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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121121

Dossier : IMM-1456-12

Référence : 2012 CF 1346

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SOMESH CHANDRA HALDER

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 21 novembre 2011 (la décision) par laquelle une agente des visas (l’agente) du Haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, citoyen de l’Inde, a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) au Haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde). Sa demande a été rejetée parce qu’il n’a pas fourni les documents que l’agente  demandait.

[3]               Le demandeur a tout d’abord présenté sa demande au Haut-commissariat à New Delhi le 18 avril 2010. Cette demande a été rejetée à cause d’une erreur commise dans le calcul des points relatifs à sa capacité d’adaptation. Il a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire qui a amené le défendeur à lui soumettre une offre de règlement. Le demandeur a accepté cette offre le 10 avril 2011 et le dossier a été renvoyé au Haut-commissariat pour décision.

[4]               N’ayant eu aucune nouvelle, le demandeur a envoyé une lettre datée du 24 mai 2011 au Haut-commissariat pour s’enquérir de l’état de sa demande. Le 3 août 2011, un membre du personnel du Haut-commissariat a téléphoné au domicile du demandeur et a demandé à lui parler. Il était absent, mais son épouse a donné à cette personne son numéro de téléphone cellulaire.

[5]               Le 8 août 2011, un membre du personnel du Haut-commissariat est entré en contact avec le demandeur et lui a demandé de transmettre une copie complète des passeports de tous les membres de sa famille, ainsi qu’une copie de la lettre de rejet que son fils aîné avait reçue au sujet d’une demande de visa d’étudiant.

[6]               Le 22 août 2011, le demandeur a transmis les documents demandés au Haut‑commissariat par l’entremise de Blue Dart (le mandataire de DHL en Inde). Ces documents ont fait l’objet d’un suivi, et ils ont été livrés le 23 août 2011. Le demandeur a produit une copie de la confirmation de livraison. Les copies des passeports que le demandeur avait fournies dans cet envoi étaient incomplètes; il n’avait transmis qu’une copie de la page biographique et de la dernière page de chacun des passeports de ses enfants.

[7]               Le défendeur dit avoir envoyé une lettre au demandeur le 22 septembre 2011 pour l’informer qu’il avait 30 jours pour fournir une copie complète de tous les passeports. Une copie de cette lettre figure à la page 41 du dossier certifié du tribunal; elle a été envoyée par courrier ordinaire, sans suivi ni confirmation de livraison. Le demandeur dit qu’il ne l’a jamais reçue et qu’il ignorait que les copies des passeports étaient incomplètes.

[8]               Le 16 novembre 2011, l’agente a examiné le dossier et a décidé que, sans les documents demandés, il était impossible de vérifier comme il faut les antécédents. La demande a été rejetée le 21 novembre 2011. Le 13 décembre suivant, le demandeur a reçu une lettre datée du 21 novembre 2011 indiquant que sa demande avait été rejetée parce qu’il n’avait pas fourni une copie des passeports complets (anciens et nouveaux) les concernant, lui et les membres de sa famille.

[9]               Ne comprenant pas ce qui s’était passé, le 13 décembre 2011 le demandeur a envoyé au Haut-commissariat une lettre indiquant qu’il n’avait jamais reçu la lettre du 22 septembre 2011. Il n’y a pas eu de réponse à cette lettre. Le 21 décembre 2011, le demandeur a envoyé une autre lettre au Haut-commissariat pour expliquer que son dossier d’immigration revêtait pour lui un intérêt considérable, qu’il avait présenté une première demande en 2010 et qu’il n’aurait tout simplement pas négligé de transmettre les documents demandés.

[10]           Le 13 janvier 2012, l’avocat du demandeur a reçu du Haut-commissariat un courriel disant qu’il lui était impossible de retrouver le colis que Blue Dart lui avait livré le 22 août 2011. Le 17 janvier 2012, l’avocat a répondu par courriel et a joint le rapport de situation concernant le colis de Blue Dart. L’avocat du demandeur a informé le Haut-commissariat que, s’il le fallait, il transmettrait de nouveau tous les documents requis. Il a également informé le Haut‑commissariat que le temps était d’une importance capitale parce que son client n’avait qu’un délai de 60 jours à compter de la réception de la lettre de rejet pour déposer une demande de contrôle judiciaire.

[11]           Le 31 janvier 2012, l’avocat du demandeur a reçu du Haut-commissariat une réponse indiquant que son courriel avait été transmis à la section appropriée. L’avocat a répondu par courriel le même jour, demandant une fois de plus que l’on confirme la réception de la lettre du 22 septembre 2011.

[12]           Le 10 février 2012, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Le 15 février suivant, son avocat a reçu du Haut-commissariat un courriel disant que le dossier de son client était entre les mains d’un agent des visas et qu’il était à l’étude. Le 20 février 2012, l’avocat a reçu une copie d’une lettre indiquant que la demande de résidence permanente de son client avait été rejetée.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[13]           La décision dont il est question en l’espèce se compose d’une lettre datée du 21 novembre 2011 (la lettre de rejet) et des notes au dossier de l’agente (les notes).

[14]           La lettre de rejet, qui figure à la page 156 du dossier du demandeur, indique qu’il a été demandé à ce dernier, le 8 août 2011, de produire des copies des passeports complets (anciens et nouveaux) les concernant, lui et les membres de sa famille. La lettre mentionne ensuite qu’un rappel lui a été envoyé le 22 septembre 2011, l’informant qu’il avait 30 jours pour fournir ces documents, sans quoi sa demande serait évaluée en fonction des informations que l’agente avait en main à ce moment-là. La lettre de rejet indique au demandeur que le Haut-commissariat n’a toujours pas reçu ces documents et que, de ce fait, il rejette sa demande parce qu’il n’a pas satisfait aux exigences du paragraphe 11(1) de la Loi et que l’agente n’est pas convaincue que le demandeur n’est pas interdit de territoire.

[15]           Dans ces notes, l’agente commence par passer en revue l’historique procédural de la demande. Selon l’inscription datée du 1er août 2011, le fils du demandeur, Angkon, avait déclaré ne pas avoir été l’objet d’un refus antérieurement, mais en fait on lui avait déjà refusé deux permis d’étudiant. Les notes indiquent qu’il faudrait entrer en contact avec le demandeur et dire que les documents relatifs à son fils n’ont pas été remplis comme il faut. Selon les notes du 8 août 2011, l’agente s’est entretenue avec le demandeur et lui a dit de fournir des copies complètes des passeports de la famille tout entière et le demandeur a confirmé qu’il les transmettrait. Les documents sont marqués comme ayant été reçus le 8 septembre 2011.

[16]           Les notes du 21 septembre 2011 mentionnent que les documents demandés n’ont pas été reçus et qu’il faudrait écrire une lettre pour demander au demandeur les renseignements additionnels. Les notes disent que la lettre a été rédigée et mise à la poste le 22 septembre 2011.

[17]           L’agente a écrit ce qui suit dans ses notes, le 15 novembre 2011 :

[traduction] La BCrim n’est pas réglée. Comme la demande comportait au départ de fausses informations au sujet du rejet du permis d’étudiant du fils, je ne suis pas disposée à prendre une décision BCrim sans examiner avant les copies des passeports. Le demandeur a été informé le 8 août et une fois de plus le 22 septembre de l’obligation de fournir les copies. Nous n’avons pas reçu les documents requis. Le demandeur a été informé que ce fait pouvait entraîner le rejet de sa demande. Notre bureau n’a reçu aucune demande de prorogation.

 

ECD : Prière de rédiger une lettre d’ERR pour non-conformité et la renvoyer à CEB dès qu’elle sera prête. La lettre doit porter la date d’aujourd’hui.

 

 

[18]           D’après les notes, la demande a été rejetée le 21 novembre 2011 et la lettre de rejet a été envoyée par la poste au demandeur le 25 novembre 2011.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]           Le demandeur soulève les questions qui suivent en l’espèce :

a.                   si le fait que le défendeur ne s’est pas assuré que le demandeur avait reçu la lettre du 22 septembre 2011 a causé un manquement au droit à l’équité procédurale du demandeur;

b.                   si l’agente a fait abstraction d’éléments de preuve lorsqu’elle a rendu la décision.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. Si la jurisprudence établit bien la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière dont la cour de contrôle est saisie, cette dernière peut plutôt adopter cette norme-là. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle vaine que la cour peut procéder à un examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[21]           La possibilité de répondre aux doutes d’un décideur est une question d’équité procédurale (voir Karimzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 152, au paragraphe 10, et Guleed  c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 22, aux paragraphes 11 et 12. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 100, que : « [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Par ailleurs, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a statué que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle qui s’applique à la première question est la décision correcte.

[22]           La seconde question a trait à l’usage que fait un agent du pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour accorder un visa de résidence permanente. La décision que prend un agent des visas d’accorder la résidence permanente est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Perez Enriquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1091, au paragraphe 4; Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 818, au paragraphe 26). C’est donc dire que la norme de contrôle qui s’applique à la seconde question est la décision raisonnable.

[23]           Lorsqu’on contrôle une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[...]

 

Obligation du demandeur
 
 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

[...]

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[...]

 

Obligation — answer truthfully
 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

[...]

 

LES ARGUMENTS INVOQUÉS

Le demandeur

            L’équité procédurale

 

[25]           Le demandeur déclare que, peu importe que la lettre du 22 septembre 2011 n’ait jamais été envoyée ou qu’elle se soit perdue dans le courrier, il ne l’a jamais reçue. Cela étant, il y a eu manquement à son droit à l’équité procédurale car on ne lui a pas donné une possibilité valable de prendre part à la décision concernant sa demande.

[26]           La situation dont il est question en l’espèce ressemble fort à celle qui a été examinée dans l’affaire Nizami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 265 [Nizami]. Dans cette dernière, il était question d’une demanderesse qui ne s’était pas présentée à une entrevue parce qu’elle n’avait jamais reçu l’avis de convocation. Au paragraphe 28, le juge John O’Keefe a déclaré :

[...] Vu l’empressement de la demanderesse et son désir authentique d’immigrer au Canada, je suis d’avis qu’elle n’a pas tout simplement reçu la lettre et omis de se présenter. En conséquence, je suis également d’avis que la demanderesse n’a pas reçu un avis valable de l’entrevue. Je crois donc que la demanderesse n’a pas bénéficié d’une occasion véritable de participer au processus comme elle y avait droit, même au regard de l’extrémité inférieure du registre de l’équité procédurale. Puisqu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[27]           En l’espèce, la demande de résidence permanente était manifestement très importante pour le demandeur. Ce dernier ignorait que le Haut-commissariat souhaitait qu’il transmette d’autres documents, et il n’a pas reçu la lettre du 22 septembre 2011. S’il l’avait reçue, il aurait tout simplement renvoyé les documents.

[28]           Le demandeur invoque la décision Abboud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 876 [Abboud], à l’appui de l’argument selon lequel il a été privé de son droit à l’équité procédurale. Dans cette décision, la juge Danièle Tremblay-Lamer a déclaré, aux paragraphes 16 à 19 :

De plus, lorsque l’avocate a été informée que la demande était rejetée parce que l’information demandée n’avait pas été envoyée dans les délais requis, elle a immédiatement communiqué avec le bureau des visas de Varsovie et ce, à plus d’une reprise, pour expliquer qu’elle et la demanderesse n’avaient jamais reçu le courrier électronique en question.

 

Dans une telle situation, l’agent aurait dû donner à cette dernière l’opportunité de présenter les documents exigés afin de pouvoir évaluer sa demande au mérite.

 

C’est là un accroc flagrant aux exigences de l’équité procédurale puisqu’en raison de ce problème de communication, la demanderesse n’a pas eu l’opportunité de présenter à l’agent l’ensemble de la preuve nécessaire à une prise de décision éclairée.

 

Si la décision était maintenue, les conséquences de ce problème de communication s’avèreraient extrêmement préjudiciables pour la demanderesse et sa famille qui, après plusieurs années d’attente, se verrait dans l’obligation de déposer une nouvelle demande d’immigration et qui, de surcroît, ne pourrait vraisemblablement plus se qualifier, en raison de changements réglementaires dernièrement apportés au programme fédéral des travailleurs qualifiés.

 

[29]           Le demandeur soutient que la lettre du 22 septembre 2011 était essentielle pour qu’une décision puisse être prise sur sa demande, et qu’il aurait fallu l’envoyer par courrier recommandé, ou alors que l’agente aurait dû faire un suivi auprès de lui après n’avoir pas reçu une réponse de sa part. Le Haut-commissariat connaissait le numéro de téléphone cellulaire du demandeur et aurait pu facilement l’appeler. Ce dernier ignorait qu’il était tenu de produire d’autres copies des passeports, et il n’a donc pas eu la possibilité de dissiper les doutes de l’agente. Il soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale pendant toute la durée du processus de demande, et qu’il y aurait lieu d’annuler la décision et de la renvoyer en vue d’un nouvel examen.

Le caractère raisonnable de la décision

[30]           Il ressort de l’historique de la présente demande que le demandeur a à cœur le processus d’immigration. Il est illogique de penser qu’après avoir reçu du Haut-commissariat une demande concernant une chose aussi simple que des photocopies des passeports de sa famille il aurait simplement négligé de les fournir.

[31]           L’agente n’a pas tenu compte de la totalité des éléments de preuve avant de rendre la décision. Elle aurait dû constater la diligence avec laquelle le demandeur suivait son dossier d’immigration, et elle aurait dû agir en conséquence. Selon le demandeur, l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, établit qu’une décision n’est pas raisonnable si elle ne peut résister à un examen assez poussé, et, dans le cas présent, la décision est déraisonnable parce qu’elle ne satisfait pas à ce critère.

Le défendeur

[32]           Le défendeur soutient que l’agente des visas n’avait aucune indication que le demandeur n’avait pas reçu la lettre du 22 septembre 2011, et que c’est ce dernier qui supporte le risque de non-livraison. Une fois qu’il est prouvé que la communication a été envoyée au demandeur, c’est sur ses épaules que pèse ensuite le fardeau de la preuve. Comme l’a déclaré le juge Roger Hughes dans la décision Alavi c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 969, au paragraphe 5 :

[traduction] Le principe qui se dégage de ces décisions, qui visent toutes des communications envoyées par l’ambassade traitant la demande au demandeur ou au représentant du demandeur, est que le prétendu « risque » présenté par le défaut d’envoi de la communication doit être assumé par le ministre s’il ne peut pas prouver que la communication en cause a été envoyée par ses représentants. Cependant, une fois que le ministre prouve que la communication a bien été envoyée, le demandeur assume le risque présenté par le défaut de réception de la communication.

 

 

Ce principe a été reconnu dans d’autres décisions, telles que Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12, et Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024, au paragraphe 36.

[33]           Le défendeur soutient qu’il a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre du 22 septembre 2011 a été envoyée au demandeur. Il souligne plus précisément que :

                          i.      une copie de la lettre figure dans le dossier;

                        ii.      l’adresse indiquée sur la lettre est identique à celle qui apparaît sur la lettre de rejet, que le demandeur a reçue;

                      iii.      les notes indiquent que l’agente a donné comme instruction qu’on envoie la lettre;

                      iv.      les notes font explicitement référence au fait que la lettre a été envoyée le 22 septembre 2011.

 

[34]           Dans la présente demande, la preuve est quasi identique à celle qu’il y avait dans l’affaire Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 124 [Yang]. Dans cette dernière, la juge Judith Snider a écrit, au paragraphe 8 :

Ayant examiné le dossier dont je dispose, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre du 27 mars a été envoyée, par courrier ordinaire, à l’adresse donnée par le demandeur. Une copie de la lettre figure dans le dossier. L’adresse qui y est indiquée est correcte. Les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration font explicitement mention de l’envoi de la lettre du 27 mars. Bien qu’il ait présenté des éléments de preuve selon lesquels son consultant n’avait pas reçu la lettre du 27 mars, le demandeur n’a pas présenté de preuve qui me permettrait de douter du fait que la lettre a été envoyée à la bonne adresse par des moyens fiables.

 

 

Selon le défendeur, la décision Yang étaye l’argument selon lequel il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale quand l’agente n’a pas demandé au demandeur, pour une troisième fois, de fournir les documents qui manquaient.

[35]           Le défendeur fait valoir que l’agente n’était pas obligée d’envoyer la lettre par courrier recommandé ou d’obtenir une confirmation de sa réception. Il ressort clairement de la jurisprudence que l’agente n’était nullement tenue de confirmer ou de prouver que le demandeur avait reçu la communication (voir Yang, au paragraphe 14; Ilahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1399, au paragraphe 7). Le demandeur se fonde à tort sur les décisions Nizami et Abboud; dans Nizami, il y avait une preuve que la lettre en question n’avait pas été envoyée (Nizami, aux paragraphes 26 à 28), et, dans Abboud, il y avait une preuve qui aurait dû attirer l’attention de l’agent des visas sur le fait que le courriel n’avait pas été envoyé (Abboud, au paragraphe 15). En l’espèce, l’agente n’avait en main aucune preuve qui aurait pu l’amener à croire que le demandeur n’avait pas reçu la lettre.

[36]           Le défendeur souligne que dans les instructions données au demandeur le 8 août 2011 il lui a été dit de transmettre des copies complètes des passeports, et le demandeur a indiqué qu’il comprenait. Les notes confirment que le demandeur a compris les instructions qu’on lui donnait. Il a donc eu deux chances de présenter les documents en question. Par surcroît, même après le rejet de la demande, le demandeur a tenté de transmettre les documents manquants, mais là encore il a omis de transmettre des photocopies des passeports entiers, comme on le lui avait demandé.

[37]           Le défendeur signale également que le demandeur, dans son mémoire, fait référence à un échange de courriels qu’il y a eu entre le Haut-commissariat et lui-même après le rejet de sa demande. Le défendeur déclare qu’il n’est pas clair pourquoi, dans le courriel daté du 16 janvier 2012, la personne a déclaré que le Haut-commissariat n’avait jamais reçu les documents présentés par le demandeur en août 2011, alors qu’en fait il les avait reçus. Néanmoins, il ressort clairement des notes que l’agente a bel et bien reçu ces documents et qu’elle les a pris en considération avant de rejeter la demande.

[38]           La Cour fédérale a statué que l’équité procédurale n’exige pas que Citoyenneté et Immigration Canada confirme la réception des communications (voir Yang, au paragraphe 14; Zhang c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 75, au paragraphe 14). Le demandeur a eu deux chances de produire les documents requis, et il ne l’a pas fait. Selon le défendeur, le redressement approprié dans le cas présent est d’exiger que le demandeur présente une nouvelle demande en produisant cette fois-ci les bons documents.

ANALYSE

[39]           Le demandeur dit que, le 22 août 2011, après avoir reçu un appel d’un agent en poste à New Delhi, il [traduction] « a envoyé les documents requis par l’intermédiaire de Blue Dart ». Ce n’est pas là une description exacte de ce qui s’est passé. Les notes indiquent que, le 8 août 2011, un agent a téléphoné au demandeur et lui a dit de fournir une annexe-1 rectifiée pour son fils, en y ajoutant des détails concernant les demandes de visa d’étudiant antérieures de ce dernier [traduction] « et de nous faire parvenir aussi des copies de toutes les pages des passeports (anciens et nouveaux) de la famille tout entière ». Les notes indiquent clairement aussi que le demandeur [traduction] « a confirmé qu’il comprenait et a dit qu’il nous fournirait les documents demandés ». Au vu de la preuve qui m’est soumise, il n’y a pas lieu de douter de l’exactitude des notes.

[40]           Cependant, le demandeur n’a pas fourni une copie complète des passeports de tous les membres de la famille. Il n’a produit que la page biographique et la page d’informations familiales qui se rapportaient à son fils et à sa fille. Même si le demandeur n’a pas obtempéré, une lettre de rappel, datée du 22 septembre 2011, lui a été envoyée, encore qu’il dise ne pas l’avoir reçue.

[41]           Je conviens avec le défendeur que la preuve soumise à la Cour établit, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre datée du 22 septembre 2011 a été dûment envoyée. Le Haut-commissariat n’a eu aucune indication que la communication avait échoué. De ce fait, le risque de non-livraison pèse sur les épaules du demandeur.

[42]           Comme le défendeur le fait remarquer, la jurisprudence indique clairement qu’une fois que le ministre prouve qu’une communication a été envoyée à un demandeur et que le Haut‑commissariat n’a aucune indication que la communication a échouée, le risque de non‑livraison repose sur les épaules du demandeur. Voir Alavi c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 969, au paragraphe 5; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12; et Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024, au paragraphe 36.

[43]           En l’espèce, le défendeur a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la lettre datée du 22 septembre 2011 a été envoyée au demandeur. En effet :

a)         une copie de la lettre figure dans le dossier;

b)         l’adresse indiquée sur la lettre est identique à celle qui figure dans la lettre de décision, que le demandeur a reçue;

c)         l’affidavit de l’agente confirme que les notes du STIDI reflètent avec exactitude l’évaluation qu’elle a faite du dossier, et ces notes indiquent qu’elle a donné comme instruction qu’on envoie la lettre en question;

d)         les notes qu’un adjoint aux programmes a inscrites dans le STIDI (initiales AM dans le STIDI) le 22 septembre font explicitement référence au fait que la lettre en question a été envoyée à cette date-là.

 

[44]           Dans la décision Yang, précitée, la juge Snider a estimé qu’une preuve similaire était suffisante pour conclure selon la prépondérance des probabilités qu’une lettre avait été envoyée par courrier ordinaire.

[45]           En conséquence, le demandeur supporte le risque que présente la non-réception de la communication. Cela veut dire qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale lorsque l’agente n’a pas demandé au demandeur, pour une troisième fois, de fournir les documents qui manquaient.

[46]           Le demandeur fait valoir que l’agente aurait dû envoyer la lettre en question par courrier recommandé ou confirmer la réception de la lettre avant de rejeter sa demande. Cependant, il ressort de la jurisprudence que le ministre n’est pas tenu de confirmer ou de prouver que le demandeur a reçu une communication. Voir Ilahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1399, au paragraphe 7; et Yang, précitée, au paragraphe 14.

 

[47]           À l’appui de son argument selon lequel l’agente était tenue de confirmer la réception de la lettre datée du 22 septembre 2011, le demandeur invoque les décisions Nizami, précitée, et Abboud, précitée. Cependant, dans Nizami, il y avait une preuve que la lettre en question n’avait pas été envoyée, et dans Abboud il y avait une preuve qui aurait dû attirer l’attention de l’agent sur le fait que le courriel en question n’avait pas été dûment envoyé. Dans le cas présent, le défendeur a prouvé que la lettre avait été bel et bien envoyée, et l’agente n’avait en main aucune preuve pouvant l’amener à croire que le demandeur n’avait pas reçu la lettre. De ce fait, selon moi, le ministre n’était pas tenu d’envoyer la lettre en question par courrier recommandé ou d’en confirmer la réception, comme le demandeur l’a laissé entendre.

[48]           En l’espèce, je n’ai aucune raison de mettre en doute la preuve du demandeur selon laquelle il n’a pas reçu la lettre du 22 septembre 2011. Toutefois, cela ne règle pas la question. La jurisprudence applicable nous dit, en fait, que le risque d’un défaut de communication repose sur les épaules du demandeur si le défendeur est en mesure de montrer que, selon la prépondérance des probabilités, la communication a été envoyée et, deuxièmement, si le défendeur n’avait aucune raison de croire que la communication avait échoué.

[49]           Comme l’a indiqué clairement le juge Robert Barnes dans la décision Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12 :

En résumé, lorsqu’une lettre est envoyée correctement par un agent des visas à une adresse (électronique ou autre) fournie par un demandeur, que cette adresse n’ait pas fait l’objet d’une révocation ou d’une révision, et qu’on a reçu aucun indice de la possibilité que la communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

 

 

[50]           Indépendamment de cette position claire du droit, l’avocate du demandeur a demandé à la Cour de prendre en considération les répercussions sérieuses qu’aura pour son client le rejet de la présente demande. La Cour est bien sensible au fait qu’une décision défavorable pourrait vouloir dire que le demandeur ne sera peut-être pas en mesure de venir au Canada, mais elle n’a clairement pas le pouvoir discrétionnaire général de faire abstraction de la jurisprudence établie pour ce motif. D’autres demandeurs ont eu à subir eux aussi les conséquences sérieuses d’une décision défavorable.

[51]           Il y a des motifs qui expliquent notre système actuel et pourquoi le risque doit reposer sur les épaules du demandeur. L’avocate de ce dernier a fait tout ce qu’elle pouvait pour faire une distinction entre ce qui s’est passé en l’espèce et la jurisprudence applicable, et elle a défendu devant la Cour, de manière très compétente, la position de son client. Au bout du compte, toutefois, la Cour est tenue d’appliquer le droit qui est en vigueur.

[52]           Pour les motifs déjà mentionnés, le défendeur n’était pas tenu d’envoyer la communication en question par courrier recommandé, ni de vérifier si le demandeur avait reçu la lettre du 22 septembre 2011. Il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale dans le cas présent. La question de savoir si l’agente a fait abstraction d’éléments de preuve étant inextricablement liée à celle de l’équité procédurale, je conclus aussi que la décision est raisonnable.

[53]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1456-12

 

INTITULÉ :                                      SOMESH CHANDRA HALDER

 

                                                            - et -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 23 OCTOBRE 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 21 NOVEMBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chayanika Dutta

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chayanika Dutta

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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