute fort que le brevet puisse être maintenu. Il doit s’agir d’une qualité spéciale et non d’un attribut que les personnes versées dans l’art peuvent s’attendre à retrouver dans un grand nombre de ces composés. Il serait imprudent d’avancer une définition plus précise car, au bout du compte, les éléments doivent être appréciés. Pour reprendre la vieille métaphore, je dirais qu’il faut défendre la citadelle : ce sera peine perdue si on ouvre les portes au premier coup de trompette.

 

Je dois ajouter un mot sur la rédaction du mémoire descriptif d’un tel brevet. Compte tenu de ce que j’affirmais sur l’essence de l’étape inventive, il est évident que le breveté doit définir en termes clairs la nature de ce qu’il estime être la caractéristique de la sélection à l’égard de laquelle il revendique un monopole. En vérité, il ne divulgue aucune invention s’il se contente d’annoncer que le groupe sélectionné présente des avantages. Sans aucun égard à la question du caractère suffisant, il doit divulguer une invention, ce qui ne sera pas le cas s’il ne définit pas adéquatement les caractéristiques spéciales inhérentes à la sélection. Les mises en garde répétées entendues à la Chambre des lords au sujet de l’ambiguïté ont, je pense, un poids particulier en ce qui touche aux brevets de sélection. (Natural Colour etc. Ld. v. Bioschemes Lt., (1915) 32 R.P.C. 256, à la p. 266; et British Ore etc. Ld. v. Minerals Separation Ld., (1910) 27 R.P.C. 33, à la p. 47.)

 

Je résumerai ma conclusion ainsi : dans le cas d’un brevet de sélection, l’étape inventive consiste dans la sélection d’une propriété ou d’une caractéristique utile et spéciale adéquatement définie. C’est ce qu’il faut garder à l’esprit au moment d’examiner la demande de modification et la requête en révocation.

 

[114]       Nous avons ici la genèse des doctrines actuelles touchant les brevets de « sélection ».

 

[115]       Vient ensuite l’arrêt May & Baker Limited et al v Boots Pure Drug Company Limited (1950), 67 RPC 23, de la Cour d’appel d’Angleterre. Dans cette affaire, la Cour était invitée à invalider un brevet revendiquant un grand nombre de composés censés avoir [traduction] « une utilité thérapeutique », les sulfathiazoles. On faisait valoir que tous les composés de cette famille ne pouvaient avoir une telle utilité. Le breveté a essayé de modifier le brevet (une procédure qui existe au Royaume‑Uni, mais pas au Canada) de manière à le limiter à deux composés seulement. La Cour a refusé la modification, estimant qu’il en résulterait une invention différente. Le discours de lord MacDermott est reproduit en page 50 :

 

[traduction]

Avant de nous pencher sur le mémoire descriptif original et la nature de l’invention revendiquée, il convient de mentionner deux questions qui, bien que ce champ particulier en soit encore au stade empirique, me semblent procéder nécessairement de cette caractéristique. Tout d’abord, une invention dans ce domaine chimiothérapeutique doit se rapporter à une substance qui a réellement été produite. Il ne peut y avoir de découverte empirique à l’égard d’une formule brute. Deuxièmement, la découverte de chaque nouveau composé ayant une utilité thérapeutique constitue une invention distincte. Si l’inventeur est forcé de dire « J’ai fabriqué une nouvelle substance qui me paraît avoir une valeur thérapeutique, mais je ne peux pas être certain qu’une autre substance, nonobstant la similitude de leurs structures moléculaires, ait la même utilité tant que je ne l’aurai pas fabriquée et testée », j’estime alors que son invention doit se rapporter à la substance unique qu’il a fabriquée et à elle seule. S’il a fabriqué plusieurs de ces substances et en a prouvé l’utilité, le raisonnement reste le même à mon avis car, bien que le domaine conserve sa qualité empirique, chaque nouvelle substance constitue une nouvelle découverte. Mais si l’inventeur peut affirmer que son acte inventif est tel que chacun des divers nouveaux produits qu’il a permis de réaliser a une utilité thérapeutique, bien que certains d’entre eux n’aient pas encore été fabriqués,  l’état de la technique aura alors changé, selon ma vision des choses. Le domaine aura perdu son côté empirique, du moins dans une certaine mesure, et le chimiste aura découvert une loi ou un principe lui permettant de prédire l’effet thérapeutique.

 

[116]       Cet extrait annonce la genèse du concept de « prédiction valable ». Un inventeur peut‑il [traduction] « découvrir une loi ou un principe lui permettant de prédire l’effet thérapeutique » relativement à « chacun des divers nouveaux produits »?

 

[117]       Ce discours de lord MacDermott a été cité dans un nouveau contexte par l’avocat anglais Sir Lionel Heald, et repris à son compte par le juge Graham dans Olin Matheson Chemical Corporation et al v Biorex Laboratories Limited et al, [1970] RPC 157. Cette affaire concernait une classe de composés pharmaceutiques censés avoir un effet thérapeutique. Les revendications étaient contestées au motif qu’elles étaient invalides parce qu’elles visaient une classe importante dont tous les éléments n’avaient pas nécessairement un effet thérapeutique. La Cour a estimé que le brevet était valide.

 

[118]       Le juge Graham a employé l’expression « prédiction valable » en reprenant le résumé, proposé par Sir Lionel Heald, des commentaires qu’avait formulés lord MacDermott dans May & Baker, à la page 182 du jugement :

 

[traduction]

À maintes reprises, semble‑t‑il, on est allé jusqu’à prétendre qu’il était impossible qu’un brevet de médicament comme celui‑ci comporte une revendication valide à moins que le ou les objets visés par cette revendication aient réellement été testés sur l’homme et qu’une certaine efficacité thérapeutique minimale comme médicament ait été prouvée. Cependant, Sir Lionel a fait valoir que la question du « basé à juste titre » et de l’examen devait attendre l’évaluation du mémoire descriptif et de toutes les circonstances présentes, et l’analyse d’un certain nombre de jugements qu’il a cités, notamment le discours de lord MacDermott à la Chambre des lords dans l’affaire May & Baker (1950) 67 R.P.C. 23, à la p. 50. Sir Lionel a très bien résumé son point de vue en ces termes :

 

            « Si la preuve permettait vraiment de faire une prédiction valable relativement à un certain domaine, il serait alors raisonnable à première vue que le breveté puisse faire une revendication en conséquence, mais cela n’est pas le cas si l’on en croit la preuve dans ce domaine. »

 

            Comme nous le verrons plus loin, cet énoncé m’a été très utile pour aborder les questions délicates de l’examen et de la portée de la revendication. De prime abord, l’argument de Sir Lionel, s’il est fondé, doit logiquement s’appliquer à toutes les revendications du mémoire descriptif, qu’il s’agisse d’une formule générale ou de composés spécifiques, hormis ceux qui ont réellement été testés et dont l’efficacité chez l’homme a été établie – par exemple, le trifluoropromazine. Il s’ensuit bien entendu que le fondement factuel à établir pour pouvoir invoquer cet argument avec succès est qu’il est impossible de prédire si les différents composés inclus dans les objets de plusieurs de ces revendications peuvent être utiles comme médicaments avant de les avoir réellement testés.

 

 

[119]       D’où l’expression « prédiction valable ».

 

[120]       Dans Olin Matheson, le juge Graham continue en soupesant les arguments à peu près comme le font nos tribunaux aujourd’hui. Il déclare aux pages 192 et 193 du jugement publié :

 

[traduction]

(1)        La première chose à prendre en considération est l’interprétation de la revendication et si, comme en l’espèce, la revendication vise une vaste famille de substances chimiques comme telle, c’est d’abord en tenant compte de cette situation qu’il faut appliquer le critère. S’il est démontré que certaines substances comprises dans la revendication n’ont pas d’utilité, la revendication est fautive, à l’exception peut‑être d’un cas de minimis où il n’y a que de rares exceptions, comme celui que le juge Maugham avait à l’esprit dans I.F. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930) 47 R.P.C. 289 à la p. 323, ligne 14. Bien entendu, il peut être possible de modifier la revendication de manière à supprimer les cas de figure inutiles, mais c’est là une autre question. Toutefois, lorsque l’objection fondée sur l’inutilité a été initialement soulevée et retirée ensuite, comme en l’espèce, – gardons à l’esprit qu’il incombe aux parties défenderesses de montrer que le brevet est invalide et non aux parties demanderesses d’établir qu’il ne l’est pas –, il devient alors quasi impossible pour les premières, en l’absence d’une admission à cet effet, de convaincre la cour qu’une substance visée par la revendication n’est d’aucune utilité, thérapeutique ou autre. Si les parties défenderesses avaient été en mesure de montrer que certaines de ces substances n’avaient aucune utilité ou qu’elles ne pouvaient pas être utilisées comme médicaments en raison d’une toxicité excessive, il leur aurait été très facile de le prouver par une expérience ou par un autre moyen.

 

(2)        Du point de vue du public et des titulaires du brevet, il est souhaitable que les travaux de recherche menés sur le médicament ou dans d’autres domaines, selon le cas, se poursuivent. En ce qui concerne les travaux de recherche portant sur le médicament en particulier, il s’agit d’une entreprise très coûteuse, et le nombre de « gagnantes » ne représente qu’une infime proportion des molécules qui ont été synthétisées et testées. Lorsqu’on trouve une molécule « gagnante », on trouve toutefois très souvent des entités chimiques qui lui sont plus ou moins apparentées et qui ont une activité identique ou même supérieure. En l’espèce, par exemple, la trifluopérazine présente une activité environ cinq fois plus élevée que la chlorpromazine, et la fluphénazine présente une activité environ 20 fois supérieure à la chlorpromazine. Ces molécules sont toutes des dérivés de la phénothiazine, substituées en position « 2 », la trifluopérazine et la fluphénazine présentant la nouvelle substitution –CF3 plutôt que la substitution –CI de la chlorpromazine, et sont par conséquent visées par la revendication 1. De plus, dans le cas de la fluphénazine, l’augmentation d’un facteur 5 à 20 de l’activité par rapport à la chlorpromazine résulte de la modification mineure apportée au groupement –NCH3 à l’extrémité de la chaîne de la trifluopérazine pour en faire un groupement –NCH2 CH2 OH – en d’autres termes, un atome H du groupement –NCH3 est remplacé par un groupement –CH2 OH. Par conséquent, à moins que l’inventeur original de la substitution –CF3 puisse recevoir une couverture suffisamment étendue, il est probable que d’autres personnes, après avoir eu vent de cette réalisation, mettent au point des entités chimiques similaires dont l’activité serait égale ou supérieure. À moins que l’inventeur puisse contrôler de telles activités, toute récompense qu’il pourrait obtenir pour son invention et ses travaux de recherche sera vraisemblablement de peu de valeur.

 

(3)        Cette dernière considération doit être pondérée par une autre, qui est que sa revendication ne doit pas être générale au point d’étouffer indûment les recherches des autres – là encore, il faut garder à l’esprit que les articles 37 à 42 de la Loi sur « l’abus de monopole » permettront, dans les cas appropriés, à celui qui fait une découverte ou qui souhaite vendre quelque chose dans le domaine auquel se rapporte la revendication d’un autre, d’obtenir de lui une licence à des conditions raisonnables. Par ailleurs, si, comme en l’espèce, une compagnie pharmaceutique doit, en tant que contrefacteur potentiel de deux brevets appartenant à deux autres titulaires, obtenir deux licences obligatoires, une pour chacun des brevets, le contrôleur devra répartir équitablement entre les deux brevetés la redevance totale qu’il jugera appropriée, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire, tout en s’assurant du même coup que le contrefacteur potentiel ne verse pas un double tribut ou qu’il n’ait pas à payer un tarif exorbitant, voir l’article 41. Les activités du chercheur honnête et de la compagnie pharmaceutique qui aboutissent à la fabrication ou à l’utilisation d’une invention déjà visée par la revendication d’un brevet existant sont donc protégées dans les cas appropriés. La licence obligatoire déjà accordée aux défenderesses en l’espèce relativement au brevet no  831 861 est un exemple des mécanismes inhérents à ces dispositions

 

            Où donc faut‑il tracer la ligne entre une revendication qui va au‑delà de l’objet et une qui coïncide avec lui? À mon avis, Sir Lionel avait raison en déclarant fort utilement, dans les termes cités plus haut, que cela dépend de la possibilité de faire une prédiction valable. S’il est possible pour le breveté de faire une prédiction valable et de formuler une revendication qui ne dépasse pas les limites à l’intérieur desquelles la prédiction demeure valable, c’est son droit. Bien sûr, en agissant ainsi, il prend le risque qu’un défendeur soit en mesure de démontrer que sa prédiction n’est pas valable, ou que certains objets inclus dans sa formulation sont inutiles ou anciens ou évidents, ou qu’une promesse quelconque contenue dans son mémoire descriptif est fausse à un égard important; mais si la cour rejette la contestation du défendeur, sa revendication ne va pas au‑delà de l’objet révélé par la divulgation, elle est honnêtement fondée sur celle‑ci sous cet aspect et elle est valable.

 

[121]       Tous ces éléments sont repris dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Limited, [2002] 4 RCS 153, (qu’on appelle l’arrêt AZT) de la Cour suprême du Canada, qui sera évoqué plus loin.

 

[122]       Nous nous intéresserons d’abord à l’arrêt Monsanto Company c Commissaire des brevets, [1979] 2 RCS 1108. Dans cette affaire, Monsanto tentait d’obtenir un brevet revendiquant un groupe de quelque 126 composés censés prévenir la vulcanisation prématurée du caoutchouc. Le mémoire descriptif ne divulguait la préparation que de trois de ces composés. Le commissaire a refusé la demande de brevet au motif que cette divulgation restreinte ne justifiait pas une revendication à l’égard de cent vingt‑six composés. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce refus. La Cour suprême a infirmé ce jugement, estimant qu’il incombait au commissaire (désigné en l’espèce comme étant la Commission) de justifier le refus et non pas à la demanderesse de justifier la prédiction valable.

 

[123]       Le juge Pigeon, qui a rédigé les motifs de la Cour suprême du Canada, déclare en page 1118 :

 

Quoique le rapport de la Commission soit très long, en définitive tout ce qu’il dit au sujet de la revendication 9, après avoir énoncé le principe avec lequel je suis d’accord, c’est qu’une revendication doit se limiter à l’étendue de la prédiction valable et que « nous ne sommes pas convaincus que trois exemples spécifiques soient suffisants ».

 

 

[124]       Il poursuit à la page 1119 :

 

J’ai souligné en droit [article 42 de la Loi sur les brevets] pour faire ressortir que ce n’est pas une question de discrétion : le commissaire doit justifier tout refus.

 

[125]       Et aux pages 1121 et 1122 :

 

En vertu de cet article, le commissaire doit refuser le brevet quand il « s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit » à l’obtenir. Ce qu’il a dit en l’espèce en approuvant la décision de la Commission est en fait « je ne suis pas assuré que vous y avez droit ». À mon avis, le commissaire ne peut refuser un brevet parce qu’un inventeur n’en a pas testé et prouvé complètement tous les usages revendiqués. C’est ce qu’il a fait ici en refusant d’accueillir les revendications 9 et 16 dans la mesure où elles vont au‑delà de ce qui a été testé et prouvé ayant le dépôt de la demande. Si les inventeurs ont revendiqué plus que ce qu’ils ont inventé et inclus des substances dépourvues d’utilité, leurs revendications pourront être contestées. Mais pour que cette contestation réussisse, elle devra s’appuyer sur une preuve d’inutilité. Pour l’instant, une telle preuve n’existe pas et il n’y a aucune preuve que la prédiction d’utilité pour chaque composé mentionné n’est pas valable et raisonnable.

 

 

[126]       L’arrêt Monsanto concernait donc la prédiction valable, et plus précisément la question de savoir à qui, du commissaire ou de la demanderesse, incombe le fardeau de démontrer la prédiction valable dans une demande de brevet.

 

[127]       J’aborderai à présent l’arrêt AZT, en évoquant d’abord le jugement du juge de première instance, le juge Wetston, répertoriée sous (1998), 79 CPR (3d) 193. Le brevet portait sur un médicament nommé AZT, utilisé dans le traitement du sida. Les questions soulevées rendaient pertinentes les circonstances et la date de l’invention. Il s’agissait notamment de savoir si les bons inventeurs avaient été nommés et si, à la « date de l’invention », les inventeurs l’avaient effectivement réalisée.

 

[128]       Le juge Wetston a commencé par affirmer aux paragraphes 34 et 35 de ses motifs :

 

34        Quant à la question du moment où il faut apprécier la validité, il y a plusieurs points dans le processus du brevet qui peuvent être pertinents, notamment la date de l’invention, la date de la demande, la date de priorité et la date de délivrance du brevet.

 

35        La date de l’invention est présumée être la date du dépôt de la demande, ou la date du dépôt de la demande initiale dont la priorité est revendiquée. Toutefois, l’inventeur a le droit de revendiquer la priorité fondée sur une date d’invention antérieure à la première date de dépôt. Habituellement, l’inventeur revendiquera une date plus ancienne lorsqu’un inventeur concurrent cherche aussi à obtenir un brevet, bien que ce droit ne soit pas limité à ces circonstances. Le critère pour établir une date antérieure d’invention est [traduction] « la date à laquelle l’inventeur peut prouver qu’il a énoncé pour la première fois, par écrit ou verbalement, une description qui fournit les moyens de fabriquer ce qui est inventé » : Christiani & Nielsen c. Rice, [1930] R.C.S. 443, à la p. 456.

 

 

[129]       Le motif de contestation lié à la question de savoir si une invention a bien été réalisée à la date pertinente est exposé aux paragraphes 77 et 78 :

 

77        A & N font valoir que le brevet est invalide au motif qu’à la date de l’invention les inventeurs n’avaient pas d’invention au sens de l’art. 2 de la Loi. Comme dans le cas des arguments sur l’objet, une question clé dans ce raisonnement est de déterminer ce qui constitue une invention au sens de l’art. 2. Comme je l’ai indiqué auparavant, l’invention en l’espèce n’est pas une composition chimique, un processus ou une formulation. C’est une utilisation nouvelle d’un composé déjà connu. L’activité inventive consistait à concevoir l’utilisation de l’AZT comme médicament pour le SIDA et les maladies connexes.

 

78        A & N soutiennent qu’il n’y avait pas d’invention à la date alléguée de l’invention et que les revendications sont trop vastes à cette date. Elles font valoir que les revendications ne peuvent excéder l’invention réalisée ou l’invention divulguée. En d’autres termes, elles prétendent que le brevet comporte des revendications qui vont au‑delà de ce qui a été inventé et, en second lieu, que les revendications débordent l’invention décrite dans le mémoire descriptif. Elles plaident que le breveté ne peut se contenter d’affirmer l’utilité, il doit savoir que son invention est utile. Elles soutiennent qu’à la date alléguée de l’invention, tout ce que les inventeurs avaient, c’était une idée, une hypothèse ou une théorie. A & N prétendent donc qu’à la date alléguée de l’invention les inventeurs nommés pouvaient démontrer l’utilité de deux manières. À savoir, 1) ils auraient pu démontrer l’utilité à cette époque, ou 2) ils auraient pu avoir un fondement valable leur permettant de prédire l’utilité du composé : Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1117.

 

[130]       Aux paragraphes 84 à 87, le juge Wetston énonce les principes juridiques fondamentaux regardant l’acte d’invention :

 

84        L’acte d’invention peut prendre des formes différentes selon les circonstances : Barrigar, Canadian Patent Act, Annotated, Canada Law Book (1989), p. 5. L’étendue de l’expertise nécessaire dans le domaine pharmaceutique, les subtiles différences entre la preuve théorique et la preuve clinique, et les préoccupations sous‑jacentes de politique générale concernant le développement sûr et efficace des médicaments, tous ces facteurs contribuent à rendre hautement complexe la notion d’utilité dans le domaine pharmaceutique. Assurément, l’inventeur d’articles comme le trombone ou l’élastique n’aura pas à faire appel à une multitude de spécialistes, ni à mener des tests de laboratoire et cliniques intensifs pendant des mois ou des années pour revendiquer une invention utile au sens de l’art. 2 de la Loi. Ce qui est demandé à ces inventeurs se ramène à déduire et exposer par écrit des conclusions portant qu’une boucle de métal ou un élastique retiendra des feuilles de papier. Il est clair, au contraire, qu’on exigera plus dans le cas d’une invention consistant en une utilisation nouvelle d’un composé connu dans le domaine pharmaceutique. La question est donc : quelles sont les exigences de l’article 2 dans de telles circonstances?

 

85        La détermination de l’utilité d’une invention pour l’application de l’art. 2 est une question de fait, que la Cour tranche en fonction de personnes ayant les compétences techniques requises. Suivant le droit canadien des brevets, l’inventeur doit donner à son idée une forme définie et pratique pour que l’on puisse dire qu’il y a eu invention : Permutit Co. v. Borrowman , [1926] 4 D.L.R. 285 à la p. 287 (C.J.C.P.). L’inventeur pourra démontrer que son invention fonctionnera, ou l’aura réalisée sous une forme concrète et pratique, en la construisant, s’il s’agit d’un appareil, en utilisant le procédé ou en décrivant de façon détaillée comment elle est pratiquée : Ernest Scraggs & Sons Ltd. c. Leesona Corp., précité. On ne peut protéger par brevet une découverte ou une simple idée : Comstock Canada c. Electec Ltd.(1991), 38 C.P.R. (3d) 29, à la p. 51 (C.F. 1re inst.). De même, une simple hypothèse qui n’a pas été testée ne sera pas brevetable : Farbwerke Hoechst A/G v. Commissioner of Patents, [1966] R.C.É. 91 à la p. 97. À cet égard, l’idée qui conduit à l’invention ne fait pas partie de l’invention : Reynolds v. Herbert Smith & Co. Ltd. (1903), 20 R.P.C. 123 à la p. 127.

 

Prédiction valable

 

86        La position d’A & N voulant que l’on doive appliquer la doctrine de la prédiction valable semble irrésistible à première vue. Toutefois, il n’est pas immédiatement évident qu’on doive l’appliquer. En fait, comme je l’ai indiqué, Glaxo prétend que la doctrine ne s’applique pas. Aussi, je commencerai par examiner l’opportunité de recourir à cette doctrine pour résoudre la question dans les circonstances.

 

87        La doctrine de la prédiction valable est apparue lorsque les inventeurs se sont mis à revendiquer, dans une invention, un grand nombre de composés dont seuls quelques‑uns avaient été testés et dont l’utilité avait donc été prouvée. Les composés dont l’utilité n’avait pas été prouvée étaient assujettis à la règle de la prédiction valable, c’est‑à‑dire que les inventeurs devaient avoir un fondement suffisant leur permettant de prédire leur utilité devant une preuve contraire. D’où le principe que les revendications à l’égard des composés pour lesquels on ne pouvait pas faire de prédiction valable étaient invalides, et que l’invention était restreinte aux composés ou bien qui avaient été testés, ou bien pour lesquels on pouvait faire une prédiction valable.

 

 

[131]       Après avoir effectué ensuite un examen approfondi de la preuve et du droit, le juge Wetston a conclu qu’à la date de l’invention revendiquée, soit le 6 février 1985, l’invention n’avait pas été réalisée. Il note au paragraphe 168 :

 

168      J’ai pesé soigneusement les témoignages des inventeurs nommés dans le brevet. À mon avis, ces scientifiques n’ont pas indiqué qu’à cette époque ils comprenaient les aspects critiques de la maladie ou sa pathogénèse. Ils n’ont pas prétendu non plus qu’ils comprenaient toutes les variables pouvant influer sur l’évolution de la maladie chez des patients infectés et traités à l’AZT, notamment celles de la toxicité, de l’activité métabolique, de la pharmacocinétique et de la durée du traitement. Autrement dit, ils n’ont pas déclaré qu’ils comprenaient le lien direct existant entre les résultats in vitro et la manifestation clinique de la maladie. Je le répète, une croyance ou conception ne suffit pas en soi pour satisfaire aux exigences de l’art. 2 de la Loi relatives à l’utilité. De ce fait et malgré ce qui a été présenté par écrit, l’invention revendiquée n’avait pas été réalisée au 6 février 1985, étant donné qu’à cette date les revendications allaient au‑delà de l’invention.

 

[132]       Le juge Wetston s’est ensuite demandé si un mois après la date de priorité, soit le 5 mars 1985, l’invention avait été réalisée. Ayant conclu que c’était le cas, il a affirmé aux paragraphes 185 et 186 :

185      À mon avis, je ne peux pas, dans les circonstances, tirer une conclusion à l’encontre de l’invention. Le Dr Parniak a signalé que, même si la capacité de l’essai du Dr Mitsuya était inférieure à celle d’une épreuve faisant appel au MLV, son exactitude et sa fiabilité dans l’identification d’inhibiteurs de la réplication du VIH‑1 potentiellement utiles étaient de beaucoup supérieures à celles de l’épreuve utilisant le MLV. Selon lui, la lignée cellulaire ATH8 permet de vérifier la toxicité de l’AZT pour la cellule, ce qui permet de vérifier l’activité contre la réplication virale, une propriété souhaitable. Il est manifeste que, selon les Drs Shannon et Hughes, aucun agent antiviral ne peut être utile si le médicament n’a pas une grande capacité d’inhibition de l’activité virale, autrement dit s’il est incapable d’interrompre la croissance du pathogène (le virus). Il a réussi à le faire dans la lignée cellulaire humaine ATH8. Il fait peu de doute que ces résultats découlent de tests plus poussés. Cependant, j’estime que, ajoutés à tous les éléments de preuve présentés et examinés dans la présente instance, ces résultats font passer l’invention de la sphère de la croyance à la sphère de l’invention complète.

 

186      Par conséquent, je conclus qu’au 16 mars 1985 les revendications répondaient, sous réserve du critère de l’évidence, aux exigences de l’art. 2 de la Loi et qu’elles n’allaient pas au‑delà de l’invention alléguée. L’idée, l’hypothèse ou la théorie avait, à cette date, pris une forme définie et pratique : Permutit Co. v. Borrowman, précité, à la page 287.

 

 

[133]       Après avoir examiné d’autres questions, dont celle de l’invention, il a conclu que plusieurs revendications étaient valides.

 

[134]       L’affaire a été portée devant la Cour d’appel fédérale. Les trois juges ont motivé leur décision, chacun précisant son propre point de vue, présentant un seul exposé des motifs qui confirmait la décision du juge de première instance [2001] 1 CF 495. Le juge Sexton s’est exprimé sur l’utilité et la prédiction aux paragraphes 49 à 53 :

 

49        Je vais maintenant aborder la prétention d’A & N selon laquelle l’invention de Glaxo n’était pas achevée le 16 mars 1985. Cette prétention revient à dire que, parce qu’à la date du dépôt le 16 mars 1985, les tests visant à démontrer l’utilité de l’invention n’étaient pas terminés, le brevet est invalide. Pour étayer cette proposition, A & N s’appuient fortement sur une phrase tirée de l’affaire Ciba‑Geigy AG c. Commissaire des brevets, dans laquelle le juge en chef Thurlow a statué qu’il ne faut pas confondre la prévisibilité des réactions chimiques et la prévisibilité des effets pharmacologiques et de l’utilité pharmacologique des nouvelles substances. À partir de cet énoncé et en citant diverses décisions comme May & Baker Limited et al. v. Boots Pure Drug Company Limited; Société des Usines Chimiques Rhône‑Poulenc et al. v. Jules R. Gilbert Ltd. et al.; Hoechst Pharmaceuticals of Canada Ltd. et al. v. Gilbert & Company et al.; et Boehringer Sohn, C. H. c. Bell‑Craig Ltd., elles ont élaboré une proposition voulant qu’un composé pharmaceutique ne puisse constituer une invention tant qu’il n’a pas été testé sur des êtres humains. Selon elles, ces décisions consacrent la proposition selon laquelle, en l’absence de tels tests, il ne peut y avoir de « prédiction valable » propre à établir une invention. Comme l’AZT n’avait pas été testée sur des êtres humains vivants à la date de priorité du brevet du 16 mars 1985, A & N soutiennent que Glaxo ne pouvait savoir que l’AZT serait efficace dans le traitement ou la prophylaxie du VIH et, par conséquent, que le brevet ‘277 est invalide.

 

50        D’après moi, la décision de notre Cour dans l’affaire Ciba‑Geigy consacre la proposition selon laquelle même si une invention constitue une spéculation à la date de priorité revendiquée dans le brevet, le brevet ne sera pas invalide si cette spéculation se révèle valide à l’époque de la contestation du brevet. Dans l’affaire Ciba‑Geigy, notre Cour a statué que « si ce qu’indique le mémoire descriptif de brevet était une simple spéculation ou une prédiction, il faut conclure, une fois que la spéculation ou la prédiction ont été confirmées, qu’elles étaient bien fondées au moment où elles ont été faites ». Toujours dans l’affaire Ciba‑Geigy, notre Cour a rejeté la proposition voulant que celui qui demande un brevet [traduction] « ne devrait pas être autorisé à s’arroger des revendications qui se fondent sur quelque chose qui a été fait après le dépôt de la demande et non dans le cadre de la divulgation originale ».

 

51        En d’autres termes, tant qu’un inventeur peut démontrer l’utilité ou une prédiction valable à l’époque où le brevet est contesté, le brevet ne sera pas invalidé pour défaut d’utilité. L’utilité doit être établie au moment où le commissaire des brevets exige qu’elle soit démontrée ou, dans le cadre de procédures judiciaires, quand la validité du brevet est contestée pour ce motif. Le commissaire peut exiger que l’utilité d’un brevet soit démontrée conformément à l’article 38 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 13] de la Loi, qui permet au commissaire de requérir d’un demandeur qu’il « fourni[sse] [...] des échantillons des ingrédients [d’une composition de matières] et de la composition, en suffisante quantité aux fins d’expérience ».

 

52        Conclure qu’on ne peut présenter une preuve de l’utilité réelle après la date de priorité pour démontrer qu’une invention satisfait aux exigences de la Loi sur les brevets entraînerait des résultats illogiques. À titre d’exemple, supposons que, le 10 décembre 1903, Wilbur et Orville Wright ont obtenu un brevet pour un aéroplane et que, à cette date, ni l’un ni l’autre frère n’ont réussi à faire voler l’aéroplane ou n’ont pu affirmer être en mesure de valablement prédire qu’une machine plus lourde que l’air pouvait voler. Supposons en outre qu’une semaine plus tard, les frères Wright ont réussi à faire voler leur aéroplane. Si leur brevet avait été contesté par la suite et si ceux qui le contestaient avaient présenté le témoignage non contredit d’un expert démontrant que, le 10 décembre 1903, des machines plus lourdes que l’air ne pouvaient pas voler, leur brevet serait‑il invalide même si tout le monde pouvait admettre qu’à l’époque où le brevet était contesté de telles machines pouvaient voler? À mon avis, conclure ainsi exigerait d’un tribunal qu’il ferme les yeux sur les progrès scientifiques constants et priverait les brevetés du droit de se fier à des intuitions qui si souvent mènent à de grandes découvertes. Pour reprendre les termes du Dr Rideout, une des coïnventeurs de l’AZT, [traduction] « des réactions instinctives et intuitives » combinées à des réactions viscérales », s’appuyant sur une preuve réelle d’utilité à l’époque où le brevet est contesté, ne seraient pas suffisantes pour étayer un brevet.

 

53        Les décisions que citent A & N à l’appui de la proposition selon laquelle tous les produits pharmaceutiques doivent invariablement être testés sur des êtres humains vivants avant qu’une date de priorité puisse être demandée dans un brevet ne sont pas susceptibles d’application au présent appel. Premièrement, comme le juge de première instance l’a statué, ces décisions abordent la question de la « prédiction valable », une doctrine qui ne s’applique qu’aux cas où seulement quelques‑uns des composés revendiqués ont été testés, mais où bon nombre ne l’ont pas été même à l’époque où le brevet est contesté. De telles exigences en matière de tests ne s’appliquent tout simplement pas lorsque, à l’époque de la contestation du brevet, il y a des preuves d’une véritable utilité (c’est‑à‑dire que le produit pharmaceutique remplit les promesses du brevet). Lorsqu’une telle utilité est démontrée, il est inutile de revenir à la doctrine de la « prédiction valable » et les expérimentations requises pour faire de telles prédictions. Comme A & N ne contestent pas qu’en réalité l’AZT est utile pour traiter le VIH, le brevet ‘277 satisfait au critère d’utilité véritable.

 

 

[135]       La Cour suprême a instruit l’affaire en appel. Le juge Binnie, s’exprimant au  nom de la Cour, a rédigé le jugement couramment appelé l’arrêt AZT.

 

[136]       Le juge Binnie a évoqué le concept d’utilité au sens de la Loi sur les brevets aux paragraphes 51, 52, 55 et 56. En ce qui concerne le paragraphe 56, il est à noter que la Cour n’a pas précisé que le fondement de la prédiction valable devait être énoncé dans le brevet; elle a plutôt abordé la question du point de vue d’une « éventuelle contestation » :

 

51        Selon la définition qu’en donne la Loi sur les brevets, une « invention » doit notamment présenter « le caractère de la nouveauté et de l’utilité » (art. 2). Si ce n’est pas utile, ce n’est pas une invention au sens de la Loi.

 

52        Il est important de rappeler qu’en ce qui concerne l’AZT la seule contribution de Glaxo/Wellcome a consisté à en découvrir une nouvelle utilisation. Le composé lui‑même n’était pas nouveau. Le Dr Jerome Horwitz en avait décrit la composition chimique 20 ans plus tôt. Glaxo/Wellcome revendiquait une utilité jusqu’alors inconnue, mais si elle n’avait pas démontré cette utilité par des essais ou une prédiction valable au moment de la demande de brevet, elle n’aurait rien eu d’autre à offrir à la population que des vœux pieux en échange de la monopolisation, pendant une période de 17 ans (à l’époque), d’un secteur de recherche susceptible de devenir profitable. Comme l’a fait observer le juge en chef Jackett dans l’arrêt Procter & Gamble Co. c. Bristol‑Myers Canada Ltd., [1979] A.C.F. no 405 (QL) (C.A.), par. 16 :

 

Par définition une « invention » comprend un « procédé présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Un nouveau procédé ne constitue pas une invention, à moins qu’il ne soit utile au sens pratique. À mon avis, ce n’est pas connaître une « invention », que de connaître un procédé sans connaître son utilité.

 

[…]

 

55        En l’espèce, par contre, si l’utilité de l’AZT pour le traitement du VIH/sida avait été imprévisible au moment de la demande de brevet, les inventeurs n’auraient alors rien inventé ni rien eu à offrir à la population, si ce n’est des vœux pieux, en échange d’un monopole de 17 ans.

 

56        Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

 

 

[137]       Le juge Binnie passe ensuite en revue une grande partie de la jurisprudence, comme je le fais ici, et conclut au paragraphe 66 :

66        La règle de la « prédiction valable » établit un équilibre entre l’intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement, même avant qu’on en ait vérifié l’utilité par des tests (ce qui peut prendre des années dans le cas des produits pharmaceutiques), et l’intérêt public qu’il y a à éviter d’encombrer le domaine public de brevets inutiles et de consentir un monopole pour une désinformation.

 

 

[138]       Aux paragraphes 70 et 71, le juge Binnie explique ce qu’il faut démontrer pour établir une prédiction valable, en soulignant que celle‑ci comporte trois éléments; premièrement, un fondement factuel; deuxièmement, un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; troisièmement, une divulgation suffisante. Tous ces éléments doivent être traités comme des questions de fait :

 

70        La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (Monsanto, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnements peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaires, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous‑jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.

 

71        Il vaut la peine de répéter que la question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait. Il faut présenter, comme on l’a fait en l’espèce, une preuve de ce qui était connu ou inconnu à la date de priorité. Tout dépendra, dans chaque cas, des particularités de la discipline en cause. En l’espèce, les conclusions de fait nécessaires à l’application de la règle de la « prédiction valable » ont été tirées et j’estime que les appelantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur dominante ou manifeste.

 

 

[139]       Pour ce qui est des médicaments, le juge Binnie signale, aux paragraphes 77 et 78, qu’une distinction s’impose entre les tests effectués aux fins du brevet et ceux qui visent l’obtention de l’approbation du ministre de la Santé :

 

77        Les appelantes contestent la conclusion du juge de première instance. Dans leur mémoire (mais non dans leur plaidoirie), elles allèguent que l’utilité doit être démontrée au moyen d’essais cliniques préalables sur des êtres humains, établissant la toxicité, les caractéristiques métaboliques, la biodisponibilité et d’autres éléments. Ces facteurs sont conformes à ce que la présentation d’une drogue nouvelle doit comporter pour que le ministre de la Santé puisse en évaluer l’« innocuité » et l’« efficacité ». Voir maintenant le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870, par. C.08.002(2), modifié par DORS/95‑411, par. 4(2), qui prévoit notamment :

 

La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle…

 

Les conditions préalables en matière de preuve que doit remplir le fabricant qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle visent un objectif différent de celui visé par le droit des brevets. Dans le premier cas, on parle d’innocuité et d’efficacité alors que, dans le deuxième cas, il est question d’utilité, mais dans le contexte de l’inventivité. De par sa nature, la règle de la prédiction valable présuppose l’existence d’autres travaux à accomplir.

 

C. La théorie de la validation après coup soumise par Glaxo/Wellcome

 

78        Glaxo/Wellcome soutient que, parce qu’il s’est avéré par la suite que l’AZT avait des propriétés thérapeutiques et prophylactiques (limitées dans ce dernier cas), sa prédiction était forcément valable, et elle ajoute qu’il y a lieu de confirmer la validité du brevet pour ce motif. Cet argument présuppose que, pour établir l’utilité de l’invention, il faut vérifier l’état de la technique à la date déterminante qui est celle à laquelle le brevet est contesté — même s’il peut arriver qu’il soit contesté plusieurs années après sa délivrance — et non celle à laquelle la demande de brevet est déposée. En l’espèce, la demande de brevet a été déposée en 1986 et le brevet a été délivré en 1988. Le procès n’a eu lieu qu’en 1997, soit presque une décennie après la délivrance du brevet canadien pour l’AZT.

 

 

[140]       Aux paragraphes 81 et 82, le juge Binnie évoque l’exemple de l’aéroplane des frères Wright soulevé par la Cour d’appel fédérale. La prudence est ici de mise car, comme nous l’expliquions plus haut, le paragraphe 27(3) n’exige que le principe et la meilleure méthode soient énoncés dans le mémoire descriptif que dans le cas des machines.

 

[141]       Aux paragraphes 84 et 85 de l’arrêt, le juge Binnie met en garde contre les spéculations, quand bien même elles s’avéreraient exactes par la suite :

 

84        La Cour d’appel fédérale a évoqué, à l’appui de son point de vue, les propos suivants du juge en chef Thurlow dans l’arrêt Ciba‑Geigy, précité, par. 7 :

 

… si ce qu’indique le mémoire descriptif du brevet était une simple spéculation ou une prédiction, il faut conclure, une fois que la spéculation ou la prédiction ont été confirmées, qu’elles étaient bien fondées au moment où elles ont été faites. Même au moment où elles ont été faites, il est probable qu’elles aient pu être considérées comme bien fondées.

 

Il est malheureux que le juge en chef Thurlow parle du même souffle de « spéculation ou prédiction » sans faire la différence entre ces deux notions. Les deux phrases, sorties de leur contexte, étayent dans une certaine mesure le point de vue que la Cour d’appel fédérale a adopté en l’espèce. Cependant, ces deux phrases sont situées dans un contexte. Le juge en chef Thurlow prétendait appliquer l’arrêt Monsanto, précité, et dans le passage qu’il tire de cet arrêt, le juge Pigeon souligne, à la p. 1119, l’importance primordiale, pour les besoins de l’analyse, du fait qu’il traite

 

[d’]un domaine qui n’en est pas un de spéculation mais de science exacte. Nous ne sommes plus à l’époque où l’architecture des composés chimiques était un mystère. [Je souligne.]

 

Là où le juge Pigeon veut en venir dans ses motifs, c’est qu’il existe un large écart entre la spéculation et la « science exacte », et que seule cette dernière peut permettre (ou non selon la preuve d’expert) de faire une prédiction valable. En outre, compte tenu des faits de l’arrêt Ciba‑Geigy lui‑même, le juge en chef Thurlow affirme, comme nous l’avons vu, que « [m]ême au moment où elles ont été faites, il est probable [que les spéculations] aient pu être considérées comme bien fondées [c’est‑à‑dire comme étant une prédiction valable] ». Dans le contexte général de la Loi sur les brevets, il existe également une bonne raison de rejeter la proposition selon laquelle la simple spéculation est suffisante, même lorsque cette spéculation s’avère exacte par la suite. Le demandeur ne mérite pas un brevet pour une quasi‑invention, dans le cas où la population obtient seulement une promesse selon laquelle une hypothèse pourrait s’avérer ultérieurement utile; cela aurait pour effet d’autoriser et d’inciter les demandeurs de brevet à réserver des idées intéressantes et à attendre que la science soit suffisamment avancée pour qu’elles puissent être réalisées. Le titulaire du brevet aurait alors un droit de propriété l’autorisant à empêcher autrui de fabriquer, vendre, exploiter ou améliorer cette idée, sans que la population bénéficie de quelque contrepartie utile.

 

85        Par conséquent, j’estime qu’il n’y a pas lieu de suivre l’arrêt Ciba‑Geigy dans la mesure où il préconise un point de vue contraire.

 

[142]       Le juge Binnie conclut que, dans les circonstances de cette affaire, la prédiction était valable. Il observe au paragraphe 93 :

 

93        Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, je juge valable la prédiction de Glaxo/Wellcome selon laquelle l’effet « bloquant sur l’élongation de la chaîne », divulgué dans le mémoire descriptif du brevet, aurait une application en matière de prophylaxie et de traitement de l’infection contractée. Le commissaire en a décidé ainsi et les tribunaux d’instance inférieure ont confirmé sa décision d’accepter à la fois les revendications concernant le traitement et celles concernant la prophylaxie. Il incombait aux appelantes d’établir l’invalidité du brevet, et non à Glaxo/Wellcome d’en établir la validité. Je suis d’accord avec le juge de première instance et la Cour d’appel fédérale pour dire que les appelantes ne se sont pas acquittées de ce fardeau.

 

 

[143]       La Cour et la Cour d’appel fédérale ont rendu de nombreux jugements portant sur la question de la prédiction valable après l’arrêt AZT.

 

[144]       J’aborderai maintenant ma décision dans Eli Lilly Canada Ltd c Apotex Inc, 2008 CF 142, 63 CPR (4th) 406, et celle qu’a rendue la Cour d’appel fédérale relativement à la même affaire, 2009 CAF 97, 78 CPR (4th) 388, couramment appelée l’affaire « raloxifène ».

 

[145]       Dans le brevet en cause, un médicament, le raloxifène, censé être utile dans le traitement de l’ostéoporose était revendiqué. Le mémoire descriptif divulguait des essais effectués sur des souris dont la preuve a établi qu’ils ne permettaient pas de prédire une utilité pour les humains. Il indiquait par ailleurs que des essais seraient menés sur les humains à une date ultérieure, et que ceux‑ci « devraient » montrer que le médicament avait l’utilité invoquée. Le brevet ne divulguait pas les résultats de ces essais.

 

[146]       En fait, ces essais ont eu lieu et ont été rapportés dans ce que l’on a appelé l’étude de Hong Kong, publiée après la date de priorité, mais quelques mois avant le dépôt de la demande au Canada. Cette étude n’a pas été divulguée dans la demande en question. La preuve a montré que l’étude de Hong Kong aurait permis à une personne versée dans l’art de prédire de manière valable l’utilité du raloxifène dans le traitement de l’ostéoporose.

 

[147]       J’ai conclu que le brevet était invalide parce qu’il ne divulguait pas l’étude de Hong Kong, ce qu’a confirmé la Cour d’appel fédérale; de ce fait, il ne reposait pas lui‑même sur un fondement permettant à une personne versée dans l’art de faire une prédiction valable quant à l’utilité.

 

[148]       J’écrivais ce qui suit, aux paragraphes 162 et 163 de ma décision dans Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, précitée, (Raloxifène) :

 

162      Comme je l’ai conclu en l’espèce, il existait, à la date de priorité, un bon fondement permettant de faire la prédiction, et compte tenu de l’étude de Hong Kong, il existait, à la date du dépôt au Canada, un raisonnement valable. Dans ses motifs, la Cour suprême a utilisé les mots « date de priorité ». La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont eu l’occasion d’examiner la question plus à fond et elles ont conclu que la date du dépôt au Canada était plus appropriée (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2005), 43 C.P.R. (4th) 161, à la page 184 (C.F.) conf. par (2006), 43 C.P.R. (4th) 401, à la page 409). Par conséquent, si la date était la date de priorité, aucune prédiction valable n’aurait pu être faite selon les deux premiers critères préconisés par la Cour suprême, mais à la date du dépôt au Canada, il aurait été satisfait à ces deux critères. Je n’ai pas à me demander quelle est la date la plus appropriée, compte tenu des conclusions énoncées ci‑dessous au sujet de la divulgation.

 

163      Cependant le troisième critère est celui de la divulgation. Il est clair que le brevet 356 ne divulgue pas l’étude décrite dans le sommaire de Hong Kong. Le brevet ne divulgue pas plus de choses que l’article Jordan. La personne versée dans l’art n’a obtenu, au moyen de la divulgation, rien de plus que ce qu’elle avait déjà. Aucun « prix » n’a été payé pour le monopole demandé. Par conséquent, étant donné l’absence de divulgation, il n’y avait pas de prédiction valable.

 

 

[149]       La Cour d’appel fédérale a souscrit à ma décision. Le juge Noël, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 11 à 15 :

 

11        De plus, l’appelant soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le brevet 356 ne renfermait pas une divulgation adéquate. À cet égard, l’appelante soutient essentiellement que rien n’oblige la divulgation des données sous‑jacentes appuyant une prédiction valable dans le brevet. L’appelante affirme que le juge de la Cour fédérale a mal interprété les récentes décisions judiciaires en matière de prédiction valable.

 

12        En formulant cet argument, l’appelante a pendant l’instruction souscrit pour les besoins à la conclusion tirée par le juge de la Cour fédérale aux paragraphes 155 et 156 de ses motifs portant que l’étude de Hong Kong était requise pour faire de la prédiction sur laquelle se fondait le brevet 356 une prédiction valable. Selon le juge de la Cour fédérale, l’étude de l’appelante dont il est fait état dans le sommaire de Hong Kong réalisée sur 251 femmes postménoposées concluant que [traduction] « le raloxifène [était] prometteur, en tant que traitement anti‑résoptif pour le squelette » aurait constitué un fondement factuel suffisant à la prédiction valable d’utilité du raloxifène à la date de dépôt. Toutefois, cette étude n’a pas été divulguée dans le brevet 356 et, par conséquent, le fondement factuel sous‑jacent de la prédiction et le raisonnement valable sur lequel s’appuyait la prédiction des inventeurs n’ont pas été divulgués.

 

13        L’importance de l’obligation de divulgation lors d’une demande de brevet a été soulignée par la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises au cours des dernières années (Pioneer Hi Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, paragraphe 23; Cadbury Schweppes Inc. c. FBI Foods Ltd., [1999] 1 R.C.S. 142, paragraphe 46; Free World Trust c. Électro Santé Inc. 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, paragraphe 13; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, paragraphe 37 (communément appelé l’arrêt AZT et désigné ainsi ci‑après).

 

14        L’arrêt AZT de la Cour suprême est particulièrement important à l’égard de l’issue du présent appel. Selon l’arrêt AZT, les exigences de la règle de la prédiction valable sont au nombre de trois : la prédiction doit avoir un fondement factuel; à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; et, enfin, il doit y avoir une divulgation suffisante (arrêt AZT, précité, paragraphe 70). Comme il a été dit dans l’arrêt : « la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet ». Dans les décisions en matière de prédiction valable, l’obligation de divulguer les faits sous‑jacents et le raisonnement est plus élevée pour les inventions contenant la prédiction.

 

15        En toute déférence, j’estime que le juge de la Cour fédérale s’est fondé sur le principe approprié lorsqu’il a conclu, en s’appuyant sur l’arrêt AZT, que lorsqu’un brevet est fondé sur une prédiction valable, la divulgation doit inclure la prédiction. Puisque la prédiction devenait valable grâce à l’étude de Hong Kong, cette étude devait être divulguée.

 

 

[150]       Ce raisonnement a été suivi dans d’autres jugements, par exemple par la regrettée juge Layden‑Stevenson de la Cour d’appel fédérale, où elle affirmait ce qui suit au paragraphe 121 de l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 197 :

 

121      Le juge de première instance s’est appuyé sur ce qu’il considérait comme étant le critère de l’arrêt sur l’AZT pour trancher la question de la suffisance de la divulgation. Il a conclu que la divulgation était insuffisante parce qu’elle ne satisfaisait pas à ce critère. Cette approche n’est pas compatible avec les exigences prévues par la Loi ni avec l’interprétation de ces exigences de l’arrêt Ranbaxy. Je le répète, le brevet doit contenir une divulgation du composé et de son ou ses avantages et un enseignement de son fonctionnement.

 

[151]       Dans le jugement Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 676, la juge Snider de la Cour s’exprimait ainsi au paragraphe 216 :

 

216      L’arrêt Eli Lilly (C.A.F.) découle d’une demande présentée en vertu du Règlement AC. Le brevet sous‑jacent visait l’utilisation de certains composés chimiques pour le traitement de l’ostéoporose. Néanmoins, je ne vois pas pourquoi les principes juridiques appliqués par la Cour d’appel dans cette procédure d’avis de conformité sur la question de la prédiction valable ne s’appliqueraient pas à l’affaire dont je suis saisie. Je ne puis accepter non plus l’argumentation que semblent présenter les demanderesses, selon laquelle cette « obligation plus élevée » en matière de divulgation ne s’applique qu’au brevet d’utilisation, ce qui était le cas dans les arrêts AZT et Eli Lilly (C.A.F.). En réalité, la Cour d’appel fédérale a déclaré sans équivoque que la règle de la prédiction valable s’applique à une revendication portant sur un composé nouveau (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CAF 195, au paragraphe 3).

 

[152]       Il convient à ce stade-ci de signaler l’arrêt Pfizer Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 242, de la Cour d’appel fédérale, dans lequel le juge Nadon, s’exprimant au nom de la Cour, a indiqué au paragraphe 90 que les exigences touchant la démonstration de l’utilité peuvent être remplies en faisant référence à une étude dans l’exposé du brevet :

 

90        L’argument de l’appelante suivant lequel Pfizer était tenue d’inclure dans l’exposé de l’invention du brevet des éléments de preuve pour démontrer l’utilité est non fondé. On peut satisfaire aux exigences en matière de démonstration de l’utilité en présentant des éléments de preuve au cours d’une instance en invalidité plutôt que dans le brevet lui‑même. Il semble que, dès lors que l’exposé de l’invention cite une étude qui démontre l’utilité, il n’y ait aucune autre exigence à satisfaire pour respecter l’article 2.

 

 

[153]       Ainsi, avant la publication de l’arrêt Viagra de la Cour suprême du Canada (Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60), il était bien établi en droit que :

 

                     lorsque l’utilité d’un médicament avait été démontrée avant le dépôt de la demande de brevet au Canada, il suffisait que le mémoire descriptif comporte un renvoi à une étude;

 

                     lorsque l’utilité n’avait pas été démontrée avant la date de dépôt de la demande au Canada, l’exigence législative applicable pouvait encore être remplie si l’utilité en question faisait l’objet d’une prédiction valable, à condition que celle‑ci reposât sur un fondement factuel et qu’un raisonnement valable fût exposé dans le mémoire descriptif du brevet.

 

[154]       Lorsque la question a été portée récemment devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Viagra, on a fait valoir que le brevet était invalide parce que la divulgation était insuffisante pour appuyer la prédiction valable selon laquelle certains composés ou groupes de composés étaient efficaces dans le traitement de la dysfonction érectile. Dans un jugement unanime rédigé par le juge LeBel (qui faisait également partie de la formation au moment de l’arrêt AZT), la Cour suprême a affirmé que l’exigence en matière de divulgation n’était pas plus stricte lorsque l’utilité reposait sur une prédiction valable. L’utilité peut être démontrée par des essais, par exemple, mais cela ne veut pas dire qu’il existe une obligation distincte à l’égard de la divulgation de l’utilité. Lorsque l’utilité est démontrée à la date du dépôt de la demande de brevet, l’invention est soustraite à l’application de l’exigence de prédiction valable.

 

[155]       Le juge LeBel affirmait aux paragraphes 36 à 43 :

 

36        Avant de passer à la principale question en litige, il convient d’apporter quelques précisions au sujet de l’allégation de Teva selon laquelle le brevet est invalide en ce qu’il omet de divulguer une prédiction valable de manière suffisante. Je le répète, j’estime que la notion de prédiction valable ne s’applique pas en l’espèce et qu’il faut donc rejeter la prétention de Teva sur ce point.

 

37        La validité du brevet est subordonnée à l’utilité de l’invention qu’il est censé protéger. L’exigence d’utilité découle de la définition d’« invention » à l’art. 2 de la Loi : l’invention présente le caractère « de la nouveauté et de l’utilité ». La notion de prédiction valable n’entre en jeu que lorsque l’utilité de l’invention ne peut être démontrée au moyen d’essais ou d’expériences, mais qu’elle peut néanmoins être prédite (voir p. ex. AZT). L’incertitude inhérente à la prédiction — plutôt que la démonstration — de l’utilité de l’invention a parfois amené les tribunaux à conclure à l’existence d’une obligation de divulgation accrue lorsqu’une allégation d’utilité se fondait sur une prédiction valable : Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 97, aux par. 14‑15. Selon Teva, Pfizer ne s’est pas acquittée de cette obligation de divulgation accrue applicable en l’espèce.

 

38        Comme le signalent les juridictions inférieures, pour satisfaire à la condition d’utilité prévue à l’art. 2, il suffit que l’invention exposée fasse ce qu’elle est censée faire selon le brevet, c’est‑à‑dire qu’elle tienne promesse : voir aussi S. J. Perry et T. A. Currier, Canadian Patent Law, (2012), au § 7.11. Le brevet 446 affirme que les composés revendiqués, dont le sildénafil, sont utiles dans le traitement de la DÉ. Au moment du dépôt de la demande, le sildénafil pouvait servir au traitement de la DÉ. C’est tout ce qui est exigé. L’omission de Pfizer de révéler que le composé mis à l’essai est le sildénafil intéresse la divulgation de l’invention, et non celle de son utilité.

 

39        L’exigence que l’invention soit utile au moment de la revendication ou du dépôt va dans le sens des remarques de notre Cour dans l’arrêt AZT (au par. 56) :

 

Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si . . . la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ». [Je souligne.]

 

40        La Cour ne laisse aucunement entendre qu’il faut divulguer l’« utilité »; elle affirme seulement que « l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable ». La démonstration de l’utilité peut notamment se faire au moyen d’essais, mais il ne s’ensuit pas qu’il existe une exigence distincte de divulguer l’utilité. En fait, le par. 27(3) n’énonce aucune obligation de divulguer l’utilité de l’invention : voir p. ex. les motifs du juge Dickson dans Consolboard : « [d]e plus, je suis convaincu que le par. 36(1) [l’actuel par. 27(3)] n’impose pas au breveté l’obligation de prouver l’utilité de son invention » (à la p. 521).

 

41        De toute manière, Pfizer a divulgué l’utilité du sildénafil en faisant mention d’essais. Le sildénafil s’était révélé utile avant la date de priorité, de sorte que l’exigence établie dans AZT était remplie. En outre, [traduction] « [l]’accueil de l’invention par le public peut attester son utilité. Le fait que l’invention reçoive un accueil enthousiaste de la part du marché cible est généralement l’indice de son utilité » (Perry et Currier, au § 7.12).

 

42        Il ne fait aucun doute que l’étude 350 avait démontré l’utilité du sildénafil au moment du dépôt de la demande de brevet, ce qui soustrait l’invention à l’application de l’exigence de prédiction valable. Les revendications dont l’utilité n’est pas établie par une étude clinique sont de toute manière invalides — nul ne le conteste —, mais leur invalidité n’emporte pas celle des revendications utiles (voir l’art. 58 de la Loi).

 

43        Puisque la prédiction valable n’est pas en cause, il n’y a pas lieu de se demander s’il y a obligation de divulgation accrue dans le cas d’une prédiction valable. Je passe maintenant à la principale question en litige : le brevet 446 satisfait‑il aux exigences du par. 27(3) de la Loi?

 

 

[156]       Cette analyse réclame une certaine circonspection. Le dernier paragraphe, le 43, doit être pris au mot; les commentaires sur la prédiction valable sont strictement incidents. La question devra être tranchée à une autre occasion.

 

[157]       Par ailleurs, le renvoi à l’arrêt Consolboard (Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504) dans les commentaires précités doit être envisagé avec prudence. Les brevets dont il était question dans cette affaire portaient sur des machines servant à fabriquer des panneaux de copeaux. À la page 525 de l’arrêt, le juge Dickson, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a estimé qu’une personne versée dans l’art qui prendrait connaissance des brevets en devinerait l’utilité sans avoir besoin d’explications. La question à laquelle il s’est efforcé de répondre aux pages 520 à 526 était celle de savoir si le mémoire descriptif du brevet devait énoncer l’utilité même si celle‑ci était manifeste et que la machine était adéquatement décrite. Le juge Dickson a conclu par la négative.

 

[158]       Comme la Cour suprême du Canada a expressément laissé ouverte la question de la prédiction valable dans l’arrêt Viagra, j’estime que le droit, tel qu’elle l’a élaboré dans l’arrêt AZT et tel que l’ont suivi notre Cour et la Cour d’appel fédérale, est encore valide. Le fondement de la prédiction valable, du moins en ce qui a trait à un médicament, doit être divulgué dans la partie descriptive du brevet.

 

Où en sommes‑nous maintenant?

 

[159]       Compte tenu de tout ce qui précède, lorsqu’un médicament ayant une utilité dans une thérapie ou un traitement particulier est revendiqué dans un brevet :

 

                     la Loi sur les brevets et la jurisprudence exigent que l’utilité particulière soit énoncée dans le mémoire descriptif;

 

                     l’utilité particulière ne doit être énoncée dans la revendication que lorsque l’invention concerne une nouvelle utilisation d’un composé déjà connu;

 

                     la jurisprudence exige que le mémoire descriptif divulgue des renseignements permettant de confirmer l’utilité ou de faire une prédiction valable à son sujet;

 

                     lorsqu’il y a débat autour de la réelle utilité du composé revendiqué, ou de la question de la prédiction valable à la date du dépôt, la Cour peut examiner les faits pour déterminer si ladite utilité avait été établie ou fait l’objet d’une prédiction valable à cette date.

 

Le cas d’espèce

 

[160]       En l’espèce, Pharmascience a soulevé la question de savoir si, à la date pertinente, l’invention nommée avait établi ou prédit de manière valable que les composés revendiqués avaient l’utilité revendiquée. Elle a été amenée à le faire à cause de l’énoncé contenu dans le mémoire descriptif qui faisait état de certains essais effectués sur des rats, mais non sur des humains. Il s’agissait alors de savoir si ces essais suffisaient à établir ou à prédire de manière valable l’utilité des composés revendiqués dans le traitement de la douleur à la date à laquelle la demande est réputée avoir été déposée au Canada, soit le 16 juillet 1997.

 

[161]       C’est une question de preuve.

 

[162]       Cependant, comme le mémoire contenait des exemples, Pharmascience invoque les arguments de l’utilité et de la prédiction valable et fait valoir que la description qui s’y trouve est insuffisante. Pfizer a décidé de répliquer en déposant des éléments de preuve émanant de l’inventeur et de quelques experts.

 

[163]       Je dois donc, en me fondant sur la preuve, établir les faits et décider si, à la date à laquelle la demande est réputée avoir été déposée au Canada, l’inventeur avait établi l’utilité ou l’avait prédite de manière valable, et si le brevet fournit une description adéquate.

 

UTILITÉ – PRÉDICTION VALABLE – REVENDICATION 3

 

[164]       Selon mon interprétation, la revendication 3 indique que la prégabaline ou son racémate peuvent être utilisés pour traiter divers types de douleurs énoncés dans la partie descriptive du brevet, y compris les types de douleurs qui, en 1997, seraient considérés par une personne versée dans l’art comme étant raisonnablement liés à de telles douleurs, chez les mammifères, y compris l’humain.

 

[165]       La preuve démontre que, à la date de la demande au Canada, à savoir le 16 juillet 1997, ni la prégabaline ni son racémate n’avaient été testés chez l’humain dans le but d’en déterminer l’efficacité pour le soulagement de la douleur. Selon la preuve, bien que la prégabaline ait connu un certain succès commercial dans le traitement de certains types de douleurs, ce n’est pas le cas du racémate. Aucun article scientifique publié ne traite des effets du racémate pour le traitement de la douleur chez l’humain ou un autre mammifère. Le brevet lui‑même, après correction des erreurs d’appellation, ne mentionne aucun essai qui aurait été mené avec le racémate.

 

[166]       La société Pharmascience a présenté deux arguments relativement à l’absence d’utilité :

 

                                                              i.      la prégabaline ne traite pas tous les types de douleurs;

 

                                                            ii.      le brevet ne divulgue aucune utilité en ce qui concerne le racémate ni aucun élément permettant de faire une prédiction valable voulant que le racémate puisse traiter tous les types de douleurs ou même certains types de douleurs.

 

[167]       J’examinerai chacun de ces arguments séparément.

 

1.         La prégabaline ne traite pas tous les types de douleurs :

[168]       Selon mon interprétation, le terme « douleur », tel qu’il est utilisé à la revendication 3, renvoie au terme « douleur » utilisé aux pages 1 et 5 du brevet 652, de même qu’aux types de douleurs qui, en janvier 1997, seraient considérés par une personne versée dans l’art comme étant raisonnablement liés à de telles douleurs.

 

[169]       Les essais décrits dans le brevet 652, comme l’explique M. McCarson aux paragraphes 134 à 137 de son affidavit, montrent que la prégabaline traite efficacement la douleur inflammatoire persistante et la douleur postopératoire persistante. Il s’agit de deux types de douleurs décrits dans le brevet.

 

[170]       Aux pages 1 et 5 du brevet, il est question de douleur idiopathique. Selon le paragraphe 38 de l’affidavit du Dr Watson, ce type de douleur n’a aucune cause connue et est difficile à supporter. À la page 64 du contre‑interrogatoire de M. McCarson, on peut lire que, en 1996, il n’y avait essentiellement aucun modèle de la douleur idiopathique.

 

[171]       À la page 1 du brevet, il est question de la fibromyalgie. Au paragraphe 90 de l’affidavit de M. Carson et aux questions 256 à 258 de son contre‑interrogatoire, on peut lire que, en 1996, et même aujourd’hui, il n’existe aucun modèle animal de la douleur associée à la fibromyalgie. Monsieur McMahon a affirmé plus ou moins la même chose aux questions 341 à 347 de son contre‑interrogatoire.

 

[172]       La douleur associée au cancer figure à la page 5 du brevet, et la douleur arthrosique associée au cancer métastatique figure à la page 1. À la question 463 de son contre‑interrogatoire, M. McMahon a convenu qu’il n’y avait aucun modèle, en 1997, pour les douleurs osseuses associées au cancer.

 

[173]       Plus important encore, M. McMahon a affirmé, à la question 426 de son contre‑interrogatoire, que la prégabaline n’était pas approuvée pour tous les types de douleurs neuropathiques. La douleur neuropathique est mentionnée aux pages 1 et 5 du brevet.

 

[174]       De surcroît, l’inventeur désigné dans le brevet, à savoir M. Singh, a indiqué ce qui suit en répondant à la question 147 de son contre‑interrogatoire :

 

[traduction]

La prégabaline ne bloque la douleur ou n’agit qu’en présence d’un stimulus sournois. Elle ne bloque pas la douleur aiguë.

(Non souligné dans l’original)

 

[175]       Parmi les types de douleurs énumérés à la page 1 du brevet, on peut lire : « […] une névralgie zostérienne et une névralgie post‑zostérienne aiguës ».

 

[176]       Il y a également d’autres exemples selon lesquels, en 1997, les essais décrits dans le brevet n’auraient pas pu être acceptés comme étant prédictifs d’un traitement pour tous les types de douleurs énumérés aux pages 1 et 5 du brevet. Dans bien des cas, il n’y avait, en 1997, aucun essai qui aurait pu permettre de faire une quelconque prédiction à cet effet.

 

[177]       Par ailleurs, les preuves révèlent qu’il y a certains types de douleurs énumérés aux pages 1 et 5 que la prégabaline ne peut simplement pas traiter.

 

[178]       La revendication 3 est invalide, en ce sens qu’elle fait référence à des types de douleurs qui ne peuvent être traités et à des types de douleurs dont on ne pouvait pas prédire, en 1997, qu’ils pourraient être traités par la prégabaline.

 

2.         Le brevet ne divulgue aucune utilité en ce qui concerne le racémate ni aucun élément permettant de faire une prédiction valable voulant que le racémate puisse traiter tous les types de douleurs ou même certains types de douleurs

 

[179]       Bien que le brevet divulgue un certain nombre d’essais dans le cadre desquels on a utilisé de la prégabaline sur des rats, aucune divulgation n’est faite quant au racémate (en tenant compte de l’erreur sur laquelle les parties se sont entendues).

 

[180]       On ne dispose d’aucune preuve selon laquelle, en 1997 ou même aujourd’hui, quiconque aurait utilisé le racémate ou aurait mené des essais dans le but de l’utiliser. Au mieux, les demanderesses renvoient au tableau 6 publié à la page 23 de l’une des demandes de brevet citées à la page 1 du brevet 652, à savoir la demande WO 93/23383, afin de montrer que le racémate avait fait l’objet d’essais pour le traitement de troubles du système nerveux central. Il s’agit d’un essai visant à mesurer l’efficacité pharmaceutique de divers composés dans le traitement des convulsions chez les mammifères, y compris chez l’humain. Il est précisé que la gabapentine est le composé le plus efficace. Aucune remarque n’est faite en ce qui concerne le racémate. Aucune mention n’est faite relativement au traitement de la douleur.

 

[181]       La preuve en cette matière provient principalement de Mme Hayes pour les demanderesses, et de M. Jamali pour Pharmascience.

 

[182]       Selon Mme Hayes, au paragraphe 17 de son affidavit (volume 7, pages 1944 à 1945), une personne versée dans l’art « s’attendrait » à ce que le racémate ait une activité analgésique à forte dose. M. Jamali, au paragraphe 41 de son affidavit (volume 22, page 6558), affirme qu’il n’est pas possible de prédire les propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques d’un racémate consistant en des énantiomères d’intérêt en se fondant sur les propriétés connues d’un seul énantiomère. Il étaye son affirmation dans les paragraphes suivants et arrive à la conclusion, au paragraphe 46, qu’il n’est pas possible de prédire les propriétés pharmacocinétiques d’un racémate de la prégabaline et se son énantiomère (ou de quelque proportion de prégabaline que ce soit par rapport à son opposé) en se fondant sur les propriétés pharmacocinétiques de l’un ou l’autre des énantiomères mentionnés ci‑dessus. En contre‑interrogatoire, à la page 47 de la transcription (volume 7, page 2027), Mme Hayes a admis que, pour faire ses prédictions, elle a dû aller au‑delà du brevet 652 et tenir compte de la demande de brevet WO 93/23383.

 

[183]       Non seulement ai‑je lu et examiné la preuve de Mme Hayes et de M. Jamali, mais j’ai aussi tenu compte de celle d’autres experts, comme MM. McCarson, McMahon et Cowan. Je suis convaincu qu’à la date pertinente, il n’existait aucun fondement factuel autorisant une prédiction valable quant à l’efficacité du racémate; c’est encore le cas même aujourd’hui.

 

[184]       Quoi qu’il en soit, le brevet 652 ne présente d’ailleurs ni fondement factuel ni raisonnement permettant à une personne versée dans l’art de faire une prédiction valable quant à l’utilité du racémate dans le traitement des divers types de douleur visés par la revendication 3, ou même de certains d’entre eux.

 

[185]       J’estime que les allégations de Pharmascience à cet égard sont fondées.

 

ÉVIDENCE

 

[186]       La jurisprudence concernant l’évidence a récemment été établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, [2008] 3 RCS 265, 2008 CSC 61. Le juge Rothstein a rédigé les motifs unanimes de la Cour. Il note en particulier aux paragraphes 67 à 71 :

67        Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

 

68        Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

 

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

 

69        Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’art antérieur fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

70        Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

71        Par exemple, le fait pour l’inventeur et les membres de son équipe de parvenir à l’invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, pourrait étayer une conclusion d’évidence, sauf lorsque leurs efforts et leurs connaissances se sont révélés plus grands que ceux attribués à la personne versée dans l’art. Leur démarche tendrait à indiquer qu’une personne versée dans l’art, grâce à ses connaissances générales courantes et à l’art antérieur, aurait agi de même et serait arrivée au même résultat. Par contre, lorsque temps, fonds et efforts ont été consacrés à la recherche ayant finalement mené à l’invention, et ce, avant que l’inventeur ne se mette à la recherche de l’invention ou qu’on ne lui enjoigne de le faire, y compris les démarches qui se sont révélées vaines et inutiles, une conclusion de non‑évidence pourrait être fondée. On pourrait en déduire que la personne versée dans l’art n’aurait pas fait mieux en s’appuyant sur ses connaissances générales courantes et sur l’art antérieur. En fait, lorsque les intéressés, y compris l’inventeur et les membres de son équipe, avaient de grandes compétences dans le domaine technique en cause, la preuve pourrait indiquer que la personne versée dans l’art aurait obtenu des résultats bien pires et ne serait vraisemblablement pas parvenue à l’invention. Il ne lui aurait pas paru évident d’emprunter le parcours ayant mené à l’invention.

 

 

[187]       La Cour d’appel fédérale a développé ce critère dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8, dans lequel le juge Noël, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a établi une distinction entre de simples possibilités ou hypothèses, insuffisantes, et les inventions plus ou moins évidentes, satisfaisantes. Il déclarait aux paragraphes 28 à 30 :

 

28        J’en déduis que le critère qu’adopte la Cour suprême est une application particulière du critère appelé plus largement le critère de quelque chose « valant d’être tenté ». Après avoir noté l’argumentation d’Apotex faisant valoir que le critère de quelque chose « valant d’être tenté » devrait être accepté (paragraphe 55), le juge Rothstein n’utilise plus jamais par la suite l’expression « valant d’être tenté » et l’erreur qu’il identifie dans la question dont il est saisi est le défaut d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » (paragraphe 82).

 

29        Le critère reconnu est celui de l’« essai allant de soi », où l’expression « allant de soi » signifie « très clair ». Suivant ce critère, une invention n’est pas rendue évidente par le fait que l’état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi. La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour fédérale a ou n’a pas appliqué ce critère.

 

30        Je suis d’avis qu’il ne l’a pas fait. Le juge de la Cour fédérale n’emploie pas l’expression d’« essai allant de soi », mais ses motifs indiquent qu’il a mené son analyse en suivant la ligne de démarcation tracée dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo. En particulier, il a rejeté l’allégation d’évidence de l’invention sur la foi de simples possibilités ou hypothèses et cherché la preuve que l’invention allait plus ou moins de soi.

 

 

[188]       Le critère adopté par la Cour suprême du Canada est basé sur deux arrêts du Royaume-Uni dont  désigne souvent comme étant le critère Windsurfing/Pozzoli. Il a récemment été examiné par la Cour d’appel du Royaume‑Uni (Division civile) dans MedImmune Limited v Novartis Pharmaceuticals UK Limited, [2012] EWCA Civ 1234. Le juge Kitchin y faisait observer, aux paragraphes 85 à 90 :

 

[traduction]

[85]  Il est souvent commode, mais en aucun cas essentiel, d’examiner l’évidence alléguée en se servant de l’approche structurée que la Cour a expliquée dans Pozzoli v BDMO SA [2007] EWCA Civ 588, [2007] Bus LR D117, [2007] FSR 37, au par. 23 :

 

« 1)      a) identifier la “personne versée dans l’art”;

b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

2) définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3) recenser les différences, s’il en est, entre ce qui fait partie de “l’état de la technique” et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

4) abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? »

 

[86] La deuxième étape pourrait poser problème. Dans certains cas, comme en l’espèce, les parties s’entendent sur l’idée originale, ce qui a pour avantage de limiter l’analyse de l’évidence à l’essence de l’invention. Or il arrive souvent qu’elles ne s’entendent pas et il est alors futile que la Cour s’emploie à résoudre leur désaccord, puisque seul importe en fin de compte ce que revendique le breveté. Ainsi que l’a déclaré lord Hoffmann dans Conor v Angiotech [2008] UKHL 49, [2008] 4 All ER 621, [2008] RPC 716, au par. 19, « […] le breveté a droit à ce que la question de l’évidence soit tranchée en fonction de la revendication et non d’une vague paraphrase qui s’appuie sur l’étendue de sa divulgation dans l’énoncé descriptif ».

 

[87] J’ajouterais qu’il en va de même pour la partie défenderesse. Il se peut que le breveté ait rédigé sa revendication en termes si généraux qu’elle se trouve à comprendre des produits ou des procédés qui ne doivent rien à son idée, ce qui la rend donc particulièrement vulnérable à une allégation d’évidence.

 

[88] D’un point de vue conceptuel, la troisième étape pose peu de difficultés et oblige simplement la Cour à définir les différences entre l’état de la technique et la revendication.

 

[89] La quatrième étape est cruciale et oblige la Cour à se demander si l’invention revendiquée était évidente pour la personne versée dans l’art toutefois dépourvue d’imagination à la date de priorité. Cette personne détient les connaissances générales courantes, est réputée avoir lu ou entendu les divulgations précédentes comme il fallait, c’est‑à‑dire avec intérêt; ses préjugés, préférences et attitudes sont ceux des personnes qui travaillent dans ce domaine; elle n’a aucune connaissance de l’invention.

 

[90] Il peut y avoir lieu de se demander s’il allait de soi de se lancer sur une voie particulière pour obtenir un produit ou un procédé amélioré. Il n’y a peut‑être aucune garantie de succès, mais la personne versée dans l’art peut néanmoins l’estimer suffisamment probable pour justifier un essai. Cela pourrait suffire dans certains cas à rendre une invention évidente. Il existe par ailleurs des domaines technologiques, comme les sciences pharmaceutiques et la biotechnologie, qui dépendent grandement des recherches et dans lesquels plusieurs avenues possibles sont ouvertes à l’exploration des inventeurs, sans qu’ils sachent cependant si l’une d’elles sera fructueuse. Ils s’y engagent néanmoins dans l’espoir de trouver de nouveaux produits utiles. Il est clair qu’ils ne se lanceraient pas dans ces travaux si les chances de succès étaient minces au point qu’ils n’en vaudraient pas la peine. Cependant, refuser dans tous ces cas la protection d’un brevet aurait un effet dissuasif important sur la recherche.

 

[189]       Le juge Lewiston souscrit à cette opinion et ajoute au paragraphe 184 :

 

[traduction]

[184] Dans de nombreux cas d’« essais allant de soi », c’est le fait d’essayer qui constitue l’idée originale. Il ne fait aucun doute que c’est ce qui a amené Sir Donald Nicholls V‑C à déclarer dans Molnlycke AB v Procter & Gamble Ltd [1994] RPC 49 que « […] l’évidence évoque une chose susceptible de traverser immédiatement l’esprit de la personne versée dans l’art désireuse d’accomplir la fin recherchée ». [Je souligne.]

 

[190]       Le juge lord Moore‑Bick était d’accord avec ses deux collègues.

 

[191]       Je m’en tiendrai, en l’espèce, au critère élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi et reprendrai la numérotation employée par le juge Rothstein.

 

[192]       1a) La « personne versée dans l’art » a déjà été identifiée dans ces motifs.

 

[193]       1b) Les connaissances générales courantes et pertinentes, telles que reconnues à la page 1 du brevet 652, veulent que les composés de l’invention soient déjà connus, mais utilisés à une autre fin, soit à titre d’antiépileptiques. Pharmascience invoque notamment le témoignage de son expert, le Dr Watson, un médecin spécialisé dans le traitement de la douleur, d’après lequel les médecins, dès 1996, tentaient d’administrer des anticonvulsivants, dont la gabapentine, ou s’attendaient à ce que ces médicaments traitent efficacement certains types de douleur. Je cite en particulier le paragraphe 103 de son affidavit, dont voici un extrait :

 

[traduction]

103.     Selon leur connaissance de tous les médicaments, les médecins savaient que la gabapentine ne serait pas efficace pour tous les patients ou pour tous les types de douleur. Ils savaient aussi que des problèmes d’innocuité pouvaient surgir, même si les rapports initiaux faisaient état d’une incidence plus faible d’effets indésirables comparativement aux autres anticonvulsivants.

 

[194]       Les demanderesses, de leur côté, s’appuient aussi sur les témoignages de leurs experts, notamment celui de M. McCarson et du Dr Jovey. Voici un extrait du paragraphe 20 de l’affidavit de M. McCarson :

 

[traduction]

En fin de compte, même si une personne versée dans l’art examinait le potentiel analgésique de la prégabaline […], elle ne s’attendrait pas à ce qu’elle soit efficace dans le traitement de la douleur avant de l’avoir fabriquée et testée.

 

[195]       Le Dr Jovey déclare, entre autres, au paragraphe 20 de son affidavit :

 

[traduction]

Il n’aurait pas été plus ou moins évident, à compter de juillet 1996, que la prégabaline ne serait pas efficace dans le traitement de la douleur, puisque l’on savait que certains anticonvulsivants avaient ces propriétés, qu’un petit nombre de cas tendaient à indiquer que la gabapentine pourrait servir au traitement de la douleur neuropathique chez certains patients, et que la gabapentine et la prégabaline avaient un site de liaison commun.

 

 

[196]       J’estime qu’à partir de juillet 1996, l’état de la technique était tel que la prégabaline, la gabapentine et d’autres anticonvulsivants étaient connus et utilisés à ce titre dans le traitement de troubles du système nerveux central, et que des essais publiés indiquaient que la gabapentine avait été utilisée avec succès dans le traitement de certains types de douleur.

 

[197]       2) Le second critère élaboré dans l’arrêt Sanofi consiste à définir l’idée originale de la revendication. J’insiste sur les termes de la revendication et cite les commentaires de lord Hoffmann dans Conor v Angiotech, [2008] UKHL 19, au paragraphe 19 :

 

[…] le breveté a droit à ce que la question de l’évidence soit tranchée en fonction de la revendication et non d’une vague paraphrase qui s’appuie sur l’étendue de sa divulgation dans l’énoncé descriptif. »

 

 

[198]       En l’espèce, l’idée originale de la revendication 3 ne consiste pas simplement à dire que la prégabaline peut servir au traitement de certains types de douleur, mais que la prégabaline ou son racémate peuvent servir au traitement de différents types de douleur.

 

[199]       3) Le troisième critère consiste à déterminer les différences entre l’« état de la technique » et l’idée originale. En l’espèce, ces différences ont trait au fait que deux composés, la prégabaline ou son racémate, peuvent être employés à une fin nouvelle, le traitement de différents types de douleur.

 

[200]       4) Le quatrième critère consiste à établir si ces différences étaient de l’ordre de l’évidence; c’est‑à‑dire, eu égard à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, si elles n’étaient pas qu’une simple possibilité, mais qu’elles étaient plus ou moins évidentes.

 

[201]       Les demanderesses soulignent, à mon avis non sans quelque poids, cette partie de la réponse du Dr Watson à la question 158 de son contre‑interrogatoire :

 

[traduction]

Nous faisions en sorte et priions que tout nouvel anticonvulsivant arrivant sur le marché fonctionne mieux qu’un médicament déjà existant.

 

[202]       Pharmascience fait valoir que cette réponse ne concernait qu’un analgésique [traduction] « supérieur »; cependant, compte tenu des témoignages fournis par tous les experts, je reconnais que les anticonvulsivant ont certes été considérés – du moins par certains chercheurs –comme un champ prometteur du fait de l’éventuelle efficacité de l’un d’entre eux contre la douleur, on ne pouvait pas savoir, à moins d’effectuer des essais, s’ils avaient bien cet effet, sans être nocifs. Les déclarations du juge lord Kitchin, au paragraphe 90 de ses motifs dans MedImmune, précité, sont bien à propos :

 

[traduction]

Il existe par ailleurs des domaines technologiques, comme les sciences pharmaceutiques et la biotechnologie, qui dépendent grandement des recherches et dans lesquels plusieurs avenues possibles sont ouvertes à l’exploration des inventeurs, sans qu’ils sachent cependant si l’une d’elles sera fructueuse. Ils s’y engagent néanmoins dans l’espoir de trouver de nouveaux produits utiles. Il est clair qu’ils ne se lanceraient pas dans ces travaux si les chances de succès étaient minces au point qu’ils n’en vaudraient pas la peine. Cependant, refuser dans tous ces cas la protection d’un brevet aurait un effet dissuasif important sur la recherche.

 

 

[203]       Par conséquent, j’estime que l’allégation de Pharmascience concernant l’évidence est infondée.

 

[204]       Je suis bien conscient que cela revient à conclure qu’il n’était pas évident d’utiliser la prégabaline ou son racémate contre différents types de douleurs, notamment les douleurs aiguës. Je sais également quelles en sont les conséquences du point de vue de l’utilité et de la prédiction valable. Il s’agit là de questions différentes. Par exemple, il peut ne pas être évident que le racémate puisse traiter divers types de douleur, alors qu’il pourrait ne pas avoir cette d’utilité.

 

[205]       Il faut également garder à l’esprit qu’en somme, les parties ont fait valoir des arguments opposés à l’égard de ce qui est en substance la même question. Était‑il évident d’utiliser la prégabaline contre la douleur sans que le racémate ait fait l’objet d’une prédiction valable? Il n’est pas rare qu’une partie présente des arguments subsidiaires, et c’est ce qu’elles ont fait en l’espèce.

 

DEMANDE DE REDÉLIVRANCE

 

[206]       Aux termes de l’article 47 de la Loi sur les brevets, lorsqu’un brevet est jugé défectueux ou inopérant à certains égards précis, le breveté peut, quatre ans après la date de sa délivrance, demander que le brevet soit redélivré. C’est ce que Warner‑Lambert a tenté de faire à l’égard du brevet 652.

 

[207]       Le 20 décembre 2005, des agents de brevet agissant pour le compte de Warner‑Lambert ont déposé une demande auprès du Bureau des brevets sollicitant la redélivrance du brevet 652. Plus précisément, Warner‑Lambert voulait ajouter quinze nouvelles revendications, numérotées de 16 à 31, qui ne visaient que la prégabaline et non le racémate. La revendication 16 concernait le traitement de la « douleur »; les autres revendications visaient des types spécifiques de douleur, notamment la douleur zostérienne aiguë (revendication 27). Ces revendications figurent dans le volume 8 du dossier, pages 2269 et 2270.

 

[208]       La raison de cette demande de redélivrance est énoncée au paragraphe 4 (page 2251 du dossier) :

 

[traduction]

[…] l’avocat américain spécialisé dans le domaine des brevets, Charles W. Ashbrook, agissant pour le compte de la demanderesse initiale, a, par inadvertance, par accidente ou par erreur, omis d’aviser son agent canadien, ou de s’assurer qu’il ait compris, et (ou) ce dernier n’a pas compris que le produit commercial du breveté, le composé (prégabaline) devait lui‑même être spécifiquement revendiqué […].

 

[209]       L’affidavit de Me Ashbrook a ensuite été déposé à l’appui de la demande de redélivrance (pages 2358 à 2360). Il attestait notamment ce qui suit :

 

                        [traduction]

3.                  Je n’ai pas rédigé la demande concernant le brevet 652 […].

 

4.                  J’étais particulièrement occupé entre août et octobre 2000 […].

 

5.                  Lorsque j’ai pris en charge la demande concernant le brevet 652, je ne m’y suis pas consacré à fond. J’ignore pourquoi je ne l’ai pas fait […].

 

[…]

 

8.         […] rien n’indique que j’aie demandé à l’agent canadien d’inclure dans la demande des revendications indépendantes visant uniquement l’utilisation de (la prégabaline), et je ne me souviens pas de l’avoir fait […].

 

10.              Après que le brevet a été accordé à l’automne 2005, j’ai pris part à un examen […] on a découvert ensuite que le brevet ne contenait aucune revendication indépendante relative à (la prégabaline).

 

 

[210]       Le Bureau des brevets a répondu le 24 janvier que la demande de redélivrance n’était pas acceptable, notamment parce que la preuve ne démontrait pas de manière convaincante l’intention initiale de protéger l’objet des revendications 17 à 31. D’autres éléments de preuve ont été réclamés.

 

[211]       L’agent des brevets a répondu le 23 juin 2008 en fournissant l’affidavit de Me Ashbrook susmentionné, et en invoquant une demande de redélivrance du même type soumise au Bureau américain des brevets relativement au [traduction] « brevet américain connexe no 6 001 876 ».

 

[212]       D’autres échanges ont eu lieu. La demande de redélivrance a fini par être accueillie (pages 2494 à 2496) à condition que le brevet initial soit abandonné; voir la page 2497 du dossier, comme l’indique une lettre du Bureau des brevets datée du 20 juillet 2009. La preuve s’arrête là. Il n’y a pas de trace d’abandon du brevet initial ni de redélivrance d’un brevet. Le 15 octobre 2009, la demande de redélivrance a été apparemment retirée. La présente instance concerne le brevet 652 dans la forme où il a initialement été accordé, c’est‑à‑dire sans les revendications 17 à 31.

 

[213]       Dans son avis d’allégation, Pharmascience soutient que cette demande de redélivrance appuie plusieurs des assertions d’invalidité contenues dans ce document. Elle n’a présenté aucune observation écrite au sujet de la redélivrance, mais l’a évoquée durant les plaidoiries, vraisemblablement parce que j’avais soulevé la question avec les avocats vers le début de l’audience.

 

[214]       L’avocat des demanderesses a fait valoir que la demande de redélivrance ne visait pas à modifier la revendication 3, mais simplement à en rajouter de nouvelles; cette demande est donc sans pertinence au regard de la revendication 3. L’avocat de Pharmascience soutient que si les demanderesses avaient réussi à faire redélivrer le brevet 652 avec les revendications 17 à 31, sa cliente aurait intenté des procédures en invoquant l’une d’entre elles et en écartant tout simplement la revendication 3, comme elle a écarté les revendications 1, 2 et 4 à 16 dans la présente instance, vraisemblablement parce qu’elles sont toutes trop générales, en particulier en ce qui a trait au nombre de composés dont elles font état. Pharmascience m’a fourni les motifs de jugement (mémoire) du juge en chef de la Cour de district des États‑Unis du District du Delaware (juge en chef Sleet) dans lesquels le brevet américain redélivré (920), tel que désigné dans la demande canadienne de redélivrance, a été invoqué dans le contexte d’une action en contrefaçon, C.A. no 09‑cv‑307, 19 juillet 2012. Les revendications citées concernaient exclusivement la prégabaline. La revendication 1 se rapportait à la douleur, alors que les autres concernaient un type spécifique de douleur. Il a été établi que ces revendications n’étaient pas invalides pour cause d’évidence ou d’anticipation. J’ai été avisé que l’affaire était portée en appel.

 

[215]       Cette demande de redélivrance et ces procédures américaines n’ont joué aucun rôle dans la décision à laquelle je suis parvenu en l’espèce, d’autant plus que Pharmascience n’a pas soulevé ces questions dans ses arguments écrits. Cependant, je souligne que ma décision aurait fort probablement été différente si les revendications en question visaient seulement la prégabaline et certains types spécifiques de douleur.

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

 

[216]       Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que certaines des allégations de Pharmascience quant à l’invalidité de la revendication 3 du brevet 652 sont fondées, en particulier  :

 

                     la portée de la revendication 3 est plus large que l’invention réalisée ou divulguée;

 

                     suivant mon interprétation, la revendication 3 ne divulgue pas d’utilité à l’égard du type de douleur qui s’y trouve mentionné;

 

                     ni le brevet ni rien d’autre ne contient de prédiction valable concernant l’utilité éventuelle du racémate mentionné dans la revendication 3.

 

[217]       Par conséquent, je rejetterai la présente demande, avec dépens.

 

[218]       À ce chapitre, les demanderesses sont individuellement et solidairement tenues de verser à la défenderesse Pharmascience les dépens, débours raisonnables et taxes applicables. Comme c’est généralement le cas dans ces procédures, les dépens sont adjugés au milieu de la colonne IV. Les honoraires de deux avocats au procès, un adjoint et un principal, sont autorisés. Les honoraires des experts de Pharmascience peuvent être taxés, pour autant que leurs tarifs n’excèdent pas ceux que facture l’avocat principal de Pharmascience sur une base horaire ou quotidienne.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande;

 

2.                  ADJUGE à la défenderesse Pharmascience à ses dépens suivant les modalités énoncées dans les motifs.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑556‑11

 

INTITULÉ :                                                  PFIZER CANADA INC. ET WARNER‑LAMBERT COMPANY LLC c
PHARMASCIENCE INC. ET
LA MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :                      Les 22, 23 et 24 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew M. Shaughnessy

W. Grant Worden

Alexandra Peterson

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Carol Hitchman

Rasmaria Longo

POUR LA DÉFENDERESSE, PHARMASCIENCE INC.

 

AUCUNE COMPARUTION

POUR LA DÉFENDERESSE, LA MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

GARDINER ROBERTS, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, PHARMASCIENCE INC.

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LAE DÉFENDERESSE, LA MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

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